Le 9 avril, jour même du début de la surtaxation des droits de douane, Donald Trump a spectaculairement modifié son dispositif en décrétant une pause de 90 jours. Selon les médias mainstream, le Président américain, imbécile, aurait capitulé sous la pression des marchés qu’il aurait mal anticipée. Mais est-ce bien aussi simple que cela ? Pourquoi la plupart des médias, américains ou français, s’obstinent-ils à systématiquement présenter Donald Trump comme un illuminé sans jamais rechercher la part de rationalité qui pourrait sous-tendre ses actions et ses décisions ? Derrière l’apparente reculade, il se pourrait bien que le nouveau gouvernement américain ait appliqué une stratégie pensée de longue date et aux conséquences déjà tangibles.

Article Économie
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publié le 17/04/2025 Par Olivier Berruyer
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I- La « pause Trump » vue par les Démocrates
II- La « pause Trump » : une autre vision est possible
1- Trump le pro de la négociation, Lutnick l'expert de la finance
2- La stratégie commerciale de Trump : le rapport de force brutal
III- Bilan de la manœuvre de Trump


Dans notre précédent article « Tarifs douaniers : Trump déclare la guerre économique au reste du monde », nous avons analysé à chaud la mise en place brutale par de droits de douane très élevés aux États-Unis, qui signent le retour de ce pays dans un système protecteur si ce n’est protectionniste. Si Trump a infléchi sa politique le jour même de son démarrage en annonçant une pause de 90 jours, l’interprétation de cet événement est loin de faire l’unanimité…

I- La « pause Trump » vue par les Démocrates

Pour les Démocrates, la lecture de l’événement est simple : Trump est un idiot. Il a déclenché une guerre commerciale sans prendre en compte les conséquences, il a été très surpris et dépassé par les événements, son entourage a fait de grosses pressions sur lui ; il a donc mis un « genou à terre » et concédé sa défaite en annulant ses mauvaises décisions, dans une « retraite désordonnée ».

Difficile d’échapper à ce récit, tant il a imprégné la grande majorité des médias mainstream français. Il est vrai qu’en la matière, on peut croire la presse française sur parole, elle qui pendant 4 mois nous a expliqué que Kamala Harris n’allait faire qu’une bouchée de Donald Trump…

Pour justifier leur analyse, les médias français se sont en particulier appuyés sur un article de CNN, au titre ronflant : « Dans les coulisses de la reculade de Trump sur les tarifs douaniers : comment la peur d’un effondrement du marché obligataire a convaincu Trump d’appuyer sur le bouton pause ».

Pourtant, lorsque l’on analyse l’article en détail, on s’aperçoit vite qu’il repose sur bien peu de choses : « trois personnes proches du dossier », et les propres déclarations contradictoires de Trump et de ses proches collaborateurs. Le raisonnement est en substance le suivant : Trump avait dit qu’il ne changerait jamais sa politique, mais puisqu’il a finalement décidé d’une pause des taxes en raison de l’agitation du marché obligataire sur la dette américaine, c’est qu’il a été pris de court et contraint à revoir sa position. Conclusion : Trump a été « guidé davantage par l’impulsion que par une stratégie réfléchie ».

À aucun moment les journalistes n’envisagent la possibilité que le bluff ait pu faire partie intégrante d’une stratégie plus globale du président américain. En France, on retrouve ainsi le même scénario martelé quasiment au mot près, ce qui a pour conséquence de faire passer de simples suppositions non étayées pour des faits établis, par exemple sur BFM :

« Le 2 avril [ont eu lieu] ces annonces de Donald Trump. […] Les heures qui ont suivi, Trump a persisté. Malgré les débuts de l'effondrement des marchés, il a campé sur ses positions. Ça, c'était le 4 avril. “Aux nombreux investisseurs qui arrivent, ma politique ne changera jamais”. […] Le 5 avril, il y a quand même un tout début de prise de conscience dans un autre message de Trump qui s'adresse aux Américains. “C'est une révolution économique. Nous allons gagner. Accrochez-vous. Ce ne sera pas facile, mais les résultats seraient historiques”. Donc, on sent quand même un petit avertissement. Avant que le lendemain, le 6 avril, la porte commence à s'entrouvrir tranquillement, pas par Trump, mais par Kevin Hassett, son conseiller économique, qui évoque pour la première fois des négociations possibles.

