Le 5 décembre 2024, l’Assemblée nationale a voté la censure du gouvernement Barnier, une première depuis 1962 ! Mais est-ce vraiment une surprise ? Depuis sa dissolution ratée, le Président de la République a plongé le pays dans une crise institutionnelle. Et malgré sa ferme intention affichée d’aller jusqu’au bout de son mandat en 2027, il est fort probable que la force des évènements le contraigne lui aussi à un départ prématuré.

Article Politique
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publié le 18/12/2024 Par François Boulo
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Depuis son entrée en politique, Emmanuel Macron s’est distingué par son narcissisme, à telle enseigne que même certains de ses (anciens ?) proches, dont Alain Minc, le dénoncent désormais publiquement. Voilà un homme qui, faisant fi de toutes les circonstances matérielles, croit en la force de ses discours, persuadé que le verbe peut remplacer l’action et le réel.

Macron : le déni de réalité

Au lendemain du vote de la motion de censure, Emmanuel Macron a pris une énième fois la parole pour dire une énième fois la même chose. Il n’est responsable de rien. Les Français ont mal voté et les autres partis politiques sont opportunistes et inconscients. On connait la chanson... Doté d’une insondable capacité à nier la réalité, Macron a tenté de se présenter en leader d’une nation qu’il souhaite rassembler autour d’un « gouvernement d’intérêt général » (faut-il comprendre que les précédents gouvernements servaient des intérêts particuliers ?). Des formules creuses pour un personnage sans inspiration, isolé et que plus personne n’écoute sinon les quelques fidèles courtisans qu’il lui reste parce qu’ils n’ont pas encore réussi à se recaser ailleurs (ce n’est qu’une question de temps…).

Tout dans cette prestation sonnait faux, décalé, anachronique. Il n’est plus le Président jeune et dynamique de 2017 incarnant la « start-up nation » et censé moderniser la France pour lui redonner toute sa place dans le monde. Il est le Président qui a un bilan, et celui-ci est catastrophique à tous les niveaux. Inutile d’en faire l’inventaire puisque tout cela est désormais acquis et admis par tous. Mais comment expliquer à un homme aussi vaniteux qu’il serait temps de poser les pieds sur terre ?

N’y a-t-il personne dans son entourage pour lui expliquer qu’après sept années à exercer le pouvoir de manière autoritaire, injuste et méprisante, il est rejeté par 75 % des Français ? Que les élections législatives où la formation présidentielle est arrivée en 3e position derrière le Nouveau Front Populaire (NFP) et le Rassemblement National (RN) ont acté que le pays ne veut plus de sa politique ? Qu’un Président en minorité à l’Assemblée nationale, même sous la Ve République, ne peut plus conduire la politique de la nation ?

Le déni et l’arrogance de Macron sont si puissants qu’il a décidé de sortir de son chapeau un dinosaure de la politique française, François Bayrou, pour être le prochain Premier ministre, c’est-à-dire l’une des premières personnalités à s’être rallié à lui pendant la campagne présidentielle de 2017. Avec Barnier, ce n’était pas la révolution, mais Emmanuel Macron avait au moins fait l’effort d’entretenir l’illusion d’une pseudo cohabitation. Mais pour celui qui a toujours concentré un maximum de pouvoirs entre ses mains, c’était déjà trop. Retour dans le passé. Il fait comme si les élections législatives de 2024 n’avaient jamais eu lieu, comme s’il pouvait encore se permettre de composer et de diriger le gouvernement.

Mais qu’espère-t-il vraiment ? Croit-il sincèrement que ce gouvernement va tenir « 30 mois » comme il en a formulé le vœu ? Cherche-t-il seulement à gagner du temps, et si oui, pour quoi faire ? Le plus probable est de considérer que lui-même ne sait pas vraiment où il va, si ce n’est essayer par tout moyen de s’accrocher à son mandat présidentiel. Mais en politique comme dans la vraie vie, il est des moments où à force de mauvaises décisions, il n’y a plus que des impasses…

Des alliances impossibles = censure de tout gouvernement

L’équation à résoudre est simple sur le plan mathématique. Le nouveau gouvernement doit obtenir le soutien d’au moins de 288 députés sous peine de censure. Sur le plan politique, c’est une tout autre histoire !

Il faut commencer par analyser le positionnement du Rassemblement National puisque c’est ce parti qui a fait le choix, lors de la nomination du gouvernement Barnier, de lui « laisser sa chance ». Le parti de Marine Le Pen n’aura finalement pas été très patient puisqu’à peine deux mois plus tard, il a décidé de voter la censure à l’occasion du vote sur le budget de la Sécurité sociale, malgré les concessions faites par Michel Barnier.

Il semble y avoir trois raisons qui aient pu motiver le RN à agir ainsi. Premièrement, il a voulu se montrer « responsable » aux yeux de l’opinion publique en ne censurant pas a priori le gouvernement Barnier pour ne pas paraître comme dogmatique et fermé à tout compromis. Deuxièmement, il n’était pas prêt à assumer un budget qu’il qualifie lui-même de « toxique » pour les Français. Troisièmement, le procès pour emplois fictifs où Marine Le Pen risque une peine d’inéligibilité l’a peut-être conduite à changer de stratégie pour obtenir une élection présidentielle anticipée. Si tel est le cas, il s’agit de contraindre Macron à la démission en censurant tout nouveau gouvernement. Et peut-être est-ce le cumul de ces trois motifs.

