Alors qu’il était déjà sur une pente haussière, le déficit de l’État américain a connu une hausse spectaculaire lors de la crise sanitaire mondiale, et il semble désormais hors de contrôle, du moins sans un sévère plan d’austérité qui aurait de graves conséquences économiques pour le pays et pour le monde. C’est hélas la triste histoire de tout acteur surendetté, qui pense avoir le contrôle de la situation, avant de se rendre compte, un jour, qu’elle lui a totalement échappé. Une telle prise de conscience risque probablement d’arriver aux États-Unis, dont l’hubris, le néolibéralisme et la polarisation politique les ont poussés à abandonner une gestion saine de leurs finances. On vous explique tout.

publié le 25/01/2024 Par Olivier Berruyer

1- Analyse du budget fédéral américain
2- Une économie dopée au déficit public
3- L'échec du frein législatif à l'endettement
4- Les intérêts de la dette
5- La terreur face aux agences de notation
Ce qu'il faut retenir


Les finances publiques des États-Unis jouent un rôle central dans l’équilibre financier planétaire. Le dollar reste de loin la monnaie la plus utilisée dans les transactions internationales, et les États-Unis connaissent depuis des décennies un gigantesque déficit de leur balance commerciale (plus de 700 milliards de dollars en 2023).

Cela signifie qu’ils financent leur mode de vie en payant avec des dollars qu’ils impriment, et qui s’accumulent à l’étranger. En retour, une partie de ces dollars reviennent dans le pays et servent à acheter de la dette publique américaine, afin d’être placés en sécurité et contre rémunération. Sans la dette publique, ces dollars resteraient à l’étranger et pourraient même financer des pays concurrents. Pour bien comprendre la dette des États-Unis, commençons par analyser le budget public américain.

Un budget fédéral dominé par les dépenses militaires et de Sécurité sociale

Contrairement à une idée reçue, les deux tiers des dépenses du budget fédéral américain sont consacrés à des dépenses de Sécurité sociale, dont environ 25 % pour des dépenses de retraite et 25 % pour des dépenses de santé. Mais comme le budget fédéral ne représente que 25 % du PIB, ces dépenses restent faibles comparées au niveau de dépenses publiques européennes (voir notre analyse des dépenses publiques en France). Et elles ne concernent pas tous les Américains, mais principalement les plus pauvres. Les États-Unis financent une large part de ces dépenses soit par des assurances privées, soit, bien pire, par du reste à charge pour les ménages, ce qui explique l’incroyable nombre de 500 000 Américains ruinés tous les ans par une maladie.

La deuxième chose frappante est le poids des dépenses militaires, qui représentent 13 % du budget et plus de 3 % du PIB (contre 2 % en France). Les intérêts de la dette sont désormais le troisième poste budgétaire, et toutes les autres dépenses (Éducation, Sécurité, Justice…) ne représentent qu’un peu plus de 10 % du budget. Les Américains doivent alors se débrouiller avec le secteur privé et son coût souvent prohibitif.

Les recettes, qui n’ont représenté en 2023 que 75 % des dépenses, sont constituées pour moitié de l’impôt sur le revenu, pour un tiers de cotisations sociales sur les salaires et pour 10 % d’impôts sur les sociétés. Dans un pays aussi riche que les États-Unis, qui se vante de son libéralisme et d’une égalité des chances, l’impôt sur les successions et les donations ne représente que 0,4 % des recettes, à peine 20 Md$.

Des recettes en baisse, mais des dépenses en hausse

Les dépenses militaires ont été divisées par 3 entre 1960 et 2000, et elles sont restées à ce niveau depuis lors, à l’exception d’un regain limité des dépenses durant la présidence Reagan et celle de Bush fils après le 11 septembre 2001. Les économies générées par ces dividendes de la paix, ainsi que la baisse des taux d’intérêt, ont permis de financer le triplement des dépenses de Sécurité sociale, nécessité par le vieillissement de la population. Les dépenses totales de l’État ont au final nettement augmenté en 60 ans, passant de 18 % à 25 % du PIB.

