« Le rapport parent-enfant est la matrice de tous nos rapports de domination »

Les propriétés sociales partagées par l'ensemble des sociétés humaines échappent au regard spécialisé. Le sociologue Bernard Lahire aborde de front la biologie, le social et le culturel dans son dernier ouvrage, Les structures fondamentales des sociétés humaines (La Découverte, 2023) où le rapport parent-enfant se révèle être la matrice des autres rapports de domination.

publié le 08/10/2023 Par Laurent Ottavi

Laurent Ottavi (Élucid) : Votre travail dépasse le cloisonnement des disciplines. Comment expliquez-vous cet excès actuel de spécialisation et en quoi vous paraît-il nuire à la connaissance de la « structure sociale humaine profonde » (Bernard Chapais) ?

Bernard Lahire : La division du travail scientifique est un phénomène auquel n’échappe aucun domaine de connaissance, les sciences physiques et les sciences naturelles comme les sciences psychologiques ou les sciences sociales. Et pour cause, cette situation est le produit d’une loi de différenciation tendancielle, qui est l’une des grandes lois sociologiques qui gouvernent l’ensemble des sociétés humaines. Même dans les sociétés les moins différenciées, on trouve toujours une division sexuée des tâches, et une séparation de fonctions qu’on peut qualifier de « politiques » ou de « magico-religieuses ». Mais tous les domaines ne gèrent pas de la même façon cette spécialisation. La physique et la biologie, notamment, sont parvenues à constituer des paradigmes unificateurs qui permettent de formuler des acquis, de travailler dans un cadre structurant et de produire des révolutions lorsque les connaissances accumulées dans ces cadres finissent par entrer en contradiction avec eux.

Le passage de la physique newtonienne à la physique einsteinienne est de cet ordre ; et le cadre darwinien lui aussi risque bien d’être reformulé de « nouvelle synthèse » en « synthèse étendue ». Malgré l’énorme accumulation de travaux depuis environ 150 ans, les sciences sociales sont toujours dépourvues de « paradigme unificateur », pensent impossible de formuler des principes ou des lois, et peinent à dégager des acquis sur lesquels tout le monde peut s’appuyer et développent, du même coup, un relativisme épistémologique. La spécialisation a pour effet de faire perdre de vue les phénomènes transversaux, les mécanismes généraux qui se manifestent sous différentes formes dans des secteurs différents de la vie sociale. Et du coup, ce sont les structures fondamentales des sociétés humaines qui échappent au regard spécialisé.

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