Le déploiement considérable de l'OTAN, non seulement en Europe centrale et orientale, mais aussi au Moyen-Orient, en Amérique latine, en Afrique et en Asie, laisse présager des conflits sans fin et un risque nucléaire toujours plus grand.

Article Démocratie
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publié le 01/08/2022 Par Chris Hedges
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L'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et l'industrie de l'armement qui en dépend pour ses milliards de bénéfices, représentent l'une des alliances militaires les plus agressives et les plus dangereuses de la planète. Créée en 1949 pour contrecarrer l'implantation soviétique en Europe centrale et orientale, elle s'est transformée en une machine de guerre mondiale en Europe, au Moyen-Orient, en Amérique latine, en Afrique et en Asie.

L'OTAN a étendu son emprise, en incorporant 14 pays d'Europe centrale et orientale dans l'alliance, et ce faisant, a violé les promesses faites à Moscou une fois la Guerre froide terminée. Elle ajoutera bientôt la Finlande et la Suède qui étaient restées neutres depuis des décennies. Elle a bombardé la Bosnie, la Serbie et le Kosovo. Elle a lancé des guerres en Afghanistan, en Irak, en Syrie et en Libye, faisant près d'un million de morts et chassant quelque 38 millions de personnes de chez elles. Elle est en train de construire une présence militaire en Afrique et en Asie. Elle a invité l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud, les « Quatre de l'Asie-Pacifique », à son récent sommet de Madrid fin juin. Elle a étendu son champ d'action à l'hémisphère sud, en signant en décembre 2021, avec la Colombie, un accord de partenariat à des fins de formation militaire.

Elle a soutenu la Turquie, qui possède la deuxième plus grande armée de l'OTAN et qui a illégalement envahi et occupé des régions de la Syrie et de l'Irak. Les milices soutenues par la Turquie se livrent au nettoyage ethnique des Kurdes syriens et d'autres habitants du nord et de l'est de la Syrie. L'armée turque a été accusée de crimes de guerre notamment de multiples frappes aériennes contre un camp de réfugiés et l'utilisation d'armes chimiques dans le nord de l'Irak. En échange de l'autorisation du président Recep Tayyip Erdoğan quant à l'intégration de la Finlande et de la Suède dans l'OTAN, les deux pays nordiques ont accepté d'élargir leurs lois nationales sur le terrorisme (ce qui facilitera la répression des militants kurdes et autres), de lever leurs restrictions sur la vente d'armes à la Turquie et de refuser tout soutien au mouvement d'autonomie démocratique dirigé par les Kurdes en Syrie.

Quel bilan pour une alliance militaire qui, avec l'effondrement de l'Union soviétique, est devenue obsolète et aurait dû être démantelée ! Mais l'OTAN et les militaristes n'ont aucunement eu l'intention de profiter des « dividendes de la paix », de faire émerger un monde qui reposerait sur la diplomatie, le respect des sphères d'influence et la coopération mutuelle. Dans son rapport OTAN 2030 : Unis pour une nouvelle ère, l'organisation détaille son avenir, décrit comme une course à l'hégémonie avec des États rivaux, en particulier la Chine, et appelle par conséquent à se tenir prêt face à un conflit mondial de longue durée. « Le programme stratégique de la Chine se mondialise de plus en plus, grâce à son poids économique et militaire », prévient le rapport :

« [La Chine] a démontré sa capacité à recourir à la force contre ses voisins, ainsi qu'à la coercition économique et à une diplomatie intimidatrice, bien au-delà de la région indo-pacifique. Au cours de la prochaine décennie, il est fort probable que la Chine mette aussi au défi la capacité de l'OTAN à renforcer la résilience collective, à sauvegarder les infrastructures critiques, à faire face aux technologies nouvelles et émergentes comme la 5G et à protéger les secteurs sensibles de l'économie, notamment les chaînes d'approvisionnement. À plus long terme, il est de plus en plus probable que la Chine déploie sa puissance militaire à l'échelle mondiale, y compris éventuellement dans la zone euro-atlantique. »

L'alliance s'est éloignée de la stratégie à l’œuvre lors de la Guerre froide, qui consistait à s'assurer que Washington était plus proche de Moscou et de Pékin que Moscou et Pékin ne l'étaient l'un de l'autre. L'antagonisme des États-Unis et de l'OTAN a fait de la Russie et de la Chine des alliés proches. La Russie, riche en ressources naturelles, notamment en énergie, en minéraux et en céréales, et la Chine, mastodonte industriel et technologique, forment une puissante entité. L'OTAN ne fait plus de distinction entre les deux, annonçant récemment que le « partenariat stratégique croissant » entre la Russie et la Chine a donné lieu à « des efforts qui se renforcent réciproquement pour saper l'ordre international fondé sur des règles et qui vont à l'encontre de nos valeurs et de nos intérêts ».