Toujours est-il qu’on a du mal à imaginer désormais que le RN s’abstienne de censurer le ou les prochains gouvernements. Ceci est d’autant plus vrai que Michel Barnier, issu du parti Les Républicains (LR), se situait clairement à droite de l’échiquier politique. Il apparaît ainsi assez probable que tout Premier ministre dont la sensibilité serait plus à gauche (ou moins à droite), ce qui est le cas de François Bayrou, ne pourrait qu’être désavoué.

À gauche, la position de la France insoumise est ouvertement affichée : Macron doit partir. Une motion de censure est déjà en préparation contre le gouvernement Bayrou. Les autres partis du Nouveau Front Populaire (PS, EELV, PC), quant à eux, ouvrent la porte à une potentielle collaboration à l’Assemblée, à condition que des « concessions » soient faites. Des « concessions » ? N’ont-ils toujours pas compris à qui ils avaient affaire ? Macron n’était déjà pas content du budget Barnier qui avait raboté à la marge quelques avantages fiscaux sur les grandes entreprises et les plus riches… Ce n’est pas maintenant qu’il va passer un accord avec ces gens-là pour mener une politique de gauche (en fait, juste un peu moins inégalitaire…) !

Espèrent-ils vraiment que ce Président au tempérament aussi inflexible accepte soudainement d’abroger la réforme des retraites, de réinstaurer l’impôt de solidarité sur la fortune, ou encore d’augmenter les salaires ? On se rend compte au seul énoncé de ces propositions qu’il n’y a strictement aucune chance pour que cela se produise. À moins d’une trahison (il est vrai qu’avec le Parti socialiste, on ne peut pas dire qu’on serait surpris…), il est évident qu’une alliance de cette nature est irréalisable. Et même d’un strict point de vue opportuniste, tous ces représentants de la gauche semblent tout de même avoir conscience qu’ils sacrifieraient durablement leur destin politique. S’allier avec le Président le plus détesté de Ve République, ce n’est pas ce qu’on peut appeler un pari sur l’avenir...

Il faut enfin ajouter une observation d’ordre arithmétique. La censure a été votée avec 331 voix, soit une marge de 43 voix par rapport à la barre des 288 suffrages nécessaires. Cela signifie qu’à supposer que le Parti socialiste choisisse de s’allier avec Macron, il suffirait qu’une vingtaine de socialistes décident de fronder pour qu’une motion de censure soit adoptée.

Le constat est implacable : l’Assemblée nationale se divise en trois grands blocs politiques distincts (NFP, camp présidentiel comprenant LR, et RN) qui sont, du fait de leur positionnement idéologique, symbolique et électoral, dans l’impossibilité de collaborer. Toute tentative des uns et des autres constituerait une trahison envers leurs électeurs. C’est pourquoi le gouvernement Bayrou est déjà condamné. C’est pourquoi Macron, qui a toujours exclu les « extrêmes » du fameux « champ républicain », se retrouve bloqué, sans aucune marge de manœuvre.

Il ne peut pas non plus nommer un Premier ministre issu des rangs du Rassemblement National, puisqu’il l’a toujours désigné comme son ennemi juré pour se faire élire. Et il ne voudra jamais permettre la formation d’un gouvernement intégrant la France insoumise, puisque cela entrainerait une remise en cause de sa politique en particulier sur le plan économique et social. C’est pourquoi aucun gouvernement, quel qu’il soit, ne pourra tenir sur la durée. Ça sent le roussi !

Une situation de plus en plus intenable

Il ne serait pas si problématique pour Macron que la France soit ingouvernable, si les indicateurs économiques n’étaient pas aussi alarmants et si le contexte international n’était pas aussi instable et menaçant. Le Président pourrait essayer de jouer la montre en espérant un contexte plus favorable pour tenter une nouvelle dissolution en juin 2025 susceptible de modifier le rapport de force à l’Assemblée nationale. En déclarant qu’il n’envisageait pas de nouvelle dissolution d’ici 2027, il faut évidemment comprendre qu’il s’agit au contraire d’une option à laquelle il pense sérieusement.

Mais comme le disait élégamment Jacques Chirac, « les emmerdes, ça vole toujours en escadrille ! ». Et il se trouve qu’après sept ans de macronisme, la France connait des difficultés économiques historiques. Jamais un tel niveau de déficit n’avait été atteint (6,1 % sur l’année 2024 !). L’urgence est de faire voter à l’Assemblée le budget pour l’année 2025, à défaut de quoi le déficit pourrait s’envoler au minimum à 6,9 % ! Or, le vote du budget cristallise précisément les conflits qui opposent les trois grandes forces politiques à l’Assemblée. C’est donc précisément sur cette question que tout gouvernement nouvellement formé a le plus de chances de tomber !

