Il existe une version plus récente de cet article sur L'inflation en France et dans le monde
Nous vous recommandons de lire notre article actualisé sur L'inflation en France et dans le monde daté du
Phénomène qu’on pensait terrassé, l’inflation a fait son grand retour en 2021. Bien que le niveau du pic de 2023 ait été nettement inférieur à celui des grandes crises du XXe siècle, ses effets sur le pouvoir d’achat – et donc sur l’économie – ont été particulièrement négatifs en raison de la disparition des anciens mécanismes de protection des salariés. Désormais, l’inflation est en train de retrouver des niveaux plus normaux, mais la situation ne se stabilisera que si les dirigeants ne créent pas de nouveaux troubles géopolitiques.
1- Une inflation désormais proche de la normale
2- Beaucoup de prix de production ont explosé
3- La boucle prix-salaires : l'argument pour laisser faire le marché
4- Les profits des entreprises : 50 % de l'inflation
5- Un impact important pour le pouvoir d'achat
6- Les tendances mondiales actuelles
Ce qu'il faut retenir
Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.
Rappelons tout d’abord que le terme « inflation » désigne « la perte du pouvoir d'achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix ». Elle a différentes origines, d’ailleurs durement débattues par les économistes tant il est difficile de démêler les causes des conséquences et autres conditions permissives.
On peut cependant citer l’excès de masse monétaire, l’excès de demande par rapport à l’offre, la hausse des prix des importations (en particulier l’énergie), la hausse des coûts de production (par exemple quand les salaires augmentent plus vite que la productivité), causes auxquelles on peut ajouter les phénomènes aggravants tels que les anticipations psychologiques, les mécanismes d’indexation, la panique monétaire etc…
On mesure usuellement l’inflation par l’augmentation annuelle de l’indice des prix à la consommation calculé par l’Insee, qui permet de savoir « de combien les consommateurs doivent augmenter ou diminuer leurs dépenses pour maintenir le même volume de consommation ». Cet indice ne tient pas compte de l’évolution des prix « à l’investissement », comme ceux de l’achat immobilier ou des achats d’actifs financiers par exemple.
L’inflation est un indicateur très important, car elle permet par exemple de négocier les hausses de revenus (salaires, pensions de retraite…) et de déterminer l’évolution du pouvoir d’achat ou de la croissance du PIB.
Une inflation en nette baisse qui se rapproche de la normale
Jusqu’en 2021, l’inflation semblait appartenir au passé après trois décennies de modération des hausses de prix. Mais comme souvent, l’histoire économique abonde de ruptures brutales de tendances historiques. Il est donc important de garder toujours ces risques en mémoire, et d’essayer de les anticiper.
Ainsi, après deux années de déclin et après l’atonie de 2020 en raison de la crise du Covid, l’inflation a redémarré en France au début de 2021, en raison des difficultés d’approvisionnement dans cette période toujours marquée par le Covid, avec une demande qui repartait à la hausse, mais une offre qui restait toujours faible : elle approchait déjà les 4 % en décembre 2021.

À ce phénomène d’excès de demande s’est rajouté un choc sur les importations, évidemment causé par le déclenchement de la guerre d’Ukraine, qui a porté l’inflation à des niveaux inconnus depuis 40 ans. Le pic de 7 % a été atteint en février 2023, et l’inflation a diminué depuis. Précisons bien que cela signifie que les prix continuent à augmenter, mais simplement moins fortement qu’avant ; ils ne baissent pas (ce qu’on appelle alors délation, et qui pose de très graves problèmes, car tout le monde préfère alors différer sa consommation, ce qui fait dérailler l’économie).
En août 2024, l’inflation sur 1 an reste à +2,2 %, ce qui se rapproche de la normale d’avant la crise. Cependant, l’analyse mensuelle montre que certains mois connaissent toujours des poussées de +0,5 % à +1,0 %.
Après une forte hausse, les prix de l’énergie se sont stabilisés à un niveau élevé. Au bout de plusieurs mois, ces prix élevés de l’énergie se sont diffusés à d’autres secteurs, alimentant de nouveau l’inflation. C’est particulièrement le cas pour l’alimentation, qui coûte désormais 20 % plus cher qu’en 2021 et 30 % de plus qu’en 2017.

