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Bruno Amable est professeur d'économie politique, prix du meilleur jeune économiste en 2000. Il écrit sur le changement institutionnel, l'innovation, la productivité, et le néolibéralisme. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont « L'illusion du bloc bourgeois » et « Où va le bloc bourgeois ? » (avec Stefano Palombarini).
Dans cet entretien par Olivier Berruyer pour Élucid, il analyse la nature profonde et la stratégie du bloc bourgeois qui façonne le pouvoir, et sa reconfiguration en un « bloc de droite 2.0 », néolibéral et autoritaire. Il décortique les reconfigurations à l’œuvre à droite et à gauche et s'interroge sur les conditions d'émergence d'une gauche réellement susceptible d'être majoritaire et de défaire le projet néolibéral, sans trahir ses électeurs dans la complaisance avec un système économique délétère.
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Extraits choisis – Jacques Delors et Philippe Alexandre, En sortir ou pas, Paris, Grasset, 1985
« Tous les pays sont engagés de gré ou de force dans une bataille économique joyeuse et sauvage. Mais la France, elle hésite et frissonne : elle n’est pas disposée à admettre que le monde lui dicte sa loi par le biais de l'économie. » (p. 19)
« C’est seulement sous le gouvernement Barre et, davantage encore, à partir de 1982, que les Français ont commencé à saisir la réalité, à comprendre que leur destin se jouait en dehors de leurs frontières, en Europe d’abord et dans le monde. Malheureusement, il subsiste encore jusque dans les esprits éclairés cette idée archaïque que la France peut s’en sortir seule [...]. Arrivant au pouvoir en 1981, la gauche, pour une large part, a été victime de cette illusion : [...] emprunter un autre chemin et refuser de suivre nos voisins européens. » (p. 21)
« Les Français [...] se déclarent persuadés qu'il n’existe point de recette miraculeuse à la crise [...]. Ce scepticisme plein de bon sens se traduit par le souhait de voir les sages de tous les camps se rassembler et rassembler toutes les couches et catégories de la société dans l’effort. » (p. 27)
« Défigurée par [le] vide centriste, la représentation politique de la France l’est encore par l’influence exorbitante qu'exercent, sur la gauche et la droite, les extrémistes : le communisme, le populisme. [...] [L]es communistes [...] ont imprégné les socialistes d'une influence qui laissera des traces: ils leur ont fait partager, du moins à nombre d’entre eux prédisposés par un attachement religieux au marxisme, leur vision de la société française, leur refus de considérer la crise dans sa dimension planétaire, leur aversion pour la rigueur. » (p. 33)
« La crise a produit un miracle : la gestion de économie oblige les prophètes du libéralisme sauvage et du socialisme exemplaire à une certaine retenue. Les contraintes du marché [...] ont poussé les polémistes a s'incliner devant les sages. Un fil a été renoué avec les entreprises désormais considérées par tous comme les meneurs de la marche forcée vers le futur [...] Nul [...] n’est plus traité de “produit aberrant de la bourgeoisie” lorsqu’il prononce l’éloge du profit. Mais le compromis économique n’a pas trouvé sa traduction dans les domaines économique et social. » (p. 34)
« [L]a rupture avec le capitalisme est un mythe porté a bout de bras par les socialistes français depuis leur naissance. [...] C’est la gauche au pouvoir, au prix dune stupéfiante et cruelle révolution, qui rétablira les profits des sociétés et fera comprendre aux Français que l’entreprise doit prospérer et disposer de marges bénéficiaires pour investir, pour entreprendre, pour créer du travail [...]. Restera à la droite [...] à faire bon usage de cet apprentissage, accompli par les Français, des réalités économiques. » (p. 48)
« La protection que nos sociétés ont prodiguée a nos citoyens aura eu pour premier résultat de les affaiblir. [...] Lourd, rigide, démesuré, le système de protection sociale est constamment complété et compliqué : il organise les abus [...]. L’indemnisation du chômage, en France comme dans tous les pays européens, constitue rien de moins qu une puissante incitation à ne pas travailler. » (p. 55-56)
« [N]os pays pourraient regretter un jour de s’être chargés d'une sécurité sociale aussi coûteuse. Ce jour-là est venu. [...] Vérité accablante : s’en remettre exclusivement à l’état pour assurer les devoirs qui incombent a chacun de nous, substituer à la solidarité individuelle la solidarité nationale, ce n’est pas un signe de progrès. [...] La plupart des malades préféreraient sans doute être moins examinés et analysés mais plus entourés et aimés. [...] Il faudra bien en finir avec ce tabou de la protection sociale absolue et égale pour tous. [...] Une société progresse aussi grâce a ses inégalités. » (p. 57-64)
« [Le Français] est arraché a ses illusions par des réalités aussi souveraines et immuables que les étoiles dans la nuit : le marché, l’entreprise, le risque facteur de réussite, la compétition internationale [...], à laquelle on n’échappe pas. [...] Aucun ne peut se soustraire a la dure loi de la concurrence. » (p. 69)
« Désormais, le capital est moins imposé en France que le travail. Grâce à la gauche. Aberrant s’écriaient certains au parti communiste et aussi au PS. [...] L’histoire dira qui, des utopistes d’avant 1981 ou des réalistes de 1982 et 1983, est responsable de cette soudaine crise de confiance de la gauche. » (p. 80-84)
« Aux États-Unis, Reagan a eu toutes les peines du monde à amorcer une “dérégulation”, a desserrer le carcan de règlements et de textes administratifs qui paralysaient l'économie. » (p. 90)
« Le fonctionnement du marché financier a été tellement favorisé [depuis 1982] que les communistes accusent les socialistes d'avoir enrichi les possédants [...]. Mais quoi ! Puisque la gauche se trouvait obligée de restaurer l'investissement et l’épargne. » (p. 118)
« Tous les Français devront se convertir d'urgence a l’esprit de marché. [...] La gauche en France a bien payé de sa personne, en s’efforçant, à partir de 1982, de réhabiliter le marché, l’entreprise et les patrons, en donnant vie à l’épargne boursière, en livrant la chasse au mythe de l’anticapitalisme. » (p. 123-125)
« Le compromis historique a pour but de ménager des alternances en douceur [...]. Il vise à rassembler tous les acteurs politiques qui ne pratiquent ni la langue de bois ni l’esprit de chapelle : les uns iront au gouvernement, les autres formeront une opposition constructive — mais les uns et les autres ne se considéreront pas comme des renégats lorsqu’il leur arrivera d’exprimer des idées voisines ou identiques. » (p. 212)
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