Together We Are Wrong - @Mr.Fish

Le 6 juillet, Christopher Wray, directeur du FBI, et Ken McCallum, directeur général du MI5 britannique, ont tenu une conférence de presse conjointe à Londres pour annoncer que la Chine était « la plus grande menace à long terme pour notre sécurité économique et nationale ». Ils ont accusé la Chine, tout autant que la Russie, de s'être rendues coupables d'ingérence dans les élections américaines et britanniques. Wray a averti les chefs d'entreprise face à lui que le gouvernement chinois était « déterminé à vous voler votre technologie, tout ce qui fait le succès de votre activité, et à l'utiliser pour concurrencer votre compétitivité et contrôler votre marché ». Cette rhétorique belliqueuse présage un avenir sombre et inquiétant.

On ne peut pas parler de guerre sans parler de marchés. L'agitation politique et sociale aux États-Unis, associée à la diminution de la puissance économique du pays, a conduit les Américains à considérer l'OTAN et sa machine de guerre comme un antidote à leur déclin.

Washington et ses alliés européens sont terrifiés par l'initiative "Belt and Road" (BRI - Nouvelle route de la soie) de la Chine, d'un montant de mille milliards de dollars, qui consiste à relier un bloc économique d'environ 70 nations échappant au contrôle des États-Unis. L'initiative prévoit la construction de lignes ferroviaires, de routes et de gazoducs qui seront rattachés à la Russie. D'ici 2027, Pékin devrait consacrer 1 300 milliards de dollars à cette Nouvelle Route de la Soie. La Chine, qui est en passe de devenir la première économie mondiale dans la décennie, a lancé un Partenariat Économique Régional Global (Regional Comprehensive Economic Partnership), soit le plus grand accord commercial au monde, qui regroupe 15 nations d'Asie de l'Est et du Pacifique représentant 30 % du commerce mondial. À elle seule, la Chine représente déjà 28,7 % de la production industrielle mondiale, soit près du double des 16,8 % des États-Unis.

L'année dernière, le taux de croissance de la Chine a atteint le chiffre impressionnant de 8,1 %, bien qu'il soit descendu à 5 % cette année. En comparaison, le taux de croissance des États-Unis en 2021 était de 5,7 % - son plus haut niveau depuis 1984 - mais la Réserve fédérale de New York prévoit un passage sous la barre des 1 % cette année.

Si la Chine, la Russie, l'Iran, l'Inde et d'autres nations se libèrent tôt ou tard du dollar américain - en tant que monnaie de réserve mondiale - et de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT), cela déclenchera une chute spectaculaire de la valeur du dollar et un effondrement financier aux États-Unis. Les immenses dépenses militaires, qui ont porté la dette américaine à 30 000 milliards de dollars, soit 6 000 milliards de plus que le PIB total des États-Unis, deviendront intenables. Le remboursement de cette dette s'élève à 300 milliards de dollars par an. Nous avons dépensé plus pour l'armée en 2021 (801 milliards de dollars, soit 38 % du total des dépenses militaires mondiales), que les neuf pays qui suivent dans le classement, dont la Chine et la Russie, réunis. En perdant leur statut de monnaie de réserve mondiale, les États-Unis devront réduire leurs dépenses, fermer un grand nombre de leurs 800 bases militaires à l'étranger et faire face aux inévitables bouleversements sociaux et politiques provoqués par l'effondrement économique. Il est sombrement ironique que ce soit l'OTAN qui ait accéléré cette éventualité.

Aux yeux des stratèges de l'OTAN, la Russie est une puissance à contenir. L'OTAN a fourni plus de 8 milliards de dollars d'aide militaire à l'Ukraine, tandis que les États-Unis y ont engagé près de 54 milliards de dollars en aide tant militaire qu'humanitaire. La Chine, cependant, reste l'ennemi principal. Incapables de rivaliser sur le plan économique, les États-Unis et l'OTAN se sont tournés vers le registre militaire pour paralyser leur concurrent mondial.

La même danse de mort se joue avec la Chine au sujet de Taïwan (que la Chine considère comme une partie du territoire chinois) et avec l'expansion de l'OTAN en Asie-Pacifique. La Chine fait voler des avions de chasse dans la zone de défense aérienne de Taïwan et les États-Unis envoient des navires de guerre dans le détroit de Taïwan (ou détroit de Formose), qui relie les mers de Chine méridionale et orientale. En mai dernier, le secrétaire d'État Antony Blinken a qualifié la Chine de plus grave défi à long terme posé à l'ordre international, citant les revendications de cette dernière sur Taïwan et ses efforts pour dominer la mer de Chine méridionale. La présidente taïwanaise a quant à elle récemment posé avec un lance-roquettes antichar sur une photo diffusée par le gouvernement.

Le conflit en Ukraine a en quelque sorte été une aubaine pour l'industrie de l'armement qui, compte tenu du retrait humiliant d'Afghanistan, était en manque de nouveaux conflits. Le cours des actions de Lockheed Martin a augmenté de 12 %. Northrop Grumman est en hausse de 20 %. La guerre permet à l'OTAN d'accroître sa présence militaire en Europe centrale et orientale. Les États-Unis sont en train de construire une base militaire permanente en Pologne. La force de réaction de l'OTAN, forte de 40 000 hommes, est en voie d'être portée à 300 000 hommes.

