La zone euro, comme celle des BRICS, a rapidement récupéré de la crise du Covid. Cependant, le retour de l’inflation est venu compromettre le rétablissement économique. Pire, la production par habitant a même baissé en 2023. De faibles niveaux de croissance de la production et des revenus sont encore attendus en 2024, signes de problèmes à venir pour le pouvoir d’achat et l’emploi dans ces zones.

1- La plongée du PIB par habitant
2- Depuis 1960, une croissance qui ralentit
3- BRICS : le futur moteur de l'économie mondiale ?
4- Le difficile rétablissement du PIB par habitant
Ce qu'il faut retenir
Dans la zone euro, l’observation du Produit Intérieur Brut (le fameux PIB, c’est-à-dire, en simplifiant, la valeur de ce que la zone a réellement produit) indique clairement que, dès 2022, l'économie avait totalement récupéré de la crise du Covid. Mais il est manifeste que l’économie a calé depuis 2023 avec un PIB qui évolue peu depuis lors.


La France et l’Allemagne représentent la moitié du PIB de la zone euro ; ce « couple » franco-allemand est bel et bien le moteur de la zone.




L’invasion de l’Ukraine par la Russie et les sanctions économiques prises par l’UE en retour ont brisé net en 2022 la croissance naissante. Le PIB de la zone euro du dernier trimestre 2023 ne montre aucune reprise par rapport aux trimestres précédents.


Si on s’intéresse à la croissance du PIB (c’est-à-dire à la valeur de sa hausse ou de sa baisse), on note que la zone a connu une croissance robuste en 2022, de plus de 3 %, mais aussi que ce niveau s’expliquait par la fin du rattrapage de la crise du Covid. 2023 se termine avec une croissance de seulement +0,4 %.


L’analyse des contributions sectorielles à la croissance européenne au cours des dernières années révèle que la croissance de l’eurozone est largement entretenue par la consommation. L’investissement et le commerce extérieur ont une contribution négligeable en moyenne depuis deux ans.


La plongée du PIB par habitant
Le recours au PIB trimestriel par habitant permet de mieux analyser l’évolution du niveau de vie moyen. Il est en effet important de tenir compte de la croissance démographique : si le PIB augmente de +1 % et que la population augmente de +2 %, la richesse par habitant baisse en réalité de -1 %. Cet indicateur est donc beaucoup plus pertinent pour apprécier la croissance réelle d’une économie.
Contrairement à certains grands pays, la prise en compte du facteur démographique change peu les choses pour l’Eurozone, car la croissance démographique de la zone est faible. On constate cependant une baisse plus marquée du PIB par habitant en 2023.


Sur le temps long, comme dans beaucoup de pays occidentaux, la dynamique de croissance du PIB trimestriel par habitant de la zone s’est essoufflée depuis 15 ans, peinant à dépasser les +2 %. 2023 a ainsi été marquée par une nette baisse du PIB par habitant de -0,1 % (sur l’année), atteignant même -0,4% à la fin de l’année.




En valeur absolue, c’est le grand écart dans la zone, avec un PIB par habitant qui s'étale d’environ 120 000 € et 100 000 € au Luxembourg et en Irlande (les joies d’être un petit paradis fiscal qui pille ses voisins…) jusqu’à... 20 000 € en Croatie. La moyenne est d’environ 41 000 €, identique à la valeur française. On est bien loin de la « convergence économique » vendue en 1992 pour faire accepter le traité de Maastricht.


Depuis les années 1960, une croissance qui ralentit
Pour prendre du recul sur la dynamique de croissance européenne, on peut observer la croissance décennale depuis les années 1960. On remarque que le phénomène des 30 Glorieuses a pris fin avec les crises des années 1970 et que depuis lors, la croissance moyenne diminue de plus en plus. Elle n’a atteint que 1,2 % au cours de la décennie 2010.


Cette baisse est liée à différents facteurs. Les Trente Glorieuses ont été induites par la forte mécanisation du pays et l’introduction de techniques qui ont fait exploser la productivité. Mais il est désormais de plus en plus difficile de continuer à l’augmenter. Une fois qu’on remplace un cheval par un tracteur, il est difficile de trouver par quoi remplacer le tracteur pour avoir un gain équivalent.
Sur le temps très long, cet affaiblissement progressif de la croissance du PIB par habitant se vérifie : il faut remonter jusqu’aux années 1840 pour retrouver une croissance du PIB par habitant aussi faible sur l’ensemble d’une décennie (hors période de guerre).