Et puis, le 7 avril, en début de semaine, la dégringolade des bourses qui chutent, l'affolement qui devient mondial et surtout la riposte qui s'organise. Et là, Trump évoque ouvertement des négociations, mais il dit toujours, c'était il y a 48 heures : “Il n'y aura pas de pause”. Et puis, peut-être, c'est ce qui a fait basculer Trump, ses proches. Des critiques directes, Bill Ackman, le célèbre investisseur, ou indirectes, Elon Musk. Et avec ces négociations qui ont débouché aujourd'hui sur, finalement, tout simplement une suspension des droits de douane. »

Bien évidemment ce festival « d’experts » continue sur tous les médias. L’émission « C dans l’air » sur France 5 a notamment réussi l’exploit de trouver l’expert des experts, qui a LE SCOOP ! La source du revirement, ce n’était finalement pas la panique sur les marchés obligataires (ni la cartomancienne de Trump), mais LA TÉLÉVISION !

En effet, à exactement 08h17 (on a contrôlé le timing…), Trump, frappé par la grâce, aurait été convaincu, par une interview sur Fox News de Jamie Dimon, le PDG de la banque JPMorgan, de changer totalement de politique. Il n’a pas pu résister à la puissance imparable de l’argument du grand patron : « ça ne peut pas durer, il faut faire quelque chose ! ».

L’expert conclut ainsi : « Et on comprend que c’est à ce moment-là que Donald Trump, une fois de plus, en regardant la télévision, influencé par la télévision, il n’écoute pas ses conseillers, il regarde la télévision. Il se dit “Oui effectivement, là, je suis allé trop loin”. Et c’est comme ça qu’il prend sa décision ».

On ne peut que remercier le service public pour ce grand moment d'information. On peine à savoir si le tragique réside plus dans l’assurance de l’expert, qui reprend la propagande des médias américains, ou dans la chaîne de télévision qui s’est empressée d’en faire un tweet… Tout le reste est à l’avenant.

En revanche, il y avait un point fondamental à voir, c’est que la « pause », mot qu’a martelé Trump dans sa communication, ne concernait que la surtaxation individualisée par pays, et non pas la taxation de base de 10 % pour tous les pays.

Cela n’a guère été mis en avant par les médias, qui ont largement laissé penser dans leurs titres que l’intégralité de ses droits de douane ne rentrerait pas en vigueur avant 90 jours, ce qui est faux, comme on va le voir.

Source : 1, 2, 3, 4

II- La « pause Trump » : une autre vision est possible

Si l'on tente d’analyser la situation avec sérieux et recul, on ne peut en réalité arriver à aucune certitude, puisque l'on a affaire à un dirigeant qui a érigé le mensonge en outil habituel de communication. Mais on ne peut pas exclure l’hypothèse que Trump ait agi depuis le début avec une véritable stratégie au seul motif que l'on n’apprécie ni son idéologie protectionniste ni son style brutal et vulgaire.

Il ne s’agit pas ici d’apprécier la pertinence ou l’efficacité de son éventuelle stratégie, mais simplement la plausibilité de son existence. D’ailleurs, l’existence d’une stratégie serait une plus mauvaise nouvelle encore pour la France, puisque l’objectif de Trump est de prendre du PIB, et donc du pouvoir d’achat, aux Européens et aux Chinois pour le donner aux Américains.

