L’Aveuglement. Une autre histoire de notre monde (2015) est une tentative inédite d’identification et de théorisation des facteurs d’aveuglement dans l’Histoire, qui ont empêché d’anticiper certains événements marquants.
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Marc Ferro nous propose maints exemples, partout dans le monde, tirés d’une période historique étendue, allant de la Première Guerre mondiale à 2015, et concernant tant l’individu particulier que le chef d’État, les groupes politiques, religieux ou les populations nationales. Néanmoins, la base de réflexion qu’il propose nous renvoie, plus spécifiquement, à l’aveuglement appliqué au système européen et à la France de 2015.
Ce qu’il faut retenir :
L’aveuglement volontaire ou involontaire entrave les capacités d’anticipation des événements.
L’aveuglement dépend du degré d’information, de la conscience de son rôle dans la société et dans l’Histoire présente, de l’identification des biais cognitifs qui nous menacent (défense d’une cause, sentiments comme la haine, le racisme ou la ferveur patriotique), de sa crédulité, de l’évaluation des intérêts personnels de chacun d’un point de vue stratégique et empathique.
Outre le panorama synthétique du paysage historique du XXe siècle qu’il offre, l’ouvrage de Marc Ferro met en évidence plusieurs phénomènes d’absence d’anticipation ou de prévision par les dirigeants, les groupes religieux ou politiques ou les populations. À travers ces études de cas, il propose une première théorisation des différents types d’aveuglement : le déni, la crédulité, l’ignorance, l’éblouissement.
Biographie de l’auteur
Marc Ferro (1924-2021) est un historien de l’époque contemporaine spécialisé dans l’histoire de la Russie et de la période soviétique, dans les relations entre l’histoire et le cinéma ainsi que dans les deux guerres mondiales.
En 1944, à l’âge de 19 ans, il entre dans le maquis du Vercors après la déportation, sans retour, de sa mère d’origine juive. Il commence ensuite une carrière d’enseignant et occupe son premier poste à Oran, dans l’Algérie française. Il milite en faveur d’une Algérie indépendante, mais demeure hostile au déferlement de violence du FLN. À son retour à Paris, il rejoint l’enseignement supérieur, l’EHESS, participe à la revue des Annales et s’investit dans l’institut du monde soviétique dont il devient le directeur.
Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d'Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.
Plan de l’ouvrage
II. La méprise de masse
III. La crédulité militante
IV. L’optimisme aveugle
V. L’esprit doctrinaire
VI. Perspectives de guerre
VII. Les juifs, victimes aveugles
VIII. La dénégation, formes comparées
IX. Perçoit-on les dérives des grands principes ?
X. Aveuglements croisés et cumulés
XI. Ces visions qui nourrissent l’aveuglement
XII. L’incompréhension devant la chute de l’URSS
XIII. Les individus devant l’Histoire
XIV. Le passé et son héritage
XV. La responsabilité de la « libre information »
XVI. Le cinéma, écran ou interprète de la réalité ?
Synthèse de l’ouvrage
Chapitre I. L’inattendu ces nébuleuses qui font l’Histoire : l’éveil chinois, Mai 68 et Al-Qaïda
Ni l’émergence de la Chine dans les années 1980-90, ni la révolte de la jeunesse de mai 68, ni la naissance d’Al-Qaïda, nouvel ennemi des États-Unis qui régnaient alors sans rival, n’ont été prévues. Pourquoi cela ? La raison réside dans le processus nébuleux dont ces événements constituaient la manifestation. En effet, l’organisation des États, en particulier occidentaux, repose sur la juxtaposition de lieux et de cadres règlementaires, en dehors desquels rien n’existe et qui constituent le schéma d’analyse et de perception de tout événement (l’entreprise, les syndicats, les associations, l’école, l’université, les ministères, l’armée…). Par leur mécanisme « nébuleux », les trois événements cités surent déjouer ce cadre d’analyse.
