La voiture s’est imposée comme le cœur de notre société de consommation. Son succès massif a cependant entraîné de lourdes conséquences climatiques et environnementales, et Bruxelles a fini par imposer une réduction drastique des émissions des voitures neuves aux constructeurs automobiles. Hélas, plusieurs manipulations du lobby automobile ont fait perdre un temps précieux, de sorte que les émissions n'ont en réalité guère baissé avant 2020. Aujourd'hui, la forte hausse des ventes de voiture électrique change considérablement la donne, mais ce nouveau marché est porteur de lourds enjeux concernant le pouvoir d'achat des ménages, l'hypermobilité, la désindustrialisation française ou notre souveraineté énergétique. On vous explique tout !
1- Des ambitions climatiques européennes titanesques
2- Les transports, seul secteur dont les émissions ont augmenté
3- La fin de la voiture thermique en 2035
4- Baisse fantôme des émissions et folie du SUV
5- De la flexibilité à la fraude : le dieselgate de Volkswagen
6- L'avenir est à la voiture électrique « légère »
Ce qu'il faut retenir
Jusqu’aux années 1950, les déplacements humains se faisaient essentiellement à pied et parfois à cheval, ce qui les limitait à des trajets très locaux. Depuis, les choses ont bien changé, mais comme le rappelle le chercheur Aurélien Bigo, trois grandes caractéristiques de nos déplacements sont restées relativement stables :
« Le nombre de déplacements par personne est toujours de l’ordre de 3 à 4 trajets par jour (un aller-retour comptant pour 2 trajets). Les temps de déplacement sont eux aussi restés relativement stables. Ils avoisinent en moyenne une heure par jour et par personne, comme c’est d’ailleurs le cas dans différents types de sociétés et de pays du monde. Les motifs de déplacement principaux n’ont pas beaucoup évolué non plus : travail, études, achats, démarches administratives, visites à la famille ou aux amis, loisirs. »
En revanche, deux autres caractéristiques majeures ont drastiquement évolué grâce à la voiture et, bien entendu, au pétrole. La première est la vitesse, qui a été multipliée par 10. Ce gain a été utilisé par des populations avides de mobilité pour se déplacer plus loin, ce qui a également augmenté la distance moyenne parcourue chaque jour par 10, passant de 5 à 50 kilomètres (ce chiffre est une moyenne qui comprend les trajets du quotidien, mais aussi ceux de longue distance, pour des loisirs par exemple).
Ces évolutions ont eu différentes conséquences importantes, comme la capacité à exercer un travail en dehors de sa commune (avec les formidables possibilités induites), la massification des voyages à longue distance (permis par la création des congés payés) ou encore l’étalement urbain (via le développement des banlieues).
La voiture est ainsi devenue le symbole de l’émergence de la société de consommation dans l’Europe d’après-guerre, à tel point qu’on a alors pu parler de « civilisation de l’automobile » lorsque son usage s’est très largement répandu. 75 % des ménages possédaient au moins une voiture en 1980 contre 83 % aujourd’hui. Depuis lors, les ventes ont généralement correspondu à l’achat d’une deuxième voiture ou à des remplacements.
Cette expression de « civilisation de l’automobile » n’est donc pas usurpée, tant la voiture a profondément modifié nos modes de vie. On comprend donc mieux pourquoi le philosophe Roland Barthes a eu ces mots en 1957, lors du lancement de la fameuse DS de Citroën :
« Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique. »
Cependant, la massification de ce marché a fini par causer des problèmes environnementaux. En effet, « une cathédrale, ça va, 40 millions, bonjour les dégâts ». Après plus d’un siècle sans changement radical, la voiture est en train de vivre une petite révolution avec le développement de la voiture électrique (VE) dans le cadre de la transition énergétique.
Des ambitions climatiques européennes titanesques
L’Union européenne a signé le protocole de Kyoto en 1997, où elle s’engageait à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de -20 % à l’horizon 2020. Cet objectif a été tenu, mais il a poussé de nombreuses entreprises industrielles polluantes à délocaliser leurs activités hors d’Europe, en particulier en Chine. Ces politiques n’ont donc souvent fait que déplacer une partie du problème de la pollution, tout en créant des problèmes d’emploi, de sécurité d’approvisionnement et de souveraineté. En contrepartie, les gains réalisés ont permis de conserver l’inflation à un bas niveau.