1- Trump le professionnel de la négociation, Lutnick l’expert de la finance

Donald Trump a bâti sa réputation, de façon certes discutable, sur ses capacités de négociations. Et il les a développées dans le milieu ultra-sauvage de l’immobilier new-yorkais, comme le rappelle l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du Commerce : « M. Trump a appris à faire des affaires sur le marché immobilier new-yorkais influencé par la mafia et ses tactiques sont basées sur l'extorsion ». Pour lui, un « deal équilibré », obtenu après des négociations brutales, c’est quand il a obtenu 90 et l’autre 10…

Sans compter ceux en lien avec son entrée en politique après 2015, Donald Trump a écrit 18 livres, la plupart sur les affaires et la négociation. Son premier ouvrage, publié à 41 ans en 1987, est d’ailleurs le plus emblématique. Mêlant autobiographie et conseils pratiques, il est intitulé « The Art of The Deal » (« L’art de la Négociation »). Il s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires. Petit florilège :

« Ma façon de traiter les affaires est simple et directe. Je vise très haut et puis j’augmente de plus en plus la pression sans m’arrêter – jusqu’à ce que j’atteigne mon but. Parfois, je me contente de moins que ce que je souhaitais, mais dans la plupart des cas, je finis quand même par obtenir ce que je veux. […]

Je suis le premier à admettre que je suis très compétitif et que je ferai presque n’importe quoi dans les limites légales pour gagner. Parfois, une partie de la conclusion d’un accord consiste à dénigrer vos concurrents. […]

Un des secrets pour voir grand est de se concentrer entièrement sur l’objectif. […] Et c’est particulièrement vrai dans le domaine de l’immobilier new-yorkais où vous avez affaire aux gens les plus malins, les plus durs et les plus vicieux du monde. J’ai appris à aimer me mesurer à ces types et à les écraser. […]

Les gens croient que je suis joueur. Je n’ai jamais joué de ma vie. […] Il se trouve que je suis prudent en affaires. Je m’engage toujours en prévoyant le pire. Si vous prévoyez le pire, si vous vous donnez les moyens de l’assumer, alors le meilleur ira toujours de soi. […]

La pire approche à adopter quand vous voulez conclure un accord est d’avoir l’air d’y tenir à tout prix. Votre interlocuteur, encouragé par l’odeur du sang, sent alors qu’il vous tient et vous êtes mort. La meilleure façon de s’y prendre est d’être en position de force. […] En un mot, il vous faut convaincre l’autre qu’il a vraiment intérêt à trouver un accord avec vous. […]

La touche finale, que j’utilise souvent pour achever en beauté la promotion de mes projets, est la bravade. Je joue avec les fantasmes des gens. [...] Un peu d’exagération ne nuit pas. Les gens aiment croire que quelque chose est ce qu’il y a de plus grand et de plus spectaculaire au monde. »

Trump a par ailleurs largement utilisé ce qu’on appelle depuis Nixon, « la théorie du fou », à savoir se faire passer pour fou et imprévisible. C’est un sujet qui a été longuement analysé et critiqué. Et Trump l'a toujours assumé :

« Je ne veux pas dire ce que je pense réellement. […] On ne sait jamais ce que je vais faire. […] Je veux être imprévisible. » - CBS News, 2015

« Ce n'est pas ainsi que l'on négocie. On ne dit pas aux Nord-Coréens qu’ils ont 30 jours pour répondre. On leur dit : “Trump est tellement fou qu'il peut se retirer des négociations à tout moment”. » - Vanity Fair, 2017

« En ce qui concerne le risque de devoir gérer un fou [dans le cadre des négociations], c’est le problème des Nord-Coréens, pas le mien. » - The Guardian, 2018

Mais la citation qui résume le mieux Trump est peut-être celle-ci : « Le vrai pouvoir, c’est la peur » (interview par Bob Woodward, 2016)

Au final, il est assez piquant de voir qu’une vaste majorité de la presse considère comme un néophyte balourd en négociation le rédacteur d’un manuel de négociation vendu à un million d’exemplaires, magnat de l’immobilier et élu pour la deuxième fois président des États-Unis. Dire ceci ne vaut bien entendu aucune approbation ni de ces méthodes de négociation ni des résultats réels, c’est un simple fait : il est dangereux de sous-estimer un tel adversaire, surtout quand il engage son pays dans un bras de fer aussi historique.