Le mouvement étudiant de mai 68 ne fut porté par aucune association étudiante particulière, bien que ces dernières l’aient rejoint en cours de route, avec certains hommes politiques tentant de s’approprier la cause. Ces révoltes de la jeunesse procédaient, au contraire, d’un soulèvement quasi spontané, et ne relevaient, à la limite, que d’un réseau étudiant latent entre plusieurs universités françaises et européennes.
La puissance chinoise reposait quant à elle sur plusieurs décennies à la fois de perfectionnement et de spécialisation des techniques (d’abord dans le domaine textile puis davantage dans l’électronique), mais aussi d’un renforcement des relations commerciales et industrielles avec la diaspora chinoise d’Asie du Sud-Est. Ces relations non officielles passèrent alors au travers du filtre de perception des délégations diplomatiques étrangères.
Enfin, bien qu’Al-Qaïda, créée par Oussama Ben Laden en 1985, ait déclaré la guerre aux États-Unis en 1996, cette organisation ne disposait alors ni de territoire officiel, ni d’État, ni d’armée, ni de ressources apparentes hormis la fortune familiale de son fondateur, mais simplement d’un « réseau », imperceptible aux yeux des institutions américaines.
Chapitre II. La méprise de masse
Les grandes déceptions ou stupeurs d’une population entière ne s’expliquent pas nécessairement par le caractère réellement imprévisible d’une situation, mais par la « méprise de masse ». Les dirigeants, en revanche, sont supposés anticiper de manière lucide les conséquences de tels événements.
Par exemple, le 11 novembre 1918, la population allemande, persuadée d’être « invaincue », signait pourtant l’armistice marquant sa défaite. Le résultat du Traité de Versailles leur révéla leur méprise, tandis que l’on reprocha au gouvernement d’avoir trahi le pays. Pourtant, dès le mois de juillet 1918, les autorités militaires pressentaient une défaite militaire de l’Allemagne. Ne souhaitant pas porter la responsabilité de cet échec devant leur population, ils engagèrent le gouvernement civil à négocier un armistice avec les Alliés, basé sur les « 14 points de Wilson » énoncés en janvier de la même année. Cependant, les conditions de la paix avec les Alliés s’étant durcies, le gouvernement social-démocrate fut finalement rendu responsable par la population de la défaite apparente de l’Allemagne, alors même que la défaite militaire était imminente.
Les accords de Munich, signés en 1938, sont un autre exemple d’une telle méprise. Chez les Alliés et en France particulièrement, le spectre de la Grande Guerre planait encore. Le refus de la guerre était alors d’autant plus ancré auprès des gouvernants et de leur population que la plupart des pays n’y étaient pas préparés et avaient accumulé un retard en matière militaire. Pour reculer cette échéance au maximum, Neville Chamberlain et Édouard Daladier accompagnés de Benito Mussolini ont signé les Accords de Munich en 1938, et ont ainsi accepté de concéder à l’Allemagne le territoire des Sudètes. Alors que la population française se réjouissait d’avoir, par cet accord, préservé la Paix, le Président du Conseil, Édouard Daladier, de même que d’autres personnalités politiques ou militaires, comme le Général de Gaulle, prévoyaient alors déjà, que la France allait à la guerre.
Chapitre III. La crédulité militante
Au cours de l’histoire, la foi envers un parti politique et le militantisme ont produit deux sortes de dérives : l’aveuglement par occultation ou éblouissement, et le déni. Le communisme soviétique, comme foyer idéologique, en fournit un exemple. En effet, le système idéal communiste proposé par le parti bolchevik fournissait un prisme d’observation à travers lequel certaines réalités étaient occultées ou niées, car incompréhensibles dans le cadre de ce système.
Par exemple, les militants communistes français ont refusé de croire aux exactions commises par le régime soviétique jusqu’en 1976, date à laquelle parut un film clandestin révélant l’existence de camps de travail en URSS. Pourtant, dès 1956, le rapport Khrouchtchev révéla les exactions de Staline auprès des sphères dirigeantes communistes. La ferveur militante permettait le cas échéant d’amoindrir certaines réalités trop évidentes pour être niées. Ces dernières étaient alors considérées comme des victimes collatérales nécessaires à l’aboutissement d’une cause plus grande. Il en fut ainsi, par exemple, des principes de démocratie par les soviets et de la place de l’ouvrier dans le parti bolchevik de Lénine, fondé en 1902.