À l’échelle d’une vie humaine, on a l’impression qu’on vit une « panne » de la croissance. En conséquence, les responsables politiques baratinent sans cesse la population, promettant le « retour de la croissance » pour peu qu’on les élise. Bien entendu, ceci n’arrive jamais, pour la bonne raison que la croissance a retrouvé son très bas niveau historique. « L’anomalie », c’était la période des Trente glorieuses. Ce n’est donc pas un drame en soi, mais cela le deviendra si on n’adapte pas l’économie à cette nouvelle réalité.
BRICS : le futur moteur de l’économie mondiale ?
Une autre zone économique est en plein boom : celle des fameux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, qui s’est élargie en 2024 à l’Égypte, l’Iran, l’Éthiopie et aux Émirats arabes unis – que nous n’avons pas inclus dans cette étude).
Les BRICS ont en effet connu une croissance plus qu’impressionnante, avec un PIB réel (c’est-à-dire corrigé de l’inflation) qui a été multiplié par 6 en 30 ans.


Sans grande surprise, cette croissance colossale a été soutenue principalement par la Chine.


L’économie chinoise représente ainsi actuellement 70 % de l’ensemble du groupe, contre 10 % dans les années 1960/1970. C’était alors la Russie qui était le mastodonte ; le « grand frère soviétique » d’alors est désormais devenu simplement un des « petits frères ».


À titre de comparaison, le PIB en dollars courants des BRICS est proche de celui des États-Unis, et 60 % supérieur à celui de la zone euro. Mais si on corrige des différences de taux de change (on sait que la Chine fait baisser fictivement la valeur de monnaie pour être plus compétitive) en utilisant des dollars PPA (parité de pouvoir d’achat, pour un juste taux de change – voir cet article), on constate que les BRICS représentent désormais une production réelle deux fois supérieure à celle des États-Unis, et près du triple de la zone euro. Et ce avant même leur élargissement de 2024.


Au niveau de la croissance de la production, la dynamique du groupe s’est toutefois fortement grippée depuis 2 ans, la famélique croissance de +0,2 % de 2023 faisant suite à celle de +3,2 % de 2022, bien loin des 5 à 6 % de croissance habituelle.


Le difficile rétablissement du PIB par habitant
Si on s’intéresse au PIB par habitant, comme dans la zone euro, la dynamique de croissance des BRICS s’est essoufflée depuis la crise du Covid, et a abouti à une baisse historique de -0,2% en 2023. La crise de 2022 a posé de vraies difficultés à ces pays, et en particulier à la Chine en raison de sa protection sociale bien plus faible que celle des pays européens.




En valeur absolue, le PIB par habitant de la Russie et celui de la Chine sont désormais proches, mais celui de l’Inde reste dramatiquement faible, 5 fois inférieur à celui de la Chine. Notons cependant que ce très bas niveau de l’Inde est égal à celui de la Chine en 2002. D’ici quelques décennies, ce pays devrait avoir comblé une partie de son retard économique.


Il convient toutefois là encore de nuancer, en corrigeant du problème des taux de change avec les parités de pouvoir d’achat. On obtient alors une vision plus juste du PIB par habitant, où la zone euro a un PIB par habitant « seulement » égal au double de celui de la Russie et au triple de celui de la Chine.


Sur longue période, on voit bien surgir le développement rapidement de la Chine, et donc de la zone BRICS, à partir des années 2000. 6 % de croissance par an pendant 20 ans aboutit à un triplement de la production et des revenus.


Et sur très longue période, on apprécie le changement historique du rythme de croissance à partir des années 1950.


Le plus impressionnant est que cette forte croissance, qui concerne des milliards d’habitants, n’en est encore qu’à ses débuts ; il reste encore un gros potentiel en Chine et une énorme réserve en Inde qui a à peine commencé son développement.
Ce qu’il faut retenir
L’économie de la zone euro a rapidement rebondi après la profonde crise du Covid, mais elle a calé avec le début de la guerre en Ukraine, terminant même 2023 avec une baisse de son PIB par habitant. Ce mouvement s’inscrit plus généralement dans une tendance à la baisse de la croissance depuis plusieurs décennies, mais qui n’est qu’un retour à la situation historiquement habituelle de faible croissance.
Bien que partie d’une situation très différente de la zone euro en raison de sa forte croissance, l’économie des BRICS, composée essentiellement de l’économie de la Chine, a finalement suivi le même chemin en 2022-2023, les conséquences de la guerre d’Ukraine ayant fortement impacté la zone. Les conséquences sociales, en particulier en Chine, y sont cependant nettement plus importantes en raison de la moindre protection sociale.