Article élu d'intérêt général
Les lecteurs d’Élucid ont voté pour rendre cet article gratuit. Date de publication originale : 10/05/2024
10 milliards d’euros, c’est le montant de la première étape du plan d’économies décidé par le gouvernement. Parmi les secteurs sacrifiés, la recherche et l’enseignement supérieur à hauteur de près de 1 milliard, de quoi entraver le « réarmement industriel, technologique, scientifique » défendu par Emmanuel Macron… Autre contributeur forcé, la transition énergétique, dont les aides à la rénovation thermique des bâtiments à hauteur de 3 milliards… sûrement « l'écologie à la française » prônée par notre Président. Quant à l’école, « la mère des batailles » de notre jeune Premier ministre, elle se verra lésée de 700 millions. Sans surprise, la taxation équitable des plus aisés n’est toujours pas à l’ordre du jour…
Abonnement Élucid
La taxation équitable des plus aisés n’est toujours pas à l’ordre du jour du gouvernement. Pas plus qu’elle ne l’était en 2017, année qui a porté au pouvoir l'ancien banquier Emmanuel Macron. Sa priorité de l’époque, de pair avec la « moralisation de la vie publique » (sic), avait consisté à réformer à la baisse l'imposition des plus riches. L’impôt sur la fortune a été remplacé par un impôt sur la fortune immobilière, de sorte que le patrimoine taxable ne comprend désormais plus que les biens immobiliers. La perte sèche de rentrées fiscales liées à cette réforme s’élève à 4,5 milliards d’euros en 2022.
Un autre changement a également été opéré sur les revenus du capital : un prélèvement forfaitaire unique de 30 % se substitue aux prélèvements sociaux et à l’impôt progressif sur le revenu qui peut s’élever jusqu’à 45 %. Verdict : une augmentation du versement des dividendes dont 96 % des montants totaux déclarés (impôt sur le revenu et prélèvement forfaitaire unique) sont à destination de 1 % des foyers fiscaux.
La justification de ce dispositif tenait en un mot : « ruissellement ». Autrement dit, les économies fiscales permises par cette réforme aux foyers les plus riches allaient irriguer l’économie et, par capillarité, rejaillir vers les foyers moins aisés… Dès 2021, le sénateur communiste Éric Bocquet, vice-président de la commission des Finances, en dressait un constat amer : « À l’évidence, ça n’est pas du ruissellement, mais de l’évaporation ! L’argent remonte vers le haut de la pyramide et ne redescend pas, il y a une étanchéité ».
Fin 2023, un rapport de l’IPP enfonce le clou et conclut au manque d’effets sur l'investissement, et par ricochet du fameux « ruissellement », de la suppression de l’impôt sur la fortune et de la baisse de la taxation des revenus d’actions (dividendes, plus-values boursières), bref de l'ensemble des réformes fiscales d'Emmanuel Macron de 2017.
Et contrairement à ce que suggère la célèbre petite phrase du Président, « si on commence à jeter des cailloux sur des premiers de cordée, c’est toute la cordée qui dégringole », l’augmentation des impôts sur la fortune a en réalité un effet quasi nul sur le départ des plus riches, mais aussi sur les investissements… et donc sur l’économie. Des résultats en ligne avec une précédente étude avaient d'ailleurs conclu à l’absence d’effets sur l’investissement d’une baisse de la fiscalité des dividendes aux États-Unis en 2015.
Nos « premiers de cordée » ne se pressent donc pas pour quitter l’hexagone… au point que le pays occupe la troisième marche du podium mondial du plus grand nombre de résidents millionnaires. À croire que le climat n’y est pas si pesant… Quant aux milliardaires, cet enfer fiscal qu’est la France a permis une augmentation de leur fortune de +60 % depuis 2020.
Et, si besoin en était encore, une nouvelle étude suédoise parue en février 2024 évalue l’effet de la suppression de l'impôt sur la fortune en Suède en 2007. Très loin de s'auto-financer, le coût par emploi créé ou sauvegardé tutoie les sommets à près de 230 000 euros… l’équivalent d’environ 10 années de salaire moyen.
L’épouvantail d’une fuite des plus riches confisque le débat sur la taxation des fortunes
Taxer la fortune des plus aisés est tabou. Le sujet n’est que rarement abordé dans le débat public, même quand 10 milliards d’euros d’économies doivent être réalisées, comme le martèle Bruno Le Maire sur tous les plateaux de télévision. Si par magie, le sujet fait irruption dans l’espace médiatico-politique, le couperet tombe rapidement : les « premiers de cordée » créent de l’emploi et de la richesse pour le pays, taxer leur fortune les ferait partir et la France aurait donc beaucoup à y perdre.