Au lendemain de la révolution d’Octobre 1917, qui avait eu pour objectif de mettre à bas le régime tsariste en prônant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans les soviets, le régime bolchevik procéda peu à peu à une purge des ouvriers au sein de la part dirigeante du parti. Il organisa par ailleurs une centralisation du pouvoir au détriment des soviets.
Un tel aveuglement est également observable auprès des populations et de certains observateurs internationaux, sympathisants du communisme soviétique, face aux régimes de Fidel Castro à Cuba, de Mao Tse Tong en Chine, mais aussi de l’Ayatollah Khomeiny en Iran. Ces régimes exerçaient en effet une réelle fascination sur leur population. Par son consentement, la population acceptait leur pouvoir dictatorial.
Chapitre IV. L’optimisme aveugle
Dans un monde financiarisé, l’intégration et l’interconnexion des économies sont avancées, créant des relations étroites entre les institutions bancaires, politiques, économiques, nationales et internationales. Dans ces conditions, il est plus aisé de gérer une crise économique quand elle se présente, plutôt que d’actionner les multiples échelons nécessaires à sa prévention. C’est ce que suggèrent les exemples de la crise de 1929, du choc pétrolier de 1974 et de la crise des subprimes de 2008. Dans ces trois cas, lorsque l’événement catalyseur provoqua la crise, les conditions de ces crises étaient en réalité déjà réunies.
Pour autant, le domaine économique ne manque pas de procédés d’anticipation, lesquels ont, comme perspective, la création d’une croissance économique. Si, à l’origine, Thomas Malthus avait défini les capacités de croissance économique comme la variation de la démographie en fonction des ressources terrestres, par définition limitées, ces limites furent repoussées grâce au progrès. Peu à peu, les disciplines se sont compartimentées entre elles favorisant une forme « d’impérialisme sectoriel ».
Cependant, en se privant des apports intellectuels réciproques entre les disciplines de sciences humaines, les concepts et analyses obtenus demeurent incomplets. Or, cet apport interdisciplinaire aurait pu permettre par exemple d’anticiper la différence de réaction entre l’agent économique théorique et l’être humain à la veille de la crise de 2008. Cela n’empêche pas d’assister à des anticipations intradisciplinaires très justes ; par exemple, l’étude d’Emmanuel Todd en 1976, portant sur la mortalité infantile, qui lui avait permis de conclure à un effondrement prochain de l’URSS, était alors quasiment clairvoyante.
Chapitre V. L’esprit doctrinaire : la montée du nazisme
L’aveuglement relatif au nazisme s’est quant à lui manifesté dans les populations et milieux intellectuels tant des puissances étrangères que de l’Allemagne. En effet, au cours des années 1920 puis au début des années 1930, toutes les autorités gouvernementales frontalières à l’Allemagne, hormis Winston Churchill, sont persuadées de la disparition progressive du parti nazi d’Adolf Hitler. Le nombre de membres nazis au sein du Reichstag ne cessait pourtant de progresser.
Par ailleurs, l’image de puissance, d’héroïsme, mais aussi de « mise au service du peuple » que véhicule le mouvement national-socialiste, majoritairement composé de jeunes, répondait alors précisément au besoin psychologique de la population allemande, durement touchée par les répercussions du Traité de Versailles et celles de la crise de 1929. Ainsi, après la nomination d’Hitler en tant que Chancelier le 30 janvier 1933 et en dépit de la Nuit des Longs Couteaux en 1934 et de l’appel du parti communiste à une union avec le parti social-démocrate contre le nazisme, la classe prolétaire apporta son soutien au parti nazi.
