bulb-alert

Article élu d'intérêt général

Les lecteurs d’Élucid ont voté pour rendre cet article gratuit. Date de publication originale : 13/12/2023

Nuggets, plats cuisinés, pains industriels… Les produits qu’on appelle « ultra-transformés » font aujourd’hui partie de notre quotidien, et ce, au point de représenter en moyenne près d’un tiers de nos apports caloriques journaliers ! Il faut dire que si leur structure a été altérée, ils sont très pratiques, car ils peuvent se conserver longtemps et sont prêts à être consommés à peine sortis de leur emballage. Néanmoins, ces aliments peuvent s’avérer néfastes pour notre santé, et les preuves scientifiques se multiplient sur ce sujet.

Article Société
Accès libre
publié le 01/01/2024 Par Rebecca Stoecker
abonnement abonnement
bulb

Abonnement Élucid

Les produits ultra-transformés augmenteraient le risque de survenue de troubles métaboliques, de pathologies cardiovasculaires, mais aussi de cancers et nuiraient à la santé mentale. Or, malgré cette liste d’effets délétères qui s’allonge, l'engouement qu'ils suscitent au sein de la population ne semble pas faiblir…

« Que la nourriture soit ta médecine », disait Hippocrate. Façon détournée d’affirmer que de bien se nourrir demeure la meilleure manière de prévenir les maladies. Pas si facile de nos jours ? En effet, l’offre agroalimentaire s’est considérablement développée ces dernières décennies en proposant des produits de plus en plus transformés. Les habitudes alimentaires ont évolué en conséquence. Aujourd’hui, les produits classifiés comme « ultra-transformés » représentent une part non négligeable de notre alimentation : entre 25 % et 60 % des apports énergétiques quotidiens (sur 2 000 kcal/jour) avec d’importantes variations en fonction des pays.

En France, d’après les données les plus récentes, ce chiffre s’élèverait à environ un tiers. « À titre de comparaison, c’est davantage que l’Italie ou le Japon, mais bien inférieur aux États-Unis ou à la Grande-Bretagne où cette proportion atteindrait près de 60 % », précise le Dr Bernard Srour, chercheur en épidémiologie à l’Inrae et membre de l’Équipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle (EREN). Hélas, pour les experts, point trop n’en faut, car de nombreuses études ont mis en évidence des associations entre la consommation de produits ultra-transformés et la survenue d’obésité, de diabète de type II, de maladies cardiovasculaires, de troubles fonctionnels digestifs, et même de symptômes dépressifs.

« Aliments ultra-transformés », pas toujours synonyme de junk food

Mais de quoi parle-t-on en termes d’aliments ultra-transformés ? S’ils sont souvent riches en sel, en sucre, même en graisses saturées, s’ils montrent fréquemment une faible qualité nutritionnelle (pauvres en fibres et en vitamines), il ne faut pas les confondre avec ce que l’on appelle communément la malbouffe ou « junk food ». « Cette appellation correspond à une classification des aliments plus récente que celle reposant sur les profils nutritionnels (sel, sucres…) », explique le Dr Srour.

Baptisée « NOVA », elle a été élaborée au Brésil en 2010 et classe les produits en 4 catégories en fonction de leur degré de transformation par les industries agroalimentaires. Plus précisément, cette méthode distingue les aliments pas ou peu transformés comme les fruits, la viande, les œufs, le lait…, les ingrédients culinaires comme l’huile ou le beurre, puis arrive ensuite les produits transformés. Ceux-ci représentent l’ensemble des aliments traditionnels du premier groupe cuisinés à l’aide des ingrédients classés dans le second (fruits secs, fromage, pain…).

Et enfin arrive la classe des produits ultra-transformés. Ces derniers sont composés de divers aliments traditionnels ayant subi d’importants processus de transformation industrielle. Hydrolyse, chauffage à très haute température, fractionnement ou « cracking »… les moyens ne manquent pas. « On part du maïs pour parvenir à du sirop de glucose par exemple. Ils sont ensuite assemblés puis mélangés avec plusieurs émulsifiants, additifs ou autres exhausteurs de goût afin de les rendre appétissants. Finalisez cela avec une bonne stratégie marketing et le tour est joué », explique le spécialiste.

A priori, ces produits semblent facilement identifiables, mais en réalité, pas vraiment. Si on reconnaît aisément les sodas, la plupart des barres chocolatées ou les cordons bleus en barquette dans cette définition, certains produits présentés comme « sains » sont aussi ultra-transformés. C’est notamment le cas de plusieurs préparations à base de légumes contenant des additifs texturants, des soupes déshydratées, des steaks végans ou encore des substituts de repas et de plats en poudre.