En 2016, l’UE a signé l’accord de Paris dans le but de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète « nettement en dessous » de +2 °C par rapport aux niveaux préindustriels.
Ce nouvel objectif impliquait une réduction de -40 % des émissions de l’UE pour 2030, qui a été portée à -55 % suite à l’adoption de la Loi européenne sur le climat en 2021. Cette loi fixe également un objectif contraignant de « zéro émission nette » de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. Cela signifie que les émissions ne devront alors pas être supérieures aux capacités d’absorption des terres, ce qui correspond à environ 7 % des émissions actuelles : nos émissions doivent donc diminuer de -93 % en 26 ans ; il s'agit d'un défi titanesque.
Les transports, seul secteur dont les émissions de CO2 ont augmenté
Les émissions de CO2 en Europe ont ainsi diminué de près de 30 % entre 1990 et 2021. Ce sont les secteurs de l’Énergie (-44 %) et de l’Industrie et des Déchets (-35 %) qui ont le plus diminué leurs émissions, suivi du Bâtiment (-27 %).
Bien évidemment, les premières mesures prises pour diminuer une pollution sont les plus simples et les plus efficaces, comme fermer des centrales à charbon ou délocaliser de l’activité. Mais plus le temps passe, plus les mesures complémentaires à prendre deviennent onéreuses et impliquent de changer bon nombre d’habitudes profondément ancrées (manger moins de viande, acheter moins de vêtements, partir en vacances moins loin, éviter l’avion…) ce qui suscite du mécontentement dans la population.
A contrario, un seul secteur a augmenté ses émissions : celui des Transports, avec une forte hausse de +17 %, alors que ce secteur représente 25 % des émissions de l’Europe. Dans le détail, les plus fortes hausses ont concerné le transport de marchandises par des camionnettes et des camions (+35 %, soit la moitié de la hausse totale du secteur) et le transport aérien (+20 %). Plus anecdotiquement, le train a réduit de 70 % ses émissions, qui ne représentent plus que 0,5 % des émissions du secteur ; les émissions des trains pèsent désormais moins du tiers des émissions des seules motos.
Un facteur majeur de la hausse des émissions du secteur a été la hausse de celles des voitures particulières, qui ont augmenté de +13 % depuis 1990. La raison principale est assez simple à comprendre. Alors que l’Europe s’est engagée à fortement réduire ses émissions, son parc de voitures en circulation a augmenté de 80 % depuis 1990 !
Si les émissions n’ont pas augmenté d’autant, c’est pour deux principales raisons. La première est que la distance moyenne parcourue a diminué de 15 % depuis l’an 2000. Environ 11 000 km ont été parcourus en 2019 en Europe, et 12 500 km en France.
La seconde raison est que les émissions par véhicule ont nettement diminué du fait des progrès techniques qui ont correspondu à des obligations imposées par le législateur. Les voitures ont représenté 40 % de la hausse du secteur des transports depuis 1990, ce qui a freiné l’atteinte des objectifs climatiques de l’UE. Comme il existe des moyens techniques réalistes de diminuer cette pollution automobile, on comprend mieux pourquoi les pouvoirs publics se sont fermement attaqués aux émissions automobiles depuis une quinzaine d’années.
C’est en 2009 que le premier règlement européen a imposé une limitation des émissions de CO2 moyennes de l’ensemble du parc des voitures neuves vendues chaque année, mesurées à l’échappement. Ce règlement est entré progressivement en vigueur en 2012 ; il a fixé une première limite à 130 g de CO2/km, abaissée à 95 g en 2020. Ces objectifs ont été complétés par un règlement de 2019, qui a fixé un nouvel objectif par rapport au niveau de 2021 d’une baisse de 15 % dès 2025 et près de 40 % en 2030.
La fin de la voiture thermique en 2035 : place à l’électrique
Cette dernière limite pour 2030 a été rehaussée à -55 % par un règlement de 2023 qui a fixé une ambition d’émissions nulles du parc de voitures neuves dès 2035. Cela revient donc à dire que l’UE a acté la fin des ventes de voitures à moteur thermique en 2035, tournant ainsi une longue page de son histoire économique.