Au niveau de l’évolution des recettes, on observe une relative stabilité de l’impôt sur le revenu, une forte baisse de l’impôt sur les sociétés et des taxes sur les produits, compensés par un triplement des cotisations sociales sur les salaires. Les recettes totales de l’État ont peu varié en 60 ans, passant de 17 % à 18 % du PIB, avec cependant un épisode de forte baisse entre 2001 et 2019, en raison de la forte baisse de l’impôt sur le revenu. Plus marginalement, on peut souligner que le législateur américain a voté une division par 10 du montant des droits de succession entre 1972 (0,45 %) et 2011 (0,048 %).

Des déficits hors normes

Le néolibéralisme est caractérisé par des politiques budgétaires laxistes, qui diminuent les impôts (surtout des plus riches) et augmentent les dépenses (généralement au bénéfice direct ou indirect des entreprises). Aux États-Unis, ce phénomène a été particulièrement important, avec une divergence de plus en plus marquée entre les recettes et les dépenses.

Cette politique a logiquement entraîné des niveaux de déficit particulièrement importants dans les années 1980 et surtout depuis 2010. Alors que les déficits n’avaient guère dépassé les 500 milliards de dollars (en monnaie constante 2023, c’est-à-dire corrigée de l’inflation) jusqu’en 2007, le déficit s’est creusé à 2 000 Md$ en 2009, puis à 3 500 Md€ en 2020, et il dépasse toujours les 1 500 Md$ en 2023 et 2024.

On se rend mieux compte de la gestion déplorable des finances publiques si on rapporte le déficit non pas au PIB mais, comme pour tout budget, aux recettes. Le constat est clair : l’État américain dépense toujours, fin 2023, 40 % de plus que le montant des impôts qu’il a perçus.

Une économie américaine dopée au déficit public

Tout ceci représente un énorme soutien artificiel à l’économie de respectivement 10 % du PIB en 2008, 15 % en 2020 et 6 % en 2023 et 2024.

Une puissante propagande alarmiste est fréquemment diffusée dans les grands médias en France sur le fait que les États-Unis ont connu depuis 2009 une croissance plus élevée que l’Europe. Ainsi, en 2023, « l’écart de PIB à prix courant est désormais de 80 % » entre les États-Unis et la zone euro, alors qu’il était presque nul en 2008. Ce qui est vrai. Conclusion de la propagande : à force d’avoir des « capacités entravées », l’Europe et la France seraient « en perdition ». On voit se profiler la conséquence : « vite, de nouvelles réformes néolibérales, les précédentes ont été trop timorées et ça n’a pas marché ! ».

Source : 1, 2, 3, 4

On peut s'étonner pour commencer du manque de recul critique quand l’Europe a ouvert en grand ses frontières aux capitaux et appétits étrangers, et laissé racheter beaucoup de ses fleurons industriels... Mais « qui aurait pu prédire » que la première puissance économique mondiale qui faisait tant de forcing pour que nous abolissions nos droits de douane allait ratatiner nos économies ?

Cependant, ces écarts sont à relativiser, car si la propagande utilise ce chiffre énorme de « 80 % », c’est bien pour manipuler. Une telle comparaison n’a pas de sens, puisqu’elle ne tient pas compte ni des grosses fluctuations entre les monnaies (le renchérissement du dollar, analysé dans cet article, explique une grosse partie de la hausse), ni des écarts d’inflation, ni des évolutions démographiques très différentes entre les deux zones. Bref, un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Si on veut réaliser une comparaison sérieuse, on corrige tous ces effets pour aboutir à un PIB réel en parité de pouvoir d’achat. Avec 65 k$PPA contre 50 k$PPA, soit 35 %, l’écart reste important, mais quand même bien loin de 80 %.

L'écart de PIB était de 25 % en 2008, identique à celui de 2000 et 1990. Il s’est donc accru, mais il n’a pas non plus explosé. Et la raison de ce creusement se comprend très bien : comment s’en étonner quand on constate que le déficit cumulé du seul État fédéral américain a représenté depuis 2009 plus de 100 % du PIB ! C’est autant d’argent « fictif » qui a soutenu l’économie et donc le pouvoir d’achat. Mais il s'agit d'un pouvoir d’achat financé à crédit, qui s’est traduit par une hausse phénoménale de la dette publique, dont le poids est de plus en plus lourd sur l’économie.

