Le 30 septembre dernier, la dernière centrale à charbon du Royaume-Uni située à Ratcliffe-on-Soar a cessé sa production. En fonction depuis la fin des années 1960, cette fermeture fait presque définitivement sortir le pays de l’utilisation du charbon. Ce combustible avait pourtant été au cœur de la révolution industrielle impulsée justement par les Britanniques depuis le XVIIIe siècle. Mais la politique britannique de sortie du charbon est moins le résultat d’une volonté institutionnelle que l’adaptation opportune à une réalité d’ordre géologique. Analyse.

publié le 27/01/2025 Par Hovannès Derderian

Difficile, comme l’essentiel de la presse et de l’officialité technicienne, de ne pas voir la fermeture de la dernière centrale à charbon du Royaume-Uni comme une forme de symbole. Mais tout symbole est affaire d’interprétation. Certes, on peut s’accorder sur le fait que cette fermeture acte un changement d’époque. Mais nous sommes bien moins enclins à nous joindre au concert de louanges sur l’efficacité de la politique énergétique et climatique britannique.

Plus précisément, notre point est de montrer que la politique britannique de sortie du charbon est moins le résultat d’une volonté institutionnelle que l’adaptation opportune à une réalité d’ordre géologique. Cette distinction sur l’origine de la sortie britannique du charbon n’est pas triviale à notre sens et cet article compte apporter une pierre à cet édifice.

Le triomphe de la volonté : retour sur la constitution d’un mythe moderne

Avant d’analyser les données qui, nous le verrons, racontent une histoire différente, attardons-nous sur le discours dominant au sujet de la situation britannique. Sans doute désireux de servir un discours qui peut s’aligner avec certains objectifs nationaux, la plupart des analystes de la situation énergétique font de la sortie « en dix ans » du charbon de la production électrique britannique la résultante de politiques gouvernementales ambitieuses.

Les analystes mettent particulièrement en avant la mise en place « d’un prix plancher du carbone » (Carbon Price Floor, CPF) en 2013 pour expliquer l’accélération de la transition britannique vers un système électrique décarboné. En effet, cette taxe devait garantir un prix minimal du carbone de 16 £ (18,05 €) par tonne d'équivalent dioxyde de carbone (tCO2e), et devait augmenter à 30 £ (33,85 €) d'ici 2020. Le prix des quotas carbone européens était alors considéré comme trop bas pour inciter les acteurs à sortir des énergies carbonées.

Dans les faits, cette taxe a effectivement coïncidé avec la baisse des importations de charbon par le Royaume-Uni et donc de la production électrique issue des centrales à charbon britanniques. L’année 2012 a été un maximum local dans ces deux cas et on a pu y voir l’effet d’une anticipation par les industriels de l’entrée en vigueur du CPF en avril 2013 (incitation à produire avant la mise en place de la taxe).

Cependant, l’évolution du mix électrique britannique n’a pas commencé en 2012 et on est bien en peine de croire qu’une évolution règlementaire, soumise aux caprices de la politique ait pu avoir un effet si structurel. À ce titre, il faut rappeler qu’en 2016, le gouvernement britannique a finalement décidé de geler la hausse prévue du CPF à 18 £ jusqu’en 2027. Par ailleurs, si l’on observe une plus longue période, la part du charbon dans le mix électrique britannique était déjà en déclin depuis son maximum en 1987, où il représentait 67 % de la production, contre 29 % en 2011.

Le crépuscule du charbon, un épuisement géologique datant de… 1913

En réalité, la diminution de l’utilisation du charbon au Royaume-Uni est due à un facteur structurel majeur : l’épuisement des gisements du pays. Le pic des extractions date de 1913, à une époque où les considérations climatiques comptaient peu. La guerre de 1914-1918 et la Seconde Guerre mondiale ont vu des niveaux d’extraction inférieurs à ce record de production alors que les nécessités de l’économie de guerre et le maintien des conditions de vie créaient des besoins immenses. Le déclin de production s'est accéléré dans les années 1960 et les chocs pétroliers des années 1970 n’ont pas changé la donne, et ce alors que les coûts de l’énergie s’envolaient pour les ménages et les entreprises du royaume.

Production et consommation de charbon au Royaume-Uni, 1700-2023Production et consommation de charbon au Royaume-Uni, 1700-2023

Il est intéressant de voir que les chiffres officiels des réserves extractibles de charbon au Royaume-Uni indiquent bel et bien que cette décroissance de la production est due à une insuffisance de la ressource et non à une action volontaire de la part des Britanniques. On note aussi, comme illustré sur le graphique ci-dessous, la surestimation considérable qui avait été faite concernant ces réserves charbonnières par les pouvoirs publics jusqu’à la fin des années 1960.