Certains experts regrettent cependant que l’indicateur-phare concernant les émissions du monitoring CO2 dans la réglementation européenne du secteur automobile soit fondé sur les émissions à l’échappement, et non pas sur l’ensemble du cycle de vie (incluant la production de l’énergie, carburant ou électricité, ainsi que la fabrication et la fin de vie des véhicules).
Le choix de l’UE favorise très fortement les véhicules électriques (VE). C’est un choix rationnel puisqu’une VE émet 3 à 4 fois moins de CO2 que son équivalent thermique. Selon Carbone 4, « il faut rouler autour de 30 à 40 000 km (soit 2 à 3 ans d'utilisation pour un usage moyen) pour que la voiture électrique devienne meilleure pour le climat que son équivalent thermique » – à conditions identiques.
D'autre part, les émissions des VE sur le cycle de vie sont donc loin d’être nulles, la fabrication des batteries en particulier est très polluante alors qu’il va falloir en produire en masse pendant des années, ce qui va limiter la baisse des émissions dans les années à venir et augmenter les risques de tension sur certains métaux comme le lithium.
De plus, l’électricité est actuellement bien moins chère à l’utilisation que les carburants actuels – environ 70 % moins chère aux 100 km que l’essence et -60 % par rapport au diesel.
Ces prix de l’électricité correspondent à une recharge à la maison. Comme l’Avere l’a montré, le coût peut être multiplié par 2 sur des bornes de recharge publiques (et par 3 ou 4 pour une recharge ultra-rapide).
Le prix réel de l’électricité a augmenté de 70 % depuis 2009
L’écart de prix de l'énergie entre l'électricité et le thermique s’est réduit de 10 points de pourcentage depuis 2021, en raison des hausses des tarif de l’électricité, bien supérieures à l’inflation. Le prix de l’électricité, corrigé de l’inflation, a ainsi augmenté de 70 % depuis 2009. On en parle peu mais la transition énergétique va imposer de repenser notre fiscalité, puisque les taxes à la pompe sur les carburants représentent plus de 40 Md€, dont l’assiette va se réduire de plus en plus. Il est donc à craindre que le mouvement de hausse de l’électricité continue, dans le but de financer l’État.
Il ne faut cependant pas oublier que le coût de l’énergie (et donc les émissions de CO2) vont du simple au double (voire triple), du plus petit au plus gros véhicule d’une motorisation, qu’elle soit électrique, diesel ou essence.
Selon l’Ademe, en 2023, parcourir 100 km avec une Fiat 500 électrique revient à 2,1 € d’électricité à comparer aux 9 € de son équivalent essence, et sans même parler des 36 € d’essence de la Lamborghini Countach. record absolu. On pourrait donc réduire notablement les émissions par plus de sobriété sur la taille des véhicules achetés – et cela vaut aussi pour l’électrique.
Il ne faudrait donc pas que la voiture électrique soit l’occasion d’acheter des véhicules plus gros ou que l’utilisation d’une énergie de locomotion (comme l’électricité) bien moins chère que les carburants actuels augmente à terme les distances parcourues. Cela augmenterait alors la consommation du pays, et donc la pollution, par un classique effet rebond. Cet effet, fréquent en économie de l’énergie, fait qu’une partie des économies d’énergie ou de ressources générées par une nouvelle technologie sont partiellement ou complètement compensées à la suite d'une adaptation du comportement des consommateurs. Nous vous renvoyons d’ailleurs vers notre entretien avec Laurent Castaignède qui approfondit le sujet de la voiture électrique.
Les émissions au quotidien des voitures électriques dépendent aussi du mix de combustibles utilisé pour la production électrique, qui, malgré une nette amélioration, comprend encore un tiers de combustibles fossiles en Europe, et beaucoup plus dans certains pays tels que la Pologne, l’Italie et l’Allemagne. La bonne nouvelle est que la France produit très peu d'électricité fossile, la mauvaise est qu'elle produit aussi très peu d'électricité renouvelable.