Rappelons que ces chiffres sont calculés avec le controversé Indice des Prix à la Consommation (IPC) de l’Insee, mais que celui d’Eurostat (IPCH), à la méthode de calcul harmonisée en Europe, lui est quasiment toujours supérieur. L’écart entre ces deux évaluations de la même inflation depuis 2021 atteint 3 %.
Cela signifie que c’est l’incertitude minimale de calcul sur l’inflation en 3 ans à peine, ce qui est colossal. Si votre salaire a, par chance, suivi l’inflation de l’Insee, et que vous constatez néanmoins une baisse de pouvoir d’achat, ce n’est sans doute pas une illusion.
Comme la croissance totale durant cette même période a été de +7 %, il y a donc aussi une incertitude sur près de la moitié de la valeur de la croissance réelle (qui se calcule sous déduction de l’inflation) de ces 4 dernières années.
Le problème de la neutralisation des améliorations de qualité
Il s'agit d'un important à connaître, mais que nous n’allons pas détailler. Comme l’Insee le rappelle :
« L'indice des prix à la consommation n'est pas un indice du coût de la vie. En effet, l'indice des prix à la consommation cherche à mesurer les effets des variations de prix sur le coût d'achat des produits consommés par les ménages. […] Il mesure l’évolution des prix à structure de consommation constante.
[Au contraire], l'indice du coût de la vie cherche à mesurer les variations des coûts d'achat pour maintenir le niveau de vie des ménages à un niveau spécifié. […] Un indice du coût de la vie prendrait notamment en compte les coûts supplémentaires pour les ménages, résultant de l'apparition de biens et services qui n'existaient pas auparavant ainsi que des nouveaux modes de vie et de consommation devenus la norme. »
Cela signifie que l’IPC vise à réaliser un calcul de l’évolution théorique des prix à qualité constante, et non pas l’impact sur le pouvoir d’achat des ménages. L’IPC doit donc neutraliser les améliorations de qualité des produits achetés par les ménages. Prenons un exemple simple (totalement fictif) pour bien comprendre. Imaginons que l’iPhone 12 valait à son lancement 1 000 €, et que l’iPhone 16 vaut 1 200 €. Admettons que l’iPhone 16 soit 50 % plus puissant que le 12, alors l’Insee considérerait que le prix de l’iPhone a baissé de 20 % et non pas augmenté de 20 %.
L’institut calcule donc le prix de la « puissance de calcul » et non pas de « l’objet ». C’est pareil pour un ordinateur, dont les prix ne cessent jamais de baisser pour l’Insee, alors qu’il faut toujours payer le même prix pour en acheter un, mais il est de plus en plus puissant. Ce phénomène (qui a cependant un effet global limité) explique une partie du décalage entre le calcul d’inflation et le ressenti des ménages.
Beaucoup de prix de production ont explosé
Plus en détail, l’inflation actuelle n’est donc plus causée par l’énergie, mais par les conséquences de la diffusion des prix de l’énergie et des hausses des coûts, en particulier dans le secteur de l’alimentaire, mais aussi désormais des services. L’Insee anticipe une stabilisation à un niveau de +2,0 % dans les prochains mois, porté essentiellement par les services.

Les mécanismes de l’inflation sont complexes et donc difficiles à appréhender. Pour illustrer, imaginons une hausse de l’énergie de +50 % : au vu du poids de ce poste dans l’économie, cela induit une hausse immédiate de 5 points de l’inflation. En conséquence, les entreprises qui utilisent de l’énergie voient leurs coûts augmenter (donc leurs profits se réduire) ou même des pertes apparaître. Elles vont donc être obligées de répercuter ces hausses de charges en augmentant leurs prix de vente, ce qui impacte les consommateurs et les autres entreprises clientes, qui voient leurs coûts encore augmenter.
Il y a ainsi un cercle vicieux qui alimente sans cesse l’inflation. On le voit bien en analysant les prix de production : ils ont augmenté de +40 % dans l’agriculture et l’industrie, et de +20 % dans la construction.

