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Le problème du montant de la dette publique est un classique des discours politiques depuis une trentaine d’années. Il devient d’ailleurs de plus en plus prégnant. Cependant, un des principaux problèmes des dettes publiques n’est pas tant leur montant absolu que le montant des intérêts que l’État doit verser chaque année, et qui peuvent finir par déstabiliser les budgets publics. Ce problème est passé au second plan depuis deux décennies, car les taux d’intérêt n’ont cessé de diminuer jusqu’en 2022, ce qui compensait la hausse de la dette. Ce mouvement étant désormais terminé, les finances de l’État sont désormais suspendues à l’évolution des taux d’intérêt et de l’inflation. On vous explique tout.

Graphe Économie
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publié le 21/11/2024 Par Olivier Berruyer
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Nous vous proposons 4 articles essentiels pour tout comprendre sur la dette publique française :

1/ Le triste bilan de la dette publique
2/ La charge d'intérêts de la dette publique
3/ Le financement de la dette publique
4/ La notation de la dette et le risque de défaut


Nous avons vu dans notre article sur la dette publique de la France que celle-ci avait connu une dégradation continue depuis la fin des années 1970. Une dette élevée a deux grandes conséquences négatives. La première est, en général, le coût croissant des intérêts, que nous allons analyser dans cet article. La deuxième est la difficulté à la financer, que nous étudierons dans un prochain article.

1- Le cumul des intérêts payés = le montant de la dette
2- L'OAT 2055 : un exemple de l'État au service des marchés
3- Prendre aux pauvres pour donner aux riches
4- Charge d'intérêts : 50 % de baisse entre 2013 et 2021
5- Le scandale des obligations indexées sur l'inflation
6- Cinq fois l'ISF pour compenser la hausse des intérêts
Ce qu'il faut retenir

Les intérêts de la dette, premier poste de dépense de l’État

Comme la dette publique ne cesse d’augmenter, la charge d’intérêts payés tous les ans aux prêteurs a énormément augmenté depuis les années 1970. C’est aujourd’hui le deuxième poste de dépenses de l’État, qui absorbe 52 milliards d’euros par an. C’est désormais presque autant que le budget total de l’enseignement en France.

Les 10 plus grosses missions du budget de l'État en France pour 2024Les 10 plus grosses missions du budget de l'État en France pour 2024

À titre de comparaison, cette charge d’intérêts de 1,7 % du PIB place la France à la 9e place dans le classement européen des plus grosses charges d’intérêts ; c’est pratiquement le double de l’Allemagne.

Charge d'intérêts de la dette publique en Europe en 2023

Le cumul des intérêts payés atteint presque le montant de la dette

Ce paiement d’énormes quantités d’intérêts par l’État est particulièrement révoltant. Le mécanisme pervers de la dette publique consiste en effet, plutôt que de lever une somme d’impôts (payée généralement par les plus riches), à se contenter d’emprunter ladite somme (aux même plus riches), moyennant la promesse d’un remboursement dans le futur et le versement d’intérêts tous les ans. L’arnaque saute aux yeux : au lieu de lever des impôts, l’État les emprunte contre paiement d’intérêts, ce qui coute énormément d’argent au contribuable.

Pire encore, les obligations émises à durée fixe sont régulièrement remboursées par l’émission de nouvelles obligations. Dit autrement, quand une échéance de dette à rembourser arrive, l’État emprunte cette somme : on dit que la dette « roule ». Le montant de dette initial n’est donc jamais réellement remboursé, et le paiement d’intérêts est en théorie infini. En pratique, il dure au moins de très nombreuses décennies, jusqu’à un accident économique majeur (défaut ou énorme inflation). Dans ces conditions, le coût des intérêts cumulé devient prohibitif et les mathématiques financières de peuvent que déconseiller de souscrire un tel emprunt.

En 2005, l’État français a été le premier en Europe à émettre un emprunt sur 50 ans, au taux de rendement de 4,21 %. Et 4,21 % sur 50 ans aboutissent à un taux d’intérêt final de 210 %. Ainsi, quand l’État a décidé de ne pas lever 1 000 € d’impôt supplémentaires aux plus aisés pour équilibrer son budget, il a emprunté à quelques personnes très aisées ces 1 000 €, contre la promesse de payer 42,1 € par an d’intérêt pendant 50 ans, soit 2 100 €, et de rembourser ces 1 000 € en 2055 (en empruntant de nouveau 1 000 €…).