En effet, la première estimation officielle faite par la Royal Commission on Coal Supplies en 1871 estimait « l’ultime de production » (ou réserves initialement en place) à 150 milliards de tonnes. Une estimation un peu ultérieure réalisée lors des congrès géologiques internationaux indiquait pour le Royaume-Uni des réserves de près de 200 milliards de tonnes. Ainsi, pendant près de 100 ans, les réserves initialement en place étaient estimées comme supérieures à 150 milliards de tonnes.

Estimation des réserves et production cumulée de charbon au Royaume-Uni, 1870-2023Estimation des réserves et production cumulée de charbon au Royaume-Uni, 1870-2023

Pourtant, après 1968, ces chiffres officiels de réserves tombent à seulement 30 milliards de tonnes de charbon, soit une division par 5 ! L’explication tient au fait que jusqu’en 1968, l’estimation de l’ultime de production reposait sur des hypothèses bien trop optimistes en termes de profondeurs accessibles (jusqu’à 1 200 mètres) et d’épaisseur des veines de charbon extractibles (>30 cm). En réalité, les Britanniques n’ont pas été en capacité d’extraire de charbon à des profondeurs supérieures à 1 000 mètres et des veines inférieures à 2 mètres. Ces seuls changements de paramètres auraient pu permettre dès l’époque de correctement estimer le potentiel extractible de charbon au Royaume-Uni.

Aujourd’hui, le Royaume-Uni a produit de manière cumulée un volume proche de 30 milliards de tonnes, permettant de considérer que les réserves britanniques de charbon sont maintenant épuisées.

Au final, la situation britannique illustre à quel point les estimations officielles peuvent être empreintes d’optimisme, car réalisées dans un cadre où les mauvaises nouvelles sont politiquement peu porteuses. Dans cet exemple, il a fallu plus de 50 années de déclin de production ininterrompues (1913-1968), avec des baisses des extractions de 42 % (!) pour qu’une estimation réaliste des réserves de charbon soit enfin publiée et reconnue par les pouvoirs publics.

Il est tentant de voir un parallèle avec la situation présente, où des chiffres très optimistes de réserves de pétrole et de gaz sont régulièrement mis en avant sur la scène internationale. Pourtant, plusieurs experts alertent depuis des années sur un pic de production qui a été franchi depuis 2006 sur la partie conventionnelle de ces produits…

Le primat de la production

Montrer que la production britannique de charbon est en déclin géologique depuis 1913 sans que des politiques volontaristes soient à l’œuvre derrière cette évolution n’est pas suffisant pour ceux qui sont persuadés du caractère performatif des politiques climatiques des gouvernements occidentaux. Ils rétorquent, fort à propos, que l’effet des politiques publiques se ressentirait moins sur la production que sur la consommation – de charbon, dans notre cas.

Il est tout à fait exact que, face au défaut de leur production nationale, les Britanniques auraient pu se mettre à importer des quantités massives de charbon pour pallier le déclin géologique subi. Mais, outre le fait que ce genre d’énoncé cache mal les tendances démiurges de notre époque (quand la ressource est épuisée, faisons-la venir d’ailleurs !), la chronologie des faits invite à en relativiser la portée. C’est la crise de 2008 qui met le réel coût d’arrêt à la hausse des importations de charbon au Royaume-Uni, donc bien avant la mise en place du prix plancher du carbone en 2013.

Plus fondamentalement, il faut aussi remarquer que les importations sont elles-mêmes dépendantes de l’évolution de la production des pays fournisseurs, et ces derniers ont connu eux aussi des difficultés à cet endroit. Les États-Unis, la Colombie ou encore l’Afrique du Sud ont vu leur production décliner. De plus, les acheteurs européens ont vu augmenter la concurrence internationale avec l’arrivée d’une forte demande asiatique, en particulier en Inde et en Chine. Notons aussi une intense compétition intra-européenne pour l’accès au charbon russe.

Importations de charbon russe au Royaume-Uni et en Allemagne, 1993-2023Importations de charbon russe au Royaume-Uni et en Allemagne, 1993-2023

Face à ces contraintes extérieures à la volonté britannique, la stabilité des approvisionnements de charbon était compromise. Il était donc impossible de maintenir une production électrique à base de charbon sur longue période. En somme, l’habillage marketing autour des politiques climatiques du gouvernement de Sa Majesté a été un moyen de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Et demain ?

Photo d'ouverture : Centrale électrique au charbon de Ratcliffe-on-Soar, près de Nottingham, dans le centre de l'Angleterre, le 19 septembre 2024. (Photo Oli SCARFF / AFP)