C’est ce qui explique que l’inflation impacte différemment les produits. La santé, l’enseignement ou le logement font partie des postes les plus touchés depuis 1 an.

La bonne nouvelle est que les prix alimentaires ont très peu augmenté depuis un an. Mais la nouvelle dramatique, c'est qu’ils n’ont pas baissé et qu'ils se sont donc stabilisés à des niveaux très élevés.
La nourriture coûte désormais tellement cher qu’on assiste à une baisse historique des volumes alimentaires vendus (en raisonnant donc à prix constants pour corriger l’inflation) avec toujours -11 % par rapport aux volumes de 2020. Un récent sondage indique que 60 % des ménages français ont réduit leurs dépenses alimentaires.

Désormais, près de la moitié des Français sont obligés de sauter un repas plus ou moins occasionnellement, dont près de 30 % régulièrement. Et un parent sur trois dit se priver de manger plus ou moins occasionnellement pour nourrir ses enfants.
Ces prix sont cependant issu d'une moyenne nationale. Il faut garder à l'esprit qu'il peut exister des écarts importants entre produits ou régions. On pense en particulier aux DOM, où l'écart des niveaux de prix avec la métropole est de 10 à 15 %, et même 30 à 40 % pour l'alimentaire, ce qui explique les troubles actuels suite à la crise inflationniste.
La boucle salaires-prix : l'argument pour laisser faire le marché
Quand l’inflation perdure à un niveau élevé, les salariés exigent des augmentations de salaire pour ne pas perdre de pouvoir d’achat, ce qui augmente encore les coûts des entreprises, qui les répercutent sur leurs prix et alimentent ainsi l’inflation. C’est ce qu’on appelle la boucle salaires-prix. Une fois enclenché, ce processus inflationniste est long, complexe et douloureux à arrêter.
C’est pour cette raison que la BCE, aveugle quant à la réalité de la boucle prix-profits, appelait dès le début de la crise à ne pas indexer les salaires sur les prix. Ce mécanisme d’indexation a existé en France jusqu’en 1983, quand Jacques Delors l’a supprimé pour terrasser la forte inflation, avec succès. Ceci illustre le problème de l’inflation : on n’en sort jamais sans douleur, c’est-à-dire sans perte de pouvoir d’achat et d’emploi. C’est bien pour ça qu’il faut tout faire pour éviter une forte inflation, en particulier en ne faisant pas n’importe quoi avec la monnaie.
La lutte contre l’inflation est d’ailleurs le seul objectif légal de la Banque centrale européenne. Et pour ce faire, elle n’a pratiquement qu’un seul outil à sa disposition : la fixation des taux d’intérêt de court terme (nous vous renvoyons vers notre article sur les taux d’intérêt).
Quand elle augmente les taux, elle renchérit le crédit, ce qui décourage les investissements et encourage l’épargne ; ceci ralentit donc l’activité économique et augmente le chômage, ce qui diminue les hausses de salaire et donc l’inflation. Et quand elle diminue les taux, c’est le contraire – du moins en théorie, la réalité est parfois plus complexe. Sans perspectives économiques encourageantes, les entreprises n’investiront pas, même avec un taux à 0 %. Les taux ont ainsi beaucoup varié depuis 30 ans, la BCE étant très suiveuse de la banque centrale américaine.

Ces évolutions sont principalement liées à celle de l’inflation et aux crises économiques. Si l’inflation est restée très stable entre 1999 et 2007, ce n’est plus le cas depuis lors : elle s’est retrouvée en territoire négatif 4 fois en une dizaine d’années.

