bulb-alert

Il existe une version plus récente de cet article sur Le chômage en Europe et aux États-Unis

Nous vous recommandons de lire notre article actualisé sur Le chômage en Europe et aux États-Unis daté du

Alors que tous les pays d’Europe connaissaient une relative baisse du chômage depuis le milieu des années 2010, la pandémie mondiale survenue en 2020 a mis fin à cette tendance. Les niveaux de chômage demeurent disparates selon les pays, avec une Allemagne qui enregistre un taux de chômage historiquement bas, tandis qu’il reste très élevé en Espagne et en Grèce.

publié le 13/01/2022 Par Élucid
En Europe, le chômage a arrêté de baisser

Sur les deux dernières décennies, le chômage en Europe a connu trois grandes périodes : une baisse entre 2000 et 2008, puis une forte hausse à la suite de la crise des subprimes, et une nouvelle baisse entre 2013 et 2019. La pandémie mondiale de Covid survenue en 2020 a cependant mis fin à cette dynamique : le taux de chômage s’établit ainsi à 6,7 % en octobre 2021 - soit 14,3 millions de chômeurs au sens du BIT - un niveau légèrement plus élevé que celui qui prévalait en décembre 2019, avant que les économies européennes soient mises à l’arrêt.

Le BIT définit un chômeur comme une personne sans emploi, n’ayant pas travaillé dans une semaine de référence, disponible sous quinze jours pour prendre un emploi, et en recherche active d’emploi dans le mois précédent. Cette définition est utilisée par l’INSEE pour calculer le taux de chômage, pour les comparaisons internationales, et par la plupart des médias et des hommes politiques. Cependant elle est imparfaite, car le BIT ne considère pas comme chômeurs les personnes situées dans le « halo du chômage ».

On observe également une différence entre l’évolution du chômage dans les pays de l’Union européenne au sein de la zone euro et ceux en dehors de la zone euro. Jusqu’à la crise des subprimes, le taux de chômage des pays hors zone euro était en effet plus élevé que celui des pays au sein de la zone euro. À partir de la fin de l’année 2007, cette tendance s’inverse et le taux de chômage des pays hors zone euro devient durablement plus faible. Alors qu’il atteint 12,1 % en 2013 dans la zone euro, il ne dépasse pas 9,5 % hors de la zone euro.

À la fin de l’année 2019, l’écart entre le taux de chômage des pays de l’UE en zone euro et celui des pays de l’UE hors zone euro atteint même 3,5 points (7,5 % de taux de chômage en zone euro contre 4 % hors zone euro). Cet écart est le plus important depuis 2002 — où il était de 4 points — mais inversé : le taux de chômage hors zone euro était alors le plus important. En octobre 2021, l’écart s’est réduit : il n’est plus que de 2,6 points en faveur des pays hors zone euro (7,3 % de taux de chômage en zone euro contre 4,7 % hors zone euro).

Les variations mensuelles du nombre de chômeurs font bien apparaître les épisodes de flambée et de réduction du chômage. Dans le graphique ci-dessous, on voit l’augmentation presque continue du chômage durant cinq ans entre mars 2008 et avril 2013, à l’exception d’une année de légère diminution entre mai 2010 et avril 2011.

Le pic mensuel de nouveaux chômeurs est atteint en janvier 2009, où la zone euro enregistre un pic de 440 000 chômeurs supplémentaires. Un chiffre supérieur à celui qui sera atteint lors de la pandémie mondiale de 2020, où le pic mensuel de nouveaux chômeurs est de 370 000 en juin 2020. La crise des subprimes a donc été bien plus dévastatrice sur le plan de l’emploi que la crise liée à la pandémie, qui a engendré une augmentation de moindre ampleur et de plus courte durée du nombre de chômeurs.

L’Allemagne épargnée, l’Espagne et la Grèce meurtries

En observant les pays européens séparément, on s’aperçoit que les trajectoires du taux de chômage ont été bien différentes depuis 2007.