Cet argument grossier et paresseux est repris à l’identique quelle que soit la thématique, et la question du financement de la transition climatique n’y a pas échappé. Même quand l’ex-coordinateur de son propre programme économique, Jean Pisani Ferry, propose une taxe exceptionnelle sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés, Emmanuel Macron s'empresse de la qualifier de « piège à la con ». Et le milieu médiatique n’est pas en reste. Le 18 mars, le journaliste économique Dominique Seux remettait le couvert sur le sujet de l'imposition des ultra-riches : « oui mais les ultra-riches peuvent du jour au lendemain aller ailleurs ».
Sauf que les ultra-riches ne vont pas ailleurs justement... Les faits sont définitivement têtus avec des études qui se suivent et se ressemblent : les effets de la migration des riches induite par l’impôt sur la fortune sont quantitativement et qualitativement très faibles.
Et s’il en fallait plus, une étude suédoise de février 2024 vient encore le confirmer. Ses auteurs se sont penchés sur la situation de la Suède avant l’abolition en 2007 de son impôt sur la fortune. Parmi les 2 % les plus riches de la population suédoise, soit un peu moins de 200 000 foyers supportant un impôt sur la fortune, environ 350 quittaient le pays chaque année… Non seulement il n’y avait pas de départs massifs, mais au global, le flux migratoire net restait positif avec plus d’entrants que de sortants dans tous les centiles du haut de la distribution de patrimoine.
En corollaire du prétendu exode massif des plus aisés, le discours public s’inquiète du sort des entreprises contrôlées par ces riches contribuables susceptibles de fuir leur enfer fiscal. Il est vrai que les propriétaires d’entreprises sont surreprésentés dans le haut de la distribution des revenus, et la Suède ne fait pas exception avec pas moins de 20 % de chefs d'entreprise parmi ses contribuables redevables de l'impôt sur la fortune.
L'emploi, les investissements et la valeur ajoutée de ces entreprises sont affectés négativement lorsque leur propriétaire migre hors du pays. Toutefois, comme le niveau global des flux migratoires reste très faible, les effets économiques globaux de la migration induite par la fiscalité sont modestes. Ainsi, près des deux tiers des entreprises fermées par leurs riches propriétaires suite à l’émigration finissent par être absorbés par d'autres entreprises en Suède. Les employés subissent certes des pertes, mais qui restent limitées et qui sont rapidement résorbées grâce à la fluidité du marché du travail.
À long terme, les auteurs calculent qu’un taux moyen de l’impôt sur la fortune de 1 % ne réduit que de quelques centièmes de point de pourcentage l’emploi global (0,03 pp), l'investissement total (0,04 pp) et la valeur ajoutée globale (0,1 pp). Et de conclure en miroir qu’avec un taux d’imposition sur la fortune en Suède de 0,5 %, « les effets à long terme sur l'activité économique de l'abolition de l'impôt suédois sur la fortune sont deux fois plus faibles ».
Quant au fameux « ruissellement » qui justifie l’abolition de cette taxe sur la fortune, là encore le cas suédois interpelle. La suppression de l’impôt entraîne une perte nette de revenu pour l’État qui n’est jamais compensée par une augmentation des autres recettes fiscales. Par conséquent, le coût par emploi créé est très élevé, de l'ordre de 230 000 euros de fonds publics unitaire, soit une dizaine années du salaire moyen en Suède à l’époque.
L’étude conclut que les effets négatifs de la migration des riches induite par l’impôt existent… mais qu'ils sont quantitativement faibles et que donc le ruissellement attendu suite à sa suppression est tout aussi insignifiant :
« Nos données nous permettent de montrer que les flux migratoires globaux au sommet de la distribution des richesses sont remarquablement faibles, et c'est ce qui détermine principalement la faible ampleur des effets globaux de la migration induite par l'impôt… [Les effets sont] beaucoup trop faibles pour que l'abolition de l'impôt sur la fortune soit rentable. »
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les rapports de l’IPP et de France Stratégie* étaient arrivés aux mêmes conclusions en France concernant la réforme de la taxation sur la fortune des plus aisés de Macron en 2017… justifiée par ses instigateurs par le « bon sens » de l’évidence d’un effet de ruissellement par ailleurs jamais démontré.
