Réseaux, trafics, exploitation : quelles activités alimentent les caisses des talibans ?
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Le 4 novembre 1994, un groupe de guérilleros attaque un convoi de 30 camions pakistanais près de Kandahar, à destination de l'Asie centrale. Les Talibans (littéralement « étudiants en théologie coranique ») apparaissent pour la première fois sur la scène internationale comme un groupe armé qui prétend vouloir protéger la liberté de circulation et de transit en Afghanistan.
Quelque temps après, Kandahar est conquise et les Talibans, profitant du chaos et de la guerre civile dans le pays, prennent rapidement le pouvoir. Ils créent un régime (1996-2001) fondé sur l'islamisme deobandi et salafiste ainsi que sur les traditions tribales pachtounes. Après avoir été vaincus par les armées de l'OTAN lors de l'invasion de 2001, les Talibans, grâce à l’extrême fragilité de l'armée afghane et au retrait progressif des troupes de l'OTAN, ont lentement réussi à regagner des portions de territoire. L’assaut militaire final révèle à quel point le groupe est devenu puissant — et riche — depuis la chute de son régime en 2001. Qui finance la milice ? Quelles activités et quels trafics alimentent les caisses des talibans ?
Alors que l'Afghanistan s'enfonce dans l'abîme, dans un contexte de violence, d'incertitude et de désastre économique pour la population, il est fondamental de comprendre le mode de financement des talibans pour mieux appréhender leurs origines et leur avenir.
Les Talibans ont construit autour d'eux un réseau illicite de soutien financier. Au cours des vingt dernières années, les insurgés se sont appuyés sur diverses sources de collecte de fonds, comme le trafic de drogue et d'autres activités criminelles, l'extorsion et la taxation, les dons de charité et l'aide d'autres États.
Selon Tom Keatinge, directeur du Centre d'études de la criminalité financière et la sécurité du Royal United Services Institute de Londres, les Talibans, au fil des années, ont adopté un modèle financier classique de contrôle territorial, en tirant profit des entreprises qu'ils dirigeaient. Un rapport récent (mai 2021) de la commission des Nations Unies chargée de la mise en œuvre et du suivi de la résolution 1988 de 2011 contre les Talibans résume explicitement la situation financière des militants islamistes :
« Les principales sources de financement des talibans restent les activités criminelles, notamment le trafic de drogue et la production de pavot à opium, l'extorsion, les enlèvements contre rançon, l'exploitation minière et le produit de la collecte des impôts dans les zones contrôlées ou influencées par les talibans. »
Le contrôle des zones riches en minéraux et inexplorées de l'Afghanistan (extrêmement prisées par la Chine) s'accroît également. On estime qu'en 2020, les bénéfices du secteur minier ont généré environ 464 millions USD pour les Talibans. Le groupe islamiste a de plus en plus utilisé l'expansion territoriale et la domination qui en résulte sur les zones conquises pour extorquer de l'argent à un large éventail de services.
Nombreux sont les secteurs en ligne de mire : infrastructures publiques, telles que la construction de routes, les télécommunications ou bien encore les transports. En outre, les Talibans disposent d'un portefeuille très diversifié d'entreprises criminelles et de « sociétés écrans » avec lesquelles ils mènent leurs activités illicites.
L'une des principales sources de revenus des talibans est la circulation de biens légaux, tels que le carburant, la nourriture, les médicaments et les produits de première nécessité, par le biais des postes-frontière et des douanes (qu'ils contrôlent efficacement). En se basant sur les chiffres fournis par différents rapports de l’ONU, il est possible d'estimer les revenus annuels générés aux alentours de 300 millions et 1,6 milliard de dollars. Le groupe s'appuie sur la collecte des recettes douanières aux postes-frontière, des taxes routières et du contrôle des ressources naturelles et cultivées.
Le commerce de l'opium reste néanmoins une source particulièrement lucrative. L'implication des talibans varie considérablement, allant de la simple taxation à l'utilisation de combattants pour récolter le pavot, en passant par la demande d'argent pour la protection des trafiquants d'opium. Les talibans assurent également la sécurité des laboratoires de transformation et des expéditions de produits chimiques nécessaires à la production d'héroïne.
Toutes ces sources de financement représentent un flux de revenus important pour le groupe, ce qui lui a clairement permis de mettre en place et d'équiper une force de combat efficace. Il convient de noter que, selon le Rapport mondial sur les drogues 2020 des Nations unies, l'Afghanistan fournit depuis des années environ 84 % de la production mondiale d'opium. On estime que l'héroïne, dont ils font le trafic, génère des flux allant de 120 à 160 milliards de dollars.
Le soutien financier externe est également important : il se constitue de dons de particuliers fortunés et d’un réseau d'organisations caritatives non gouvernementales telles que des fondations. Selon une étude publiée par l'académicien et spécialiste du monde afghan Hanif Sufizada sur le magazine The Conversation, les dons caritatifs aux Talibans s’élèveraient à 240 millions de dollars.
De nombreux dons des talibans proviennent d'organisations caritatives et de fiducies privées situées dans les pays du golfe Persique, une région historiquement favorable à l'insurrection religieuse du groupe. Selon l'Afghanistan Center for Research and Policy Studies, ces dons s'élèvent à environ 150 à 200 millions de dollars par an. Ces organisations caritatives figurent sur la liste des groupes qui financent le terrorisme établi par le département du Trésor américain.
Des particuliers très aisés d'Arabie Saoudite, du Pakistan, d'Iran et de certains pays du Golfe Persique contribuent également au financement des talibans, versant 60 millions de dollars supplémentaires par an au réseau Haqqani, affilié aux talibans, selon les agences antiterroristes américaines.
Alors que l’Occident s’indigne (mais ne lève pas son petit doigt) face aux exécutions sommaires dans les rues, l'arrestation de journalistes et d'intellectuels, l’islamisation forcée de la société afghane, la disparition d’Universités libres et l’absence de culture laïque, les Talibans, quant à eux, construisent un appareil administratif étatique (émirat), qui sera destiné à jouer un rôle clé dans la région pour les mois à venir.
Photo d'ouverture : Talibans, Kaboul - @AFP
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