Et qui a aidé Trump dans cette histoire de droits de douane ? Le ministre du Commerce, Howard Lutnick, qui a été pendant plus de 40 ans, et jusqu’à sa récente nomination, propriétaire à 60 % et PDG de Cantor Fitzgerald, énorme entreprise de services financiers. Un édifiant article de Forbes présente le personnage :

« Lutnick a grandi à Long Island, où il a très tôt révélé un talent certain pour gagner de l’argent. Enfant, il achetait des paquets neufs de cartes de baseball, les mélangeait avec des anciennes, puis revendait ces paquets reconstitués. […] Sa fortune est estimée à plus de 1,5 milliard de dollars. […]

Lutnick a aussi un côté sombre. […] Pendant des années, lui et son entreprise auraient extorqué de l’argent à divers acteurs – clients, investisseurs, collègues – au point que Lutnick est devenu, selon un ancien associé, “le type le plus détesté de Wall Street”. “Toute son entreprise est conçue pour nuire aux gens”, déclare un ancien employé. “Son but, c’est d’écraser les autres”. […] “Les gens ont très peur de lui”, confie un ancien collègue. “J’ai été témoin direct de son comportement : des intimidations, de l’agressivité… J’ai vu tout cela de mes propres yeux”. […]

La combativité de Lutnick, combinée à une loyauté sans faille, pourrait correspondre parfaitement à ce que Trump attend d’un secrétaire au Commerce. […] Trump et Lutnick se connaissent depuis des années et […] ont un style de fonctionnement similaire, enchaînant les projets lucratifs tout en attirant parfois l’attention des autorités pour des accusations de fraude, de mauvaise gestion comptable ou de blanchiment d’argent. […]

Lutnick est un perfectionniste minutieux, ayant bâti sa carrière en tirant profit de petits gains issus de transactions colossales. Il a exploré presque tous les aspects de Wall Street : actions, obligations, swaps, contrats à terme, produits dérivés, cryptomonnaies et SPACs. […] Howard [a commencé à travailler] en devenant courtier sur le marché des bons du Trésor, un secteur de plusieurs milliards de dollars. »

Et plus fort encore, l’entreprise que possédait Lutnick, Cantor Fitzgerald, est un des 25 négociants primaires de la dette publique américaine, qui ont la charge d’acheter de la dette à l’État pour la revendre sur les marchés. On les appelle en France les « Spécialistes en Valeurs du Trésor ».

Il faudrait donc croire que ce spécialiste en Valeurs du Trésor depuis 40 ans n’aurait pas prévu la réaction des marchés avec l’annonce des vertigineux droits de douane le 2 avril dernier ? On imagine facilement à quel point, lui et les autres ministres, ont dû être mortifiés par l’échec survenu le 9 avril… ou pas.

9 avril 2025, jour de la signature de la « pause » dans les droits de douane. Sans surprise, l’ambiance est dramatiquement sinistre à la Maison-Blanche parmi les ministres après ce « Capitulation Day ». (Photo by SAUL LOEB / AFP)

2- La stratégie commerciale de Trump : le rapport de force brutal

Trump ne supporte pas que son pays se désindustrialise et qu'il soit en déficit commercial ; il a toujours dénoncé le déséquilibre causé par le libre-échange mondialisé. Pourtant, comme le rappelle l’économiste Joseph Stiglitz que nous avons interviewé :

« Certains économistes néolibéraux favorables à la mondialisation prétendent qu'elle est effectivement bénéfique, mais en réalité ils n'en savent rien. Pour eux, le mécontentement qui se manifeste relève de la psychiatrie, pas de l'économie. Mais à voir les statistiques dont on dispose sur les revenus, ce sont peut-être les néolibéraux qui ont besoin d'un psychiatre.

Une part non négligeable de la population des pays avancés voit ses revenus stagner : aux États-Unis, hormis les 10 % les plus riches, c'est le cas de l'ensemble de la population depuis plus de 30 ans. Le revenu médian des travailleurs de sexe masculin est plus bas en termes réels (ajusté en fonction de l'inflation) qu'il ne l'était il y a 42 ans. Et au bas de l'échelle, le niveau des salaires est comparable à ce qu'il était il y a 60 ans. »

Il y a donc une gigantesque opportunité politique, qu’on soit populiste ou sincèrement préoccupé par le sort des classes moyennes et par la souveraineté de son pays. Après tout, Trump ne supporte pas de se « faire avoir », lui ou son pays. Mais il n’a jamais caché son crédo : utiliser les droits de douane pour protéger les emplois et les revenus en rééquilibrant les échanges. Il l’a encore proclamé fièrement en 2018 : « I am a Tariff Man » (« Je suis un défenseur des droits de douane »).

