Des luttes de valeurs se sont partout substituées aux luttes marxistes centrées sur la valeur économique. Pourquoi et comment les penser ? Dans Avez-vous de la valeur ? (Le Bord de l’eau, 2025), le sociologue Alain Caillé aborde par explorations successives et déroutantes cette vaste question. Il insiste notamment sur le point de savoir à quel titre les individus souhaitent être reconnus. Alain Caillé relève les impasses auxquelles a conduit le néolibéralisme et avance le convivialisme comme remède au désarroi des individus.
Laurent Ottavi (Élucid) : Quels chemins vous ont amené à écrire sur un sujet aussi vertigineux ?
Alain Caillé : J’ai voulu me questionner sur la quête de la reconnaissance de leur valeur par les sujets humains, qu’ils soient considérés comme individu, comme groupe, comme nation, comme culture ou comme civilisation. J’y ai été conduit, entre autres et notamment, par le rapport étrange qu’entretiennent deux textes très importants dans l’histoire des idées. Deux textes qui traitent justement de cette question, mais qui n’ont presque jamais été mis en rapport alors qu’ils entretiennent pourtant des liens étroits.
Le premier est L’Essai sur le don de Marcel Mauss (1925), héritier intellectuel d’Emile Durkheim, le fondateur de la grande tradition sociologique française. Ce texte inépuisable m’interpelle depuis très longtemps. Il est pour moi le plus important de toute l’histoire des sciences sociales, voire de la philosophie morale et politique. Mauss y rassemble tout le savoir ethnologique de son temps. Il découvre, même s’il est plus prudent que moi dans la façon de l’exprimer, que les sociétés qu’on dira premières ne reposent pas sur le marché, sur le troc, sur le donnant-donnant ou le contrat, mais sur ce qu’il appelle la triple obligation de donner, recevoir et rendre. Mauss y montre combien dans nombre de ces sociétés les sujets rivalisent pour apparaître plus généreux que les autres. Il parle alors de « prestations totales agonistiques ». Dans celles-ci, c’est à celui qui sera le plus généreux, qui saura aplatir l’autre par la splendeur de ses dons « pour le mettre à l’ombre de son nom ».
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