Il est difficile d'être optimiste quant à l'avenir. L'effondrement de notre écosystème est bien documenté. Tout comme le refus de l'élite dirigeante mondiale de prendre des mesures qui pourraient atténuer la dévastation. Nous accélérons l'extraction des combustibles fossiles, nous nous complaisons dans une consommation effrénée, y compris celle du bétail, et nous déclenchons de nouvelles guerres comme si nous étions pris d'un désir de mort freudien. Les quatre cavaliers de l'apocalypse – la conquête, la guerre, la famine et la mort – entrent au galop dans le XXIe siècle.
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Ceux qui gouvernent, serviteurs des multinationales et de la classe milliardaire mondiale, accompagnent cette folie suicidaire en cimentant la domination des compagnies privées. L'objectif n'est pas de réformer. Il s'agit de perpétuer le pillage inhérent aux grandes entreprises. Ce pillage, de plus en plus coûteux pour la population mondiale, nécessite un nouveau système, un système dans lequel la classe des milliardaires vit dans l'opulence ; les travailleurs sont des serfs ; les droits tels que la vie privée et le respect des procédures sont abolis ; Big Brother nous observe en permanence ; la guerre est la principale activité de l'État ; la dissidence est criminalisée et les personnes déplacées par les conflits et l'effondrement du climat sont de facto exclues des forteresses climatiques du Nord. Certains pans de l'espèce humaine, les plus privilégiées, devraient en théorie tenir un peu plus longtemps avant de succomber à leur tour.
Les persécutés et les abandonnés, qui se comptent maintenant par dizaines de millions, sont conscients de cet avenir probable. Selon eux, il est même déjà à nos portes. Julian Assange, l'éditeur le plus important de notre génération, dont l'extradition vers les États-Unis a été approuvée par la ministre britannique de l'Intérieur Priti Patel, incarne ce qui arrivera à tous les éditeurs et journalistes qui exposent les rouages du pouvoir. Son emprisonnement pour avoir révélé les crimes de guerre, la désinformation, le cynisme et la corruption de la classe dirigeante, y compris au sein du parti Démocrate, annonce une nouvelle ère. Les enquêtes concernant les centres du pouvoir, qui sont le moteur du journalisme, seront désormais considérées comme un délit.
« Les dirigeants se servent de Julian Assange pour envoyer un message : si vous dévoilez ce que nous faisons, nous vous détruirons. »
Peu importe qu'Assange - qui a subi un accident vasculaire cérébral et est en mauvaise santé physique et psychologique - ne soit pas un citoyen américain ou que WikiLeaks ne soit pas une publication domiciliée aux États-Unis. Peu importe que toutes les entrevues d'Assange avec ses avocats aient été enregistrées par UC Global (la société de sécurité espagnole de l'ambassade d'Équateur où Assange a vécu pendant sept ans) et remises aux États-Unis, abolissant de facto le secret professionnel. La campagne contre Assange - et j'ai assisté à des audiences à Londres - est une farce à la Dickens, la persécution d'un homme innocent et héroïque, qui rappelle bien plus la Lubyanka que la plus noble jurisprudence britannique. On se sert de lui pour envoyer un message : si vous dévoilez ce que nous faisons, nous vous détruirons.
Que ce soit dans les vastes ateliers clandestins de Chine ou dans les ruines délabrées de la Rust Belt, les travailleurs peinent pour des salaires de survie, sans protection de l'emploi ni syndicat. Ils sont accablés par les accords commerciaux, la désindustrialisation, l'austérité, la hausse des taux d'intérêt et des prix. Eux aussi sont tout à fait conscients de l'avenir.
La décision de relever les taux d'intérêt de trois quarts de point, avec de nouvelles hausses de taux en perspective, aura pour effet de faire baisser davantage encore les salaires, qui stagnent depuis des décennies, d'accroître le chômage et l'endettement personnel et de rendre plus coûteux la nourriture et autres produits de première nécessité. Une hausse des taux d'intérêt entraîne généralement une récession. Mais les oligarques sont plus que désireux de sucer le sang de la classe ouvrière. L'inflation réduit le rendement des investissements. Elle désorganise les stratégies financières à effet de levier.