Source : X, 04/12/2018

Mais Trump n’est en rien un innovateur : il ne fait que s’inscrire dans la très longue histoire du protectionnisme américain. Entre 1776 et 1934, les dirigeants politiques ont toujours farouchement défendu leur vision de la protection de l’industrie nationale par le biais des barrières tarifaires.

L’échec de Trump lors de son premier mandat

Logiquement, Trump a appliqué son programme protectionniste quelques mois après sa première élection en 2016, mais de manière limitée. Dans un premier temps, il a étrangement attendu un an pour imposer en janvier 2018 des droits de douane de 30 à 50 % sur les panneaux solaires et les machines à laver, puis sur l’acier (25 %) et l’aluminium (10 %) en provenance de la plupart des pays. Il s’est ensuite attaqué à la Chine en imposant en 2018 des droits de douane de 25 % sur plus de 70 % de ses exportations aux États-Unis.

Pourtant, comme on l’a vu dans notre analyse de la décision de Trump sur les droits de douane, le déficit commercial ne s’est absolument pas amélioré au global, malgré ces mesures protectionnistes.

Solde du commerce extérieur des États-Unis, 1990-2024Solde du commerce extérieur des États-Unis, 1990-2024

Une des grandes raisons a été la fraude ou le contournement : bon nombre de produits chinois ont été soit faussement maquillés en produits d’autres pays, soit ont vu leur production vraiment délocalisée dans des pays voisins.

Agenda47 : le programme « contre-attaque » de Trump

Trump, « Mister Tariff Man », a donc totalement échoué durant son premier mandat à réaliser son grand projet : la réindustrialisation de l’Amérique et le découplage avec la Chine. Ses électeurs n’ont eu que les inconvénients : les hausses de prix sans l’emploi. Trump a sans doute estimé qu’il avait agi trop lentement, de manière trop ciblée et qu’il avait été floué par les Asiatiques, qui ont largement fraudé pour contourner ses taxes.

Il a donc longuement préparé sa riposte. Il a annoncé dès le début de sa campagne présidentielle, en février 2023, les premières mesures de son planAgenda47 (il est le 47e président des États-Unis) :

« Biden et les mondialistes soutiennent […] de vastes accords multinationaux anti-américains qui envoient notre richesse et nos usines à l’étranger. Très simplement, l’agenda de Biden taxe l’Amérique pour construire la Chine. La Chine est la grande bénéficiaire. Nous ne pouvons pas laisser faire cela. […]

Mon programme taxera la Chine pour reconstruire l’Amérique. Au cœur de ma vision, il y a une refonte complète et pro-américaine de notre politique fiscale et commerciale. […] Pour atteindre cet objectif, nous mettrons progressivement en place un système de tarifs douaniers de base universels sur la plupart des produits étrangers.

En plus de cela, des droits de douane plus élevés seront appliqués en fonction du degré de dévaluation monétaire par les pays étrangers. Ils dévaluent leur monnaie pour profiter des États-Unis. Ils subventionnent leurs industries ou s’engagent dans des pratiques commerciales déloyales. »

Trump a en effet bien compris comment les vendeurs chinois avaient contourné ses précédentes taxes de 2018… Et en août 2023, il annonce un droit de douane de base de 10 % pour tous les pays :

« Je pense qu’on devrait mettre ce qu’on appelle une “barrière de protection”. Quand des entreprises viennent déverser leurs produits aux États-Unis, elles devraient payer automatiquement, disons, une taxe de 10 %. Cet argent servirait à rembourser la dette. Même à 10 %, ça représente des sommes énormes. Ce n’est pas suffisant pour arrêter le commerce, mais assez pour générer beaucoup d’argent. […]

