Historiquement riche en hydrocarbures, l'Algérie fait face au défi de l'épuisement de ses réserves en pétrole et en gaz. La diminution de ses capacités d'exportation met sous tension les finances publiques de l'Algérie et pourrait, à terme, remettre en cause le financement de son État social.

publié le 30/12/2023 Par Hovannès Derderian

Si la sortie de la dépendance aux hydrocarbures est un virage complexe à négocier, c’est aussi une opportunité pour l’Algérie de diversifier son économie et de mettre fin à la corruption qui a accompagné le secteur pétrolier algérien depuis son origine. Cependant, cette réorientation est aussi à risque pour l’Union européenne, qui est la principale destination des exportations d’hydrocarbures de l’Algérie.

Une production pétrolière en déclin structurel

La production de pétrole en Algérie a connu un maximum en 2006, puis a décliné de près d’un quart jusqu’en 2022. Si 2022 avait marqué un rebond relatif suite aux contre-performances de la période Covid, on constate sur les chiffres mensuels de production que 2023 devrait à nouveau s’inscrire dans la tendance baissière qui a cours depuis 2006.

Cette tendance structurelle s’explique par l’épuisement des gisements pétroliers actuellement exploités en Algérie, ainsi qu'au manque de nouvelles découvertes. Selon un rapport du Shift Project basé sur les données du consultant Rystad Energy, l’Algérie aurait épuisé près de 80 % de ses réserves de pétrole disponible. Même en intégrant le potentiel de découvertes futures – estimé selon le rapport à 4 milliards de barils – l’Algérie a d’ores et déjà épuisé 70 % du pétrole extractible présent dans son sous-sol. Selon toute vraisemblance, le déclin de la production pétrolière devrait donc se poursuivre dans les années à venir.

Le gaz naturel en recours partiel

Face à cette difficulté, l’Algérie s’est massivement tournée vers la production de gaz naturel, porté par la hausse des cours de cette matière première. La production du pays est ainsi en hausse de +14 % depuis 2006. L’Algérie est aussi en mesure d’extraire les hydrocarbures liquides séparés du gaz dans des usines dédiées. Ces liquides de gaz ont une valorisation plus élevée que le gaz dit « sec » sur les marchés internationaux, mais ne peuvent remplacer tous les usages du pétrole brut. Au niveau mondial, ce sont ces liquides de gaz qui sont responsables de l’essentiel de la hausse de l’utilisation d’hydrocarbures liquides.

L’Union européenne fait reposer beaucoup d’espoir sur la capacité de l’Algérie à la fournir en gaz naturel pour remplacer notre ancien fournisseur russe. Cependant, cette stratégie se heurte à deux grands écueils.

D’une part, les réserves de gaz naturel de l’Algérie sont déjà fortement entamées. Selon les données de l’entreprise Rystad, les champs gaziers actuellement découverts sont déjà épuisés à plus de 60 %. Le potentiel de découverte et de mise en production de nouveaux champs est plus important que sur le pétrole brut, ce qui implique que le chiffre réel de l’épuisement des réserves extractibles de gaz se situe sans doute en deçà de la barre fatidique des 50 %. Néanmoins, ce chiffre indique que la croissance de la production observée au cours de ces dernières années pourrait rapidement s’essouffler, et que 2023 pourrait peut-être constituer l’acmé de l’industrie gazière algérienne.

D’autre part, le développement économique de l’Algérie se conjugue à une forte hausse de la consommation intérieure de produits énergétiques : pétrole et bien évidemment gaz naturel. Depuis 2006, la consommation d’énergie en Algérie a été multipliée par deux et le gaz naturel représente actuellement plus des deux tiers des besoins du pays.

Baisse de la capacité exportatrice

Le fait marquant de cette dernière décennie concernant le secteur énergétique algérien est la baisse de sa capacité d’exportation sous l’effet de la double contrainte des difficultés de production et de hausse de la demande intérieure. Dans le détail, la hausse de la production de gaz a permis de tout juste compenser le déclin de la production pétrolière, de sorte que la production d’énergie en Algérie est restée relativement stable autour de 7 Exajoules par an (1 EJ = 1018 joules).

En revanche, la hausse de la demande interne est intervenue dans un contexte de stagnation de la quantité d’énergie produite, ce qui a conduit à une contraction des exportations nettes d’énergie. Ces dernières sont en déclin de -30 % par rapport au maximum atteint en 2006 et représentent actuellement un peu plus de 4 Exajoules.

Un défi pour les finances publiques

La baisse du volume d’hydrocarbures exporté impacte directement les finances du gouvernement algérien. Sur le graphique suivant, on observe que la part des recettes publiques issues des taxes et impôts de la rente pétrogazière a suivi un déclin similaire au déclin des exportations nettes d’hydrocarbures. Alors que jusqu'en 2008, les hydrocarbures assuraient près de 80 % des recettes, ils n’en représentaient plus que 35 à 40 % sur la période 2016-2021.

La hausse des cours du pétrole et du gaz en 2022, suite à la reprise post-Covid et au conflit ukrainien, a permis de retourner cette tendance au déclin. Cependant, indépendamment de l’évolution du cours de ces matières premières, la tendance de long terme reste orientée vers une « dépétrolisation » des finances publiques de l’Algérie.

En parallèle, le gouvernement algérien a choisi de faire progresser rapidement les dépenses publiques et en particulier les charges courantes (salaires de la fonction publique, dépenses d’interventions, subventions…) afin de faire face notamment aux revendications sociales, rendues visibles par le mouvement du Hirak de 2019. Cependant, ces dépenses courantes sont peu ajustables en fonction de la conjoncture économique, ce qui a amené le gouvernement à puiser dans son fonds de réserve (le FRR) à partir de 2013, puis à recourir à l’endettement public. La dette publique est ainsi passée de 10 % du PIB en 2016 à plus de 60 % en 2022.

La sécurité des approvisionnements de l’UE en question

La hausse des dépenses publiques algériennes a toutes les chances de continuer à pousser la consommation intérieure, et partant, la consommation d’énergie de l’Algérie. Cette évolution, conjuguée à l’essoufflement de la hausse des extractions, indique que l’Algérie ne constituera pas un relais majeur en termes d’approvisionnement énergétique pour ses partenaires commerciaux.

Or, l’Union européenne représente plus des deux tiers des exportations totales de pétrole brut de l’Algérie en 2022 (dont 18 % pour la France) et est donc particulièrement impactée par la baisse des capacités exportatrices.

Sur le gaz naturel, la place de l’UE est encore plus prépondérante, car les États membres captent plus de 95 % des exportations de 2022.

Cette ultra-dominance de l’UE est expliquée par l’existence de gazoducs dirigés vers l’Espagne et l’Italie, qui représentent encore 80 % des exportations de gaz (contre 20 % pour le GNL). Cependant, le développement rapide du gaz liquéfié algérien pourrait venir concurrencer l’UE en tant que seule destination possible des exportations. Ajoutés à la hausse de la consommation intérieure, ce tableau illustre le faible potentiel de l’Algérie en tant que remplaçant du gaz russe et rend d’autant plus incompréhensible la stratégie de long terme de l’Europe pour sécuriser ses approvisionnements énergétiques.

Photo d'ouverture : MillaF - @Shutterstock