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Les déclarations officielles de la Présidente de la Commission européenne lors de sa visite en Israël le 14 octobre dernier ont suscité réprobation et colère dans nombre de chancelleries des 27, à un point tel qu’il a été jugé nécessaire de s’en distancier publiquement. Quatre ans après sa nomination, les nombreux abus de pouvoir d’Ursula von der Leyen la rattrapent enfin.

Article Politique
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publié le 15/12/2023 Par Éric Juillot
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« C’est l’attaque la plus abominable contre des Juifs depuis la Shoah […]. Nous pensions que cela ne pourrait jamais se reproduire, mais c’est pourtant ce qui s’est passé. Face à cette tragédie indicible, il n’y a qu’une seule réponse possible : l’Europe se tient aux côtés d’Israël. Et Israël a le droit de se défendre » : tels sont les propos tenus par la Présidente de la Commission européenne sur le sol israélien sept jours après l’attaque barbare du Hamas. Le mouvement islamiste est en outre présenté par elle comme « seul responsable de ce qui se passe ».

Une Présidente néoconservatrice

Profitant de l’émotion intense provoquée par les massacres de civils israéliens, Ursula von der Leyen a exprimé en quelques mots ce qui constitue l’habituelle lecture du conflit israélo-palestinien dans les milieux de la droite conservatrice ou néo-conservatrice occidentale. Une lecture unilatérale, dans laquelle les Palestiniens sont ouvertement présentés comme les responsables exclusifs des violences, et qu’il est donc légitime d’en user en retour, dans une logique « strictement défensive » qui en justifie à l’avance le déploiement disproportionné.

Depuis sa sortie fracassante, la Présidente de la Commission a été ouvertement rappelée à l’ordre par de nombreux responsables politiques des 27, tandis que les autres représentants de l’UE s’employaient à corriger ses propos. Il lui est clairement reproché de ne pas avoir tenu compte de la position commune des 27 sur le conflit qui déchire le Proche-Orient depuis 75 ans, une position soucieuse d’équilibre, qui aurait justifié quelques mots à propos de la nécessité pour Israël de respecter le droit humanitaire dans le cadre de sa riposte, et de prendre en considération le sort des civils de Gaza.

« Je sais que la réaction d’Israël montrera qu’il s’agit d’une démocratie » s’est-elle contenté d’affirmer sans plus de précision. Il en est sorti l’image d’une UE aussi partiale dans son approche du conflit que peuvent l’être les États-Unis, autant dire un message désastreux en direction du monde musulman et du reste de la planète, où l’on a vu dans ses déclarations une énième version de l’hypocrisie occidentale et de son humanitarisme à géométrie variable.

Pour préjudiciable qu’elle soit, la prise de position d’Ursula Von der Leyen n’est pourtant pas la première, loin s’en faut, et il est étonnant, rétrospectivement, qu’il ait fallu attendre quatre années après sa nomination pour que l’on s’offusque officiellement en haut lieu de son activisme solitaire et brouillon. Quoi qu’il en soit, un tournant semble cependant avoir été opéré. Aux déclarations correctrices d’un grand nombre de chancelleries s’ajoutent en effet les critiques explicites des organes de presse les plus europhiles, à l’image du Monde qui a récemment tenu à dresser le florilège des prises de position et des décisions contestables de la Présidente de la Commission.

Y sont évoqués, pêle-mêle, le biais atlantiste qui l’anime dans sa relation avec Washington – entre sujétion envisagée aux intérêts économiques américains et alignement diplomatique face à la Chine –, la signature de l’accord UE-Tunisie sur les migrations sans consultation des États membres, ses difficultés relationnelles avec le Président du Conseil européen Charles Michel, etc. Salutaire, cette mise au point néglige cependant l’aspect essentiel qui réside, non pas dans les carences et les faiblesses d’une personne, mais dans les institutions de l’UE.

Une construction européenne viciée dans ses fondements idéologiques

Qu’une responsable communautaire ait souhaité se livrer à de fréquents abus de pouvoir est en soi un problème ; mais qu’elle ait été en mesure de le faire ouvertement pendant de nombreuses années, sans s’attirer la moindre réprobation officielle, en constitue un autre d’une gravité beaucoup plus préoccupante. Il faut voir dans cet état de fait une illustration – parmi beaucoup d’autres – du problème posé par la mise en œuvre concrète du projet européiste.