Moi, j’aime bien l’idée des 10 % pour tout le monde. Le problème, c’est que certains pays abusent plus que d’autres. Et certains – comme la Chine – manipulent leur monnaie. J’ai été très dur avec la Chine. Je disais : “Si vous continuez, on arrête de faire affaire avec vous”. Et ils cédaient toujours. Mais on doit négocier en position de force. » – Interview Fox Business

Notons bien deux points. Premièrement, Trump a compris une évidence : « 10 %, ce n’est pas suffisant pour arrêter le commerce ». Et deuxièmement, son objectif est de « négocier en position de force ». Il explique même avec une franchise désarmante qu’il va utiliser ces droits pour faire pression pour obtenir des accords commerciaux favorables. Il explique également comment il a fait pour tordre le bras d'Emmanuel Macron et le faire capituler :

« Les droits de douane vous donnent un pouvoir immense sur les pays quand ils se comportent mal, y compris en temps de guerre. Je raconte souvent cette histoire, par exemple avec la France. Vous vous souvenez de cette période un peu tendue où ils voulaient taxer fortement les entreprises américaines ? […] Alors j’ai appelé Macron et je lui ai dit : “Emmanuel, tu vas vraiment taxer les entreprises américaines ? Je ne veux pas que tu taxes les entreprises américaines. On ne vous fait pas ça, alors vous n’allez pas nous le faire”. Il m’a répondu : “Oh, c’est trop tard, je suis désolé”.

J’ai dit : “OK, c’est trop tard ? Tu as 15 minutes pour changer ça, sinon j'impose une taxe de 100 % sur tous les vins et champagnes français qui entrent aux États-Unis. On a d’excellents produits ici, aussi bons sinon meilleurs, et vous paierez 100 % de droits sur chaque bouteille qui vient de France”. Il m’a répondu : “Non, non, non, vous ne pouvez pas faire ça”. Je lui ai dit : “Oh que si. Je suis prêt à signer, ça entre en vigueur lundi matin, et ce sera terminé”. Quinze minutes plus tard, il me rappelle : “OK, on abandonne la taxe”.

C’est comme ça qu’on utilise le pouvoir des droits de douane. Et on peut faire ça mieux que quiconque, parce qu’on est le plus gros acheteur au monde. Mais on ne le restera pas si notre pays continue à s’effondrer. On perd de l’influence. Même notre monnaie est en perte de vitesse. » - Interview Fox Business

Fox News a même fait des bandeaux pour les « malcomprenants » :

« Les droits de douane vous donnent un pouvoir immense » ; « Trump parle de l’utilisation des Droits de douane pour négocier »

En février 2024, Trump a affiné sa proposition et indiqué dans une interview qu’il allait faire escalader la guerre commerciale avec la Chine en proposant de taxer les produits chinois à plus de 60 % : « Question : Le Washington Post dit que vous parlez de droits de douane de 60 % sur les produits chinois. Est-ce vraiment envisagé ? Trump : Non, je dirais que ce sera peut-être plus que cela. […] Ce n’est pas viable pour ce pays de perdre 500 milliards de dollars par an chaque année ».

Au final, le New York Times a très clairement résumé il y a un an et demi le programme de Trump dans un article intitulé : « Une nouvelle taxe sur les importations et une scission avec la Chine : le programme commercial de Trump pour 2025 ».

Droits de douane et guerre commerciale : la séquence 2025

Pour entamer tambour battant son second mandat, Trump a tiré les leçons du précédent. Sa première mesure, le jour même de son investiture le 20 janvier 2025, a été de signer un mémorandum sur la « Politique commerciale America First », qui diligentait une « enquête sur les causes des déficits commerciaux annuels importants et persistants de notre pays en matière de biens, ainsi que sur les implications et les risques économiques et de sécurité nationale qui en découlent ».

C’est cette enquête qui a abouti au décret présidentiel du 2 avril, au terme duquel Trump a déclaré l’état d’urgence nationale en raison des déficits commerciaux annuels importants et persistants des États-Unis.

Ce décret met en œuvre la hausse des droits de douane du programme Trump, en instaurant à compter du 5 avril un taux plancher de droits de douane additionnels de 10 % appliqué à l’intégralité des pays de la Planète, y compris à ceux qui ont déjà un déficit commercial envers les États-Unis. Cela correspond, pour Trump, « à payer pour le privilège d'accéder au plus grand marché du monde ».