Lors du choc inflationniste de 2022, la BCE a très fortement augmenté ses taux pendant 2 ans. Comme l’inflation semble proche d’être maîtrisée, elle a commencé à les baisser pour soutenir une activité économique qui flanche (voir notre article sur l’économie et le PIB de la France). Les taux à court terme en Europe sont désormais à 3,65 % – un niveau qui reste inconnu depuis 15 ans malgré les récentes baisses.
Cette politique de hausse de taux de 2022 a parfois été dénoncée comme étant antisociale, mais il y a en réalité peu d’alternatives : une inflation qui perdure a pour effet de diminuer le pouvoir d’achat, ce qui est aussi très antisocial. Si une indexation des salaires avait eu lieu, cela aurait pu entretenir l’inflation (mais nous allons voir un contre-exemple). Certes, les salariés auraient moins souffert d'une telle situation, mais cela n'aurait été difficile pour les autres catégories sociales, comme les indépendants et les agriculteurs.
Surtout, cela aurait dégradé la compétitivité internationale du pays et la valeur de la monnaie, donc le pouvoir d’achat international. À la fin, nous aurions pu avoir une récession, une perte de pouvoir d’achat et plus de chômage. Bref, retenons que face à l’inflation, les dirigeants n’ont à leur disposition que de mauvaises solutions…
La politique actuelle de la BCE a aussi permis de mieux rémunérer l’épargne, comme le livret A, mais les taux sont longtemps restés inférieurs à l’inflation, ce qui n’est pas juste pour les petits épargnants. Et surtout, elle a eu pour conséquence de dégonfler (modestement) la folle bulle immobilière. Les prix ayant un peu baissé, cela a pu permettre d’acheter plus facilement un bien (quitte à renégocier son taux de crédit à la baisse dans le futur).
Mais cette politique de la BCE est passée à côté d’un phénomène important, une autre source d’inflation pérenne : la boucle prix-profits.
Les profits des grandes entreprises, responsables de près de la moitié de l’inflation
Du dernier trimestre 2021 au 2e trimestre 2022, les profits ont réduit l’inflation : les entreprises les ont vu diminuer en raison d'une explosion des coûts de production qu’elles n’ont pu répercuter rapidement. Mais après 9 mois, la situation s’est inversée et les entreprises ont, en moyenne, profité du choc inflationniste pour augmenter leurs prix (et donc leur marge) bien au-delà des augmentations de coûts qu’elles ont subies. Ce phénomène est resté très fort en 2023 et semble avoir pris fin au printemps 2024.

Ainsi, près de la moitié de l’inflation en France a été causée par des hausses de profits. Ce phénomène joue encore plus que les hausses de salaire. Il est très présent en Europe mais faible aux États-Unis.
S’il peut dans certains cas être compréhensible en France – puisque les profits avaient baissé en 2021 et 2022 – on constate malgré tout des hausses de profits totalement injustifiables, que ce soit en France ou dans la plupart des pays voisins.

Il est donc crucial que le gouvernement se saisisse du sujet d'une taxation des superprofits. Ils ne concernent d’ailleurs qu’une partie des entreprises, principalement des secteurs de l’énergie et de l’alimentaire. Mais peu d'espoirs sont permis avec Michel Barnier et sa fine équipe...

Cette hausse moyenne des profits ne doit pas faire oublier que beaucoup de petites et moyennes entreprises souffrent de l’inflation et de ses conséquences économiques : les faillites ont ainsi beaucoup augmenté ces derniers mois, revenant au niveau de 2009.
Il y a cependant aussi un effet de « rattrapage » des faillites non survenues en raison du soutien public « quoi qu’il en coûte » de la période Covid.

Un impact important sur le pouvoir d’achat
L’évolution du pouvoir d’achat résulte de la différence entre le salaire perçu et l’inflation. Si on s’intéresse au salaire mensuel de base, la situation a été très problématique entre 2021 et 2023.

Plus largement, si on prend l’ensemble des salaires, l’évolution du pouvoir d’achat par personne a été exceptionnellement mauvaise de 2021 à 2023 avec de nombreux soubresauts.