Ce n'est pas à cause des salaires que les prix augmentent. Ils augmentent en raison des pénuries d'approvisionnement et des prix abusifs pratiqués par les entreprises et les conglomérats pétroliers. Les entreprises américaines ont enregistré la plus forte croissance de leurs bénéfices depuis des décennies en augmentant leurs prix pendant la pandémie. Selon le Bureau of Economic Analysis, les bénéfices avant impôts des entreprises ont augmenté l'année dernière de 25 % pour atteindre 2810 milliards de dollars. Selon la Réserve fédérale, il s'agit là de la plus forte augmentation en un an depuis 1976. Si l'on tient compte des impôts, les bénéfices des entreprises ont atteint 37 % l'an dernier, une première historique depuis que la Réserve fédérale a commencé à répertorier les bénéfices en 1948.
« Le message de la classe des milliardaires est le suivant : l'économie est gérée dans notre intérêt, pas dans le vôtre. »
Les lois antitrust et le démantèlement des monopoles atténueraient la pression de l'inflation et feraient baisser les prix. Le rationnement briserait l'inflation. Un gel des salaires et des prix en ferait tout autant. La nationalisation, en contrant l'accaparement par les compagnies privées des services publics, du système de santé, des banques et d'autres services, atténuerait également la hausse des prix. Mais la classe des milliardaires n'est pas prête à imposer des mesures qui réduisent leurs profits. Ils conserveront leurs monopoles. Ils garderont leur mainmise sur ce qui était autrefois des biens publics. Le message de la classe des milliardaires est le suivant : l'économie est gérée dans notre intérêt, pas dans le vôtre.
Les Ukrainiens, qui subissent une guerre d'usure avec l'injection de dizaines de milliards de dollars d'armes en provenance des États-Unis et de l'Europe, sont tout à fait conscients de l'avenir. La guerre est la principale activité de l'État. Elle enrichit l'industrie de l'armement. Elle accroît le budget militaire. Les États-Unis envoient actuellement 130 millions de dollars par jour en aide et assistance militaire à l'Ukraine, ce qui est une partie des 55 milliards de dollars d'aide promis par Washington.
Les États-Unis, aux prises avec un effondrement de la société et une économie en difficulté, considèrent leur armée comme le seul mécanisme restant permettant de détruire leurs concurrents dans le monde, en particulier la Russie et la Chine. La Russie et la Chine sont désormais regroupées sous le nom d'adversaires des États-Unis. La Chine considère les voies navigables d'Asie et du Pacifique comme faisant partie de sa sphère d'influence, et la Russie à le même avis en ce qui concerne l'Ukraine et d'autres États voisins. La posture agressive des États-Unis a participé à la renaissance d'une Guerre Froide inutile, dont de nombreux décideurs politiques de Washington s'attendent avec désinvolture à ce qu'elle se transforme en une guerre chaude entre nations dotées de l'arme nucléaire, ce qui pourrait potentiellement anéantir toute vie sur la planète.
« Vous savez que vous êtes dans le pétrin lorsque Henry Kissinger est considéré comme la voix de la sagesse. »
La lutte pour le contrôle est de plus en plus féroce, comme en témoignent l'invasion de l'Ukraine par la Russie et la construction par la Chine de bases aériennes depuis le Japon jusqu'à l'Australie le long du littoral asiatique, ce qui lui donne la capacité d'attaquer les navires de guerre, y compris les porte-avions, dans le Pacifique occidental. Le refus des États-Unis de s'adapter à un monde multipolaire et sa volonté de poursuivre la chimère d'une hégémonie mondiale sans concurrence a permis à la Russie et à la Chine de renforcer leur alliance, une alliance que les adeptes de la Guerre Froide s'étaient évertués à empêcher.
Vous savez que vous êtes dans le pétrin lorsque Henry Kissinger, qui a appelé à la cession de territoires Ukrainiens au bénéfice de la Russie et à ouvrir des négociations avec Moscou « dans les deux mois qui viennent avant qu'on se retrouve avec des bouleversements et des tensions qui ne seront pas faciles à dépasser », est considérée comme la voix de la sagesse.