Le chemin suivi vers la sobriété en électricité fossile (produire moins d'électricité grâce au charbon) est cependant encourageant, mais il y a encore beaucoup de coûteux efforts à réaliser dans les deux décennies à venir pour s’en passer totalement.
La France est d'ailleurs un des meilleurs élèves de l'Union européenne pour les rejets de CO2 liés à la production d'électricité.
Le remplacement des sources d’énergie les plus polluantes par des renouvelables (l'une des grandes urgences), la baisse des émissions des renouvelables par substitution entre elles et les progrès techniques à venir devraient permettre de fortement limiter les émissions résiduelles de CO2. Mais gardons à l'esprit que nous avons affaire à des enjeux systémiques (la résolution de l'enjeu « émissions » ne signifie pas la résolution de tous les problèmes).
Le chemin vers la sobriété en électricité (consommer moins d'électricité en général) semble très incertain. En effet, la quantité totale d’électricité consommée en Europe n’a cessé de croître entre 1990 et 2008, avant de se stabiliser jusqu’en 2019. Au vu des problèmes d’approvisionnement et de prix, la quantité d’électricité a notablement baissé en 2022 puis en 2023, de -5 % par rapport à 2019.
Certes, le choc de prix subi en 2022-2023 a entraîné une diminution des émissions, mais en retour, le pouvoir d’achat a souffert et nos économies ont été conforté à une panne d’activité (et donc de hausse des revenus). Rien n'est jamais tout blanc ou tout noir.
Baisse fantôme des émissions et folie du SUV
La réglementation européenne sur les émissions à l’échappement semble donc avoir porté ses fruits : les émissions du parc neuf ont baissé de 55 % en trente ans, en Europe comme en France. C’est cette forte diminution, conjuguée avec celle des distances parcourues, qui a pu limiter la hausse des émissions d’un parc qui a lui-même augmenté de 80 % comme on l’a vu.
« C’est un bien bel exemple de l’efficacité de l’Union européenne qui a pu imposer un fort progrès technique aux constructeurs pour le bien-être de la population et de la Planète ». Voilà la petite chanson souvent répétée par la propagande. Si elle n’est pas totalement fausse, la réalité est cependant nettement moins glorieuse. C’est ce qu’a démontré un rapport de la Cour des Comptes Européenne publié au début de 2024, en révélant que les mesures en laboratoire divergeaient fortement et de manière croissante des mesures effectuées en condition réelle sur route :
« Avant 2020, malgré l’existence du règlement sur les émissions de CO2 des voitures particulières et le fait qu’après les trois premières années, tous les objectifs à l’échelle du parc de l’Union aient été atteints, les émissions de CO2 en conditions d’utilisation réelles des voitures nouvellement immatriculées n’ont connu qu’une baisse marginale (moins de 7 %). Parallèlement, les émissions de CO2 mesurées en laboratoire ont chuté de 16 % […].
Par conséquent, l’écart croissant entre les émissions mesurées en laboratoire et celles constatées en conditions d’utilisation réelles neutralise dans une large mesure les avantages escomptés du règlement. Selon l’ICCT, l’écart moyen est passé de [6 % en 2001 à] 17 % en 2009 et à environ 39 % en 2018. […] Avant 2020, les émissions n’ont diminué que lors des mesures en laboratoire, et non sur route. »
Ainsi, contrairement aux objectifs de l’UE, en moyenne, les émissions des nouvelles voitures à moteur diesel sont restées stables entre 2010 et 2022, et celles des moteurs essence ont diminué d’à peine 5 %.
Il y a pourtant bien eu une amélioration des technologies de motorisation et l’introduction de moteurs hybrides, ce qui a rendu les moteurs plus efficients, avec une baisse de la consommation de carburants à la clé.
Mais, via un effet rebond, ces gains ont été neutralisés par l’augmentation de la masse des véhicules associée à des moteurs plus puissants. La Cour des comptes indique en effet que « la masse moyenne des voitures a augmenté d’environ 10 %. Depuis cette même période [2010], la puissance des moteurs a augmenté de 25 % ». En France, le poids et la puissance des voitures thermiques ont augmenté de 30 % et 60 % depuis 1990, dont 10 % et 25 % depuis les mesures contraignantes de 2010.
