Nos compatriotes sont inquiets pour leur avenir : c’est le constat dressé par le baromètre Ipsos sur « Le rapport des Français à leur argent ». Et cette inquiétude s’exprime autant sur le court que sur le long terme. Elle se traduit d’abord par le souhait d’épargner davantage par crainte de l’avenir, dans un contexte où ils ont été durement touchés par l’inflation. Et les Français expriment également une inquiétude à long terme sur le sujet des retraites, aidés par la litanie médiatico-politique au sujet d'un système par répartition soi-disant « voué à la faillite » sans « remise à plat drastique ». En filigrane se profile le sempiternel joker libéral de la retraite par capitalisation, que le Medef n'a pas tardé à sortir lors du « conclave » censé « rediscuter » la réforme des retraites d'Emmanuel Macron. Et ce malgré les retours d’expérience négatifs de notre voisin allemand, qui enregistre une hausse continue du taux de pauvreté chez les plus âgés et une explosion des inégalités.

Stable depuis 2020, le nombre de Français souhaitant épargner davantage cette année est en hausse, selon le dernier baromètre « Les Français, l'épargne et la retraite », Ipsos-CESI École d'ingénieurs pour le Cercle des Épargnants. En augmentation de huit points de pourcentage, ce sont donc près de 20 millions de Français (39 %) qui envisagent de mettre de l’argent de côté en 2025 – des niveaux inédits depuis le début de l’ère Macron. Ils sont ainsi presque deux fois plus nombreux qu’en 2017 (11 millions, soit 23 %) à vouloir faire grossir leur bas de laine.


Après avoir puisé dans leurs réserves pour supporter les récentes années de forte inflation, les Français aspirent dorénavant à récupérer le pouvoir d’achat perdu et mettre de côté. Il est vrai que le discours médiatique, qui martèle le retour de la croissance des salaires dans un environnement inflationniste désormais plus modéré, ne peut que les conforter.
Pourtant, malgré cette propagande assidue sur des « lendemains qui chantent », la majorité des Français (54 %) reste persuadée que son pouvoir d’achat a baissé. À peine un Français sur huit considère que son pouvoir d'achat a augmenté en 2024. Dans ce contexte, selon Ipsos, le souhait d’épargner davantage reflète plus un besoin de reconstruire une épargne de précaution qu’une thésaurisation irriguée par une amélioration de leur situation financière.
C’est près de 60 % des épargnants qui avancent « la constitution d’une épargne de précaution » comme raison principale pour détenir un produit d'épargne, en augmentation de sept points par rapport à l’année précédente. Viennent ensuite la préparation de la retraite (28 %) ou l’assurance contre la dépendance (21 %). Ils sont aussi un sur cinq à le faire pour aider leurs enfants ou petits-enfants.


Pour Valérie Pagnol, Présidente du Cercle des épargnants : « Face à la montée des incertitudes économiques et politiques tant en France qu’au niveau international, les Français sont plus enclins à épargner. Ce n’est pas un très bon signe pour la consommation à venir, malgré le ralentissement de l’inflation. En revanche, c’est autant de moyens à diriger vers l’investissement ».
Mais, contrairement à cette dernière affirmation, il n’y a aucune raison de se satisfaire de ce surcroît d’épargne, si ce n’est, comme d’habitude, pour les plus aisés des Français. Pour le reste de la population, c’est plutôt « soupe à la grimace » et mesure d’urgence pour préserver un pouvoir d'achat dont ils constatent quotidiennement l’érosion. Les incantations médiatiques sur la fin de l’inflation et le retour de la hausse des salaires n’y font rien.
Même si l’inflation annuelle ralentit, passant de 5 % en 2023 à moins de 2 % à la fin de 2024, les prix ne baissent pas pour autant. Et c’est tout à fait logique : l’inflation par définition est une variation à la hausse des prix, généralement sur 12 mois, et donc même à moins de 2 %, elle reste la constatation d’une augmentation des prix.
Après deux années à près de 5 % d’inflation, les prix des biens et services avaient abordé 2024 avec une augmentation moyenne de 10 % par rapport à la fin de 2021. Les 2 % d’inflation de 2024 s’ajoutent, et c’est ainsi près de 13 % d’augmentation du coût de la vie en seulement 3 ans que doivent absorber les Français. Un surcoût qui pèse lourdement sur les dépenses contraintes de la grande majorité des ménages.


