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La balance des paiements de la France connaît un déficit historique malgré certaines forces de l'économie française que sont le commerce des services et les revenus reçus de l'étranger. Les difficultés énergétiques de 2022 ont conduit l’État à s’endetter encore plus auprès de l’étranger, ce qui à fait exploser notre dette extérieure. L’État français doit désormais près de 1 500 milliards d'euros à l’étranger, créant une situation très dangereuse pour notre souveraineté.

publié le 27/07/2023 Par Olivier Berruyer

Nous avons récemment étudié la balance commerciale française, dont le déficit 2022 a frôlé le record à peine croyable de 200 milliards d'euros (Md€). Cependant, pour comprendre les problèmes de paiements qu’un tel déficit impose, il convient d’élargir le spectre d’analyse, en nous intéressant à la balance des paiements de la France.

Historiquement, les États-nations ont d’abord affirmé leur existence en définissant leurs limites géographiques et donc économiques : pas de frontière = pas d’État. Comme les paiements internationaux s’effectuaient en or, les économistes des XVIe et XVIIe siècles considéraient qu’une nation s’enrichissait lorsqu’elle accumulait des métaux précieux à l’intérieur de ses frontières. Ils s’intéressaient donc de très près aux flux avec l’extérieur, beaucoup plus qu’à la production de richesses à l’intérieur du pays.

La notion de balance des paiements apparaît dès le début du XIXe siècle, plus d’un siècle avant la comptabilité nationale et le PIB. Plus ancien document statistique à caractère macroéconomique, elle présente l’ensemble des opérations entre une économie et le reste du monde durant une période donnée. Elle ne comptabilise pas des stocks, mais des flux transfrontaliers : ceux de marchandises, de services, de revenus et de capitaux qui ont affecté le patrimoine des résidents (entreprises et personnes physiques).

La balance des paiements

Comme elle recense toutes les opérations avec l’étranger, une représentation classique de la balance des paiements additionne 3 éléments :

  • la balance des transactions courantes (ou balance courante), qui correspond à la partie « réelle », non financière de la balance. Elle additionne la balance commerciale (commerce de biens physiques), celle des services, celle des revenus primaires (du travail, du capital, etc.) et celle des revenus secondaires (transferts courants sans contrepartie, tels les dons ou les impôts sur les non-résidents) ;
  • le compte de capital, qui recense les transferts en capital, c’est-à-dire les opérations avec un transfert de propriété sans contrepartie (telles les remises de dettes, les subventions ou les aides au développement). Ce compte additionné à la balance courante forme le compte non-financier. Son solde est parfois appelé « solde de la balance des paiements » ;
  • le compte des opérations financières, qui mesure l’évolution des avoirs et des engagements. Il se décompose en cinq postes : les investissements directs (dans une entreprise ou l’immobilier), les investissements de portefeuille (opérations sur titres tels que les actions ou obligations), les instruments financiers dérivés (utilisés par les banques), les autres investissements (dont les prêts) et les avoirs de réserve (DTS du FMI, or et autres devises).

Le compte non-financier est égal au compte financier par construction. En effet, quand on importe 100 € de biens, on creuse le déficit courant de 100. Mais au niveau financier, on a bien envoyé 100 € de monnaie à l’étranger, donc les comptes en banques en France ont diminué de 100 €, ce qui creuse le compte financier d’autant.

Si l'on étudie la balance des paiements de la France pour 2022 (qui a été établie par la Banque de France), on remarque que la partie non financière présente un solde négatif de -43 Md€ (-54 Md€ de transactions courantes + 11 Md€ de transferts de capitaux), alors que le solde financier est quant à lui de -58 Md€.

Un excédent historique du commerce international de services

La balance commerciale française représente plus de 50 % des recettes et dépenses de notre balance des paiements. Dit autrement, le commerce de biens représente plus de la moitié de nos opérations économiques avec le reste du monde. Son solde a atteint le record historique de -137 Md€ (et même -162 Md€ hors négoce). C’est une conséquence de la large désindustrialisation de notre pays et, en 2022, de l’explosion de la facture énergétique.

Cependant, la balance commerciale ne concerne pas que les biens, mais aussi les service (autrefois appelée « balance des invisibles »). Et sur ce poste, notre pays est beaucoup plus compétitif, puisqu’il affiche un excédent commercial des services de +52 Md€, nouveau record historique, néanmoins très insuffisant pour espérer compenser le gouffre de notre déficit commercial des biens.