L’Allemagne a été exceptionnellement épargnée par la montée du taux de chômage à la suite de la crise de 2008. Début 2007, le pays enregistre un taux de chômage de 10 %, dans la moyenne européenne. Puis il baisse à 7,3 % à la fin de l’année 2008, avant que ne survienne la crise des subprimes. Le chômage remonte à peine (7,7 % en juin 2009) avant de diminuer sans discontinuer jusqu’en 2019, pour s’établir à 3,3 % en octobre 2021. Plusieurs éléments expliquent cette exception allemande :

- Tout d’abord, les réformes « Hartz » du marché du travail, engagées entre 2003 et 2005, ont facilité le recours au chômage partiel pour les entreprises et durci les conditions d’accès à l’assurance chômage. Cela a permis de lutter contre le chômage, mais a fait émerger une catégorie de travailleurs pauvres aux emplois précaires et à temps partiel. D’autant plus qu’aucun salaire minimum n’existait en Allemagne jusqu’en 2015.

- Par ailleurs, l’Allemagne a bénéficié de l’euro, qui a empêché sa monnaie de s’apprécier au rythme de ses succès à l’exportation et a empêché les monnaies des autres pays de se déprécier. Ceci a conduit à une forme d’exportation du chômage allemand chez ses voisins, un phénomène « intrazone » non visible lorsque l’on analyse globalement le chômage allemand.

  • Le Royaume-Uni connaît également un taux de chômage moins important que la plupart des pays européens depuis 2007. Alors qu’il était de 5 % début 2007, il s’est stabilisé autour de 8 % entre 2009 et fin 2012, avant de décroître. Après un léger sursaut lié à la pandémie mondiale de 2020, il s’établit à 4,5 % en octobre 2020.

Ces chiffres pourraient s’expliquer en partie par la politique du « Workfare » mise en place en 2010, qui a durci les conditions d’accès aux allocations sociales. La précarisation de l’emploi, via la facilitation du droit du licenciement et le développement du « contrat zéro heure » pourraient également avoir joué un rôle. Ceci est cependant discuté, certains économistes contestant que ces mesures aient été vectrices de création d’emplois.

La France et l’Italie ont connu une dynamique de chômage similaire, bien que le taux de chômage italien soit supérieur au taux français depuis début 2012. Les deux pays ont connu une hausse du chômage jusqu’en 2014, puis une baisse continue jusqu’en 2019. En octobre 2021, le taux de chômage italien est de 9,3 %, contre 7,8 % pour le taux français.

Le Portugal a été très touché par la crise des subprimes, et son taux de chômage est monté jusqu’à 18 % en février 2013. À partir de 2013, la croissance portugaise repart et le chômage diminue : c’est le « miracle économique portugais », qui se caractérise en réalité par une baisse de la fiscalité pour les entreprises et les retraités étrangers, puis par l’arrêt progressif des politiques d’austérité budgétaires, à partir de 2015. En octobre 2021, le chômage portugais s’établit à 6,3 %.

L’Espagne et la Grèce sont les deux pays d’Europe ayant connu l’augmentation la plus importante du chômage après la crise des subprimes, qui a entraîné dans ces pays une crise de la dette souveraine. Le taux espagnol a ainsi atteint 26,3 % en mars 2013, et le taux grec 27,7 % en septembre de la même année, notamment tirés par l’explosion du chômage des jeunes. Contrairement à leurs partenaires européens, ces pays sont encore loin d’avoir retrouvé leur niveau de chômage de 2007 (8,5 %). L’Espagne affiche en effet un taux de chômage de 14,5 % en octobre 2021, et la Grèce un taux de 15,2 % en juillet 2021.

Le graphique ci-dessous permet de distinguer clairement quels pays ont été les plus impactés par la crise de 2008 sur le plan du chômage. On remarque ainsi que la Grèce, l’Espagne, l’Italie et l’Irlande n’ont toujours pas retrouvé le niveau d’emploi qui était le leur au pic d’emploi précédant la crise de 2008.

En France, en Irlande, au Royaume-Uni et en Belgique, le niveau de l’emploi en 2021 est sensiblement le même que celui d’avant 2008. Enfin, l’emploi en Allemagne et au Portugal est dans une meilleure situation que celle qui prévalait avant 2008.

Une amélioration par rapport aux années 1990

En observant les données sur les quarante dernières années, on observe que la situation des grandes puissances européennes s’est globalement améliorée depuis les années 1990 sur le plan de l’emploi :

- Fin 2019, le Royaume-Uni et l’Allemagne affichaient en effet leur taux de chômage le plus bas depuis quarante ans. Concernant le Royaume-Uni, il faut néanmoins noter que la diminution du chômage dans les années 1990 est en partie due, selon un rapport de l’OCDE en 2007, au glissement du chômage vers le régime d’invalidité.