Et si on imagine que ces 1 000 € en 2005 n’étaient que le roulement de la dette réalisée dans les années 1970, on se rend compte que le coût des intérêts peut représenter, à terme, 3 à 5 fois la mise empruntée dans certains cas. Un bel exemple est le triste « emprunt Giscard à 7 % de 1973 », indexé sur l’or, qui a coûté en une décennie plusieurs fois ce qu’il a rapporté…

En cumulant les intérêts versés (mesurés en pourcentage du PIB), il apparaît ainsi que, simplement depuis 1960, partant d’une très faible dette, l’État a déjà versé près de 2 700 Md€ d’intérêts pour une dette qui a augmenté de 3 000 Md€. Cela signifie donc que l’État a déjà pratiquement remboursé en intérêts tout ce qu’il a emprunté. Et il doit donc toujours intégralement rembourser la dette publique (en théorie).

Dette publique et intérêt cumulés depuis 1960 en France, 1960-2023Dette publique et intérêt cumulés depuis 1960 en France, 1960-2023

Ce triste résultat s’est produit à une période où les taux d’intérêts étaient historiquement bas. Sans cela, le résultat serait encore bien pire aujourd’hui.

L’OAT 2055 : un exemple de l’État au service des marchés

Revenons sur les raisons de la création de l’obligation de 50 ans en 2005, énorme aubaine pour les prêteurs. L’État explique clairement qu’elle a été créée « après réflexion avec les banques » en réponse à un « besoin technique [des] professionnels », et qu’elle vise à ce que l’État « confirme ses engagements auprès des marchés financiers ».

Il ne lui reste plus qu’à se féliciter du « très large succès » de cette émission de 6 milliards d’euros, sachant que 19 avaient été proposés par les prêteurs. Ces derniers ont pourtant juste bien compris la bonne affaire d’un taux garanti de 4,21 %, quand la banque centrale a un mandat de maintenir l’inflation à 2 %...

Bulletin mensuel, OAT 2055, prolonger la courbe des taux en euros, mars 2005

Il est bien triste que l’État n’ait pas préféré entamer « une réflexion avec les contribuables », envers lesquels il semble oublier ses autres « engagements ». Et notre pays est pionnier : en Europe, près de 50 % des encours de dette à 30 ans et plus sont émis par la France, sur un encours total de 100 Md€ émis par les différents États.

Par la suite, dans les années 2018-2021, les taux d’intérêt ont fortement baissé. Beaucoup d’emprunteurs immobiliers en ont profité pour rembourser par anticipation leur dette en réalisant un nouvel emprunt à un taux très faible, ce qui leur a fait économiser d’importantes sommes d’argent.

On aurait pu s’attendre logiquement à ce que l’État fasse la même chose. Il aurait gagné environ 3 % d’intérêt pendant 35 ans, soit plus de 100 % du montant emprunté, et aurait donc économisé au moins 6 milliards d’euros à terme rien que sur cette seule obligation (qui ne représente pourtant que 0,2 % de la dette publique, pour situer). Sauf qu’un arrêté interdit à l’État tout remboursement anticipé des obligations !

Certes, cela est lié à une problématique technique complexe du fonctionnement du marché actuel, afin d’en assurer une grande liquidité. Mais l’on pourrait parfaitement imaginer un autre fonctionnement qui correspondrait davantage aux intérêts de l’État et moins à celui des prêteurs. Mais cela ne serait alors plus du néolibéralisme…

Car oui, ceci est une illustration ô combien éloquente du fonctionnement du néolibéralisme, qui vise à mettre l’État au service des plus riches. Et ces derniers gagnent à tous les coups : d’abord, ils paient moins d’impôts, ensuite ils font rémunérer leur épargne par le contribuable – dont une partie est indue car elle est issue d’impôts non réclamés.