Ceci est lié au fait que les deux dernières décennies ont vu l’essor des fameux SUV (Sport Utility Vehicles alias Véhicule Utilitaire Sport ou Tout-Terrain de Loisir) : ce sont des véhicules surélevés disposant d’un gabarit important (de type Jeep), aussi appelés « crossovers » quand ils n’ont pas 4 roues motrices.
Dans un paradoxe qui illustre bien la faillite de nos sociétés néolibérales, pour lutter contre le réchauffement climatique, les pouvoirs publics ont imposé des réductions drastiques des émissions à chaque modèle de voitures (ce qui en a donc augmenté le coût), mais il a laissé se multiplier à la fois le nombre de voitures et la puissance de celle-ci, en contradiction totale avec son objectif.
Bilan : une voiture neuve sur deux en Europe et dans le monde est un SUV, et ces modèles, qui constituent désormais 25 % du parc, représentent plus de 30 % des émissions de CO2. Ceci explique pourquoi, selon l’AIE, l’empreinte écologique mondiale moyenne des voitures a augmenté de +7 % entre 2010 et 2019, ce qui a annulé 40 % des gains techniques des constructeurs.
Et le paradoxe devient kafkaïen quand on apprend que si l’UE tient ses objectifs de réduction des émissions théoriques, calculées suite à des mesures en laboratoire, cette baisse est fictive : les émissions des voitures neuves européennes n’ont en réalité presque pas baissé avant 2020...
De la « flexibilité » des tests jusqu'à la fraude : le dieselgate de Volkswagen
Le fait qu’il y ait un écart entre les tests en laboratoire (obligatoires pour la commercialisation de tout nouveau véhicule) et la réalité vient d’abord du fait que le test utilisé (NEDC) datait... des années 1970 ; il n’était donc plus adapté aux conditions actuelles. Mais ce n’est pas tout, car cet écart n’a cessé d’augmenter, en particulier de 2008 à 2014, jusqu’à atteindre près de 40 % de différence entre les résultats.
Cela peut d'abord s'expliquer par des facteurs externes qui évoluent dans le temps, comme l’utilisation croissante d’équipements électriques (climatisation, sièges chauffants…), les conditions du véhicule (masse transportée, galerie porte-bagages…) ou le style de conduite.
Mais l'on peut aussi – surtout – y voir l'impact d'une « flexibilité » dans les procédures (voir le détail ici) qui permet aux fabricants d'optimiser les essais pour faire apparaître les émissions de CO2 plus faibles qu’en réalité, comme l’indiquait l’ONG ICCT dès 2013 :
« L'augmentation de l'écart a été particulièrement prononcée après 2007-2008, lorsque [l’UE a introduit] un système de taxation des véhicules basé sur le CO2 et des normes obligatoires sur les émissions de CO2 des nouvelles voitures. Il est important de préciser que rien dans cette analyse ne suggère que les constructeurs ont fait quelque chose d'illégal.
Cependant […], certaines caractéristiques de la procédure d'essai peuvent être exploitées pour influencer les résultats des tests pour le CO2. Les fabricants semblent profiter des tolérances autorisées dans le NEDC, ce qui entraîne des niveaux d'émission de CO2 irréalistes. »
« Rien d’illégal » ?! L’ICCT a alors eu le nez creux, car d’autres mesures réalisées en 2014 ont permis la révélation de la fraude du « dieselgate » de 2015 : l’ONG a démontré que le groupe Volkswagen avait développé un logiciel frauduleux dans le but de diminuer fictivement les émissions de polluants lors des tests, entre 2009 et 2015. La fraude n’était pas minime : les émissions de CO2 réelles étaient 2 fois plus importantes, et celles des oxydes d’azote, dangereux pour la santé, étaient 22 fois plus importantes.
Cette affaire a permis de montrer à quel point le lobby automobile dispose d’une influence démesurée en Europe. Ainsi, il a fallu qu'une ONG démontre que les baisses des émissions, objectif majeur de l’UE, ne correspondaient pas à la réalité, en détectant une fraude majeure.
