En Palestine occupée, les plans de paix avortés ne manquent pas. Depuis la présidence de Jimmy Carter, un certain nombre se sont succédé, tous aussi détaillés, tous assortis d’étapes et de calendriers précis. Et tous ont échoué de la même manière. Dans un premier temps, Israël obtient ce qu'il veut – dans le cas présent, la libération des derniers otages israéliens – puis viole ou ignore les autres clauses, jusqu’à reprendre ses attaques contre le peuple palestinien.

Article Démocratie
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publié le 01/11/2025 Par Chris Hedges
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C'est un jeu sadique. Un manège de mort. Ce cessez-le-feu, comme ceux d'avant, n'est qu'une pause publicitaire. Un instant de répit, le temps d’une cigarette, avant sa propre mise à mort sous une pluie de balles.

Une fois les otages israéliens libérés, le génocide reprendra. Quand ? Nul ne le sait. Espérons simplement que le massacre soit repoussé d'au moins quelques semaines. Une pause dans le génocide... c'est donc tout ce que nous puissions espérer. Israël est sur le point de vider Gaza, déjà pratiquement rayée de la carte après deux années de bombardements incessants. Rien ne l’arrêtera : c’est l’aboutissement du rêve sioniste. Les États-Unis, qui ont accordé à Israël une aide militaire faramineuse de 22 milliards de dollars depuis le 7 octobre 2023, ne fermeront pas le robinet – pourtant la seule décision susceptible de mettre fin au génocide.

Comme toujours, Israël accusera le Hamas et les Palestiniens de ne pas avoir respecté l’accord, très probablement en invoquant un refus – réel ou non – de désarmer, comme l'exige l'accord. Washington, en condamnant cette prétendue violation du Hamas, donnera le feu vert à Israël pour reprendre son offensive dans le but de concrétiser le fantasme de Trump, celui d'une « Riviera à Gaza » et d'une « zone économique spéciale » avec la « relocalisation volontaire » des Palestiniens en échange de jetons numériques [Un plan de l’administration Trump prévoirait une prise de contrôle de Gaza par les États-Unis et l’attribution de tokens numériques aux Palestiniens en échange de leurs terres, ndlr].

De tous les plans de paix proposés depuis des décennies, celui-ci est le plus creux. À part une exigence imposant au Hamas de libérer les otages dans les 72 heures suivant le début du cessez-le-feu, il ne contient ni précisions ni calendrier contraignant. Il regorge de clauses permettant à Israël de rompre l'accord à tout moment. Et c'est bien là le but : Il n'est pas conçu pour instaurer la paix, ce que la plupart des dirigeants israéliens ont bien comprisLe principal quotidien du pays, Israel Hayom, créé par le magnat des casinos Sheldon Adelson pour servir de relais à Benjamin Netanyahou et au sionisme messianique, a d’ailleurs assuré à ses lecteurs qu’il ne fallait pas s’inquiéter du « plan Trump », car ce n’était que de la « rhétorique ».

Le texte précise par exemple qu’Israël « ne reviendra pas dans les zones évacuées tant que le Hamas respectera pleinement l’accord ». Mais qui décidera si le Hamas « l’a pleinement respecté » ? Israël. Et qui peut croire à la bonne foi d’Israël ? Peut-on faire confiance à la puissance occupante pour arbitrer objectivement l’accord ? Et si le Hamas conteste quelque chose, quelqu’un l’écoutera-t-il ?

Comment un plan de paix peut-il ignorer l’avis rendu en juillet 2024 par la Cour internationale de justice, qui a réaffirmé que l’occupation israélienne est illégale et doit cesser ?

Comment peut-il passer sous silence le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ?

Pourquoi les Palestiniens, qui ont le droit de mener une lutte armée contre une puissance occupante en vertu du droit international, sont-ils censés désarmer alors qu'Israël, la force d'occupation illégale, n'est pas tenue de le faire ?

Au nom de quelle légitimité les États-Unis peuvent-ils établir un « gouvernement transitoire temporaire » – le fameux « Conseil de la paix » de Trump et Tony Blair – en niant le droit des Palestiniens à décider eux-mêmes de leur avenir ?

Qui a autorisé les États-Unis à envoyer à Gaza une « force internationale de stabilisation », terme poli pour désigner une « armée d’occupation étrangère » ?

Comment les Palestiniens pourraient-ils se résigner à accepter une « barrière de sécurité » israélienne le long des frontières de Gaza, signe que l’occupation se poursuivra ?

Et comment ignorer le génocide au ralenti et l’annexion en cours de la Cisjordanie ?

Pourquoi Israël, qui a réduit Gaza à l’état de cendres, n’est-il pas tenu de verser des réparations ?

Comment les Palestiniens doivent-ils interpréter cette exigence d’une population de Gaza « déradicalisée » ? Comment cela est-il censé se produire ? Par la mise en place de camps de rééducation ? Par une censure généralisée ? Par la réécriture des manuels scolaires ? Par l'arrestation dans les mosquées des imams « indésirables » ?

