« Emmanuel Macron incarne une méritocratie technocratique » - Annabelle Allouch

La méritocratie privilégie un certain type de mérite par rapport à d’autres et justifie ainsi les inégalités qu’elle prétend réduire. La sociologue Annabelle Allouch a souligné ces impasses dans plusieurs de ses livres, parmi lesquels La société du concours, l’empire des classements scolaires (Seuil/La République des idées, 2017) et Mérite (Anamosa, 2021). Elle remonte aux origines de la méritocratie pour mieux en cerner la nature, analyse ses effets contemporains et son pouvoir d’attraction malgré les déconvenues.

publié le 30/04/2023 Par Laurent Ottavi

Laurent Ottavi (Élucid) : Que recouvre précisément le terme de méritocratie ?

Annabelle Allouch : La méritocratie est une organisation sociale et politique. Elle consiste à choisir des élites politico-administratives, autrement dit des élus ou des fonctionnaires (qui peuvent également être élus parfois comme c’est le cas aux États-Unis), parmi les individus désignés comme les « meilleurs » à un moment donné. Il faut entendre par là une sélection sur la base de leurs capacités propres et non pas, comme sous l’Ancien Régime, de leur naissance ou de leur appartenance à telle ou telle famille ou à tel corps.

Élucid : À quand remontent ses origines ?

Annabelle Allouch : Le mérite est associé par convention à la Chine, en particulier à la dynastie des « Han », dans la mesure où le système impérial inventa alors le concours. Pourtant, celui-ci ne consistait pas à l’époque à sélectionner des gens sur le critère du mérite tel qu’on l’entend aujourd’hui. Il s’agissait avant tout de créer une loyauté des élites sociales issues du concours au pouvoir du Pékin, éloignées de lui géographiquement, mais détentrices en retour d’un statut politique et administratif et de privilèges. La méritocratie, au sens où nous l’entendons, tient bien plus surement de mon point de vue au processus d’individualisation de la société en Occident.

L’histoire du mérite est celle de la reconnaissance de l’individu en lui-même et pour lui-même. C’est pourquoi il est généralement associé en France à la Révolution de 1789. Elle marqua un moment de légitimation institutionnelle et politique du mérite. À partir de la création des Droits de l’Homme et du Citoyen, le talent prévalait ainsi dans l’attribution d’une charge publique sur le critère de naissance (on peut se référer à son article 6, par exemple). Mais la Révolution française est plus un prolongement qu’un commencement.

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