Éducation : l'enseignement en danger

Délaissé financièrement et politiquement, notre système éducatif périclite sous la menace d'une privatisation rampante.

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publié le 08/04/2022 Par Élucid
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« La France n’a pas de pétrole, mais elle a des idées ». Déjà bien avant les chocs des années 1970, la France avait compris l’avantage comparatif qu’elle pourrait tirer, faute de matières premières, d’un niveau éducatif élevé au sein de sa population. Pour répondre à cet objectif, le système éducatif français s’est développé progressivement depuis le XIXe siècle autour d’un principe de gratuité et d’égalité, se traduisant aujourd’hui par la durée de scolarisation obligatoire la plus importante d’Europe.

Cependant, on constate un certain désinvestissement de la part des gouvernements successifs dans le système éducatif français, mesuré par les faibles dépenses publiques qui lui sont consacrées. Les enquêtes internationales viennent aussi mesurer une baisse de niveau scolaire de la part des élèves français.

Pire, on constate une progression rampante de la logique de privatisation du système éducatif, notamment sous le quinquennat Macron, qui risque de remettre en cause la généralisation récente de la scolarisation secondaire et supérieure.

Une passion éducative française

Le XIXe siècle est le siècle de l’alphabétisation de masse. La France passe d’un taux de scolarisation d’à peine plus de 20 % en 1870 à presque 100 % en 1925. Initialement en retard sur l’Allemagne, le développement éducatif français a été plus rapide et homogène : dès 1885, le nombre de Français sans aucune forme de scolarisation tombe en dessous du taux allemand. Chose remarquable : alors que la France ne dispose pas de ressources charbonnières ou de flotte de commerce aussi importante que le Royaume-Uni, le taux de scolarisation français lui a été constamment supérieur.

De plus, la forme étatisée de l’éducation en France lui permet d’atteindre rapidement un taux de scolarisation quasi absolu (99,7 %) dès le milieu des années 1920, contrairement à l’Allemagne et le Royaume-Uni qui doivent attendre respectivement 1955 et 1945 tout en affichant un moindre taux de réussite (environ 97 %).

Le recul du taux de scolarisation en France entre 1980 et 2000 est principalement dû à l’arrivée de migrants en provenance d’Afrique du Nord où l’alphabétisation était alors moins avancée. Néanmoins, on constate que le système scolaire français, souvent décrié, a su très vite retrouver des taux de scolarisation supérieurs à ceux de nos deux voisins européens et donc à intégrer ces populations.

Le développement des études secondaires (collège-lycée) et supérieures (université) s’inscrit également dans le schéma suivi par les niveaux d’éducation primaire. D’abord en retard par rapport à ses voisins européens, la France a massivement investi pour rattraper son retard à partir des années 1960. En 2010, un peu plus de 90 % de la population française avait atteint les études secondaires, un taux un peu inférieur au taux allemand (94 %), mais supérieur au taux britannique (87 %).

Cet effort français pour universaliser au maximum l’accès à l’éducation se constate particulièrement pour les études supérieures où la France a presque rejoint le taux britannique : environ 26 % de la population a atteint les études supérieures contre seulement 22 % en Allemagne.

Le coup d’arrêt des années 1990

Avec la mise en place de politiques de rigueur budgétaire dans le cadre de l’intégration européenne (signature du traité de Maastricht en 1992), on constate que les dépenses d’éducation en termes de parts dans le PIB ont eu tendance à reculer à partir de 1996. Cette tendance s’est poursuivie sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Les dépenses publiques d’éducation ont reculé de 5,4 à 5,2 % du PIB entre 2017 et 2019 tandis que la dépense totale (publique et privée) reculait de 6,7 à 6,6 %.

Pourtant, depuis les années 1990, les effectifs scolaires ont continué à progresser en volume de près de 1 million d’individus pour atteindre le chiffre de 16 millions en 2019 (primaire, secondaire et études supérieures).

Si l’on compare la France à ses voisins européens, il apparaît que les dépenses publiques à destination de l’éducation secondaire sont relativement élevées : la France occupe le 3e rang de l’Union européenne avec 2,2 % du PIB consacré aux études secondaires.

En revanche, en termes d’éducation primaire et supérieure, les dépenses publiques françaises se retrouvent en queue de peloton. Pour les dépenses d’éducation primaire, la France évolue à la 15e place de l’UE (sur 27) et est 23e pour les dépenses publiques dans l’éducation supérieure.

Si l’on cumule toutes les dépenses publiques consacrées à l’éducation, la France occupe le 9e rang de l’Union européenne (5,2 % du PIB), légèrement au-dessus de la moyenne de l’UE (4,7 % du PIB).