Sans surprise, aucun effet positif des réformes de la fiscalité du capital en France
La réforme sur la fiscalité des plus riches de Macron en 2017 portait sur trois axes. Tout d’abord, il s’agissait de transformer l’impôt sur la fortune en place depuis 1988, qui concernait 350 000 foyers fiscaux au patrimoine supérieur à 1,3 million d’euros, en impôt sur la fortune immobilière. En d’autres termes, l’assiette imposable a été restreinte aux seuls éléments de patrimoine immobilier, un moyen d’inciter le capital à venir irriguer l’économie.
Le second volet portait sur l’introduction du prélèvement forfaitaire unique, aussi appelé « flat tax ». Il s’agissait d’appliquer un taux de prélèvements uniforme de 30 % (12,8 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de prélèvements sociaux) à l’ensemble des revenus du capital (dividendes, plus-values mobilières, revenus d’assurance-vie, etc.). Ce taux avantageux s'est ainsi substitué au barème progressif de l'impôt sur le revenu qui peut s'élever jusqu’à 45 % et aux prélèvements sociaux de 15,5 % (préréforme). Enfin, la troisième partie de la réforme portait sur la baisse du taux d’impôt sur les sociétés à 25 %.
La réforme avait pour objectif de baisser la fiscalité sur le capital afin de soutenir l’investissement privé, la création de nouvelles entreprises et, in fine, stimuler l’économie. Sans oublier évidemment la mère des batailles fiscales : enrayer l’expatriation des vertueux entrepreneurs qui s'estiment injustement taxés.
Sur ce dernier point, un rapport de l’IPP indique que l’effet d’une baisse de taux d’imposition a un impact très faible en termes absolus, en phase avec les résultats de l’étude suédoise. Le taux de départ avant la mise en place de la réforme étant faible (0,2 %), les effets des réformes sont eux aussi faibles, voire insignifiants (moins de 0,02 point).
France Stratégie complète :
« L’observation des grandes variables économiques – croissance, investissement, flux de placements financiers des ménages, etc. –, avant et après les réformes, ne suffit pas pour conclure sur l’effet réel de ces réformes. [...] En particulier, il ne sera pas possible d’estimer […] si la suppression de l’ISF a permis une réorientation de l’épargne des contribuables concernés vers le financement des entreprises ».
Les travaux de recherche menés en France jusqu’à présent n’ont pas mis en évidence d’effets des réformes sur les investissements dans les entreprises déjà existantes. Certes, le départ d’un actionnaire de référence d’une entreprise entraîne des baisses de bilan et de chiffre d'affaires de l’ordre de 15 %, une réduction de la masse salariale de 25 % et de la valeur ajoutée de 20 %. Toutefois, l’effet agrégé des expatriations d’actionnaires de référence étant faible, au global, la perte de valeur ajoutée ne représente que 0,04 %. Par la suite, l’impact positif des réformes fiscales sur le tissu productif n’est que de l’ordre de 0,01 %, ce que d’aucuns qualifieraient de l’épaisseur du trait.
En revanche, la distribution des revenus du capital a fortement réagi à ces réformes. À la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, une très forte hausse des plus-values financières et de la distribution des dividendes a été notée. De 14 milliards d’euros de dividendes en 2017, on est passé à 24 milliards entre 2018 et 2020, et même 33 milliards en 2022. Pour autant, les auteurs du rapport de l’IPP indiquent que ces revenus liés au versement de dividendes supplémentaires n’ont pas pour principale fonction de financer de nouveaux investissements…
Les travaux de France Stratégie et de l’IPP convergent vers les mêmes conclusions que l’étude suédoise, elle-même dans la lignée de précédents travaux empiriques disponibles sur les États-Unis, la Suède ou la France : on constate : une absence d’effet sur l’investissement et l’économie par la baisse de la fiscalité des revenus du capital. Un beau raté pour les réformes d'Emmanuel Macron...
L'absence d’effet de la suppression de l'ISF était connue avant 2017
L’exil fiscal supposé de nos premiers de cordée relève de l'obsession. Déjà en 2017, le Premier ministre Édouard Philippe défendait la réforme Macron sur la taxation de la fortune par un souhait que « les riches arrêtent de partir ». Or, une étude de l’OFCE de 2016 indiquait déjà que l’exil fiscal n’était pas massif : « le solde net lié aux entrées et sorties (640 contribuables) représente seulement 0,2 % du nombre des contribuables assujettis à l’ISF ».