Cet excellent résultat est en grande partie lié à l’explosion des tarifs du fret maritime en 2022, qui a largement bénéficié à la CMA-CGM. Son chiffre d’affaires 2022 a été de 75 Md€, en hausse d’un tiers par rapport à 2021. L’incroyable résultat de 25 Md€ est une belle illustration des surprofits réalisés par les profiteurs de crise : les clients ont payé à l’évidence leur fret de 10 % à 20 % trop cher, surcoût évidemment refacturé au consommateur en alimentant l’inflation.

Le tourisme a été la deuxième source d’excédent des services de la France, après le fret maritime. Comme ce dernier est exceptionnel depuis deux ans, sur longue période, le tourisme constitue environ les deux tiers de l’excédent du commerce des services français.

Le tourisme a certes dramatiquement souffert de la crise du Covid, mais en 2022, la France a retrouvé sa place de première destination touristique au monde, talonnée par l’Espagne. Ce mouvement très positif pour l'économie de notre pays (moins pour les conséquences du tourisme de masse) n’a pratiquement pas cessé de croître depuis le début de cette activité dans les années 1970.

Tous services confondus, la France réalise ces excellents résultats principalement avec les États-Unis (près de 16 Md€ d’excédent), la Belgique, la Chine et l’Angleterre. Elle reste fortement déficitaire avec l’Irlande, l’Allemagne et le Portugal.

Ces très bons résultats s’observent facilement si on analyse la situation par partenaire commercial, en représentant les exportations et les importations sur deux axes (la taille des bulles est proportionnelle à la taille des soldes commerciaux).

Les effets de la mondialisation sautent aux yeux : le commerce international de service représente désormais plus de 10 % du PIB, contre 5 % dans les années 1980 et 2 % dans les années 1960.

La France présente un excédent commercial des services depuis un demi-siècle, représentant en moyenne 1 % du PIB. Il a atteint le double en 2022, en raison de la crise énergétique (surtout grâce au transport de fret maritime).

Malgré tout, un déficit historique du commerce extérieur

Certes, le commerce des services aide à compenser financièrement les déficits du commerce des biens qui s’aggravent année après année depuis 20 ans. Cependant, le déficit commercial global a malgré tout atteint le niveau record de 3 % du PIB, ce qui fragilise l’indépendance de notre pays.

La balance des paiements vise à recenser toutes les opérations avec l’étranger. Le commerce international de biens et services représente 80 % de nos échanges non-financiers avec l’étranger. Les échanges de revenus en représentent 19 %. Ils se sont fortement développés avec la mondialisation financière qui s’est développée à la fin des années 1990.

Depuis lors, le solde des revenus primaires (perçus directement du travail, du capital…) a fortement augmenté, atteignant 3 % du PIB, ponctionné sur l’étranger. L’excédent record en 2022 de 77 Md€ a été principalement généré par 30 Md€ de rémunérations de salariés (travailleurs frontaliers, en particulier des 210 000 exerçant en Suisse) et 38 Md€ de dividendes nets perçus de l’étranger. Les intérêts payés à des étrangers sur la dette publique indexée sur l’inflation ont pesé négativement pour 5 Md€.

Le solde des revenus secondaires (transferts courants entre résidents et non-résidents sans contrepartie) a également fortement augmenté, et représente désormais une perte de 2 % du PIB. Le déficit de 45 Md€ est largement attribuable à notre financement de l’Union européenne (25 Md€) et aux 13 Md€ d’envois de fonds à l’étranger par des travailleurs migrants.

Signalons également que le compte de capital est bénéficiaire de 10 Md€ en 2022. Il est très peu important en France, et fluctue en général autour de ±0,1 % du PIB.

En conséquence, un déficit historique de la balance courante

Les chiffres du commerce international et des revenus primaires et secondaires permettent de déterminer la balance des transactions courantes. Elle a atteint en 2022 un déficit historique de 54 Md€. Cela représente 2 % du PIB, un niveau inconnu depuis les pires niveaux des années 1950 (à l’exception de 1982).

Ce lourd déficit est principalement causé par le déficit du commerce de biens, plombé par la facture énergétique qui a augmenté de 70 Md€, pour atteindre 115 Md€. Le coût causé par l’indisponibilité du parc nucléaire en 2022 a été de 16 Md€.

