Le terme « d'hégémonie » occupe une place centrale dans le discours actuel lorsque l'on parle de la place des États-Unis dans le monde : ce qu'elle a été, son caractère pérenne et son rôle dans la définition des intérêts nationaux états-uniens. Mais qu'est-ce que signifie réellement l'hégémonie états-unienne ? Ce concept a-t-il encore une pertinence géopolitique en 2024 ?

Article Politique
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publié le 02/09/2024 Par Michael Brenner
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Face à une situation inédite, les observateurs ont pour habitude de farfouiller dans leur stock de concepts pour donner un sens approximatif au nouveau phénomène. Nombreux sont ceux qui se contentent d'un seul mot, même si le terme en question est chargé de connotations erronées ou si sa terminologie est profondément ambiguë. Il en va ainsi de concepts tels que « le populisme », « le fascisme » et « l'hégémonie ». Tous sont à la mode, mais ils sont employés avec une telle légèreté qu'ils en perdent toute capacité à clarifier ou à expliquer les phénomènes en question...

Penchons-nous sur le concept « d'hégémonie ». Ce terme occupe une place centrale dans le discours actuel quand on parle de la place des États-Unis dans le monde : ce qu'elle a été, son caractère pérenne et son rôle dans la définition des intérêts nationaux états-uniens.

L'hégémonie, c'est une position dominante sur les lieux, les élites politiques et les institutions afin de contrôler les activités menées par un État dans son propre intérêt. Cette domination peut varier en termes géographiques, de modalités et d'intensité de contrôle.

L'hégémonie états-unienne, dont on a beaucoup parlé après la Seconde Guerre mondiale, était géographiquement délimitée par le bloc communiste qui se trouvait en dehors de son emprise. Après 1991, celle-ci a pris une dimension prétendument mondiale, l'objectif étant de consolider la primauté et la domination des États-Unis. C'est toujours le cas aujourd'hui. Elle a été énoncée pour la première fois dans le fameux mémorandum Wolfowitz en février 1992, qui, depuis, est devenu le paradigme de la politique étrangère américaine (1).

Au cours de la période qui avait précédé, la priorité des États-Unis était la sécurité, avec des moyens essentiellement militaires – même si soutenus par un vaste réseau de relations économiques privilégiées, en partie institutionnalisées. Au cours des trente années qui ont suivi, l'accent s'est progressivement déplacé vers une stratégie politico-économique multiforme : le néolibéralisme.

Ce rééquilibrage entre puissance « dure » et « semi-douce » (hard power et semi soft power) n'a jamais occulté les considérations purement militaires – comme en témoignent l'engagement affiché par le Pentagone en faveur d'une supériorité militaire à large spectre afin d'assurer sa domination dans toutes les régions contre tout ennemi imaginable, les interventions éparses menées au nom de la guerre mondiale contre le terrorisme, ou encore l'expansion continue de l'OTAN.

Le fait que Washington soit prêt à recourir à la force pour imposer sa volonté – ce qui se traduit aujourd'hui par une attitude agressive à l'égard de la Russie et de la Chine – n'a pas fait disparaître la conviction idéaliste kantienne qui considère que pour garantir la stabilité internationale, il faut promouvoir la démocratie constitutionnelle et l'indépendance économique à l'échelle mondiale et en tirer les bénéfices escomptés. Une stabilité supervisée par une Amérique bienveillante. Toutefois, pour que cette téléologie se réalise,  le recours au hard power est indispensable pour contrecarrer/subjuguer ceux qui pourraient la remettre en question.

Aujourd'hui, les élites politiques américaines se trouvent dans une situation qui ne permet plus d'atteindre un objectif d'hégémonie mondiale – et ce pour des raisons objectives. Et pourtant, c'est une conclusion logique à laquelle les élites politiques ne veulent pas – ou ne peuvent pas – se résoudre. Ce refus est à la fois intellectuel, idéologique et émotionnel. La psychologie complexe d'une grande puissance en déclin qui jouissait d'un respect sans précédent au-delà de ses frontières, fondée sur la conviction que son caractère exceptionnel inné la destinait à être le point de mire des idées qui allaient remodeler le monde, rend l'analyse de ce comportement déconcertante.

Ce que nous pouvons dire, c'est que la perspective de perdre son statut lui est intolérable, même si la sécurité et le bien-être du pays ne sont pas directement menacés. La quête compulsive d'une sécurité absolue et d'une supériorité naturelle imaginaires ne permet pas aux Américains de se contenter de ce qu'ils ont accompli chez eux et à l'étranger. En effet, ce à quoi le pays aspirait et qu'il pensait sur le point de réussir est en train de lui échapper. Le fossé entre les aspirations et la réalité se creuse d'année en année. C'est là que le bât blesse...