Tout comme le communisme, le parti nazi exerçait une grande fascination par l’atmosphère « joyeuse » des rassemblements nazis ainsi que par le charisme de son fondateur. L’apparente ouverture culturelle franco-allemande de la politique nazie contribuait également à séduire et à aveugler le milieu intellectuel à la fois français et allemand. En Allemagne, 88 écrivains, entre autres intellectuels, étaient ainsi membres de l’association Blut und Boden, soutien du régime nazi. En France, les revues comme « Je suis partout » ou « Gringoire » rassemblait une communauté intellectuelle proallemande. Le soutien des intellectuels français relevait de différentes raisons : antisémitisme (Céline), rejet du modèle politique français (Robert Brasillach), anticommunisme (Marcel Déat) ou encore pacifisme (Alain). Au moment de la Libération et face à l’appel au « droit à l’erreur » ou à la « liberté d’expression », la responsabilité des intellectuels fut cependant mesurée à l’aune de la célébrité de chacun, selon le principe défendu par Charles de Gaulle qui veut que « Dans les lettres, comme en tout, le talent est un titre de responsabilité. »
Chapitre VI. Perspectives de guerre (1939-1940)
La Seconde Guerre mondiale regorge de nombreux exemples de fourvoiements de chefs d’État et d’hommes politiques. Alors que leurs deux idéologies les opposaient, le 31 mars 1939, Adolf Hitler et Joseph Staline conclurent le Pacte Germano-Soviétique de non-agression et de partage du territoire polonais, et ce, à la grande stupéfaction des partis communistes de tous les États. Par la suite, le déni de Staline face aux multiples alertes concernant l’opération Barbossa témoigna de son aveuglement quant aux intentions d’Hitler lors de la signature du pacte germano-soviétique. Hitler se laissa quant à lui aveugler par son propre racisme à l’encontre des Soviétiques, l’amenant ainsi à largement sous-estimer leurs capacités militaires. Chez les Américains, le Président américain Roosevelt, pressé par les lobbys qui voyaient dans l’Allemagne un marché potentiellement lucratif, tenta tant et si bien d’aveugler le Congrès et l’opinion américaine quant à sa très forte volonté d’entrer en guerre en Europe, qu’il fut par la suite soupçonné d’avoir eu des renseignements concernant l’attaque de Pearl Harbor.
Pour autant, certains chefs d’État et militaires se distinguèrent par leur clairvoyance. Ce fut le cas de Winston Churchill, mais aussi du chef militaire chinois Tchang Kaï-Chek, qui prédit une guerre mondiale dès 1931, et enfin du général de Gaulle concernant la nécessité de moderniser l’armée.
L’usage de la propagande constitua également un moyen d’aveugler l’opinion publique. Il s’agissait à travers elle de contrôler la presse et les médias, d’occuper la population et de « faire de la rue un spectacle ». Les meilleurs représentants de cette tendance sont, bien que distincts, l’URSS, l’Allemagne, et l’Amérique. Outre le contrôle et la manipulation au sein des médias traditionnels, la Seconde Guerre mondiale est caractérisée par l’émergence d’une nouvelle branche dans l’art de la propagande : le film. Joseph Goebbels développa ainsi une prédilection particulière pour ce nouveau moyen de communication, tandis que Franklin Roosevelt, qui s’y intéressa tardivement, finit par s’attacher à faire d’Hollywood un organe officieux de sa politique étrangère et intérieure.
Chapitre VII. Les juifs, victimes aveugles (et autres victimes invisibles)
Les juifs n’ont pas été épargnés par le phénomène d’aveuglement concernant le régime hitlérien. Il en fut ainsi de l’historien Ernst Kantorowicz, d’origine juive et fervent nationaliste. Il soutenait la politique nazie, mais manifesta de l’incompréhension quand celle-ci lui fut appliquée, étant à la fois bon patriote et non-pratiquant de la religion juive.
En France, la communauté juive manifestait une certaine confiance envers le gouvernement de Vichy, persuadée que ce dernier tentait de résister autant que possible aux demandes allemandes. Tel fut l’aveuglement de Raymond-Raoul Lambert, le rédacteur d’Alliance israélite et de Jacques Helbronner, le Président du Consistoire central israélite de France, lesquels, malgré leurs responsabilités au sein de la communauté juive, ne prirent pas la mesure du caractère irréversible des déportations. Tous deux moururent à Auschwitz en 1943.