Et que dire de la rhétorique provocatrice régulièrement employée par les dirigeants israéliens, qui décrivent les Palestiniens comme des « animaux humains » et leurs enfants comme des « petits serpents » ? « Toute la population de Gaza et tous ses enfants devraient mourir de faim », a déclaré le rabbin israélien Ronen Shaulov :

« Je n'ai aucune pitié pour ceux qui, dans quelques années, grandiront et n'auront aucune pitié pour nous. Seule une cinquième colonne débile, qui a Israël en horreur, éprouve de la pitié pour de futurs terroristes, même si aujourd'hui ils sont encore jeunes et affamés. J’espère qu’ils mourront de faim, et si quiconque a un problème avec ça, c'est son problème. »

Les violations israéliennes des accords de paix ne datent pas d’hier.

Les accords de Camp David, signés en 1978 entre le président égyptien Anouar el-Sadate et le Premier ministre israélien Menahem Begin – sans la participation de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) – ont conduit au traité de paix Israël–Égypte de 1979, qui a normalisé les relations diplomatiques entre Israël et l'Égypte.

Mais les étapes suivantes, à savoir la promesse d'Israël de résoudre la question palestinienne de concert avec la Jordanie et l’Égypte, de permettre l'autonomie palestinienne en Cisjordanie et à Gaza dans un délai de cinq ans, et de mettre fi à la construction de colonies israéliennes en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, n’ont jamais été appliquées.

Les accords d'Oslo, signés en 1993, ont vu l'OLP reconnaître Israël, et Israël reconnaître l'OLP comme la représentante légitime du peuple palestinien. Cependant, il s'en est suivi une perte de pouvoir de l'OLP et sa transformation en force de police coloniale. Oslo II, signé en 1995, devait mener à un processus de paix et à la création d’un État palestinien. Mais cet accord était lui aussi mort-né.  Il stipulait que toute discussion concernant les « colonies » juives illégales devait être reportée jusqu'aux négociations sur le statut « final ». D'ici là, le retrait militaire israélien de la Cisjordanie occupée devait être achevé. L’autorité devait être transférée à l’Autorité palestinienne temporaire. Au lieu de cela, la Cisjordanie a été découpée en 3 zones : A, B et C. L'Autorité palestinienne disposait d'une autorité limitée dans les zones A et B, tandis qu'Israël contrôlait toute la zone C, soit plus de 60 % de la Cisjordanie.

Le droit au retour des réfugiés palestiniens sur les terres historiques que les colons juifs leur avaient confisquées en 1948 lors de la création d'Israël – un droit inscrit dans le droit international – a été abandonné par le chef de l'OLP, Yasser Arafat. Cette décision a immédiatement provoqué l'hostilité de nombreux Palestiniens, en particulier ceux de Gaza, dont 75 % sont des réfugiés ou des descendants de réfugiés. En conséquence, de nombreux Palestiniens se sont détournés de l'OLP au profit du Hamas. Edward Said a qualifié les accords d'Oslo d'« instrument de capitulation palestinienne, de Versailles palestinien » et a surnommé Arafat le « Pétain des Palestiniens ».

Les retraits militaires israéliens prévus par Oslo n'ont jamais eu lieu. Il y avait environ 250 000 colons en Cisjordanie lors de la signature d’Oslo ; ils sont aujourd’hui au moins 700 000.

Le journaliste Robert Fisk a qualifié Oslo de « fumisterie, de mensonge, de ruse destinée à piéger Arafat et l'OLP dans le renoncement à tout ce pour quoi les Palestiniens avaient lutté pendant un quart de siècle, une stratégie destinée à créer de faux espoirs pour anéantir leur aspiration à la souveraineté ».

Israël a rompu unilatéralement le dernier cessez-le-feu de deux mois le 18 mars de cette année, en lançant des frappes aériennes surprises sur Gaza. Le bureau de Netanyahou a affirmé que la reprise de la campagne militaire était une réponse au refus du Hamas de libérer les otages, à son rejet des propositions visant à prolonger le cessez-le-feu et à ses efforts pour se réarmer. Israël a tué plus de 400 personnes au cours de l'assaut initial de la première nuit et en a blessé plus de 500, massacrant et blessant les gens pendant leur sommeil. L'attaque a fait échouer la deuxième phase de l'accord, laquelle prévoyait que le Hamas libère les derniers otages masculins vivants, tant civils que militaires, en échange de prisonniers palestiniens, de l'instauration d'un cessez-le-feu permanent, et de la levée progressive du blocus israélien à Gaza.

Depuis des décennies, Israël mène des attaques meurtrières contre Gaza, qualifiant cyniquement ces bombardements de « tonte de la pelouse ». Aucun accord de paix ni cessez-le-feu n’a jamais fait obstacle à cela. Celui-ci n’y fera pas exception.

Cette saga sanglante n'est pas terminée. Les objectifs d'Israël demeurent inchangés : la dépossession et l’effacement des Palestiniens de leur terre.

La seule paix qu’Israël entend offrir aux Palestiniens est la paix du tombeau.

Textes traduits et reproduits avec l’autorisation de Chris Hedges.
Source : Scheerpost — 11/10/2025

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