L’Occident a été fortement touché
La plupart des pays occidentaux ont été lourdement frappés par l’inflation, en particulier ceux d’Europe de l’Est, en raison des sanctions qui ont été prises lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. Le phénomène inflationniste a été bien plus modeste en Suisse par exemple, la neutralité a quelques avantages.
Les écarts d’inflation sont énormes en Europe, et cela pose un gros problème pour l’euro. En effet, il y a un écart de près de 30 points d’inflation depuis 2021 entre la Finlande et l’Estonie qui, rappelons-le, partagent la même monnaie.
Cela crée d’énormes écarts de compétitivité et déstabilise encore plus les économies de la zone, dont on avait, au moment des débats de Maastricht, lourdement promis la « convergence » grâce à « l’euro, la chance ».
Bien entendu, le fait que l’UE ait connu une inflation de 23 % contre 3 % à la Chine a très fortement dégradé notre compétitivité, mais ce point, comme celui du coût du capital, est hélas un sujet tabou dans la plupart des grands médias, où la compétitivité ne semble impactée que par le temps de travail des salariés ou les impôts...
L’exception belge du pouvoir d’achat
La Belgique a retrouvé une inflation de 0,5 % en 2023. C’est remarquable, car c’est un des rares pays où les salaires restent indexés sur l’inflation. Comme quoi, la spirale salaire-prix, bien que réelle, n’est pas systématiquement handicapante pour l’inflation nationale (en Belgique, l’inflation dans le secteur des services reste élevée).
Ce pays est donc le champion du pouvoir d’achat de la zone euro : il y a augmenté de plus de 7 % en 2023, alors qu’il restait en décroissance dans la plupart des pays de la zone. Les choses s’inversent un peu en 2024 en raison d’un rebond de l’inflation belge. Ce sujet est donc à suivre dans les prochains trimestres.

En Europe, le bilan reste toutefois dramatique pour le pouvoir d’achat des salariés – calculé sur la base du salaire horaire –, qui reste loin, voire très loin, de son niveau de 2020 : +2,5 % en Belgique, -3 % en France, -13 % en Italie. C’est souvent en travaillant plus que les salariés ont limité la perte finale de leur pouvoir d’achat – au grand profit de leur employeur.

Une inflation forte mais bénigne par rapport aux grandes crises du passé
L’épisode inflationniste 2022-2023 est remarquable si on l’analyse sur les trois dernières décennies. Il a été en revanche deux fois moins important que celui lié aux chocs pétroliers des années 1970, avec son pic à +14 %.

Si le pic d’inflation de 2023 n’a été « que » de +7 % en France contre +10 % en zone euro, c’est parce que les interventions du gouvernement pour limiter les hausses du prix de l’énergie ont entraîné une baisse de l’inflation de deux à trois points dans notre pays. Cependant, cette inflation « gagnée » a simplement été reportée sur plus de dette publique.
Le « gros » épisode inflationniste des années 1970-1980 marque toujours les esprits, essentiellement parce que le temps a effacé le traumatisme majeur des années 1945-1948 où, chaque année, l’inflation était de +50 %.
Le graphe ci-dessous illustre également la comparaison avec la situation au XIXe siècle, avant la création des banques centrales, avec un système monétaire basé sur l’or. Il en résultait l’impossibilité de très fortes inflations, mais avec en revanche de fréquentes petites périodes déflationnistes, ce qui aboutissait à une inflation quasi nulle en moyenne. Le XXe siècle a été beaucoup plus agité au niveau de l’inflation, en particulier entre 1914 et 1950, surtout en Allemagne et en France.

Cela s'explique par les larges créations monétaires durant les deux Guerres mondiales, qui ont été rendues possibles avec la large utilisation du papier-monnaie par la population. Il était évidemment beaucoup plus compliqué de créer de l’or ou de l’argent précédemment. Rappelons cependant que les techniques, d’ampleur limitée, par lesquels les souverains altéraient frauduleusement la valeur des monnaies métalliques (non-purification, ajout de cuivre, rognage…) sont apparues en même temps que les monnaies, il y a 2 500 ans. Pour comprendre le lien entre l'inflation et la création de monnaie, nous vous renvoyons vers cet article sur la masse monétaire en France.
La comparaison avec les États-Unis est éloquente, car ils n’ont pas recouru à une large création monétaire au XXe siècle, ce qui leur a évité de connaître de douloureuses périodes d’hyperinflation. L’inflation annuelle moyenne y a été de +3 % au cours du siècle passé, contre près de +8 % en France – ce qui aboutit à des écarts colossaux en un siècle (x 20 contre x 1 500…).