Du point de vue des États, les réactions sont différentes. Roosevelt comme Staline sous-estimèrent l’ampleur du nombre de victimes, bien que pour des raisons différentes. À l’inverse, les familles royales du Danemark et des Pays-Bas participèrent au sauvetage de nombreux juifs.
Chapitre VIII. La dénégation, formes comparées : Allemagne et URSS
En Allemagne, la dénégation a pris plusieurs formes. Elle s’est d’abord manifestée par une victimisation de la population allemande face aux Alliés et par le refus de se confronter à leur propre forfait. Ce déni se constate aussi bien dans leur cinéma que dans leur littérature. Cette dernière relativisait les exactions allemandes par la mise en exergue de celles des Alliés. Avec la chute de l’URSS en 1991, la Russie désormais tournée vers la mise en place d’un système capitaliste redevenait vertueuse, cédant la place de l’empire du Mal au souvenir de l’Allemagne nazie. Ce faisant, en Allemagne, il était nécessaire de renouveler les thèses de justification du dérapage nazi. En 1997, Daniel Goldhagen proposa ainsi la thèse d’une haine héréditaire des Allemands à l’encontre des juifs.
Chez les communistes, le déni se manifesta en 1956 lors de la diffusion auprès des instances dirigeantes du parti communiste à travers les États, du rapport Krouchtchev, révélant les abus de Staline. Ce rapport fut par la suite suivi d’une littérature dénonciatrice, telle que les ouvrages d’Alexandre Soljenitsyne. Si le déni fut grand chez les dirigeants, les militants restèrent relativement en dehors de ce débat jusqu’en 1976.
Chapitre IX. Perçoit-on les dérives des grands principes ?
L’Histoire constitue également le cimetière de grands principes finissant par être appliqués de manière partielle et dévoyée. Ainsi, alors que la Révolution française de 1789 avait institué la Liberté et l’Égalité en droit, la Constitution a occulté la profonde inégalité de fait présente dans la société au démarrage de cette République. Par ailleurs, alors que l’on établissait en grande pompe les Droits de l’Homme et du Citoyen, ceux de la femme n’étaient pas abordés, pas plus que ceux des Hommes colonisés.
En ce qui concerne le droit à la souveraineté des nations, l’Histoire propose divers exemples du deux-poids-deux-mesures, à l’image des ingérences de l’OTAN ou des États-Unis au Moyen-Orient – une iniquité d’autant plus flagrante que le respect de leur propre souveraineté, comprise au sens large, tient particulièrement à cœur aux Américains. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes invite également à réfléchir au processus d’unification européenne de 1951 à 1992, date à laquelle ce projet fut soumis au vote de la population. Ce processus pose par ailleurs la question de la garantie de la souveraineté de la nation par ses institutions. Étant en partie gérés par une puissance extérieure, qui règne sur le monde de la Finance au travers des Institutions européennes, les pays européens consentent ainsi à leur propre « autocolonisation ».
Chapitre X. Aveuglements croisés et cumulés : la tragédie de l’Algérie
Dès les attentats de 1954, les Pieds-noirs se dressèrent en faveur du maintien de l’Algérie française en dépit des grands principes suscités. En métropole, les gouvernants étaient tout à la fois ignorants des enjeux et peu impliqués dans le problème algérien. Ainsi, si les libéraux tentèrent tout d’abord de récupérer la conduite de ce soulèvement, la tendance profondément nationaliste des revendications de Ferhat Abbas et de Messali Hadj favorisèrent au contraire un rapprochement avec le Parti communiste français. À terme, la foi aveugle envers les bénéfices d’une Algérie indépendante déboucha dans un premier temps sur une certaine désillusion pour ses partisans.
L’incompréhension du caractère sécessionniste du soulèvement algérien par le gouvernement français entraina l’échec de la délégation du Président du Conseil Guy Mollet en janvier 1956 et le rappel du Général Charles de Gaulle au pouvoir en 1958. Pour autant, ce dernier n’hésita pas à laisser planer le doute sur sa position au sujet de l’Algérie. Aussi, contrairement aux attentes aussi bien des Pieds-noirs que du gouvernement français, Charles de Gaulle permit la sécession de l’Algérie.