Les États-Unis avaient immédiatement lancé des poursuites contre Volkswagen, qui se sont soldées par 25 milliards de dollars de sanctions. De son côté, la Commission européenne a du lancer en 2016 une procédure d’infraction contre sept États membres, dont l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni, pour « avoir omis d'appliquer leurs dispositions nationales en matière de sanction, alors que l'entreprise concernée a utilisé des dispositifs d'invalidation illégaux ». Il est difficile de ne pas rire en voyant la Commission accuser les États d'avoir simplement « oublié » d'engager des poursuites contre Volkswagen... zut alors !
L'avenir est à la voiture électrique « légère » et à la fin de l'hypermobilité
Le scandale Volkswagen a permis différentes avancées, telles que la mise en place d’un nouveau test en laboratoire WLTP, qui a réduit l’écart avec la réalité à 8 % (mais cet écart a de nouveau augmenté et approche déjà les 15 %...). On peut également mentionner le renforcement des contrôles par la Commission, une réglementation renforcée, ainsi que l’installation obligatoire sur les voitures neuves vendues depuis 2021 d’un compteur de consommation de carburant, dont les données sont transmises aux constructeurs permettant d’en déduire les émissions réelles.
Par ailleurs, les tests sur route ayant démontré que les émissions des hybrides rechargeables en conditions réelles sont trois à cinq fois supérieures à celles mesurées en laboratoire (le mode électrique est peu utilisé en réalité, et ces véhicules à deux moteurs sont très lourds), les subventions à ces voitures sont en nette diminution, obérant, à raison, leur avenir.
Malgré les réserves évoquées précédemment, il y a un motif de satisfaction comme l’indique la Cour des comptes :
« Bien que l’objectif à l’échelle du parc de l’Union pour 2020 n’ait pas été atteint, les émissions moyennes de CO2 en conditions d’utilisation réelles des voitures nouvellement immatriculées ont bel et bien commencé à diminuer régulièrement à partir de ce moment-là. Cela s’explique par un essor significatif des véhicules électriques qui, selon le règlement sur les émissions de CO2 des voitures particulières, sont considérés comme des véhicules à émission nulle. »
Cependant, si les ventes en Europe en 2023 ont atteint près de 15 % du marché (17 % en France), le stock total de voitures électriques ne représente toujours que 1 % du parc (2 % en France et en Allemagne).
Ce développement de la VE a été permis par les incitations européennes accordées aux constructeurs (réduction temporaire des objectifs en contrepartie de la production de véhicules électriques) et par les aides de l’État à la mobilité bas carbone, qui ont surtout profité aux ménages les plus aisés avec la capacité financière de s’équiper de très gros véhicules électriques. Or, comme le rappelle très justement Jean Marc Jancovici :
« La Tesla modèle S possède une batterie de 100 kWh. Avec une telle batterie, on peut faire 3 petites voitures électriques pour des Gilets jaunes. Les grosses voitures électriques sont poussées parce que c’est là-dessus que les constructeurs font leurs marges ; c’est juste une raison économique. »
Tout ceci montre que le législateur européen s’est fourvoyé : au lieu d’imposer des progrès techniques limités, voire illusoires, aux constructeurs de voitures thermiques, il aurait fallu lancer une ferme transition directement vers la voiture électrique « légère » et accessible. Espérons que cela soit la prochaine modification réglementaire du secteur.
1 voiture électrique sur 2 dans le monde roule en Chine
Cette révolution aurait pu être l’occasion d’une réindustrialisation de l’Europe, mais encore fallait-il qu'elle s'impose face au lobby des constructeurs automobiles accrochés à des technologies centenaires. « Les premiers de cordée » de l’automobile aux salaires pharaoniques ont ainsi négligé le tournant de l’électrique – pourtant incontournable au vu des engagements climatiques de l’UE. En 2013, un sondage KPMG mené auprès des dirigeants des constructeurs indiquait que seuls 6 % d’entre eux comptaient réaliser leurs plus gros investissements dans la voiture électrique.
Résultat, les trois premiers constructeurs mondiaux de ces véhicules, qui se partagent près de 45 % du marché, sont l’américain Tesla (créé en 2003, 1,8 M de VE en 2023 soit 19 % des ventes mondiales) et les Chinois BYD (créé en 2003, 1,6 M de VE soit 17 % des ventes) et Saic Motors (créé en 1955, 0,7 M de VE soit 8 % des ventes). On ne s’étonnera donc pas que plus d'une voiture électrique sur deux dans le monde roule en Chine.
