Explosion du prix de l'énergie : le pouvoir d'achat fortement impacté

« Nous sommes au pic de l’inflation ». C’est ce que déclarait Bruno Le Maire en juin… puis en juillet. C’est également ce que vient de répéter Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, il y a à peine une semaine. La réalité est bien loin de ces formules inconsidérées, puisque la hausse des prix s’inscrit davantage sur une pente croissante. Les décisions politiques prises au printemps ont entrainé une augmentation vertigineuse du prix de l’énergie dont les effets commencent seulement à se faire sentir. Ce n’est hélas qu’un début.

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publié le 02/09/2022 Par Olivier Berruyer
EXPLOSION DU PRIX DE L’ÉNERGIE : LE POUVOIR D’ACHAT FORTEMENT IMPACTÉ
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C’est la crise sanitaire de 2020-2021 qui a engendré les premiers effets délétères sur le marché mondial de l’énergie. La profonde récession causée par la mise à l’arrêt d’une partie de l’économie mondiale avait logiquement entrainé une forte baisse de la demande, et donc des prix, de -60 %. Le retour à la normale a entrainé, tout aussi logiquement, un retour aux niveaux antérieurs mi-2021.

Pire, les déséquilibres persistants entre l’offre et la demande fin 2021 ont conduit à une première augmentation notable des prix. Outre le retour de la demande après la crise, les principales causes de cette augmentation sont les suivantes :

  • une offre insuffisante liée à la forte baisse des investissements en exploration de nouveaux gisements de pétrole et de gaz en 2020 ;
  • des incidents techniques ou climatiques : blocage du canal du Suez en mars 2021, incendie dans une usine gazière en Sibérie à l’été 2021, ouragan Ida dans les régions productrices de pétrole du golfe du Mexique à la fin de l’été 2021 ;
  • les débuts des tensions entre la Russie et l’Europe en 2021. La Russie — qui fournit 40 % du gaz de l’Union européenne — refusait jusqu’à octobre 2021 d’augmenter ses exportations vers le continent européen, réclamant la mise en service du gazoduc Nordstream 2 conformément aux engagements pris ;
  • des stocks de gaz anormalement bas en Europe, à cause d’un hiver très long et d’une baisse des approvisionnements russes.

Quand le politique s’en mêle

Mais c’est l’aggravation sans précédent des tensions entre la Russie et l’Europe depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022 qui a conduit l’énergie à des niveaux très élevés, en particulier via la surenchère de sanctions économiques et énergétiques.

La première mesure très impactante a été l'interdiction d'importer du charbon russe dans l’UE, décidée en avril dans le cadre du cinquième train de sanctions contre la Russie. Elle est entrée en vigueur le 10 août.

La deuxième a été présentée ainsi par le Conseil Européen : « En juin 2022, le Conseil a adopté un sixième train de sanctions qui interdit notamment l'achat, l'importation ou le transfert de pétrole brut et de certains produits pétroliers de Russie vers l'UE. Les restrictions s'appliqueront progressivement […] ces restrictions couvriront près de 90 % des importations de pétrole russe en Europe d'ici la fin de l'année. »

La Conseil européen n’a cependant fait que répondre aux désirs du Parlement européen, qui, le 7 avril, a demandé dans une résolution adoptée par 513 voix pour, 22 contre et 19 abstentions « qu’un embargo total et immédiat sur les importations russes de pétrole, de charbon, de combustible nucléaire et de gaz soit mis en place [et] que les projets Nordstream 1 et 2 soient totalement abandonnés ». Rappelons que, contrairement à Nordstream 2, Nordstream 1 n’est nullement un « projet », mais est le gazoduc en service depuis 2012 qui approvisionne en partie l’Allemagne en gaz russe.

Contrairement à ce que la formulation précédente pourrait laisser penser, il ne s'agit nullement d'une rédaction malheureuse lors d'un vote "à la va-vite". La version initiale de cette résolution, déposée par la droite, les conservateurs, les libéraux, les verts, les socialistes et la gauche était un peu plus prudente sur le gaz, en demandant "un embargo total et immédiat sur les importations russes de pétrole, de charbon et de combustible nucléaire, qu’un embargo sur le gaz soit mis en place le plus rapidement possible [...]". C'est un amendement du groupe de La République en Marche, déposé par Stéphane Séjourné et Guy Verhofstadt, appuyés par les Verts allemands, qui a été adopté par le Parlement et qui a donc demandé un embargo immédiat également sur le gaz.

