Symbole des politiques néolibérales, le statut extrêmement précaire d’auto-entrepreneur s’est massivement diffusé depuis sa création en 2009. Il concerne aujourd’hui plus de 2 millions de Français, parmi lesquels on trouve un certain nombre de personnes politisées à gauche. Ce choix en apparence contradictoire interroge. Pour le comprendre il faut remonter aux origines de cette créature paradoxale qu’est l’auto-entrepreneur de gauche.

publié le 26/02/2025 Par Grégoire Simpson

Dans un entretien réalisé en 2023 pour la chaîne YouTube « À Gauche », Nicolas Framont (rédacteur en chef de Frustration Magazine) confiait son ressenti vis-à-vis du monde du travail et de la proposition de salaire à vie de l’économiste Bernard Friot :

« Moi je n’ai pas envie d’une société bureaucratique. Une société où les individus sont émancipés ce n’est pas une société bureaucratique, où on doit régulièrement passer des jurys de qualification, devant on ne sait qui… moi ça ne me va pas du tout en fait ce système total. Et du coup, le salaire à vie, ce n’est même pas quelque chose que je souhaite pour moi, je suis presque plus à l’aise dans la précarité un peu subie du capitalisme. »

Comme le souligne Nicolas Framont, la proposition de salaire à vie (ou salaire à la qualification personnelle) cherche en effet, dans une perspective anticapitaliste, à détacher la rémunération de l’emploi en garantissant aux gens un salaire en se basant sur un système de qualification proche de celui que connaissent actuellement les fonctionnaires français. Et si Nicolas Framont est réticent, c’est qu’il a bien connu ce système : que ce soit à l’époque de son doctorat en donnant des cours à l’université, mais aussi plus tard en réalisant des missions d’expertises sur les questions de santé et de condition de travail dans les entreprises et la fonction publique.

Malgré cela, quelques jours après la publication de son entretien, l’auteur de Vous ne détestez pas le lundi… Vous détestez la domination au travail (Les liens qui libèrent, 2024), revient sur ses propos et les qualifie de « parfaitement abusif[s] ». L’abus en question, précise-t-il, réside dans le fait que sa préférence pour le travail en freelance et le statut d’auto-entrepreneur n’est pas « généralisable » politiquement. En d’autres termes, même s’il bénéficie dans l’indépendance d’une liberté qu’il ne retrouve pas chez Friot, il n’en fait pas pour autant une alternative collective au projet de salaire à vie. Il nous le dit : ce n’est finalement « que [son] cas personnel ».

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