Même le FMI plaide pour une taxation accrue des déciles du haut de la distribution des richesses. En 2017, rien qu’en Allemagne, les 10 % les plus riches détenaient 60 % du patrimoine du pays, au Portugal c’est plus de 50 %. Des données qui, pour le FMI, suggèrent que « les économies avancées devraient augmenter leur taux de taxation maximum de l’impôt sur le revenu ». Et pour cause, rien ne prouve que l’impôt sur la fortune, ou d'ailleurs plus largement la fiscalité, soit la cause des départs. Une étude du National Bureau of Economic Research de fin 2017 avait 'ailleurs examiné l’exil fiscal des plus riches :
« Le niveau des avoirs dans les paradis fiscaux ne peut pas être simplement expliqué par les différences entre les taux d’imposition ou d’autres paramètres financiers et institutionnels […]. Les pays scandinaves (ndlr à forts taux d’imposition) détiennent seulement quelques points de pourcentage de PIB en richesse offshore, un chiffre qui monte à près de 15 % en Europe continentale. »
Danemark et Norvège, « ceux qui ont le plus d’impôts au monde », sont les moins touchés par l’évasion fiscale.
Pourtant, la grande majorité des États membres de l’UE réduit ou annule l’imposition des plus riches. Pour Philippe Askenazy, économiste et chercheur au CNRS, cette course à la moins-disance fiscale au sein de l'Europe, « dans une logique de concurrence, de non-coopération […] pose un problème fondamental pour [la] construction » de l’Union. De plus, cela maintient les inégalités « [ce] qui est plutôt un frein à la croissance économique qu’autre chose ».
Exil fiscal : la minuscule partie émergée de l’iceberg de l’évasion fiscale
Brandir la fausse menace d’un exil fiscal des plus riches à cause d’une taxation supposée trop élevée est sans fondement. Comme prendre prétexte des fameux retraités de l’île de Ré « riches malgré eux » pour s’attaquer à l’ISF. Résidents historiques de l’île, leurs pensions de retraite étaient trop faibles pour s’acquitter d’un impôt sur la fortune auquel ils étaient assujettis du fait de la bulle immobilière alimentée par les riches détenteurs de résidences secondaires.
En réalité, ces fameux retraités, comme d’autres dans le même cas, n’ont certainement que peu bénéficié de la transformation de l’ISF en impôt sur la fortune immobilière. En revanche, le haut de la distribution des richesses, forts de revenus déjà exorbitants pour la plupart des citoyens (plus de 190 000 €/an, soit un revenu de Premier ministre ou de Président de la République à plus de 15 000 € par mois), profite depuis 2018 d’une réduction de près de 40 % de son impôt sur le patrimoine. Ainsi, les plus riches, qui émargent à plus de 450 000 €/an – soit tout de même près de 40 000 € par mois – sont passés d'un impôt moyen de 35 000 € à un peu plus de 20 000 €.
Et ces arguments fallacieux sont aussi bien pratiques pour sur-responsabiliser le reste de la population qui est, elle, mise à contribution via une succession de réformes qui renforce les inégalités. La baisse des APL en 2017 a ainsi ciblé les plus modestes et notamment les étudiants qui en sont les premiers bénéficiaires. Rappelons qu'un quart d’entre eux déclare ne pas avoir assez d’argent pour ses besoins de première nécessité et 10 % ont fréquenté au moins une fois une distribution alimentaire.
La réforme du chômage stigmatise des Français qui préféreraient soi-disant toucher de maigres allocations plutôt que travailler, une affirmation pourtant largement démentie. Sans parler de l’allégation concernant la supposée épidémie de flemme alors que les conditions de travail, particulièrement dégradées en France, se situent en dessous de la moyenne européenne. Quant à la réforme de la retraite, passée aux forceps, son urgence est loin d’avoir été démontrée.
« En même temps », le gouvernement est moins prompt à pointer la faible taxation de nos milliardaires (0,5 % du patrimoine) tandis que la fortune des 500 familles les plus riches a été multipliée par quatre en dix ans. Et surtout, pas un mot sur l’évasion fiscale pratiquée par les plus aisés : rien que l’an dernier, Bernard Arnault a évité près d'un milliard d'impôts sur ses dividendes versés par LVMH. Mais, le plus important restera toujours, bien sûr, d’enlever 5 euros d’APL aux plus démunis…
Image d'ouverture : @Midjourney
Cet article est gratuit grâce aux contributions des abonnés !
Pour nous soutenir et avoir accès à tous les contenus, c'est par ici :
S’abonner
Accès illimité au site à partir de 1€
Déjà abonné ? Connectez-vous
10 commentaires
Devenez abonné !
Vous souhaitez pouvoir commenter nos articles et échanger avec notre communauté de lecteurs ? Abonnez-vous pour accéder à cette fonctionnalité.
S'abonner