Logement, électricité, assurances, alimentation, carburants, etc., qui avaient déjà grimpé de 20 % dans la part du budget des ménages depuis 20 ans, sont venus amputer un peu plus les salaires des Français.
Cette épargne de précaution n’est donc pas destinée à l’investissement, comme le souhaiterait la Présidente du Cercle des épargnants, mais, comme son nom l’indique, à une précaution face à un futur que les Français estiment plutôt sombre.


Pendant ce temps, les salaires sont à la traîne. L’économiste de l’OFCE, François Geerolf, note ainsi qu’entre la fin 2021 et la mi-2024, les salaires n’avaient augmenté que de 10 %, quelques trois points de moins que l’inflation. Un différentiel de quelques pourcents qui creuse un peu plus une perte de pouvoir d’achat multi-décennale pour la rémunération du travail.
Car ce n’est pas un phénomène nouveau. Déjà à la fin 2023, l’Institut de recherches économiques et sociales alertait sur la perte de valorisation du travail des Français. L’Institut montrait comment le prix du travail avait globalement évolué un peu moins vite que l’inflation depuis une trentaine d’années, avec une accélération de la perte de pouvoir d’achat du travail à compter de 2017. Depuis, la situation des travailleurs ne s’est pas améliorée.


Nul doute que les près de deux millions de travailleurs pauvres en 2021 selon l’Insee (dernier chiffre connu) ont vu leur nombre augmenter depuis. Un quart des Français se déclarent en situation de précarité selon le baromètre 2024 de la pauvreté et de la précarité du Secours populaire. C’est un tiers de plus qu’en 2019, au niveau de la période post-crise 2008 et sur les plus hauts depuis lors. La pauvreté persiste dans l’hexagone et le travail ne permet pas de s’en extraire.
Dans ce contexte morose, le taux de Français qui épargnent pour l’achat d’un bien immobilier est de 13 %, dans la fourchette d’oscillation entre 10 % et 14 % depuis 2017. Ceux qui mettent de côté pour un achat important de type voiture, meubles, etc., représentent 15 % des Français, au plus haut des cinq dernières années, mais bien en dessous des 19 % à 20 % de 2017 et 2018.
Quant au financement volontaire de la protection de l’environnement ou de la lutte contre le réchauffement climatique, il reste des progrès à faire pour convaincre les Français. Les produits financiers mis en avant et présentés comme socialement et environnementalement responsables peinent à atteindre leur cible. Pour Philippe Dupuy, Président du conseil scientifique du Cercle des épargnants : « Aujourd’hui, pour une large part des Français, l’idée d’une finance durable reste abstraite et peu crédible, pour preuve, à rendements attendus équivalents, seuls 23 % des Français choisiraient un fonds ISR plutôt qu’un fonds classique ».
Si le nombre de personnes qui pensent devoir puiser dans leur épargne cette année est en baisse (23 %), ils sont toujours légèrement plus nombreux qu’avant le pic d’inflation (21 %). La part d’individus qui ne prévoient ni d’épargner davantage ni de consommer son épargne est toujours en baisse à moins de 40 %. C’est ainsi que, depuis le plus haut de 2010 (62 %), le nombre de Français suffisamment confiants dans l’avenir pour ne pas ressentir le besoin d’augmenter leur épargne de précaution ou de l’entamer pour maintenir leur niveau de vie a diminué de plus de 30 %.
La moitié des Français dispose de moins de 20 000 euros d’épargne
La baisse continue de la part de Français qui n'envisagent pas de modifier leur comportement concernant leur épargne est à rapprocher du panorama du patrimoine financier des Français. Pour la grande majorité d’entre eux (90 %), l’essentiel de leur patrimoine est constitué d’immobilier (à 60 % et plus) et notamment de leur résidence principale. Pour la moitié des ménages les moins fortunés, l’épargne financière moyenne est de l’ordre de 20 000 euros, souvent moins d’une année de revenu (le revenu médian est de 24 330 € en 2022).
C’est à partir du septième décile de patrimoine que l’épargne financière dans son ensemble atteint les 80 000 €. Un niveau dix fois plus faible que la moyenne de l’épargne des 10 % les mieux dotés. En 2023, selon la Banque de France, seuls les 20 % à 30 % des ménages les plus fortunés disposaient d’un patrimoine financier vraiment significatif (qui n’est pas sérieusement amputé par l’achat d’un véhicule neuf par exemple).
C’est sans doute pour cela que, pour huit ménages sur dix, les placements en assurance-vie, en fonds d’investissement ou encore en actions cotées sont en moyenne inférieurs à 50 000 €. Pour la moitié la moins fortunée, c’est même plutôt de l’ordre de 5 000 €.
Des sommes loin des plafonds d'exonérations fiscales des plans d’épargne en action et des assurances-vie (150 000 €), ou même des successions en ligne directe (100 000 €). Ce qui n’empêche pas la moitié des Français de privilégier les placements les moins taxés lors des successions selon le Baromètre de l’épargne. Une proportion qui monte même à six sur dix chez les retraités. Même les épargnants ne détenant qu’un Livret A (plafond 22 950 € en 2025) privilégient un placement « qui rapporte peu, mais est très peu taxé pour les héritiers dans le cadre d’une succession ».
Le résultat de la désinformation médiatique qui incite les Français à se préoccuper de droits de succession que la majorité n’aura jamais à payer (60 % des Français héritent de moins de 70 000 €) et dont le taux effectif constaté est de moins de 10 % pour plus de 90 % de la population.
La réalité en France est que plus de 85 % de l’épargne financière est entre les mains du dixième des ménages les plus riches. Les 80 % de ménages les moins bien lotis en patrimoine se partagent quant à eux moins de 10 % du total. De quoi relativiser les réels bénéficiaires d’une fiscalité sur les plus-values mobilières allégées et revisiter le mythe de l'enrichissement miraculeux des classes populaires et moyennes grâce aux marchés financiers.