Bien sûr, on pourrait se dire « jusqu'ici tout va bien », le système fonctionnant comme cela depuis des décennies, on devrait pouvoir continuer encore un an de plus sans trop de problèmes. C'est ce qui arrive souvent en effet, mais seulement jusqu’au jour où de graves problèmes surgissent. Et il est alors trop tard pour redresser la situation.

D’ailleurs, à rebours des promesses européistes de convergence et d’efficacité (« devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde avant 2010 » – Conseil européen de Lisbonne en 2000), les évolutions ont été fort décevantes et disparates dans la zone euro depuis 2007. Si l’Allemagne a longtemps fait mieux que les États-Unis, l’Espagne et surtout l’Italie ont eu de très faibles performances, la seconde n’ayant toujours pas retrouvé son niveau de PIB par habitant de 2007. La France, quant à elle, a eu une performance très moyenne. C'est encore un effet néfaste de l'euro sur les pays du Sud, mais qui a cependant fortement bénéficié à l'Allemagne, lui permettant d'obtenir des résultats équivalents à ceux des États-Unis sans avoir besoin de soutenir son économie par des déficits massifs.

En ce qui concerne le Royaume-Uni, que la propagande présente toujours comme « en perdition » à cause du Brexit, il s'avère que le PIB par habitant réel anglais est désormais supérieur à celui de la France.

La conséquence de ces fréquents déficits gargantuesques est une dette publique réelle de l’État fédéral en croissance permanente depuis le milieu des années 1980, à partir du moment où le néolibéralisme s’est accaparé l’État à son profit. Elle approche désormais l’incroyable montant de 35 000 Md$.

Depuis 1990, il n’y a même pas eu une seule année où la dette a diminué. Pire, il semble que plus le temps passe, plus l’augmentation de la dette est en hausse.

Toutefois, comme le PIB a énormément augmenté au fil des décennies, il est mieux de représenter la dette en pourcentage du PIB. Avec plus de 125 %, son niveau a largement dépassé celui du pic de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, le néolibéralisme a dépensé beaucoup plus d’argent pour enrichir les plus riches que le libéralisme américain classique n’en avait dépensé pour vaincre Hitler.

Cependant, là encore, la problématique de l’endettement public américain apparaît mieux si on le ramène au montant des recettes : la dette publique représente en effet environ 7 années d’impôts, qui ont donc manqué à l’appel. Ce qui a bien aidé la consommation et donc la croissance – mais au prix d’une forte augmentation des risques de problèmes financiers.

Comme il n'est pas facile de se représenter ce que cela signifie concrètement à titre individuel, on peut le dire autrement : la dette publique se situe à environ 260 000 $ de dette pour chaque ménage américain. Et comme la plupart n’ont guère de patrimoine, il est plus pertinent de la ramener à 2,6 millions de dollars de dette publique (donc d’impôts restant dus) pour chacun des 10 % des ménages les plus riches (c’est-à-dire disposant d’un patrimoine supérieur à 1,6 million de dollars).

L'échec du frein législatif à l’endettement

Conscient du risque que le gouvernement américain se retrouve en situation de défaut sur sa dette, le législateur américain a toujours souhaité contrôler de près l’endettement du gouvernement afin qu’il ne prenne pas l’habitude de financer des dépenses courantes par de la dette plutôt que par de l’impôt. Avant 1917, chaque émission de dette devait avoir été validée par le Congrès. Par la suite, à partir de 1917, le gouvernement est devenu plus libre de s’endetter, mais à condition que les émissions de dette ne dépassent pas un certain plafond défini par la loi (limite apportée au flux), plafond qui est devenu à partir de 1940 une limite absolue à la dette publique totale émise (limite apportée au stock).