Jusque-là, aucune surprise : c’est exactement son programme, annoncé plus d’un an auparavant. Cela pouvait ne pas plaire aux marchés financiers, mais toute surréaction était excessive, vu que ce mouvement avait été anticipé. Vu leur montant limité de 10 %, de tels droits ne sont en rien catastrophiques, cela ne change guère d’une dépréciation du dollar du 10 %.

Mais en revanche, Trump a surpris tout le monde en annonçant qu’en outre, à compter du 9 avril, quatre jours plus tard seulement, ces droits augmenteraient très fortement pour tous les pays qui génèrent un déficit commercial pour les États-Unis (c’est-à-dire la vaste majorité des pays), pour atteindre une valeur de 11 % à 50 %, dont 20 % pour l’UE, 46 % pour le Vietnam et 34 % pour la Chine qui s’ajoutent aux 20 % imposés peu de temps avant (soit un total de 54 %, s’ajoutant au taux moyen d’environ 15 % déjà en application en 2024).

Exemples de droits de douane additionnels sur les importations des États-Unis en 2025

Tout ceci était assez stupéfiant, car cette mesure n’avait jamais été évoquée et qu’elle est d’une violence inédite. Comme Trump lui-même l’avait précédemment dit, les montants très élevés de ces droits, s’ils entrent en application, sont largement « suffisants pour arrêter le commerce ». C’est totalement délirant, et cela ne pouvait que déclencher très rapidement un gigantesque krach boursier, puis une paralysie de l’économie américaine, de façon quasi certaine.

Le calcul des droits de douane : un Kamoulox présidentiel

En y regardant de plus près, on s’aperçoit vite que les taux, différents pour chaque pays, ont été calculés de manière complètement absurde.

Le ministre américain du Commerce, Howard Lutnick, présente les nouveaux tarifs douaniers, 2 avril 2025 (Photo @AP)

Sur le tableau ci-dessus, le gouvernement américain a évalué en colonne de gauche le montant équivalent théorique de « droits de douane infligés aux États-Unis », incluant les « manipulations monétaires et barrières commerciales ». Conformément au programme de Trump sur les « Tarifs réciproques », il applique en retour ces mêmes taxes au pays protectionniste. Mais, sans raison apparente, il applique curieusement un rabais de 50 %, qui n’a aucune logique quand on a tant vanté la « réciprocité ».

Taxes douanières pour la Chine et l'Union européenne - 02/04/2025

Mais comment ce « droit de douane infligé » a-t-il été calculé ? En théorie, il faudrait réaliser de lourds calculs, produits par produit, pour estimer le montant de taxe appliqué par un pays partenaire qui serait en mode de libre-échange parfait. Un tel calcul se révèle d’une complexité sans nom, car on peut avoir un gros déficit parce qu’un concurrent est un peu moins cher, et un droit de douane de 20 % peut suffire, mais s’il est beaucoup moins cher, il faudra un taux de 100 % ou 200 %.

Or, des spécialistes se sont vite rendu compte que le calcul des « droits de douane infligés aux États-Unis » semblait avoir été réalisé par une simple division du déficit commercial (exportations-importations) par le total des importations. C’est un ratio intéressant en soi, mais qui n’a strictement aucun rapport avec des droits de douane « équivalents » ou à appliquer.

Au vu du fort questionnement de la presse (Newsweek ou The Verge se demandent sérieusement si Trump n’a pas simplement demandé à ChatGPT les taux à appliquer), la Maison-Blanche a fini par diffuser sa méthode de calcul par le biais du ministère du Commerce extérieur. Si vous n'avez pas formation mathématique, nous résumons cela juste après.

Méthode ce calcul des tarif réciproques des États-Unis

Résumons : tout ceci est du pur Kamoulox à la « Kad et Olivier » (et ce n’est pas exagéré) : si tout ce charabia peut (de loin) sembler fort sérieux, en réalité, ce n'est qu'un tissu, non pas d'erreurs ou de stupidité, mais de pur n'importe quoi – un délire qui confine au burlesque.