Les propagandistes ne le diront jamais, mais s’il y a trop de dettes, cela veut dire qu’il y a trop d’épargne. Étrangement, ce rançonnement de l’État par les plus aisés n’est pratiquement jamais dénoncée par les économistes progressistes – quand ils ne l’encouragent pas franchement. Pourtant, il y a près de deux siècles, Karl Marx avait tout dit à ce sujet :

Citation, Karl Marx, Crédit public, credo du capital, 1850, 1867

Prendre aux pauvres pour donner aux riches

Au vu des incroyables volumes en jeu (plus de 50 Md€ d’intérêts par an), on pourrait penser que l’État dispose d’une excellente vision des prêteurs à qui il doit 3 000 Md€. Mais il n’en est rien, et les données sont relativement parcellaires.

Un serpent de mer ressurgit régulièrement, à savoir imposer le suivi de l’identité des détenteurs de titres de dette émis par l’État, comme c’est déjà possible pour les actions. Mais le sujet s’évapore en général mystérieusement aussi vite qu’il est arrivé. Rappelons qu’un tel suivi existait depuis 1793, quand tout créancier de l’État devait être inscrit dans Le Grand Livre de la Dette publique, véritable État civil des rentes.

Le décret du 24 aout 1793 créant le grand livre de la dette publique

Les obligations publiques qui bénéficient aux plus aisés sont généralement stockées dans des contrats d’assurance-vie. Et ceux-ci sont, comme l’ensemble du patrimoine financier, extrêmement concentrés : les 10 % des personnes aux plus gros patrimoines détiennent ainsi environ 65 % de toute l’épargne stockée dans l’assurance-vie.

Répartition par décile de patrimoine de l'assurance-vie en FranceRépartition par décile de patrimoine de l'assurance-vie en France

Beaucoup de politiciens de droite, relayés en permanence par les médias mainstream au service de leur propagande, déplorent sans cesse le coût de la dette publique. Et en effet, ce coût est important : il a représenté en moyenne 1 700 € par ménage en 2023, ou 7 400 € pour les 10 % des ménages les plus riches (gagnant plus de 85 000 €).

Intérêts de la dette publique en France en 2023Intérêts de la dette publique en France en 2023

Cependant, et ce sujet semble tabou, les intérêts ne s’évaporent pas : si la dette publique a un énorme coût pour le contribuable, elle est une énorme ressource pour les plus gros patrimoines, qui rémunèrent sans risque leur épargne, la faisant sans cesse augmenter (c’est le fameux « credo du capital » de Marx).

On peut donc estimer combien chaque fraction de la population touche d’intérêts venant de la dette publique et, en estimant combien elle a payé d’impôts servant à payer ses intérêts, on peut estimer l’enrichissement net et l’appauvrissement net lié à la dette publique.

Il en résulte que les 95 % les plus pauvres transfèrent environ 12 milliards d’euros par an aux 5 % les plus riches, dont 10 milliards aux seuls 1 % les plus riches de la population.

Charge nette de la dette publique en France en 2023Charge nette de la dette publique en France en 2023

Ramenés au revenu, les 90 % les plus pauvres transfèrent ainsi de 0,5 à 2 % de leur revenu pour augmenter de 5 % le revenu des 1 % les plus riches. C’est donc un phénomène très important.

L’endettement public est donc bien un « Robin des bois à l’envers », que dénonçait déjà Marx.

Charge nette en part des revenus de la dette publique en France en 2023Charge nette en part des revenus de la dette publique en France en 2023

Et ceci n’est qu’une moyenne entre groupes de population ; il y a également des transferts importants internes entre ceux qui ont de grosses sommes placées en assurance-vie et les autres. (1) : La moitié des intérêts sont perçus par l’étranger, mais l’assurance-vie française possède beaucoup d’obligations publiques étrangères et aspire donc fortement des impôts étrangers. On fait donc l’hypothèse simplificatrice que 100 % des intérêts de la dette française sont perçus en France.

Face à cette situation de renforcement des inégalités, certains proposent une solution presque magique : emprunter sans intérêts à la Banque Centrale. Rappelons que cela est déjà arrivé dans l’Histoire (surtout en période de crise), mais que cela a généré de graves poussées inflationnistes. En effet, la création de grandes quantités de monnaie supplémentaires finit généralement par entraîner une augmentation des prix, suivant le mécanisme que nous avons décrit dans notre article sur la masse monétaire en France.