Les trois quarts des Français inquiets des retraites
Rassemblant 28 % des sondés, la préparation de la retraite est le deuxième motif le plus populaire chez les épargnants en 2025. En légère hausse par rapport au niveau de ces dernières années, c’est une préoccupation qui est revenue au niveau du début du premier quinquennat Macron. Un résultat en lien avec l’inquiétude pour l’avenir du système de retraite qui, après avoir baissé ces dernières années, est de nouveau en hausse. Ce sont plus des trois quarts des Français interrogés qui s’en disent inquiets, une proportion en hausse de 11 points sur un an.
S’ils sont moins nombreux à exprimer des inquiétudes pour leur propre retraite, ce sentiment, qui avait diminué entre 2017 et 2024 (passant de 73 % à 50 %), repart à la hausse. Ainsi, près de six Français sur dix se disent aujourd’hui inquiets pour leurs retraites (+8 points en un an), et c'est même sept sur dix pour les non-retraités. En revanche, six retraités sur dix se disent confiants sur la suite de leur retraite.


Lorsque l'on interroge les Français sur « les domaines à financer en priorité dans les prochaines années », les retraites (31 %) sont au coude à coude avec l’assurance maladie (32 %). Les Français craignent peut-être une dégradation de leur condition financière à la retraite.
Et pour cause, car si la situation des retraités était très mauvaise durant les Trente Glorieuses, ils sont aujourd’hui relativement épargnés. Selon la Drees, la pension moyenne en 2022 est d’un peu plus de 1 500 € net par mois, supérieure d’environ 80 % au seuil de pauvreté. Pour l’Insee, en 2021, le niveau de vie médian des retraités est ainsi d’un peu plus de 1 900 € par mois. C’est au niveau de la médiane de l’ensemble de la population et 10 % plus bas que la médiane des actifs.