C’était un vote historique, probablement le premier où un parlement a voté pour couper volontairement son pays de 30 % de ses sources d’énergie bon marché, sans la moindre alternative disponible à court terme. Et comme nous le verrons, en pure perte.

Un doublement des prix mondiaux de l’énergie

Au final, ces bouleversements majeurs ont entrainé un quasi-doublement des prix mondiaux de l’énergie entre 2019 et 2022.

Ces prix n’avaient pas été aussi élevés depuis 2011, époque marquée par les « révolutions arabes » puis l’intervention militaire en Libye. Ils se rapprochent même dangereusement des records liés au pic spéculatif de 2007-2008, quand les investisseurs avaient délaissé les actifs immobiliers (responsables de la crise) au profit des matières premières.

La hausse des prix de l'énergie est cependant bien plus forte sur les marchés européens qu'au niveau mondial. 

Le gaz, 10 fois plus cher qu’en 2019

En effet, le prix européen du gaz naturel a été multiplié par cinq en un an, et par 10 depuis 2019. Ces prix sont sans précédent dans l’histoire de l’énergie. Le prix du gaz reste actuellement 7 fois moins élevé aux États-Unis qu’en Europe.

Le prix européen du pétrole brut a doublé par rapport à son niveau de début 2021. Il retrouve ses niveaux historiquement hauts de 2011-2014. Il est au même niveau de prix qu’aux États-Unis.

Enfin, la crise énergétique actuelle a relancé l’appétit pour le charbon, ce qui est dramatique pour le climat. En conséquence, le prix mondial du charbon a été multiplié par près de 8 par rapport à ses niveaux de 2020. Il atteint lui aussi des niveaux sans précédent. Le prix du charbon reste actuellement 2 fois moins élevé aux États-Unis qu’en Europe.

Au final, c’est donc le gaz et le charbon qui ont récemment le plus tiré à la hausse les prix mondiaux de l’énergie.

En Europe, si on compare les trois énergies fossiles pour la même quantité d’énergie fournie, le prix actuel du gaz est devenu totalement non concurrentiel, alors que le gaz russe bon marché avait assuré depuis 20 ans une énergie très compétitive, surtout pour l’Allemagne.

En France, le carburant routier historiquement cher

Intéressons-nous maintenant à un élément fondamental et quotidien du pouvoir d’achat des Français : l’évolution du prix du carburant.

La consommation d’énergie primaire réelle (c’est-à-dire non transformée après extraction, et sous forme de dérivés non énergétiques comme le goudron ou le bitume) de la France se compose en effet à 28 % de pétrole. Le graphique ci-dessous permet de comparer l’évolution des prix des différents dérivés du pétrole dans l’Hexagone (le naphta sert à la pétrochimie et à la composition des essences). La tendance générale des prix du pétrole en France est logiquement la même qu’au niveau mondial.

En 2022, la hausse entamée fin 2020 se prolonge en raison de la guerre russo-ukrainienne : la France achète en effet entre 10 % et 15 % de son pétrole brut à la Russie depuis plusieurs années.

Entre avril 2020 et janvier 2022, les prix du Naphta, du Supercarburant, du Brent et du Gazole-Fioul domestique ont ainsi doublé, revenant à leurs niveaux historiquement très élevés de 2010-2014.

Il en va de même pour le prix des carburants routiers, essence et diesel ayant de nouveau dépassé les 2 € par litre.

Le différentiel de prix entre le pétrole raffiné et le carburant routier s’explique par les taxes sur les carburants qui représentent environ la moitié du prix à la pompe. Aux États-Unis, les taxes sur l’essence et le diesel ne représentent que 16 % du prix du carburant ; c’est pourquoi l’essence y est si peu chère, valant environ la moitié du prix français.

Malgré le nucléaire, le prix en France de l’électricité explose

L'opinion publique a été alertée fin août de l'explosion du prix de l'électricité, le dépassement historique des 1 000 €/MWh ayant été largement rapporté par la presse. Nous allons voir ce que cela implique et comment nous en sommes arrivés là.

Rappelons tout d’abord que la consommation d’énergie primaire de la France se compose à 40 % d’énergie nucléaire. Dans le contexte actuel, l’uranium a également augmenté, mais de seulement 30 %, la demande ne pouvant évidemment pas beaucoup varier à court terme. Il reste très loin de son niveau atteint durant la crise spéculative des matières premières en 2007.