La charge d’intérêts a diminué de moitié dans les années 2000 et 2010

Les « dégâts » financiers liés à la charge d’intérêts de la dette publique ont cependant été (temporairement) limités par un mouvement historique de baisse des taux d’intérêt depuis les années 1990 (pour tous les types d’emprunteurs, pas seulement l’État), en raison du reflux de l’inflation.

Les taux d’intérêt avaient alors retrouvé un niveau classique de 3 % à 4 % dans les années 2000. Mais après la crise de 2008 et la crise de l’euro de 2012-2013, la Banque Centrale Européenne s’est lancée dans une expérience inouïe : rendre les taux nuls et même légèrement négatifs pour soutenir artificiellement les marchés financiers (Pour plus d'informations, voir notre analyse sur les taux d'intérêt).

Les taux des emprunts d’État, un peu abusivement qualifiés de « taux sans risque » (sic.), ont donc suivi la tendance à la (très forte) baisse jusqu’en 2022.

Taux d'intérêts des emprunts de l'État en France, 1990-2024Taux d'intérêts des emprunts de l'État en France, 1990-2024

En conséquence, il s’est produit un phénomène assez pernicieux : entre 1995 et 2012, la dette publique a augmenté, mais la charge d’intérêts est restée stable. Et plus fort encore, entre 2013 et 2021, alors que la dette explosait, la charge d’intérêts a diminué de moitié.

Charge annuelle d'intérêts de la dette publique de la France, 1960-2023Charge annuelle d'intérêts de la dette publique de la France, 1960-2023

Si on présente les intérêts en pourcentage du PIB, le mouvement est encore plus net ; la baisse a même été de plus 60 % entre 1996 et 2020.

Intérêts payés au titre de la dette publique en France, 1960-2023Intérêts payés au titre de la dette publique en France, 1960-2023

Les taux d’intérêt des emprunts d’État présentés ci-dessus concernent les taux au moment de l’émission des obligations, durant une année donnée. Mais comme on l’a vu, la dette publique est constituée de nombreuses obligations de durées différentes, qui « roulent ». La durée moyenne de la dette est de plus de 8 années en 2023.

Cela signifie que les modifications des taux ne se répercutent pas entièrement tout de suite sur tout le stock, il faut de nombreuses années. Par exemple, une hausse des taux de 1 % induit une hausse des intérêts de 10 Md€ en 3 ans, 20 Md€ en 6 ans et plus de 30 Md€ à terme.

Impact d’un choc de taux de 1 % sur la charge d’intérêts de la dette de l’État en FranceImpact d’un choc de taux de 1 % sur la charge d’intérêts de la dette de l’État en France

Si on combine ces deux notions de taux d’intérêt à l’émission et de durée de roulement de la dette, on peut calculer le taux d’intérêt apparent de la dette publique, qui est simplement le montant de l’ensemble des intérêts payés divisé par le montant de la dette. C’est une notion très importante pour l’analyse de la soutenabilité de la dette, dont nous reparlerons dans un prochain article.

Au fil du temps, ce taux a évidemment lui aussi fortement baissé, pour atteindre le record historiquement bas de 1,2 % en 2020.

Taux d'intérêts apparent de la dette publique en France, 1960-2023Taux d'intérêts apparent de la dette publique en France, 1960-2023

Le scandale des obligations indexées sur l’inflation

Au vu de la masse énorme de dette et de la durée élevée des obligations en stock, il n’est pas normal d’avoir observé une hausse brutale de 30 % des intérêts en à peine un an ou deux. La hausse inéluctable des intérêts suite à la hausse des taux aurait dû être bien plus lente. Cette explosion des intérêts est en fait une conséquence d’un vrai scandale : l’émission par l’État d’obligations indexées sur l’inflation.

Le principe habituel est que l’État émette des obligations à taux fixe, par exemple à un taux de 3 % pendant 10 ans. L’obligation coûte donc 30 % de sa valeur en intérêts ; ceci est fixé dès le départ. Mais en 1998 et pour la première fois en Europe, il est venu à l’idée du gouvernement d’émettre des obligations dont le taux dépend de l’inflation en vigueur dans le futur.