Dépenses publiques d'éducation en Europe en 2020.

La stratégie éducative française : un modèle égalitariste malheureusement sous-financé

En réalité, la France a choisi un modèle d’accès à l’éducation « égalitariste » avec un tronc commun d’étude très élargi. L’orientation s’effectue après l’obtention du baccalauréat et non au collège comme en Allemagne.

La France a aussi fait le choix d’une période de scolarisation obligatoire très longue. Elle est de 15 ans en France (de 3 à 18 ans) contre 12 ans en Allemagne et 11 ans au Royaume-Uni.

Corrélativement la France peut se targuer d’un très faible taux d’exclus du système d’enseignement secondaire supérieur (lycées) avec moins de 4 % d’une classe d’âge (proche des taux finlandais et suédois). Ce taux est inférieur à la moyenne de l’UE, mais aussi à ce qui s’observe en Allemagne (14 %) et même au Danemark (8 %), souvent mis en avant pour son système éducatif.

Si cette stratégie avec une scolarité longue et peu sélective est un choix louable, il apparaît que le modèle éducatif français est sous-financé. En effet, l’augmentation des effectifs scolaires en France pressurise davantage le système qu’ailleurs : avec une scolarité obligatoire de 15 ans, 1 million d’élèves supplémentaires en France équivalent donc à 850 000 élèves supplémentaires en Allemagne (où la scolarité est de 13 ans) et seulement 730 000 élèves supplémentaires au Royaume-Uni.

Autrement dit, pour une même augmentation d’effectifs, le nombre de professeurs à recruter est bien plus important en France que chez ses voisins. Pour résoudre l’équation tout en respectant sa politique de restriction budgétaire, la France doit donc augmenter le nombre d’élèves par professeur. En effet, le nombre d’élèves par enseignant est de 18,8 dans l’enseignement primaire et de 14,5 au collège contre respectivement 13,3 et 12,3 dans la moyenne de l’UE. La seule exception concerne le nombre d’élèves par professeur au lycée qui avec un chiffre de 11,3 se situe en dessous de la moyenne européenne (12).

Un autre levier sur lequel joue l’État pour limiter les dépenses publiques concerne le salaire des professeurs, qui même dans le secondaire est très inférieur à celui de ses proches voisins à l’exception de l’Italie. En France, un enseignant au lycée en début de carrière touche en moyenne 29 000 € par an contre 33 000 € en Belgique, 34 000 € en Espagne et 57 000 € en Allemagne.

En termes de perspectives d’évolution de carrière, la France est là encore à la traîne. Après 15 ans de carrière, un enseignant au lycée peut espérer toucher un peu plus de 39 000 euros, derrière son collègue italien ou portugais. En Allemagne, les enseignants émargent en moyenne à 81 000 euros.

Ce sous-investissement qui se traduit par des conditions de travail dégradées et des niveaux de rémunération insuffisants commence à produire des effets négatifs sur le recrutement des effectifs de l’éducation nationale. En 2019, ce sont près de 1400 postes d’enseignants du secondaire qui n’ont pas été pourvus à l’issue du concours externe, en forte augmentation par rapport à 2017.

30 ans de réformes : le début du déclin ?

Les conditions de travail dégradées des professeurs peuvent à terme se répercuter sur la qualité de l’enseignement. Or, un des aspects les plus préoccupants de ces dernières années est effectivement la baisse de niveau scolaire enregistrée par différentes études, notamment internationales.

L’enquête « lire, écrire, compter » du ministère de l’Éducation nationale mesure les performances en dictée et en calcul des élèves de CM2 depuis 1987. Or ces deux indicateurs accusent une dégradation importante puisque dans l’ensemble, le nombre de fautes par dictée est passé de 11 à 18 entre 1987 et 2015, tandis que le score moyen en calcul passait de 250 à 176 entre 1987 à 2017.

Seul point de consolation, les différences de résultats entre enfants d’ouvriers et de cadres se sont réduites… par le bas.

De façon plus détaillée, on observe que c’est l’ensemble de la distribution des résultats qui a progressivement reculé à chaque nouvelle enquête réalisée en 1987, 1999, 2007 et 2017. Ainsi en 1987 les résultats en calcul s’échelonnaient entre 100 et 380 points avec une moyenne autour de 250 points. En 2017, l’intervalle des résultats était compris entre 0 et 305 avec une moyenne à 180 points.

Distribution du niveau en mathématiques par génération en France.

Même constat du côté des performances en dictée qui montre une baisse importante du nombre d’élèves capable d’orthographier correctement les mots d’une même dictée réalisée en 1987 et 2007, ainsi qu’en lecture où la diminution de performance est encore plus marquée chez les élèves les plus faibles.