Les gouvernements despotes ont besoin d'un ennemi pour justifier la répression des dissidents, la réduction et l'annulation des programmes sociaux et le contrôle de fer de l'information. Les guerres justifient l'injustifiable - sites noirs, enlèvements, torture, assassinats ciblés, censure et détention arbitraire - des crimes de guerre hors normes. La guerre induit un état de paranoïa et de peur perpétuelles. Elle exige l'obéissance des masses. « La guerre n'est pas faite pour être gagnée, elle est faite pour être perpétuelle », écrit George Orwell dans 1984. Il poursuit :
« Une société hiérarchisée n'est possible que si elle repose sur la pauvreté et l'ignorance. Aucun passé autre que celui-ci ne peut avoir existé. L'effort de guerre est toujours planifié pour maintenir la société au bord de la famine. La guerre est menée par le groupe dirigeant contre ses propres sujets et son objet n'est pas la victoire sur l'Eurasie ou l'Asie orientale, mais le maintien inchangé de la structure même de la société. »
Le message de la guerre sans fin est le suivant : si vous défiez la classe dirigeante, les militaristes et le gouvernement, alors vous êtes un traître.
Les 140 millions de personnes dans le monde qui souffrent de très graves famines, conséquence de la pandémie, de la crise climatique et de la guerre en Ukraine, sont tout à fait conscients de l'avenir, tout comme les familles de ces 15 millions de personnes qui sont mortes de la pandémie, dont des centaines de milliers auraient pu être sauvées grâce à des politiques sanitaires appropriées. Les réfugiés fuyant les États en faillite et les catastrophes climatiques - il pourrait y avoir 1,2 milliard de réfugiés climatiques d'ici 2050 - dans les pays du Sud sont tout à fait conscients de l'avenir.
Le message transmis aux pauvres, aux personnes vulnérables, aux malades et aux personnes fragiles est le suivant : vos vies et celles de vos enfants n'ont aucune importance !
Que pouvons-nous attendre de la part de dirigeants qui ont cru que Michael Bloomberg - qui a retourné sa veste à maintes reprises, passant du parti Démocrate au parti Républicain et vice versa - les sauverait de progressistes tels que Bernie Sanders ? Que pouvons-nous attendre de la part de dirigeants qui, lorsqu'ils étaient à la présidence du pays, ont consacré leur carrière politique à dépouiller les travailleurs et les travailleuses, à construire le plus vaste système carcéral du monde, à militariser la police, à détruire le système de protection sociale et à financer des fiascos militaires au Moyen-Orient ?
L'administration Biden se définit par l'échec des attentes, depuis le blocage complet de son plan Build Back Better jusqu'au rejet de l'augmentation du salaire minimum. Elle fonctionne à la va-vite, en recourant à des gadgets, en usant d'une rhétorique vide, du spectacle et de la peur pour intimider l'électorat.
La classe des milliardaires, ou du moins un grand nombre d'entre eux, préférerait piller et saccager, dissimulés sous le vieux système politique avec son décorum et sa rhétorique. Ils aiment la fiction qui consiste à rendre hommage à une démocratie émasculée. Cela leur donne un vernis de respectabilité.
Mais ce n'est pas ainsi que cela doit être. La rage de ceux qu'on a trahis est relayée par des démagogues débiles qui sont vomis par le marécage social et politique. Les grandes entreprises et la classe des milliardaires continueront leur exploitation, mais sous le joug d'un autoritarisme plus brutal et plus cruel. L'effondrement social, politique, économique et environnemental s'accélérera. La réalité, de plus en plus inacceptable disparaîtra du discours public. Les personnes vulnérables seront mises de côté, rendues responsables de leur propre misère et de la nôtre. Ceux qui résisteront seront criminalisés. Tel est le monde dont nos enfants hériteront si ceux qui nous gouvernent ne sont pas extirpés du pouvoir.
Texte traduit et reproduit avec l'autorisation de Chris Hedges
Source : Scheerpost - 20/06/2022
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