Chapitre XI. Ces visions de l’Histoire qui nourrissent l’aveuglement
Dans les années 1970, le Shah d’Iran, s’il est pieux, est aussi modéré. Il avait pour objectif de moderniser l’Iran et pour cela entreprend des réformes agraires et industrielles qui eurent pour conséquence d’exacerber les contestations sociales, notamment celles des jeunes, des commerçants hostiles aux grands groupes industriels et du clergé dont le budget ne cessait de se réduire. Sourd à ces revendications, le Shah d’Iran fut finalement confronté à une alliance insolite entre le clergé, le Bazar et le Tudeh (parti communiste) qui le contraignirent à fuir l’Iran et laisser le pays aux mains de l’Ayatollah Khomeiny. Or, contrairement à ce qui avait été envisagé, ce dernier contribua à soumettre la nation à la cause islamiste. Lors des « Printemps arabes », un mécanisme similaire fut à l’œuvre. Reposant sur des revendications politiques et sociales, les révoltes aboutirent finalement à l’instauration de régimes islamistes.
Pourtant, la montée de l’islamisme au Moyen-Orient n’est pas récente et peut remonter aux années 1960. Elle fut favorisée par la mondialisation, le développement de la communication sans fil, mais aussi, dans une certaine mesure, par l’abandon progressif des grands principes et valeurs sous-tendant les régimes démocratiques occidentaux. Elle s’est renforcée de 1928 jusqu'à la fin des années 1970, dans l’indifférence générale de l’Occident, jusqu’à ce qu’émerge la figure d’Oussama Ben Laden.
Il faut par ailleurs souligner deux phénomènes : l’absence de revendications des musulmans modérés face à l’islamisme et, en ce qui concerne le financement de ces mouvements, la forte intégration des pays islamisés dans le système économique mondial.
Chapitre XII. L’incompréhension devant la chute de l’URSS
La chute de l’URSS fut d’autant plus soudaine et imprévue que seuls André Amalrik et Emmanuel Todd furent en mesure de l’anticiper en 1970 et 1976, tandis que d’autres intellectuels, comme Hannah Arendt, considéraient que ce type de totalitarisme communiste ne pouvait s’effondrer du fait de la grande malléabilité de son fonctionnement. Pourtant, la bureaucratisation et la multiplication des institutions soviétiques avaient rigidifié le système et donc accentué sa sensibilité aux chocs.
La vision occidentalisée du communisme de Mikhaïl Gorbatchev enclencha la déconstruction de l’armature soviétique tout en favorisant certaines mesures conciliantes à l’égard des États-Unis : le retrait des troupes d’Afghanistan, la démilitarisation de Cuba, la division des effectifs de l’armée par 4, l’ouverture progressive de l’économie. Son successeur Boris Eltsine procéda à la dissolution finale du parti communiste et au retrait de la Russie de l’URSS.
Chapitre XIII. Les individus devant l’Histoire
Il existe sept types de comportements des individus face à l’Histoire passée, présente et future. Le niveau minimum renvoie à « l’inconscience », stade dans lequel l’individu n’a pas la mesure de son rôle social et/ou de son rôle dans l’Histoire, pas plus qu’il ne comprend le fonctionnement de la société. Le second groupe représente les individus refusant de se confronter à la réalité. Le troisième regroupe les individus acteurs de l’Histoire par inadvertance, mais dissimulés derrière la paroi protectrice de leur fonction ou travail. Les individus du quatrième groupe sont également acteurs de l’Histoire, mais préfèrent nier l’évolution qu’elle prend. Le cinquième groupe correspond aux acteurs conscients de leur rôle dans l’Histoire, mais « sans conscience », obéissant simplement à leur mission. Les deux derniers types de comportements représentent les individus « désabusés » par le cours pris par les événements malgré leur implication et les individus « clairvoyants ».