Conférence de presse d'Ursula von der Leyen, sommet de l'Union européenne, Bruxelles, 27 octobre 2023 - Kenzo Tribouillard - @AFP

La volonté d’accoucher quoiqu’il en coûte d’une UE puissante a d’abord conduit, traité après traité, à de nombreux transferts de souveraineté des États membres vers une technocratie supranationale. Cette technocratie, forte de sa souveraineté déléguée, a parallèlement développé sa capacité à contraindre les États par le truchement du droit européen, dont l’inflation depuis trente ans a méthodiquement réduit leurs marges de manœuvre dans bien des domaines. En fin de parcours, la responsable la plus éminente de cette bureaucratie prédatrice estime souhaitable et nécessaire de se comporter comme le ferait un chef d’État, dans l’espoir d’exercer de fait les prérogatives qui lui sont refusées en droit.

Car – il est fâcheux d’avoir à le rappeler – la Présidente de la Commission n’est que la cheffe de la bureaucratie bruxelloise, et la politique extérieure de l’UE n’entre en aucune manière dans le champ de ses compétences. Si elle est chargée de faire respecter par tous les États membres leurs obligations telles qu’elles figurent dans les traités de l’UE, elle ne dispose en propre d’aucun pouvoir de décision, mais d’un pouvoir de proposition, que le Conseil européen peut entériner ou non. De telles limites, impérieuses, sont ainsi fixées à ses prérogatives, car il lui manque l’essentiel de ce qui lui permettrait d’acquérir une réelle substance politique, c’est-à-dire la légitimité, que seule l’élection au suffrage universel dans un cadre national peut conférer.

En agissant comme elle le fait, sur la base d’un pouvoir illégitime, Mme von der Leyen porte donc atteinte ouvertement au principe même de la démocratie. Le véritable scandale, dans ses prises de position, ne réside pas dans le fait qu’elle ait ponctuellement substitué, sur un sujet brûlant, ses conceptions personnelles à la difficile unité de vue des 27 ; il réside, beaucoup plus gravement, dans le fait qu’elle a régulièrement pratiqué l’abus de pouvoir à des fins d’usurpation, face à des chefs d’État et de gouvernement tétanisés à l’idée d’alimenter le « populisme » en s’opposant ouvertement à sa personne. Pas plus qu’à Tel-Aviv ces derniers jours, Mme von der Leyen n’avait pas sa place à Kiev, où elle s’est rendue à cinq reprises depuis le début de l’intervention militaire russe.

L’ambition de l’actuelle Présidente de la Commission procède ainsi d’un retournement spectaculaire : après s’être appuyée au long cours sur le droit pour rogner la souveraineté des États, et alors qu’elle doit veiller officiellement – depuis 2020 et la création d’un « mécanisme de conditionnalité » – au respect de « l’État de droit » par les 27, la Commission piétine aujourd’hui ouvertement le droit en outrepassant ses prérogatives pour devenir un ersatz d’État. Les partisans de l’UE auraient tort de s’en réjouir puisqu’il aura fallu, pour parvenir à ce résultat pathétique, que l’UE s’assoie sur les valeurs censées fonder sa supériorité ontologique et partant, sur sa capacité à se substituer aux États — selon la perspective post-nationale inhérente à l’européisme.

L’entreprise d’Ursula von der Leyen a donc, par son caractère outrancier, une vertu de dévoilement. Elle met à nu les incohérences et pour tout dire, la dimension aporétique du projet européiste, qui se résorbe tout entier, en fin de parcours, dans une tentative de coup de force extra-juridique vouée à l’échec, faute de pouvoir s’appuyer sur autre chose que le droit.

Photo d'ouverture : La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s'exprime lors d'un débat sur les attaques du Hamas contre Israël et la situation humanitaire à Gaza, dans le cadre d'une session plénière au Parlement européen à Strasbourg, dans l'est de la France, le 18 octobre 2023 - Frederick Florin - @AFP

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