Et ce qui devait arriver arriva... À chaque fois qu’un relèvement du plafond a apporté une latitude supplémentaire au gouvernement, celui-ci s’est engouffré dans la brèche de l'endettement pour finir par atteindre de nouveau le plafond, qui devait alors être à nouveau augmenté (en moyenne hors crise de + 5 %). Depuis 1940, plus de 110 modifications du plafond de la dette américaine ont été votées.

Depuis 1974, le Congrès doit impérativement voter le budget dans un délai donné. Cela entraîne de graves problèmes politiques lorsque le Congrès et le Gouvernement ne trouvent pas d’accord, et que la dette atteint un plafond qui tarde à être relevé. L’épreuve de force aboutit alors à un arrêt des activités gouvernementales (« government shutdown ») non essentielles, et beaucoup de fonctionnaires se retrouvent alors au chômage technique. Il y a eu 21 shutdowns depuis 1974, majoritairement inférieurs à 4 jours, mais les plus longs ont duré 33 jours (2018) et 21 jours (1995).

La situation est actuellement très tendue au Congrès, avec de réguliers risques de shutdowns, car le budget pour 2024 n’est toujours pas voté en raison de tensions portant en particulier sur le soutien financier à apporter à l’Ukraine. Au vu des difficultés politiques et pour éviter un long shutdown, en juin 2023, le Congrès a suspendu le plafond de la dette jusqu'en janvier 2025.

Une dette publique parmi les plus élevées au monde

Nous n’avons parlé jusqu’à présent que de l’État fédéral, mais les États-Unis (comme l’Union européenne) disposent de niveaux administratifs inférieurs : les États (Californie), les comtés (Orange county), les municipalités, les villes, les villages… Leur endettement représente environ 15 % du PIB et est orienté à la baisse depuis une dizaine d’années.

En comparaison des grands pays développés, la dette publique américaine (exprimée en proportion du PIB) se situe entre celle de la France et de l’Italie. En 2023, sa valeur de près de 140 % la place au niveau de celle de la Grèce en 2009, quelques années avant que la défiance ne s’installe et pousse le pays dans la débâcle.

Les intérêts de la dette : la source n°1 de la débâcle financière publique

Les histoires de dette croissante finissent mal en général. Et ce, principalement à cause de la problématique des intérêts :

  • comme les dépenses sont supérieures aux recettes, un déficit apparaît ;
  • il nécessite d’emprunter de l’argent, ce qui gonfle une dette ;
  • la dette nécessite de payer des intérêts, donc une dette plus grosse implique normalement plus d’intérêts à payer ;
  • les intérêts représentent une dépense publique, donc une dette plus grosse implique normalement plus de dépenses ;
  • des dépenses plus importantes impliquent un déficit plus important ;
  • et le cycle reprend...

Le gouvernement américain n’arrivait déjà pas à boucler son budget à l’origine ; il y arrivera encore moins en ayant plus d’intérêts à verser. Pire, il devra certainement diminuer ses dépenses hors intérêts pour pouvoir payer les intérêts, ce qui diminuera l’activité économique et donc les recettes, augmentant encore plus le déficit. C’est un cercle vicieux.

Au niveau des États, si la dette publique augmente trop, les marchés financiers vont considérer que leur financement de l’État n’est plus « sans risque », et ils vont donc demander plus d’intérêts, ce qui augmente les déficits et donc la dette, tout en accroissant la défiance. Si les intérêts deviennent trop lourds, les prêteurs risquent alors de prendre peur, et de ne plus prêter du tout, même à des taux très élevés. C’est ce qui est arrivé à l’État grec en 2012 avec pour conséquence le défaut de paiement : l’État ne peut plus rembourser sa dette. Fin de partie pour les prêteurs – leurs prêts sont donc transformés de facto en impôts non remboursables.

Comme les intérêts sont déterminés par le taux d’intérêt fixé par les marchés financiers, ce paramètre joue un rôle central dans la soutenabilité de la dette. Or, 2023 a connu une remontée spectaculaire des taux par la banque centrale, qui ont atteint 5,5 %, et les taux de marché de la dette publique ont donc nettement monté.