Là où les obligations non indexées font porter le risque d’inflation au prêteur, les obligations indexées le font porter à l’État, moyennant une petite baisse du prix de vente des obligations (estimée en 1998 à une baisse du taux de -0,5 point). Pour les autres caractéristiques et l’historique de cette dette indexée, nous vous renvoyons vers cette annexe.

30 ans après leur création, environ 11 % de la dette publique est désormais indexée sur l’inflation.

Composition de la dette négociable de l'État en France, 1995-2023Composition de la dette négociable de l'État en France, 1995-2023

Ce mécanisme est une sorte d’assurance sur l’inflation, mais le terme n’est pas tout à fait adapté, car jamais un assureur n’accepterait de couvrir un tel risque non maîtrisable. C’est en réalité plus une forme de pari sur les prix.

Et comme souvent, le pari est gagnant « un certain temps » jusqu’à ce que la forte inflation arrive et que les obligations indexées fassent exploser le coût des intérêts. Un pari perdant d’une dizaine de milliards d’euros en 2022…

Charge annuelle d'intérêts de la dette publique de la France, 2000-2024Charge annuelle d'intérêts de la dette publique de la France, 2000-2024

L’explosion de la charge de la dette en 2022 est donc bien liée essentiellement aux obligations indexées. Depuis, ce coût a diminué, puisque l’inflation reflue.

Les facteurs d'évolution de la charge de la dette de l'État en France depuis 2015Les facteurs d'évolution de la charge de la dette de l'État en France depuis 2015

Au final, le pari des années 2000 se révèle perdant dans les années 2020. Si les obligations indexées se sont révélées de plus en plus bénéficiaires pour l’État entre 2013 et 2021 (puisque l’inflation diminuait) , il a suffi de deux ans d’inflation pour annuler tous les bénéfices passés.

Bilan budgétaire depuis sa création du programme d’obligation indexées sur l'inflationBilan budgétaire depuis sa création du programme d’obligation indexées sur l'inflation

Cette indexation fait donc courir à l’État un risque colossal, d’autant que des expériences passées de dette indexée (on pense en particulier à l’emprunt Giscard de 1973) se sont révélées calamiteuses et que les risques géopolitiques inflationnistes s‘accumulent. Il est donc indispensable de cesser au plus vite l’émission de nouvelle dette indexée, voire de forcer, moyennant rémunération, une conversion du stock en dette non indexée.

5 fois l’ex-ISF à trouver pour compenser la hausse des intérêts

L’époque des taux nuls (voire négatifs) est révolue : la fête est terminée. Les taux ont fortement monté, et ils sont en train de redescendre, mais ils devraient se stabiliser à un niveau plus classique.

L’impact sur le montant d’intérêts à payer en 2022 et 2023, et donc sur le budget de l’État, a été extrêmement rapide : le taux apparent de la dette est déjà remonté à 1,6 % 2023, soit +30 % par rapport à 2020.

Les effets de cette hausse sont en train de se faire sentir. La toute récente loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 anticipe une hausse de la charge d’intérêts d’une vingtaine de milliards d’ici 2027. Cela va donc compliquer de plus en plus le bouclage du budget par le gouvernement, qui choisira certainement la voie d’une austérité toujours plus forte pour compenser (probablement avec un succès limité au vu des conséquences).

Charge annuelle d'intérêts de la dette publique de la France, 2000-2023-2027Charge annuelle d'intérêts de la dette publique de la France, 2000-2023-2027

Une hausse de la charge d’intérêts d’une vingtaine de milliards d’ici 2027 : cela représente par exemple 5 fois le montant de l’ISF supprimé par Macron.

On comprend mieux pourquoi certains dirigeants politiques ne se précipitent pas pour prendre le pouvoir…

Le danger mortel d'une hausse des taux d'intérêt

Dans l’absolu, on pourrait dire que la baisse des taux des années 2010 a été une bonne chose pour les finances publiques, puisqu’elle a permis de baisser la charge d’intérêts. Mais cette « aide » bienvenue n’a pas été utilisée pour diminuer le déficit ; au contraire, elle a servi à financer toujours plus de dépenses au seul bénéfice des grandes entreprises et des plus aisés.