Le déclin est l'une des choses les plus difficiles à affronter pour l'être humain, qu'il s'agisse d'un individu ou d'une nation. Par nature, nous valorisons notre force et notre compétence ; nous redoutons le déclin et son cortège de menaces pour notre avenir. C'est particulièrement vrai aux États-Unis où, pour beaucoup, l'individu et la collectivité sont indissociables. Aucun autre pays ne met autant d'ardeur à incarner sa légende que les États-Unis.

Pour de nombreux Américains – en ces temps d'anxiété et d'insécurité – leur estime de soi et leur sentiment de valeur personnelle sont fondés sur leur appartenance intime à une nation vertueuse et dotée d'un pouvoir unique. Aujourd'hui, des événements se produisent qui vont à l'encontre du récit américain mettant en scène une nation au destin exceptionnel. Cela crée une dissonance cognitive et un malaise (2).

La remarquable uniformité de pensée parmi les membres influents de la classe politique empêche d'affronter ce dilemme de front. Il n'y a pratiquement aucun débat sérieux quant aux objectifs et aux moyens de la politique étrangère – du moins, parmi ceux qui ont accès aux coulisses du pouvoir décisionnel. Tous respectent la même doctrine sainte et chantent le même cantique. Le résultat : une vision de groupe profondément enracinée, imperméable aux évidences contraires qui sont ignorées, rejetées ou déformées pour correspondre aux idées préconçues.

Cela soulève une question troublante : le comportement des États-Unis sur la scène internationale doit-il être compris comme une détermination délibérée à suivre la voie choisie, quelles que soient par ailleurs les chances d'atteindre son objectif ambitieux ? Ou bien sommes-nous témoins d'actions compulsives ancrées dans des émotions et des états d'esprit profondément écrits et réifiés dans une doctrine hégémonique ?

Pourquoi l'hégémonie américaine ?

La préoccupation première de chaque État est sa sécurité. Cela découle de la nature intrinsèque des affaires internationales. La caractéristique distinctive de cet environnement est que chaque entité détermine quand et comment elle peut utiliser la force pour atteindre ses objectifs – il n'y a pas d'autorité supérieure qui fixe et applique des règles de conduite. D'où l'omniprésence de situations de conflit potentiel auxquelles les États doivent se préparer. C'est la spécificité des relations internationales.

Ce truisme soulève toutefois des questions capitales. Le contexte dans lequel se trouve un État n'est pas figé ; il existe une multitude de configurations stratégiques, chacune ayant ses caractéristiques propres. De même, il existe un éventail de politiques qu'un État peut adopter pour se protéger dans l'une ou l'autre de ces situations.

De toute évidence, ces choix théoriques sont limités par la force relative des parties concernées, les ressources nationales, les degrés de cohésion interne, les idéologies dominantes, etc. Néanmoins, il existe d'autres façons de définir ses besoins en matière de sécurité et de formuler des stratégies pour y répondre. Cela vaut même lorsque le « potentiel de réponse discrétionnaire » est contraint par des facteurs objectifs.

La définition de ce qui constitue une situation de sécurité satisfaisante est fonction des jugements portés par les principaux décideurs dans le contexte et l'histoire propres à leur pays. À une extrémité du continuum se trouve la recherche d'une sécurité absolue – ou d'une certaine approximation de celle-ci. Mais même alors, il convient d'évaluer le calendrier réalisable/préférable. Une sécurité absolue à perte de vue stratégique ? pour cette génération-ci ? Jusqu'à ce que survienne une quelconque évolution attendue dans l'équilibre des pouvoirs ?

La pensée dominante aux États-Unis se situe vers ce point absolutiste du continuum. En outre, elle penche fortement vers le long terme, voire la permanence. C'est compréhensible. Pendant les quelque 130 premières années de leur existence, les États-Unis ont été protégés par la géographie contre les menaces pesant sur leur intégrité physique et politique. La seule exception était constituée par le danger latent que représentait pendant les toutes premières années une Grande-Bretagne qui nourrissait des peurs de châtiment et de restauration, comme en témoigne la guerre de 1812.

Au cours du siècle qui a suivi, les Américains ne se sont engagés dans des conflits avec d'autres États qu'en raison de leurs propres ambitions d'étendre leur territoire. (Contre l'Espagne : 1819, 1898 ; contre le Mexique : 1848). Il s'agissait de choix, en aucun cas de nécessité. Il en va de même pour l'entrée dans la Première Guerre mondiale. Les dirigeants de Washington étaient manifestement plus à l'aise avec le statu quo d'avant-guerre qu'avec une Europe dominée par une Allemagne triomphante. Cependant, l'évaluation de la menace était plus abstraite que concrète et – telle que présentée – ne pouvait pas voir le jour dans un avenir proche. C'est donc à juste titre qu'elle a été qualifiée de « guerre par choix » plutôt que de guerre par nécessité sécuritaire. Il était naturel, sinon prévisible, que les États-Unis en reviendrait au néo-isolationnisme pendant l'entre-deux-guerres.