En revanche, des aliments industriels peuvent être considérés comme uniquement transformés selon comment ils ont été préparés où ce qu’ils contiennent. « Les jambons sous paquet contenant de nitrites sont bien sûr ultra-transformés. Néanmoins, ceux comme les jambons de parme qui garantissent l’absence d’additifs ne le sont pas ». Difficile de s’y retrouver, surtout que ces produits constituent 50 % environ de tous les aliments vendus en supermarchés. En magasins bio, ils peuvent représenter jusqu’à 26 % du contenu d’un cadis.

« Une augmentation de 10 points de la part des aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire était associée à une hausse de 12 % de risque de développer une maladie cardiovasculaire. »

Aliments à haut degré de consommation, à consommer avec modération

S’ils nous attirent par leur côté pratique et goûteux, il vaudrait mieux tâcher de limiter leur consommation au vu des nombreux effets secondaires sur notre organisme. En dehors de leur faible qualité nutritionnelle, leurs changements structurels – dus aux procédés employés pour les transformer – modifient la manière dont nous les digérons et certains nutriments ne sont pas ingérés correctement par notre corps, ce qui ralentit le sentiment de satiété et nous pousse à manger davantage. « C’est comme boire un jus d’orange plutôt que de manger le fruit entier, le pic glycémique est plus élevé », souligne l’expert.

En outre, ils contiennent des substances dont on ignore encore l’impact à long terme comme les additifs même si « des études in vitro ou sur les animaux laissent également supposer qu’ils seraient génotoxiques [se dit d’une substance mutagène qui peut créer des dommages à l’ADN, ndlr]. et donc néfastes pour la santé ». Trop consommer de ces produits pourrait provoquer divers troubles métaboliques d’après les connaissances actuelles. Par exemple, des travaux ont mis en exergue un sur-risque d’hypertension dans une cohorte espagnole ; d’autres ont démontré un risque accru de dyslipidémies chez des enfants brésiliens.

Les scientifiques présument que ces composés déséquilibrent le microbiote intestinal – ce qui peut provoquer des troubles fonctionnels digestifs – et qu’ils pourraient aussi conférer une résistance vasculaire. Or, une étude de cohorte française publiée dans le BMJ suggère un lien entre la consommation d’aliments ultra-transformés et la survenue de pathologies cardiovasculaires. Ils engendreraient également une inflammation de bas grade, du stress oxydatif, ce qui peut contribuer au développement de tumeurs. Là encore, des travaux ont relevé une association entre la proportion de ces produits dans notre alimentation et le diagnostic de cancers.

Enfin, des données récentes suggèrent que notre santé mentale n’est pas non plus épargnée. Une équipe de l’Inserm a analysé les données d’une cohorte britannique, et en particulier le lien entre symptômes dépressifs et la consommation de ce type de nourriture. Les résultats sont clairs : le risque était augmenté de près d’un tiers chez les participants qui mangeaient la plus grande quantité de produits ultra-transformés. « C’est assez logique, l’altération du microbiote et l’inflammation peuvent avoir des conséquences sur notre santé mentale. C’est prouvé. Le lien est d’ailleurs bidirectionnel : on mange mal pour se réconforter, mais sur le long terme cela empire notre mal être », informe le Dr Srour.

À l’heure actuelle, les recherches de l’équipe EREN se portent sur les potentiels effets « cocktails » des divers additifs employés par l’industrie et, sur plus long terme, tentent de caractériser l’impact des microparticules des matières en contact avec les aliments (via les emballages). Pour le scientifique, il est nécessaire de faire davantage de recommandations quant à ces composés alimentaires, surtout que « certains pays où la cuisine demeurait jusqu’à récemment traditionnelle commencent à opter de plus en plus pour ces produits ». Alors, si vous ne voulez pas vous user les yeux à décrypter les listes d’ingrédients des aliments disponibles en grande surface, le fait maison, comme les pommes, éloigne le médecin. Encore faudrait-il que ce type de cuisine soit accessible à tout le monde, où moment où la précarité alimentaire explose et où les grandes surfaces profitent de l'inflation pour rehausser leurs marges.

Pour en savoir plus :

L’étude NutriNet-Santé est une étude de santé publique coordonnée par l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN, Inserm U1153 / Inra U1125 / Cnam / Université Paris 13), qui, grâce à l’engagement et à la fidélité de plus de 160 000 « Nutrinautes », fait avancer la recherche sur les liens entre nutrition et santé. À l’occasion des 10 ans de l’étude, un appel au recrutement de nouveaux Nutrinautes est lancé : toutes les informations sont disponibles sur etude-nutrinet-sante.fr/.

Photo d'ouverture : @Midjourney

Cet article est gratuit grâce aux contributions des abonnés !
Pour nous soutenir et avoir accès à tous les contenus, c'est par ici :

S’abonner
Accès illimité au site à partir de 1€
Des analyses graphiques pour prendre du recul sur les grands sujets de l’actualité
Des chroniques et des interviews de personnalités publiques trop peu entendues
Des synthèses d’ouvrages dans notre bibliothèque d’autodéfense intellectuelle
Et bien plus encore....

Déjà abonné ? Connectez-vous