Ce déclin des performances scolaires va de pair avec un autre phénomène inquiétant : celui de l’illettrisme. L’illettrisme concerne les personnes qui ont été scolarisées, mais qui n’ont pas acquis une maîtrise suffisante de la lecture, de l’écriture et du calcul (contrairement à l’analphabétisme qui concerne ceux qui n’ont pas du tout été scolarisés). Près de 7 % de la population âgée de 18 à 65 est touchée par l’illettrisme, soit environ 2,5 millions de personnes selon l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI). Si l’on corrige des effets dus à l’évolution de la structure démographique française, ce chiffre est stable depuis le début des années 2000.

Cependant, avec la diminution des dépenses dédiées notamment à l’éducation primaire, ce chiffre pourrait être amené à augmenter dans les années à venir. C’est particulièrement vrai pour les zones faiblement peuplées (zones rurales et petite agglomération urbaines) qui concentrent déjà la moitié des personnes en situation d’illettrisme et qui sont particulièrement touchées par les fermetures et regroupements d’établissements scolaires.

L’augmentation de l’illettrisme se ressent en effet chez les plus jeunes, puisque selon le professeur de linguistique Alain Bentolila « 11 % des plus de 15 ans ont de grosses difficultés de lecture et d'écriture, et sont incapables de lire un texte simple de plus de cinq lignes et d'en tirer une information, ou une action ». Ces proportions sont bien plus importantes que chez nos voisins européens, puisqu’en Allemagne par exemple, l’illettrisme ne touche que 3,5 % de la population. A contrario, en France les jeunes ne dépassant pas le niveau collège sont 43 % à souffrir d’illettrisme contre 30 % au niveau CAP et « seulement » 4% pour les jeunes atteignant le niveau du baccalauréat.

Au niveau international, l’enquête PISA, réalisée par l’OCDE tous les 3 ans, permet de mesurer les performances scolaires d’un ensemble de pays, mais aussi de comparer les résultats d’un même pays au cours du temps. Là aussi, semble se dessiner un déclin des performances éducatives de la France, en particulier en mathématiques et sciences. Pour ces deux matières, le score français est passé de 511 en 2003 à environ 493 en 2018.

Ce déclin est sans doute à chercher du côté du manque crucial de moyens qui touche l’éducation primaire en France conjuguée à une durée de scolarisation obligatoire beaucoup plus longue qu’ailleurs en Europe, comme cela a été mis en évidence précédemment.

La volonté française de ces dernières années de concentrer le maximum de moyens sur le secondaire s’est également faite au détriment de l’enseignement supérieur. En effet, alors que le taux de participation aux études supérieures est élevé en France, le taux de personnes ayant complété leur formation est quant à lui bien inférieur à celui de nos voisins. Alors qu’en 2010, environ 12 % de la population française avait complété ses études supérieures, ce taux était de près de 15 % en Allemagne et 17 % au Royaume-Uni.

Ce phénomène de « décrochage scolaire » des étudiants français peut être en partie attribué à la baisse des moyens alloués pour chaque étudiant depuis 2008. Alors que la dépense moyenne était de près de 13 000 € par étudiant en 2008, elle n’était plus que de 11 500 € en 2020. Cette forte baisse de moyens conduit les universités françaises à restreindre le nombre de places pour leurs formations, notamment en décourageant les inscriptions en licence ou en master, comme avait témoigné Nicolas Framont dans un entretien sur Élucid.

Fidèle à son ancienne tradition de massification de la scolarisation, la France se distingue de ses voisins européens par un système éducatif centralisé et égalitariste. La durée de scolarité en France est l’une des plus élevées au sein de l’Union européenne avec des taux de décrochages scolaires très faibles. Ce modèle ambitieux se heurte depuis plusieurs décennies aux politiques de restrictions budgétaires qui impactent avant tout l’éducation primaire et supérieure.

De premières conséquences se font d’ores et déjà sentir : difficulté de recrutement de nouveaux professeurs, baisse des résultats scolaires… Un point d’inquiétude majeure concerne le faible taux d’achèvement des études supérieures qui place la France très en retard par rapport à ses voisins allemands et britanniques. Le manque d’accompagnement des étudiants ou bien encore l’augmentation du coût de la vie sont sans doute en cause.

L’augmentation des moyens pour ce secteur éducatif semble urgente afin de rattraper le retard pris par la France. Cela est d’autant plus important que la France est un pays dépourvu de ressources naturelles et qui, par conséquent, ne peut compter pour les investissements de demain et les emplois d’après-demain que sur le devenir de ses étudiants d’aujourd’hui.

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