La dette publique, source principale du financement du déficit commercial

Ainsi, en 2022, il a manqué à la France près de 45 Md€, environ 2 % de son PIB, correspondant à la somme de la balance courante et du compte de capital. C’est donc l’étranger qui a investi cette somme dans notre pays. C’est en analysant le compte financier que l'on comprend comment notre déficit courant a été financé.

Ce compte se compose de cinq éléments. Le premier est celui des investissements directs, c’est-à-dire, en simplifiant, les achats ou ventes de plus de 10 % du capital d’une entreprise. La valeur nette de 11 Md€ en 2022 montre que les Français ont racheté plus d’entreprises étrangères que ce que les étrangers ont acheté d’entreprises françaises. C’est positif en soi, mais cela constitue donc une sortie financière qui accentue le problème de besoin de capitaux en 2022. Cela fait bientôt un demi-siècle que la France à un excédent d’investissements directs, le record ayant été atteint durant la bulle Internet de 2000.

Sans surprise, on retrouve les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie ou la Chine dans le top 10 des destinations des investissements français. Il est en revanche beaucoup plus surprenant d’y retrouver des paradis fiscaux tels que Singapour, l’Irlande, les Bermudes ou le Luxembourg, signe que beaucoup de ces investissements sont certainement liés à de l’évasion et à de la fraude fiscale. On note un important désinvestissement français de Suisse et de Hong-kong, probablement relocalisés dans des paradis fiscaux désormais plus accueillants.

Du côté des investissements étrangers en France, l’Allemagne, le Luxembourg et le Royaume-Uni sont sur le podium, alors que les investisseurs suisses ont rapatrié 5 Md€ d’investissements.

Le deuxième poste du compte financier est celui des investissements de portefeuille, c’est-à-dire principalement les achats d’actions et d’obligations. C’est un poste majeur, car, avec près de 120 Md€ de valeur nette, c’est ce poste qui a principalement financé le besoin de financement issu du gouffre de la balance courante. Ces investissements étrangers ont principalement consisté dans le prêt supplémentaire à l’État français de 130 Md€ à long terme, via l’achat d’obligations du Trésor, portant le total des prêts d’étrangers au seul État français à près de 1 000 Md€. En pratique, la dette publique a largement comblé le trou de la balance courante causé par l’explosion de la facture énergétique.

Sur longue période, on note bien l’explosion de ces flux d’investissements à partir du milieu des années 1990, avec le développement de la mondialisation financière. Ils ont largement financé les énormes besoins liés à la crise de 2008 et, donc, de 2022.

Les trois derniers éléments du compte financier jouent un rôle moins important. Les produits dérivés (instruments financiers essentiellement spéculatifs) des banques ont apporté 41 Md€ de capitaux, mais les autres investissements (dépôts, crédits commerciaux, prêts…) en ont retranché 90 Md€. Les 2 Md€ d’avoirs de réserve de plus sont négligeables.

Le compte financier présente au final un déficit de -58 Md€, correspondant aux entrées d’argent ayant servi à financer le déficit du compte non-financier, qui apparaît à -43 Md€ (-54 de balance courante et +11 de compte de capital). Il y a donc un manque de +15 Md€ en 2022, qu’il faut rajouter dans un poste « erreurs et omissions » pour équilibrer la balance, ce qui est considérable.

On constate de tels soldes d’erreurs dans la plupart des grands pays et durant la plupart des années, car le compte financier est inférieur au compte non-financier. Ceci se comprend assez bien : comme on connait les sommes déposées en France par des étrangers, ce phénomène est en grande partie dû aux transferts financiers non bancaires de résidents français à l’étranger, essentiellement liés à l’économie souterraine et à la fraude fiscale, qui ne sont évidemment pas officiellement comptabilisés.

La position extérieure de la France se redresse

La balance des paiements mesure donc les différents flux transfrontaliers durant une année, et en particulier du compte financier. Ce dernier, qui mesure donc un flux, se complète d’un tableau appelé « position extérieure », qui représente le stock total d’avoirs financiers que les Français possèdent à l’étranger et que les étrangers possèdent sur la France. En 2022, cette position présente un déficit de 629 Md€, que les étrangers ont donc investi, au total et en net, en France.

La position extérieure de notre pays est évidemment lourdement handicapée par la dette publique, dont 1 335 Md€ sont détenus par des étrangers.

Sur longue période, on observe la très forte croissance de ces engagements transnationaux, en raison de la mondialisation financière. Ils représentent désormais plus de 3 fois le PIB, soit 8 400 Md€ pour les créances françaises et 9 000 Md€ pour les dettes – soit environ 300 000 € par ménage français.