La réforme des retraites de 2023 pourrait pourtant changer la donne. Alors que Bruno Le Maire, à l’époque ministre de l'Économie, annonçait qu’elle « pourraient rapporter 17,7 milliards d'euros aux caisses des retraites d'ici à 2030 », elle présente l’inconvénient majeur de dégrader les futures conditions de vie pour une bonne part des retraités à venir.
En effet, avec 40 % des 55-64 ans qui n’ont pas d’emploi et qui ne sont pas encore à la retraite, le recul de l’âge de départ se conjugue avec la réduction des prestations chômage et le durcissement des conditions d’accès résultant de la réforme de l’Assurance chômage. Un cocktail qui n’augure rien de bon pour une partie des actifs les plus âgés.
Il ne serait pas surprenant qu’une part significative des actifs en fin de carrière vienne grossir les rangs des allocataires du RSA et bascule ainsi dans le cercle de la pauvreté. Et la récente réforme du RSA ne leur sera d’aucun secours. Basculant de l’assurance chômage avec France Travail vers le RSA car ne trouvant pas d’emploi, ils seront d'office réinscrits à France Travail conformément à la nouvelle réglementation, et a priori contraints de travailler alors même que le marché du travail ne veut pas d’eux !
Mais manifestement, le gouvernement s’en moque. Au contraire, alors que la réforme des retraites devait sauver le système et que l’endettement et les déficits publics atteignent des records, plutôt que de revenir sur la fiscalité allégée des plus riches, nos gouvernements font peu à peu monter le discours d’un régime de retraite par répartition qui ne serait plus soutenable… une ritournelle que les plus âgés entendent depuis au moins quarante ans.
Dès lors, s’installe dans le discours public, plus ou moins insidieusement, l’idée selon laquelle la retraite par capitalisation serait la solution pour prévenir la soi-disant inéluctable faillite du système par répartition en vigueur aujourd’hui. François Bayrou, dernier Premier ministre en date, promettant qu’il n’y aurait aucun sujet tabou lors du fameux « conclave sur les retraites », a d’ailleurs laissé la porte ouverte à (presque) toutes les propositions. Le Medef s’est alors empressé de saisir cette opportunité en signifiant qu’il souhaitait aborder le sujet d'une « dose » de capitalisation lors de ces discussions. Cette idée lumineuse reste en effet le meilleur moyen de remplir un peu plus les poches des plus riches, de creuser davantage les inégalités et de renvoyer une bonne part des futurs retraités les plus défavorisés dans la pauvreté.
Car, si au sortir de la Seconde Guerre mondiale (1946), la France a opté pour le système par répartition, c’est bien pour ses qualités de protection, de solidarité et de redistribution. Les actifs financent, via leurs cotisations, les pensions des retraités d’aujourd’hui, tout en acquérant des droits pour leur propre retraite. Celle-ci sera alors financée par la génération suivante, et ainsi de suite par le principe de solidarité entre générations. C’est la société dans son ensemble, via l’État, qui décide et garantit le niveau de vie des plus anciens d’entre nous, ce qui concernera éventuellement chaque Français un jour, sauf accident dramatique de la vie.
Le dernier exemple de « succès » d’une tentative de sauver un système de retraite « au bord de la faillite » en remplaçant la répartition par la capitalisation peut s’observer chez nos voisins allemands. Durant la période 1990-2000, pour alléger le poids du financement de la retraite par répartition, et par la même occasion réduire le « coût » du travail pour les entreprises (comprendre la réduction des cotisations destinées au paiement des retraités), l’Allemagne a eu la brillante idée de limiter les cotisations des retraites de base. En parallèle, pour « garantir » le maintien du niveau des retraites, des réductions fiscales incitaient les salariés à épargner pour leur retraite. Cette « retraite par capitalisation » était censée compléter la retraite de base forcément plus faible puisque moins financée.
Sans données avant 2008, le résultat est néanmoins accablant. Entre 2008 et 2019, c’est 20 % d’augmentation du taux de pauvreté chez les plus de 65 ans en Allemagne grâce aux « bienfaits » du tandem répartition/capitalisation. La France, avec son système par répartition soi-disant « en faillite » depuis au moins quarante ans, affiche un taux de pauvreté des plus de 65 ans inférieur à 10 % depuis 1996, c'est-à-dire depuis que la mesure existe à l’Insee. Tout cela n'a rien de bien surprenant si l’on en croit Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po, pour Alternatives économiques :
« On se retrouve face à une “dualisation de la protection sociale”, c’est-à-dire que les taux de remplacement baissent avec la protection sociale de base, et cette baisse n’est compensée que pour ceux qui étaient déjà gagnants : les plus riches, qui décident d’épargner et ceux qui sont dans les “bonnes boîtes”. »


Et pour ceux qui ne sont pas convaincus, de l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, patrie des marchés financiers et des retraites placées en bourse, le résultat est le même. Malgré des pensions de retraite soutenues par une jambe « retraite par répartition » et une jambe « retraite par capitalisation », le taux de pauvreté des plus de 65 ans dépasse les 30 % ! Avec 70 % du patrimoine des ménages détenu par les 10 % les plus riches et 1,5 % par la moitié la plus pauvre, la retraite par capitalisation bénéficie à la minorité qui a les moyens d’épargner pour sa retraite.


Pour les autres, il reste une retraite par répartition forcément réduite à peau de chagrin, car bénéficiant d’un financement affaibli et d’une solidarité réduite.