La dette a donc continué à augmenter fortement pendant que les intérêts baissaient suite aux décisions irresponsables de la BCE. On a alors régulièrement entendu des appels du type « profitons que les taux d’intérêt soient bas pour que l’État s’endette plus ! ». Mais si ce raisonnement est logique pour un ménage ou une entreprise qui ne va s’endetter qu’une fois et rembourser ensuite totalement sa dette, il s’avère en revanche très dangereux quand il s’agit de l’État qui s’endette tous les ans et qui roule sa dette sans la rembourser.

Le stock de dette augmente sans cesse, sans douleur certes… jusqu’à ce que les taux d’intérêt augmentent un jour, à cause d’une récession ou d’une hausse de l’inflation. Et dès lors, en quelques années (le temps de rouler la dette), le montant des intérêts explose pour retrouver sa tendance moyenne.

Dette publique et intérêts sur cette dette en France, 1960-2024Dette publique et intérêts sur cette dette en France, 1960-2024

Ainsi, en 2023, les 3 100 Md€ de dette n’ont coûté « que » 50 Md€ d’intérêts, soit 1,6 %. Mais si les taux reviennent maintenant à 4 % comme en 2005 (taux minimal historique depuis des décennies avant cette date), en 2030, une dette de 4 000 Md€ coûterait alors 160 Md€ en intérêts. C‘est 110 Md€ de plus qu’aujourd’hui ; c’est 35 fois l’ancien impôt sur la fortune ou 6 fois la taxe d’habitation, tous deux supprimés par Macron, qu’il faudra trouver chaque année pour compenser. Disons-le clairement : c’est impossible sans mettre le pays à genoux.

Après une aussi longue période de taux bas, c’est-à-dire de drogue économique gratuite, une forte hausse des taux, durable, est donc désormais un danger mortel pour les États - même s’il s’agit d’un simple retour à des niveaux historiquement faibles. Elle ne pourra que conduire soit à une répression financière massive des épargnants, remboursés avec de la monnaie de singe en raison d’une inflation élevée, soit à un défaut des États.

Ce qu’il faut retenir

Conséquence logique de la hausse de la dette publique, la charge d’intérêts a énormément augmenté et représente, avec 52 Md€ par an, le deuxième poste de dépenses de l’État. En cumulant les intérêts déjà payés, on réalise que l’État a déjà pratiquement remboursé en intérêts tout ce qu’il a emprunté - sachant qu’il doit toujours intégralement rembourser la dette publique.

Cette problématique où les plus aisés paient moins d’impôts et font ensuite rémunérer leur épargne par le contribuable avait parfaitement été identifiée par Karl Marx : « Le crédit public, voilà le credo du capital ». Avec ce mécanisme, les 95 % les plus pauvres transfèrent environ 12 milliards d’euros par an aux 5 % les plus riches, dont 10 milliards aux 1 % les plus riches. Ramenés au revenu, les 90 % les plus pauvres transfèrent ainsi de 0,5 à 2 % de leur revenu pour augmenter de 5 % le revenu des 1 % les plus riches.

En raison de la baisse de l’inflation, la France a connu un mouvement historique de baisse des taux d’intérêt depuis les années 1990. Seulement, la Banque centrale a poursuivi le mouvement de façon déraisonnée, jusqu’à arriver à des taux d’intérêt légèrement négatifs : les prêteurs ont accepté de perdre un peu d’argent en le prêtant, ce qui n’était jamais arrivé auparavant dans l’Histoire.

En conséquence, alors que la dette explosait, la charge d’intérêts a diminué de moitié, ce qui a encouragé les gouvernements à augmenter fortement le niveau de la dette. Ils se sont même mis à proposer des obligations indexées sur l’inflation. Ce sont-elles qui ont fait exploser le montant des intérêts en 2022 et 2023, ce qui a rendu ces obligations très déficitaires pour l’État.

Mais comme les taux sont destinés à retrouver un niveau plus classique, la charge d’intérêt va continuer à augmenter au cours des prochaines années, d’au moins 20 Md€. Cela causera de plus en plus de problèmes au gouvernement pour boucler le budget, le poussant à mener des politiques toujours plus austéritaires.

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