Comme la dette roule, elle finit progressivement par être impactée par ses hausses de taux, année après année ; le phénomène a donc déjà commencé, et le taux moyen de la dette est passé en deux ans de 2 % à près de 3 %. Cela semble peu, mais c’est un tiers en plus à payer, et sur 35 000 Md$, cela commence à faire beaucoup de milliards qui vont encore plus déséquilibrer les finances publiques.

Les intérêts versés par le contribuable américain sont déjà passés d’environ 400 Md$ par an à 600 Md$, et le Congrès estime qu’ils devraient atteindre 1 300 Md$ par an en 2030, soit 4 % du PIB. Un tel niveau avait été atteint dans les années 1990, avant de diminuer, mais les perspectives de l’économie américaine, de l’inflation et du niveau de la dette publique ne sont clairement pas les mêmes qu'à l'époque.

En 2030, ce seront ainsi 4 % de la production du pays qui seront reversés par les contribuables aux plus riches, un impôt à l’envers en quelque sorte. Cela représente des montants très élevés : plus de 5 000 $ de dépense annuelle d’intérêts sur la dette pour chaque ménage américain, somme qui devrait bientôt atteindre 10 000 $ – une sorte d'impôt pour rémunérer l’épargne des plus riches, qui n’existe que parce qu’on ne leur a pas prélevé les impôts nécessaires auparavant.

Dès 1850, Marx dénonçait férocement ce système de dette publique en France, véritable « crédo du capital ».

Il est étonnant que cette analyse de bon sens ait quasiment disparu du débat public, preuve du renforcement du caractère oligarchique du gouvernement et dont les exemples sont chaque jour plus nombreux.

La terreur face aux agences de notation

Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi les gouvernements tremblent, à raison, devant les agences de notation. Cependant, comme nous l’avons expliqué dans cet article, ils bénéficient en réalité d’une complaisance largement supérieure à celle dont ont bénéficié les banques ayant réalisé des crédits subprimes. Il y a 3 grandes agences de notation en Occident. Et alors que les États-Unis ont perdu le contrôle de leurs finances publiques, il s'avère que :

  • S&P ne leur a supprimé leur note AAA (20/20) qu’en 2011 (pour passer à un 18/20…) ;
  • Fitch n’a fait de même qu’en 2023, 12 ans après ;
  • et Moody’s leur donne toujours une note AAA, mais assortie fin 2023 d’une « perspective négative », c’est-à-dire qu’elle pourrait bientôt baisser.

Tout ceci serait risible si ce n’était pas aussi grave. Soulignons que l’agence chinoise Dagong note les États-Unis d’un très moyen BBB, au niveau de l’Espagne ou du Portugal – amplement mérité. Dans une précédente analyse, nous avions raconté comment les autorités américaines étaient tombées à bras raccourcis sur la petite agence de notation américaine Egan-Jones en 2012, dans les jours qui avaient suivi sa nette dégradation de la dette américaine. Message reçu 5/5 après avoir été interdite temporairement d’activité : depuis lors, l’agence ne note plus la dette américaine.

La crainte du gouvernement américain d’une panique financière est cependant bien compréhensible. Les raisons de fond en sont claires à la suite de notre analyse. Cependant, outre les déficits annuels qui induisent un évident besoin annuel de financement correspondant à ces déficits, le Trésor américain s’endette toujours pour plusieurs années, ce qui entraîne un roulement de la dette.

L’État américain est donc forcé d’emprunter des sommes de plus en plus importantes, et dans son cas, elles deviennent colossales. Les émissions de dette en 2023 se sont ainsi élevées à 23 000 Md$ – un montant qu’il a fallu trouver sur les marchés financiers – et ont servi à rembourser 21 000 Md$ de prêts arrivés à échéance. La différence de 2 000 Md$ correspond bien à la hausse de la dette publique, causée par le déficit 2023.