Les tendances mondiales actuelles
La situation en septembre 2024 est la suivante : alors que la France avait connu une inflation parmi les plus faibles d’Europe, elle figure désormais dans la moyenne européenne.

Le Royaume-Uni connaît toujours une inflation élevée, alors que les États-Unis – moins profondément touchés par les conséquences de la Guerre d’Ukraine – sont déjà revenus à un niveau normal.
Dans le détail, la baisse de l’inflation a été particulièrement rapide et marquée en Espagne et en Italie :

La Suisse et le Japon, moins touchés par la crise inflationniste, ont également retrouvé des niveaux normaux d’inflation.

Enfin, la situation est plus contrastée dans les BRICS, avec une inflation qui reste très élevée en Russie en raison de la guerre, avec une inflation proche de la normale en Inde et au Brésil et, beaucoup plus inquiétant, avec des valeurs qui flirtent avec le négatif (déflation) en Chine.

Enfin, au niveau de l’inflation moyenne dans le monde, les +8 % d’inflation en 2022 ont été du même ordre de grandeur que celui des +10 % des années 1982, 1994 et 2008. L’inflation mondiale est déjà redescendue à moins de 6 %. Il semble donc à ce jour que, comme en 2008, la crise inflationniste aura heureusement été de courte durée.

Monnaie et inflation
Pour terminer, revenons sur l’épisode inflationniste de 1938-1945. En cumulant ces années (dont les 4 ayant dépassé les +45 %), l’inflation a dépassé les 1 000 %, ce qui signifie une division par 10 de l’épargne et des rentes. Cela a ruiné les systèmes d’épargne retraite par capitalisation et a largement participé à la création de la Sécurité sociale, gérée en répartition, seul système à même de garantir le pouvoir d’achat à très long terme.

Un tel traumatisme – qui avait été causé par une création monétaire débridée pour financer la reconstruction du pays – a entraîné par la suite une gestion rigoureuse des finances publiques et une cessation de la création monétaire par la banque centrale jusqu’en 2015-2020…

Si la raison majeure de l’inflation récente a été le choc énergétique, la création monétaire n’est pas sans lien avec celle-ci : elle a permis de financer une large spéculation sur les prix, qui ont ainsi été tirés par le haut, avec une inflation majorée à la clé. Que la guerre en Ukraine entraîne une hausse des prix de l’énergie, cela est normal ; mais que les prix augmentent de +50 %, cela n’a rien de naturel : c’est bien le résultat de flux spéculatifs provenant du secteur financier, nourri par l’argent créé par les banques centrales.
Après de lourds échecs entre 1910 et 1980, les banquiers centraux pensaient avoir trouvé la recette magique d’une inflation constamment faible, qui leur a probablement donné le sentiment de pouvoir de nouveau jouer avec la monnaie à la fin des années 2010. C’était une grave erreur qu’ils ne referont sans doute pas de sitôt.
Cela veut donc dire que le système financier et les États ne pourront plus compter à l’avenir sur des politiques de création monétaire. À eux de gérer seuls leurs propres risques désormais. Cependant, leur sentiment d’irresponsabilité, renforcé par une fréquente incompétence, laisse craindre de lourds problèmes dans le futur.
Ce qu’il faut retenir
La guerre en Ukraine a montré à quel point les économies bâties sur l’énergie fossile à bas coût sont fragiles face aux tempêtes géopolitiques. En quelques mois, la France est passée d’une inflation quasi nulle à une inflation de +7 % – bien moindre que dans d’autres pays européens grâce à une très forte (et très coûteuse) intervention de l’État.
L’inflation en Europe a retrouvé des niveaux pratiquement normaux, mais comme les prix de l’énergie se sont stabilisés à des niveaux élevés, les prix n’ont pas baissé. Cette hausse pourrait bien être définitive.
Enfin, comme on l’a vu en 2022, l’inflation reste très sensible à la conjoncture internationale. Une crise majeure, tout comme la poursuite d’une démondialisation (qui a des effets positifs sur l’emploi et la souveraineté, mais pas sur les prix) pourrait rapidement relancer les prix à la hausse.
Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.