Plus le temps va passer et plus la France va s’enfoncer dans la crise. Les marchés financiers risquent fort de dévaluer plus encore la note du pays (cela a déjà commencé…) et de relever ainsi ses taux d’emprunt. La Commission européenne, qui a récemment déclenché une procédure pour déficit excessif, pourrait accentuer la pression en adoptant des sanctions. La situation va devenir de plus en plus insoutenable.

Dans ce marasme où chacun tentera de se dédouaner de toute responsabilité, il faudra trouver un coupable. Et s’il est bien un fait admis par tous, c’est que le premier responsable de la situation de blocage institutionnel actuelle n’est autre qu’Emmanuel Macron – car rien ni personne ne l’a obligé à dissoudre. Les esprits rigoureux voudront rappeler, à raison, que le blocage n’est pas de son seul fait, loin de là, et c’est vrai. Il est le fruit de 40 ans d’échecs et de trahison de l’ensemble de la classe politique qui auront progressivement conduit au déclassement de la France et au délitement de la démocratie.

Toujours est-il qu’Emmanuel Macron est seul responsable d’avoir paralysé le fonctionnement des institutions au cœur de son second mandat. Même sans majorité absolue, les élections législatives de 2022 lui avaient donné une position relativement confortable pour gouverner jusqu’en 2027. Or, maintenant que, par sa faute, le ver est dans le fruit, aucun retour en arrière n’est possible. Et rien ne dit que s’il parvenait à survivre politiquement encore six mois, une nouvelle dissolution confèrerait cette fois-ci une majorité claire à l’un des trois blocs politiques. On peut même plutôt penser que le rapport de force demeurerait globalement inchangé, voire plus défavorable encore au camp présidentiel. Dès lors, quelle autre solution pour sortir de la crise si ce n’est celle de la démission du Président de la République ?

Un coup d’État pour sauver sa peau ?

À bien y réfléchir, il ne resterait qu’une seule carte dans la manche de Macron pour éviter l’humiliation suprême d’une démission contrainte : le recours à l’article 16 de la Constitution, c’est-à-dire « les pleins pouvoirs ». Mais autant on peut être convaincu que le cynisme et l’opportunisme de Macron sont sans limite, autant ce scénario demeure relativement improbable pour des raisons déjà analysées précédemment.

Pour l’essentiel, le déclenchement de cette mesure exceptionnelle par un Président de la République largement discrédité dans l’opinion publique et sanctionné à plusieurs reprises dans les urnes s’apparenterait à un véritable coup d’État. Il est bien certain que dans l’esprit des fondateurs de la Ve République, il aurait été absolument inconcevable qu’un Président aussi délégitimé puisse actionner cet ultime recours.

En outre, prolonger l’utilisation de l’article 16 sur la durée (jusqu’en 2027) – aucune limite de temps n’est prévue dans la Constitution – ferait entrer le pays dans un monde sans séparation des pouvoirs. Cela s’appellerait une dictature. Consacrer ainsi officiellement la fin de la démocratie, avec le risque de déclencher une insurrection plongeant le pays en plein chaos, apparaîtrait comme une opération pour le moins hasardeuse. On peut sérieusement douter que la classe dirigeante du pays accepte de suivre Macron dans une telle aventure personnelle…

Reste la seule option possible, inéluctable : la démission de Macron pour permettre la tenue de nouvelles élections présidentielles. Un retour aux urnes qui (en théorie) pourrait permettre de rebattre les cartes et de trancher les conflits politiques. En construisant son positionnement politique sur la rhétorique « moi ou le chaos », Emmanuel Macron incarne un système à bout de souffle qui, faute d’arguments, s’est replié sur le clivage artificiel de « la République » contre « les extrêmes ». Cette grille de lecture imposée par les dominants empêche tout réel débat contradictoire et délégitime toute alternative politique. Or, les Français ont clairement fait savoir lors des dernières élections qu’ils n’entendaient plus accepter ce carcan antidémocratique.

C’est pourquoi Macron, vestige d’un monde en voie de disparition, doit se retirer. Certes, son départ ne sera pas la solution à tous nos problèmes, mais elle est l’un des préalables nécessaires à la recomposition de la vie politique française. Et même si le Président nouvellement élu n’obtenait lui non plus pas de majorité claire à l’Assemblée nationale, il disposerait au moins d’une dynamique et d’une fraiche légitimité pour prendre des initiatives. Il pourrait par exemple organiser un référendum pour tenter de débloquer la situation, ce que Macron ne peut pas faire, car l’échec serait pour lui assuré, tant les Français ont manifesté leur intention de le sanctionner en chaque occasion.

Il faut se rendre à l’évidence : si la crise de régime est bien partie pour durer, ce n’est pas avec Emmanuel Macron que la France pourra en sortir. Plus vite il partira, plus vite une solution pourra se dessiner. C’est pourquoi son espérance de vie présidentielle apparaît plus que jamais menacée. La volonté d’un homme résiste rarement aux engrenages de l’Histoire. Celui qui aimait à s’appeler « le maître des horloges » a perdu la main. Le temps joue désormais contre lui. Tic, tac, tic, tac…

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