L'évolution de la production artistique face à l'individualisme et au marché

La figure de l’artiste, le génie prométhéen inspiré par les dieux, rayonnait dans l’Antiquité, comme nous le rappellent les renommées du sculpteur Praxitèle et du peintre Zeuxis. Héphaïstos, époux d’Aphrodite, n’était rien de moins qu’un dieu artisan – et pour cause : les Grecs considéraient que le travail artisanal, encore non véritablement distingué du travail artistique, renforçait le lien entre les communautés et représentait une garantie contre l’isolement des hommes.

La conception des sociétés traditionnelles n’appréhendait pas l’individu et reposait sur un ensemble de normes sociales qui elles-mêmes reposaient sur un socle culturel commun solide. Les techniques et les savoir-faire étaient transmis de génération en génération, sans prise en compte du talent individuel comme élément de distinction du collectif.

Au XII^e siècle, des changements importants interviennent dans l’organisation pratique de la production artistique et, par conséquent, dans le fonctionnement des ateliers. Cela ne veut pas dire qu’il n’existait pas auparavant des structures de production organisées et localisables (école palatine d’Aix, scriptoria bénédictins romans…), mais l’effort de codification et de normalisation par l’écrit, qui touche alors de nombreux aspects de la vie sociale et institutionnelle, accompagne autant qu’il engendre de nouvelles organi­sations de l’atelier.

La naissance des ateliers laïcs d’enluminures, notamment au XIII^e siècle dans le nord de la France, ainsi que la standardisation croissante du travail et de ses divisions au sein des chantiers de construction civile comme religieuse, en sont de bons exemples. Il faut ajouter à cela l’humilité qui, dans ce monde très chrétien, est une vertu maîtresse de la vie du croyant.