Hélas, 40 % des VE dans le monde et en Europe sont des SUV, alors que la priorité devrait être de réduire la quantité de ces véhicules à la taille généralement inutile. Il n’est pas très logique de dépenser beaucoup d'énergie pour déplacer un véhicule de 1 500 kilos dans le seul but de déplacer un individu de 70 kg. La logique est la même avec les plus grosses voitures électriques approchant des 2 500 kilos.
D’autres freins au développement de la VE existent encore; comme le fait que les bornes de recharge restent rares, surtout dans les pays européens les moins riches, ou bien entendu le prix, qui est souvent un repoussoir pour l’électrique, mais aussi pour les modèles thermiques « moins chers ». Les Français n’ont pas rêvé : le prix de la voiture neuve moyenne, corrigé de l’inflation, a doublé depuis 1970.
Cependant, le pouvoir d’achat a fortement augmenté sur la même période, et le prix moyen d’une voiture en proportion des revenus a en réalité peu augmenté depuis les années 1960. Il représente environ un an de salaire médian depuis lors, soit environ 30 000 € de 2023. Et ce prix est en hausse depuis l’an 2000, en raison des ventes de SUV. En 1900, une voiture coûtait environ 10 ans de salaire médian ; c’est la division progressive de ce prix par 10 qui a permis la massification de l’utilisation de la voiture à partir des années 1950.
Selon l’AIE, le succès des VE en Chine vient du fait que les petits modèles sont en dessous de 10 000 $ (6 500 $ pour la Wuling Mini EV), contre 30 000 $ en Europe ou aux États-Unis. En conséquence de ces prix croissants, les Français ont changé moins fréquemment leur voiture, et l’âge moyen du parc n’a donc fait qu’augmenter depuis 30 ans.
Une baisse de prix des voitures électriques d’entrée de gamme est annoncée pour 2024-2025, en particulier avec l’arrivée des voitures chinoises sur le marché européen. Ces nouvelles exportations chinoises feront certes du bien au portefeuille, mais elles ne solutionneront pas les problèmes climatiques et aggraveront la désindustrialisation du continent.
Ce qu’il faut retenir
La voiture a révolutionné nos modes de vie, en permettant de multiplier par 10 la longueur de nos déplacements quotidiens moyens, les faisant passer de 5 à 50 kilomètres, avec toutes les opportunités permises par cette nouvelle « civilisation de l’automobile ».
Cependant, la voiture comme les autres véhicules a puissamment contribué à l'explosion de nos émissions de CO2. Pour en limiter les dégâts, les pays occidentaux en général et l’UE en particulier ont pris depuis 1997 des engagements de baisse importante de leurs émissions. Celles-ci ont bien baissé depuis, à l’exception du secteur des transports qui a augmenté les siennes. C’est en particulier lié à la forte hausse du nombre des voitures (+80 % en 30 ans), qui a heureusement été partiellement compensée par une baisse des kilométrages annuels et surtout par une baisse des émissions au kilomètre en raison de progrès techniques.
Ces progrès, imposés par la réglementation, ont été limités par le développement des SUV, plus lourds et donc plus émetteurs. Pire, une partie de ces baisses d’émissions était fictive en raison de modèles archaïques et « d’optimisation » plus ou moins frauduleuse des constructeurs.
Depuis 2020, les voitures neuves émettent en moyenne vraiment moins de CO2, mais c’est essentiellement lié au décollage des ventes de voitures électriques, qui s’annoncent comme la solution au problème des émissions des transports. Cependant, cette solution n’est pas simple et de nombreux défis sont à relever pour arriver à des émissions de voitures neuves nulles en 2035 : permettre à tous les ménages d’accéder à une petite voiture électrique sans se ruiner, pouvoir la recharger facilement, conserver un tissu industriel automobile et une souveraineté dans nos moyens de mobilité, disposer de plus de capacité de production d’une électricité encore moins carbonée, gérer les conséquences de la forte diminution de consommation des carburants (stations-services, employés des pétroliers…), etc. Nous suivrons à l’avenir tous ces enjeux sur Élucid !