  • - En octobre 2021, la France affiche un taux de chômage (7,8 %) proche de celui qui prévalait en moyenne en 1983 (7,4 %) et inférieur à celui des années 1990, qui s’est maintenu autour de 11 % entre 1994 et 1999.

- Même en Italie, où le taux de chômage reste élevé en 2021 - 3 points au-dessus de son niveau de 2007 (6,2 %) — il est inférieur à celui qui prévalait entre 1994 et 2000, légèrement supérieur à 11 %.

Par comparaison, le taux de chômage américain sur les quarante dernières années est moins élevé que celui des principales puissances européennes, et s’établit à 4,6 % en octobre 2021, après brutale hausse jusqu’à 9 % en 2020. Ces chiffres doivent cependant être nuancés, car une part importante du chômage américain n’est pas comptabilisé. Enfin, le Japon affiche un taux de chômage structurellement bas depuis quarante ans, notamment en raison de sa démographie peu dynamique, qui entraîne une pénurie de main-d’œuvre.

Après le choc de la crise de 2008 qui a fait augmenter le chômage dans toute l’Europe — à l’exception de l’Allemagne — le taux de chômage a progressivement diminué à partir de 2013 jusqu’en 2019. Il reste cependant élevé dans certains pays comme la Grèce et l’Espagne, qui sont loin d’avoir retrouvé leur niveau d’emploi pré-2008.

La crise du Covid survenue en 2020 a mis un coup d’arrêt à la baisse du chômage, mais n’a pour l’instant pas eu de conséquences aussi dramatiques que la crise des subprimes sur le plan de l’emploi.

« L’œil de l’économiste »

par Frédéric Farah

Le taux de chômage, une mesure contestable

Bien souvent, les outils pour saisir les réalités économiques nécessitent des adaptations ou des remises en cause : le PIB, la productivité, ou encore le taux de chômage sont ainsi au cœur de débats quant à leur pertinence ou leur bon usage.

Le taux de chômage est souvent invoqué comme indicateur de la situation du marché du travail. Très simplement, il indique le rapport entre les actifs inoccupés et l’ensemble des actifs. Mais derrière cette apparente simplicité, plusieurs difficultés surgissent qui en font un indicateur imparfait.

Il se fonde sur un pourcentage d’actifs inoccupés, ce qui implique une frontière claire entre actifs occupés, inoccupés et inactifs. Or aujourd’hui, le phénomène de « halo du chômage » montre combien la distinction entre les trois est devenue mal aisée. Le problème se retrouve avec l’ensemble des actifs, car il n’est pas facile de distinguer actifs et inactifs.

De la sorte, on peut considérer que le taux de chômage est sous-évalué. Il faut aussi garder à l’esprit que la définition de l’emploi au sens du Bureau international du travail est extensive, il suffit de travailler une heure pour entrer dans l’emploi alors que la définition du chômage est restrictive.

Par ailleurs, le recul du taux de chômage ne dit rien sur le nombre d’emplois créés et le contenu de ceux-ci. Il n’est guère satisfaisant que les emplois détruits soient des emplois de qualité — c’est-à-dire typique (temps plein, employeur unique) — au profit d’emplois courts.

L’INSEE fait donc appel à d’autres indicateurs pour le compléter : la durée du chômage (pour intégrer l’importance du chômage de longue durée), le sous-emploi et le taux d’emploi. Le taux d’emploi peut d’ailleurs être préférable, car il constitue un instrument utile pour caractériser le fonctionnement et les performances du marché du travail, surtout lorsqu’on le décompose selon des catégories significatives (âge, sexe).

La stratégie européenne pour l’emploi ne retient d’ailleurs pas le taux de chômage comme indicateur, mais le taux d’emploi. Celui-ci apparaît — pour des raisons de choix économique, de conceptions de l’État social et d’institutions du marché du travail — plus opportun à privilégier que de fixer un taux de chômage à atteindre.

Retrouvez nos autres articles sur Le chômage en Europe et aux États-Unis