Chapitre XIV. Le passé et son héritage
Bien souvent, les sociétés restent pénétrées de sentiments racistes ou xénophobes, quand bien même les individus visés demeurent depuis plusieurs générations sur le même territoire. Par ailleurs, ces sentiments ne sont pas nécessairement dus à la couleur de peau, mais peuvent intervenir entre deux nationalités ou religions différentes. Ils ont généralement pour cause le préjugé ou le ressentiment.
Le ressentiment naît de l’Histoire nationale, ou bien du mythe qui en est fait, et contribue à aveugler les populations. L’idéologie américaine a par exemple fait des États-Unis le symbole des droits de l’Homme et de la démocratie face aux régimes barbares d’Europe (Nazisme, URSS) et du Moyen-Orient, légitimant ainsi leur politique extérieure. Celle-ci engendre alors du ressentiment au sein des peuples où s’applique la politique américaine. S’il y a eu des représailles, comme ce fut le cas le 11 septembre 2001, le mythe s’est changé en incompréhension pour la population américaine.
Chapitre XV. La responsabilité de la « libre information »
L’information constitue le premier moyen de définir son comportement face à l’Histoire, c’est-à-dire son degré de conscience. Elle dépend de la responsabilité de chacun et requiert de garder à l’esprit qu’elle constitue un facteur d’aveuglement certain. Les foyers de l’information passent par les canaux de l’enseignement, des médias écrits, de la télévision, de la radio et d’internet.
Par le passé, ces canaux ont été majoritairement contrôlés par l’État, l’Église ou un parti politique particulier. Aujourd’hui, ils sont désormais contrôlés par le « marché », c’est-à-dire des entités privées à la recherche de bénéfices, opérant un arbitrage des informations selon les attentes du public, entre autres considérations.
Chapitre XVI. Le cinéma, écran ou interprète de la réalité ?
Le cinéma représente un facteur d’aveuglement tout aussi efficace. Durant la Seconde Guerre mondiale, le film est utilisé au maximum de ses potentialités de l’époque, à des fins de propagande. Cette méthode d’information subjective se perfectionne par le choix des images, le montage, le commentaire (parfois différent pour deux scènes identiques), l’intégration de témoignages.
Par la suite, le film de fiction contribua également, bien qu’involontairement, à orienter la compréhension de l’Histoire par l’omission d’éléments importants (par exemple, Autant en emporte le vent), le dévoiement de faits réels (par exemple, Le juif Süss) ou au contraire une trop grande véracité (par exemple Le Sel de la mer). Toutefois, l’apport du cinéma est réel en ce qui concerne la compréhension des mécanismes et comportements sociaux qui restent bien souvent passés sous silence par l’Histoire.
Conclusion
En conclusion, il faut se prémunir contre le cadre de compréhension du monde et de son Histoire, qui a été modifié. Il ne faut pas se laisser aveugler par la diabolisation de « l’ennemi » russe Vladimir Poutine, alors que la véritable menace, le djihadisme, s’infiltre par le biais des réseaux sociaux dans les foyers français.
Nous sommes confrontés, par ailleurs, à une crise des États-nations, cadre traditionnel de l’étude de l’Histoire, due à l’impuissance de leurs chefs d’État face au monde de la finance. Il ne faut pas se laisser berner par les concepts économiques du monde occidental, tournés vers la recherche de compétitivité et de croissance, en occultant le fait que la compétitivité d’un pays ne se mesure pas qu’à l’aune de ses performances économiques.
Au contraire, les puissances émergentes asiatiques et eurasiatiques de demain ont bien compris que « leur plus grande richesse était la matière grise », laquelle ne peut émerger qu’au sein de pays ayant les moyens financiers et les capacités politiques d’agir. Or, le système européen est fait de telle sorte qu’il maintient les États dans un stade d’État colonisé, leur imposant des contraintes économiques sans leur fournir les outils monétaires nécessaires à leur respect (entrainant conséquemment le démantèlement du patrimoine et des services publics), et ce sous la menace d’une prise de pouvoir par la Troïka en cas de non-respect de ces contraintes.
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