En clair, adieu la redistribution et la solidarité, bonjour les inégalités, le chacun pour soi et Dieu pour tous. Quant à la sécurité du système… si l’État doit être là pour amener les garanties en cas de problème, pourquoi diable vouloir sortir du système par répartition garanti par… l’État.
La retraite par capitalisation : le maintien des inégalités jusqu’au bout
L'exemple de 2008 avec les effets de la crise des subprimes sur les retraites des heureux bénéficiaires de la capitalisation est éloquent. Un tel système est très sensible aux crises financières qui dévaluent les actifs. « En Australie, lors de la crise de 2008, les retraités ont vu fondre leur capital retraite. Et un certain nombre d’entre eux ont dû reculer l’âge de départ à la retraite, parce qu’ils n’avaient plus assez », affirme Elvire Guillaud, enseignante en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Aux États-Unis, au cours de la même crise, les plans de retraites d’entreprises – dont les fameux plan 401(k) – ont vu leur valorisation baisser de 1 100 Md$. Les plans d’épargne retraite personnels ont quant à eux perdu 800 Md$. Globalement, les patrimoines en actions des ménages ont perdu 7 400 Md$. Certaines entreprises, dont le géant General Motors, ont suspendu leurs abondements aux plans de retraites des salariés pour l’occasion.
En Argentine, ce sont les sociétés privées de gestion des retraites qui ont annoncé des pertes de l’ordre de 20 %, avec un risque de faillite certain sous l’effet de l’explosion de la bulle des subprimes. Pour éviter la catastrophe, la présidente de l'époque, Cristina Kirchner, a nationalisé les dix plus grands fonds de pension du pays – la fameuse mutualisation des pertes qui suit la privatisation des gains...
Pourtant, le refrain du sauvetage des retraites par « une dose » de capitalisation fait son chemin dans l’esprit des Français. Selon le sondage IPSOS/cercle des épargnants, une majorité estime désormais qu’il faudrait développer les fonds de pension (55 %, +9 points par rapport à 2017) pour « assurer la viabilité du système ». Presque un futur retraité sur deux se dit prêt à en souscrire un (49 %, +12 points par rapport à 2017).
Bien sûr, les questions du sondage ne mentionnent opportunément pas les risques. Pas plus qu’elles ne relèvent les effets d’un système de retraite par capitalisation sur le creusement des inégalités chez les retraités ni l’augmentation mécanique du taux de pauvreté des plus anciens qui s’en suivrait. Aucune présentation non plus de l’état des lieux des retraités dans les nombreux pays qui pratiquent déjà le sésame de la capitalisation. En revanche, cela permet de faire des titres racoleurs sur des Français majoritairement favorables à la capitalisation…
Le sondage met par contre en exergue la faible popularité du recul de l’âge de départ ou de la baisse du montant des pensions. Seuls 35 % (pour le recul de l’âge) et 15 % (pour la baisse de la pension) des Français y sont favorables. Pour enfoncer le clou des « atouts » de la capitalisation et de la « miraculeuse » multiplication des retraites qui doit s’en suivre, l’enquête pointe la division des Français sur l’augmentation des cotisations pour financer la retraite par répartition : même pas un Français sur deux y serait favorable (49 %), c’est même moins chez les non-retraités (46 %).
Pourtant, comme l'explique Michaël Zemmour, enseignant-chercheur à l’Université Lyon-2 et chercheur associé au LIEPP de Sciences Po, l’abrogation de la dernière réforme des retraites est tout à fait possible sans catastrophe pour les retraités actuels et futurs. Le coût de l’abrogation de la réforme ne serait que de 0,6 point de PIB à l’horizon 2032. Un financement par une hausse des cotisations ne représenterait que 0,15 point par an, à partager entre employeurs et salariés, pendant une durée de six ans :
« Même si les salariés payaient l’intégralité de ces hausses de cotisations, au bout de six ans, cela représenterait quelques euros supplémentaires par mois (de l’ordre de 15 euros au SMIC par exemple, mais ça pourrait être moins si d’autres payent plus). Ce n’est pas rien, mais je trouve que cela mérite que l’on en discute. »
Peut-être que si les personnes interrogées connaissaient ce montant et sa durée, ils y seraient plus favorables. Mais dans ce cas-là, ils seraient aussi moins favorables à la retraite par capitalisation…
Photo d'ouverture : Sutthiphong Chandaeng - @Shutterstock