La position extérieure (le solde entre les créances et les engagements) est donc négative d’environ 630 Md€ en 2022, contre 810 Md€ en 2021. L’amélioration observée semble étonnante, puisque la balance des paiements non financière est déficitaire d’une quarantaine de milliards d'euros.

En réalité, cette amélioration est relativement fictive, car elle est principalement causée par un bénéfice comptable de 220 Md€ de dépréciation des obligations publiques. En effet, il a été décidé de comptabiliser les obligations publiques en « valeur de marché », c’est-à-dire au prix qu’elles vaudraient en cas de revente immédiate. Or, cette valeur évolue dans le sens inverse de l’inflation, ce qui est logique : une obligation achetée il y a 2 ans, de rémunération 1 % durant 10 ans, vaut sur le marché aujourd’hui moins cher qu’une obligation actuelle de rémunération 3 % durant 10 ans. C’est cette dépréciation qui apparait dans les comptes. C’est un effet étrange, car l’engagement du gouvernement sur ces titres de dette n’a strictement pas changé.

Enfin, si on retire de la position extérieure tout ce qui n’est pas un instrument de dette (comme les instruments financiers dérivés, le capital social ou les bénéfices réinvestis), on obtient alors la dette extérieure nette, qui est de 1 150 Md€, soit 44 % du PIB.

C’est un solde net, à savoir la différence entre les prêts accordés et les prêts souscrits. La dette extérieure brute, c’est-à-dire la somme totale des prêts souscrits par des résidents français envers des non-résidents, est de l’ordre de 6 500 Md€.

La dette extérieure nette (en valeur de marché) est donc un peu inférieure à la dette publique (en valeur faciale) détenue par des prêteurs étrangers. C’est la dette publique qui est la cause principale de notre dette extérieure, et qui oblige donc la France à solliciter l’épargne étrangère.

De 2014 à 2019, la dette publique extérieure n’a plus augmenté, contrairement à la dette extérieure nette. Ce n’est nullement lié à une meilleure gestion des comptes publics : c’est simplement que la Banque centrale a acheté (monétisation) 800 Md€ d’obligations publiques, somme que la France n’a donc pas eu à emprunter à l’étranger. La BCE a enfin cessé cette politique historiquement inflationniste au début de 2022.

Que faut-il retenir ?

En résumé, on a vu que la crise énergétique de 2022 avait frappé de plein fouet le commerce extérieur de biens français, qui souffrait déjà d’une désindustrialisation préoccupante, d’un environnement économique qui favorise les stratégies non coopératives (dumping social, fiscal, politique de compétitivité) et d’une monnaie néfaste qui empêche les rééquilibrages.

Le commerce extérieur de services a aidé à soulager cette perte supplémentaire pour l’économie, grâce à la reprise du tourisme, un des poumons de l’économie française, et aux incroyables surprofits de la CMA-CGM. Cependant, ceci n’a pu compenser qu’une partie du trou commercial, et le commerce extérieur français a connu le pire déficit de son histoire, à -85 Md€. Les revenus nets perçus de l’étranger ont permis de limiter le trou de la balance des transactions courantes à -54 Md€, et les transferts nets de capitaux ont porté le solde non-financier à -43 Md€.

Ce trou a été principalement financé grâce à l’apport de capitaux étrangers qui se sont en particulier portés sur la dette publique, avec près de 130 Md€ de prêts supplémentaire – qui représenteront donc des dizaines de milliards d’intérêts cumulés en plus versés à l’étranger dans les années à venir.

Le déficit de la balance des paiements a donc dégradé la position extérieure du pays. Une règle comptable liée au retour de l’inflation a cependant amélioré cette position par rapport à 2021, le solde net restant négatif d’environ 630 Md€, soit le quart du PIB, que l’étranger a investi en France.

La désindustrialisation de la France (y compris au niveau énergétique) a donc des impacts très lourds qui, conjugués avec le manque de maîtrise des comptes publics, ont fortement fait dépendre le pays de ressources étrangères pour son financement. Les faibles taux d’intérêt ont rendu cette politique indolore. Le retour des taux d’intérêt à des niveaux normaux va désormais poser à l’État de lourds problèmes de financement des intérêts de cette dette, qui ne profiteront même pas à l’économie nationale. Le cercle vicieux du surendettement est enclenché, avec son lot de problèmes de financement et de perte de souveraineté.

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