Pour que chacun comprenne bien le ridicule de cette « démonstration », cela a autant de valeur que si Emmanuel Macron affirmait publiquement que la température idéale de la poêle pour optimiser la cuisson de l’omelette correspond à la moitié de l’âge du cuisinier multiplié par la superficie de la cuisine, le tout divisé par 3 – avec pour seule justification une formule mathématique présentée sans aucune preuve comme « vraie ». Bref, tout cela ridicule, mais d’une nature qui veut clairement dire « Coucou, comme vous nous les avez lourdement réclamés, voici nos calculs. Alors oui, ils sont totalement bidon, mais c’est simplement parce qu’on se fout complètement de vous. Bonne journée ».

Si vous avez une formation mathématique, vous trouverez plus de détail ici.

Au final, la « méthode de calcul » de l'administration Trump est donc un grand n’importe quoi vraiment flagrant. Selon nous, ce « calcul » délirant des droits de douane accrédite bien la thèse d’un gigantesque bluff mondial pour mettre les pays étrangers sous pression et les forcer à conclure des accords commerciaux plus favorables aux États-Unis.

III- Bilan de la manœuvre de Trump

Toute cette analyse n’avait pas pour but d’apporter une réponse définitive, mais de montrer que plusieurs lectures sont possibles. Face à l’incertitude, il faut en revenir aux faits. Et quels sont-ils ?

Donald Trump a suspendu les droits de douane pour 90 jours, mais cette pause ne concerne que les surtaxations surprises annoncées en grande pompe le 2 avril 2025, affectant de manière différenciée chaque pays étranger. Les droits de douane de 10 % pour tous les pays sont quant à eux intégralement maintenus, alors que la présentation faite dans la presse laissait à penser que TOUS les droits étaient suspendus (ce qui est faux).

Le bilan est donc simple à ce jour : Trump a imposé des droits de douane de 10 % aux produits de l’ensemble de la Planète, et de 145 % à la Chine, outre 25 % pour l’acier et les voitures. On arrive à plus de 25 % de droits moyens sur les importations aux États-Unis le 10 avril, après « pause » ;

Taux moyen des droits de douane aux États-Unis, 1800-2025Taux moyen des droits de douane aux États-Unis, 1800-2025

Pendant 90 jours, la plupart des autres pays ne vont guère réagir ; les exportations américaines restent donc non taxées.

Plus de 70 gouvernements ont envoyé des émissaires dans le but explicite de conclure des accords qui leur seront défavorables, mais moins que les droits de douane initialement annoncés. L’Union européenne a ainsi mis en pause ses propres mesures de rétorsion « pour créer des conditions favorables » avec Trump (ne pas répondre à l’agression violente ou le faire – l'avenir nous dira donc qui de l’UE ou de la Chine a eu la meilleure stratégie face à la brutalité américaine).

Mais il y avait un autre axe important dans le programme économique de Trump : affaiblir le dollar (réaliser une sorte de dévaluation) pour réduire encore plus les déficits. De fait, le dollar vient de diminuer de 5 % en à peine 15 jours.

Taux de change dollar/euro de mars à avril 2025Taux de change dollar/euro de mars à avril 2025

Cela signifie qu’en cette mi-avril, les produits français entrant aux États-Unis coûtent 15 % plus cher que le 1er avril, et les produits américains en France coûtent 5 % moins cher. Il est vraiment rageant que nous ayons un président français trop intelligent et sensé pour arriver à ce genre de résultats économiques !

En définitive, il est difficile d’anticiper avec certitude les effets à moyen et long termes de la politique commerciale agressive et cynique de Donald Trump. Néanmoins, à court terme, elle profite aux États-Unis et place son pays en position de force pour négocier des accords plus avantageux. Pas si mal pour un imbécile fou !

Photo d'ouverture : Le secrétaire au Trésor américain Scott Bessent (2e à droite) et le secrétaire au Commerce Howard Lutnick regardent le président Donald Trump signer un décret dans le bureau ovale de la Maison Blanche, le 9 avril 2025 à Washington, DC. (Photo by SAUL LOEB / AFP)

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