Le conflit avec la Russie, cependant, se retourne déjà contre cette dernière. Le rouble a atteint son plus haut niveau depuis sept ans par rapport au dollar. L'Europe est en passe de connaître une récession en raison de la hausse des prix du pétrole et du gaz, et de la fin des approvisionnements énergétiques venant de Russie. En raison des sanctions occidentales, la privation de blé, d'engrais, de gaz et de pétrole russes entraîne des turbulences sur les marchés mondiaux ainsi qu'une crise humanitaire en Afrique et au Moyen-Orient. La flambée des prix des denrées alimentaires et de l'énergie, ainsi que les pénuries et l'inflation paralysante, entraînent non seulement la misère et la famine, mais aussi des bouleversements sociaux et une instabilité politique. L'urgence climatique, seule véritable menace existentielle, est occultée au profit des dieux de la guerre.

Les fauteurs de guerre font preuve d'une effrayante désinvolture à l'égard de la menace nucléaire. Poutine a prévenu les pays de l'OTAN qu'ils « devront faire face à des conséquences bien plus importantes que tout ce qu'ils ont connu au cours de l'Histoire » s'ils interviennent directement en Ukraine, et a donné l'ordre de placer les forces nucléaires russes en état d'alerte renforcée. La proximité entre la Russie et les armes nucléaires américaines déployées en Belgique, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie implique que tout conflit nucléaire anéantirait une grande partie de l'Europe. La Russie et les États-Unis contrôlent environ 90 % des ogives nucléaires du monde, avec environ 4 000 ogives chacun dans leurs stocks militaires, selon la Federation of American Scientists.

Le président Joe Biden a avertit que l'utilisation d'armes nucléaires en Ukraine serait « totalement inacceptable » et « entraînerait de graves conséquences », sans préciser lesquelles. C'est ce que les stratèges américains appellent « l'ambiguïté délibérée ».

L'armée américaine, après ses fiascos au Moyen-Orient, a délaissé la lutte contre le terrorisme et la guerre asymétrique pour se concentrer sur la confrontation avec la Chine et la Russie. En 2016, l'équipe de sécurité nationale du président Barack Obama a procédé à une simulation de guerre au cours de laquelle la Russie envahissait un pays balte membre de l'OTAN et utilisait une arme nucléaire tactique à faible rayon d'action contre l'alliance atlantique. Les responsables d'Obama étaient divisés quant à la façon de réagir.

« Le dénommé Comité principal du Conseil national de sécurité - comprenant des hauts fonctionnaires du Cabinet et des membres du Conseil d'état-major interarmées - a décrété que les États-Unis n'avaient d'autre choix que de riposter en ayant recours à des armes nucléaires », écrit Éric Schlosser dans The Atlantic :

« Selon le Comité, tout autre type de réponse montrerait un manque de détermination, nuirait à la crédibilité américaine et affaiblirait l'alliance de l'OTAN. Choisir une cible nucléaire appropriée s'est toutefois avéré difficile. Frapper la force d'invasion de la Russie tuerait des civils innocents dans un pays de l'OTAN. Frapper des cibles au sein du territoire de la Russie risquerait de faire dégénérer le conflit et de déclencher une guerre nucléaire totale. En fin de compte, le comité principal du NSC a recommandé une attaque nucléaire contre la Biélorussie, une nation qui n'avait joué aucun rôle dans l'invasion de l'allié de l'OTAN mais qui par malchance s'avérait être un allié malheureux de la Russie. »

Selon le New York Times, l'administration Biden a formé une équipe de choc composée de responsables de la sécurité nationale pour se livrer à des simulations de guerre afin de déterminer ce qu'il convient de faire si la Russie utilise une arme nucléaire. La menace de guerre nucléaire est minimisée dans les discussions par l'utilisation de la dénomination d' « armes nucléaires tactiques », comme si, en quelque sorte, des explosions nucléaires moins puissantes pouvaient être plus acceptables et ne conduiraient pas à l'emploi de plus grosses bombes.

À aucun moment, y compris lors de la crise des missiles cubains, nous n'avons été aussi proches du gouffre de la guerre nucléaire. « Une des simulations qui a été envisagée par des experts de l'université de Princeton commence par un tir d'avertissement nucléaire de Moscou ; l'OTAN y répond par une frappe de petite ampleur, et la guerre qui s'ensuit fait plus de 90 millions de victimes au cours de ses toutes premières heures », rapporte le New York Times.

Plus la guerre en Ukraine se prolonge — et les États-Unis et l'OTAN semblent déterminés à injecter des milliards de dollars d'armes dans le conflit pendant des mois, voire des années plus l'impensable devient pensable. Flirter avec l'Armageddon pour enrichir l'industrie de l'armement et mener à bien la quête futile de reconquête de l'hégémonie mondiale des États-Unis est au mieux extrêmement imprudent et au pire complètement démentiel.

Texte traduit et reproduit avec l'autorisation de Chris Hedges
Source : Scheerpost - 11/07/2022

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