En termes de production, le nucléaire fournit 67 % de l’énergie électrique nationale, mais le prix du combustible nucléaire ne représente qu’une faible partie du prix final de notre électricité. Et les conditions de marché actuelles font que le prix de gros de l’électricité est actuellement 10 fois plus cher par rapport à 2019. Si le prix moyen en août s'est approché de 500 € le MWh, il a même temporairement dépassé certains jours les 1 000 € / MWh, soit 20 fois le prix de 2019  !

L’explication d’une telle hausse réside dans la manière dont est fixé le prix du mégawattheure en Europe : il est établi en prenant en compte le coût de production de l’électricité par la dernière centrale thermique appelée en cas de pic d’activité. Or, la dernière centrale appelée en cas de pic se trouve… en Allemagne et fonctionne au gaz.

Ce fonctionnement insensé que l’on doit au cadre européen a pour conséquence fâcheuse que la facture d’électricité en France est basée sur…le prix du gaz. Or, comme le gaz atteint des prix exorbitants, l’électricité suit la même dynamique. Cette hausse est ainsi due à une méthode kafkaïenne de calcul et de réglementation propre à l’Union européenne, et aurait donc pu être largement limitée. Cette problématique est encore amplifiée par la quantité de centrales nucléaires mises à l’arrêt pour des problèmes techniques.

Par chance, le tarif réglementé appliqué à de nombreux particuliers fait que la facture d’électricité ne va heureusement pas décupler pour eux ; ils doivent cependant s’attendre à de fortes hausses en 2023 comme vient de l'annoncer la Première ministre, voire même à des coupures temporaires. Les particuliers ont choisi « le libre marché » et les industriels subissent, eux, d’énormes hausses de tarif, entrainant même des faillites.

Conclusion

Les prix mondiaux de l’énergie ont donc pratiquement doublé depuis 2019, tirés par l’explosion du prix du gaz en Europe, dont les conséquences se font sentir jusque dans nos factures d’électricité, en raison, en partie, d’une réglementation européenne inepte.

Le plus stupéfiant est que cette grave crise, qui a redéclenché le spectre de l’inflation, a largement été causée par des décisions politiques irréfléchies. Le but des dirigeants occidentaux était de « réduire considérablement les bénéfices commerciaux de la Russie », mais ils ne comprennent pas, à l’évidence, les mécanismes de base de fixation des prix s’agissant d’un gros producteur d’un marché à offre limitée : cesser d’acheter à ce producteur ne peut que provoquer une hausse des prix, tout à fait capable d’augmenter au final les revenus du producteur sanctionné. C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est passé, la Russie ayant perçu 40 % de revenus pétroliers en plus qu’avant la guerre.

Et on ne parle ici que des problèmes « d’efficacité économique » des sanctions prises, l’absence « d’efficacité politique » sur la fin de la guerre étant hélas évident, notons par exemple que c’est la Russie qui limite volontairement aujourd’hui ses livraisons de gaz… Il n’y a que la Commission européenne qui, après avoir gelé 300 milliards d’euros de la banque centrale russe, s’étonne donc de subir des contre-sanctions à ses sanctions.

Comme l’a dit François Lenglet : « Oui [on se serre la ceinture, on risque de connaitre pénuries et rationnement pour rien : ] les sanctions, que nous payons cher avec l’inflation, n’ont servi qu’à remplir les coffres de Poutine à des niveaux impensables. »

Les 7 milliards d’habitants des pays non occidentaux connaissent bien moins de difficultés que les Européens, leurs gouvernements ayant appliqué la fameuse devise du général de Gaulle « Les États n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts. ». Ils se fournissent donc souvent en partie auprès de la Russie à des tarifs plus bas que les cours mondiaux, améliorant ainsi la compétitivité de leurs entreprises à notre détriment. Le simple fait qu'ils privilégient les intérêts de leur population explique la surprise de Stéphane Séjourné quant au fait "que certains pays ne soient pas plus solidaires de l'Europe."

Au final, ces décisions politiques inconséquentes pèsent fortement sur les ménages et les entreprises françaises, d’autant plus que rien n’indique que les prix de l’énergie sont amenés à baisser de nouveau à court terme. L’inflation relancée par l’énergie commence déjà à impacter nettement notre pouvoir d’achat.


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