Le besoin de financement américain est donc phénoménal : c’est désormais près de 90 % de leur PIB que les États-Unis doivent trouver chaque année sur les marchés financiers. Ils sont donc fortement dépendants de l’épargne mondiale, et tout acteur influent qui jetterait un doute sur la qualité de leur dette représente un risque mortel pour Washington. Nous étudierons d’ailleurs dans un prochain article la détention de cette énorme dette, et les conséquences induites.

C’était déjà très grave, mais le pire est à venir

Il faut reconnaître dans ce domaine plusieurs qualités aux États-Unis : la qualité de leur appareil statistique et la diffusion de ses données, la transparence parlementaire et les prévisions à long terme. Ils ont même créé une agence fédérale indépendante, rattachée au Congrès, le Bureau du Budget du Congrès américain (Congressional Budget Office, CBO), dont l’objet est de contrôler les données du gouvernement et de réaliser ses propres analyses et prévisions budgétaires à moyen et long terme.

Ses résultats font froid dans le dos. Dans les 30 prochaines années, le CBO prévoit une forte augmentation des dépenses publiques de 5 points de PIB, en raison du vieillissement de la population. Mais il ne prévoit aucun accord transpartisan pour augmenter les impôts. La conséquence est donc une prévision officielle pour 2050 d’un déficit atteignant tous les ans 10 % du PIB.

Comme aucun miracle budgétaire n’est à prévoir, dans ces conditions, la dette publique passerait alors de 130 % à près de 200 % du PIB en 2050. Et il s’agit ici de la prévision officielle de l’organisme le plus fiable aux États-Unis, ce qui en dit long sur l’impasse parlementaire américaine et l’inconscience quant aux risques financiers pesant sur le pays. Mais au moins, contrairement à une France qui promet depuis 30 ans de bientôt baisser sa dette (ce qui n’arrive jamais), les États-Unis sont parfaitement transparents. Aux investisseurs d’en tirer les conséquences...

Bien entendu, il est fort probable que la réalité soit bien différente de ces prévisions finalement « optimistes », qui imaginent le futur comme la simple projection du passé. Une grave crise financière, probablement déclenchée par une grave crise géopolitique, risque de remettre à zéro le compteur de la dette publique américaine, mais surtout celui de l’épargne privée correspondante. Et ce, au moyen d’un défaut ou d’une sévère inflation – ce qui revient pratiquement au même. Car le surendettement est historiquement la voie royale vers les très graves crises financières, comme le soulignait très justement le prix Nobel d'économie Maurice Allais :

« Ce qui, pour l'essentiel, explique le développement de l’ère de prospérité générale, aux États-Unis et dans le monde, dans les années qui ont précédé le krach de 1929, c'est l'ignorance, une ignorance profonde de toutes les crises du XIXe siècle et de leur signification réelle. En fait, toutes les grandes crises des XIXe et XXe siècles ont résulté du développement excessif des promesses de payer et de leur monétisation. Partout et à toute époque, les mêmes causes génèrent les mêmes effets et ce qui doit arriver arrive. »

Ce qu’il faut retenir

La dette publique américaine joue un rôle fondamental dans le fonctionnement du commerce mondial, en permettant de placer aux États-Unis les dollars accumulés dans les échanges avec ce pays dont le commerce est déficitaire.

Le budget américain est également fortement déficitaire, plombé par des dépenses sociales tirées par le vieillissement de la population, et des dépenses militaires désormais en augmentation. Cette situation soutient fortement le PIB et créé des revenus qui ne devraient pas exister. Comme aucun effort sérieux n’est entrepris par le personnel politique, la dette publique ne fait qu’augmenter, et elle est désormais à un niveau très élevé, situé proportionnellement entre la France et l’Italie. Comme la dette augmente et les taux d’intérêt aussi, chaque ménage américain paye actuellement 400 $ d’impôts par mois pour rémunérer l’épargne des plus riches – et bientôt, ce sera le double !

Enfin, cette dette de 35 000 Md$ nécessite des levées de fonds de plus en plus gigantesques (23 000 Md$ en 2023), ce qui rend le financement du pays très fragile. La réalité est qu'une une grave crise financière pourrait facilement conduire le pays au défaut.