La confiance des Américains dans leur insularité face à des menaces tangibles pour la sécurité a ensuite été ébranlée par trois événements : Pearl Harbor, le déclenchement d'une bombe nucléaire par l'Union soviétique et le 11 septembre 2001. Le dernier événement est survenu dix ans après la disparition de la menace que représentait l'URSS.

Au cours de la dernière décennie, les élites politiques des États-Unis ont semblé rassurées par le fait que la sécurité quasi absolue du pays pouvait être rétablie. Le défi consistait à tirer parti de conditions favorables à l'échelle mondiale pour établir une hégémonie américaine bienveillante au sein de laquelle aucune menace ne pouvait jamais se concrétiser. Il convenait d'adopter une stratégie multiforme pour accroître et renforcer l'influence américaine, pour affirmer l'allégeance et la déférence des autres États et pour se préparer à l'utilisation de la force si nécessaire pour PRÉVENIR l'émergence de tout rival militaire potentiel. Telle est la logique sous-jacente de la doctrine Wolfowitz.

À l'heure actuelle, le caractère profondément ancré dans l'esprit des dirigeants du pays est illustré par notre approche conflictuelle à l'égard de la Russie, de la Chine, de l'Iran et d'une série d'États moins redoutables que Washington perçoit comme hostiles ou antagonistes à un titre ou à un autre. Comme l'a récemment déclaré Joe Biden avant de renoncer à la campagne présidentielle : « Non seulement je fais campagne, mais je dirige le monde. Certes, cela semble être une exagération, mais nous sommes la véritable nation du monde ». Traduction : nous devrions diriger le monde entier – dans l'intérêt du monde comme dans le nôtre.

L'expression « notre intérêt » implique un besoin. Quelle sorte de besoin ? Il ne s'agit pas d'un besoin flagrant de sécurité puisqu'il n'existe pas de menace manifeste pour l'intégrité territoriale ou l'intégrité politique des États-Unis. Il ne s'agit pas non plus d'une menace pour nos principaux alliés/partenaires – en dépit de ce délire confus fabriqué selon lequel Poutine serait un autre Hitler, et de la notion tout aussi fantaisiste d'un complot diabolique de la Chine visant à nous remplacer en tant que suprématie mondiale. Ce qui est menacé, c'est l'hégémonie américaine telle que la concevait Wolfowitz. Cette hégémonie est requise non pour des raisons de sécurité, mais plutôt pour confirmer le droit des États-Unis à l'exceptionnalisme et à la suprématie, ancrés dans la psyché et le credo nationaux.

Tel était l'état des lieux lorsque l'équipe Biden, composée de néo-conservateurs et de nationalistes purs et durs, est arrivée au pouvoir. Ils ont perçu un sentiment d'urgence. Trump avait été trop erratique dans ses relations avec Moscou et Pékin, en dépit d'une batterie de sanctions. Pendant qu'il « tergiversait », la Chine et la Russie se renforçaient, une progression qui exigeait une action rapide de peur que la situation n'échappe à tout contrôle. Ils étaient prêts à prendre les problèmes à-bras-le-corps ; ils avaient une stratégie. Les principaux acteurs partageaient une même carte conceptuelle claire – bien qu'unidimensionnelle – de l'environnement mondial ; leurs objectifs étaient gravés dans le marbre et leur foi en l'efficacité de la puissance américaine était sans réserve.

Voici quels étaient les grands axes de cette stratégie : la Russie devait être neutralisée en tant que grande puissance, soit en l'incitant à s'abriter sous l'aile de l'Occident afin de se protéger du vorace « péril jaune » à sa frontière, soit en la fragilisant considérablement grâce à une combinaison d'expansion de l'OTAN et de sanctions économiques, dans l'espoir que cela conduise au remplacement de Poutine par un dirigeant plus conciliant. Joe Biden déclarait ainsi en mars 2022 : « Ce type n'a pas le choix, il doit partir ! ».

En Asie, la Chine devait être endiguée par la mise en place d'une ceinture d'alliances dirigées par les Américains, associée à des mesures destinées à restreindre son accès aux marchés, aux technologies et aux finances de l'Occident. En outre, des mesures concrètes seraient prises pour promouvoir l'indépendance de Taïwan tout en renforçant ses défenses. L'administration Biden escomptait qu'une telle stratégie entraîne une stagnation de l'économie chinoise et une diminution correspondante de l'influence de la Chine sur la scène internationale. Quant aux autres parties hostiles, on pourrait s'en occuper en mobilisant contre elles tout l'arsenal coercitif des États-Unis.

Cette stratégie de longue haleine a entraîné un changement fondamental non seulement dans les objectifs, mais aussi dans le calcul des risques. Au cours de l'impasse entretenue par la guerre froide avec l'URSS, les calculs de Washington étaient tempérés par la prudence. Ce n'est plus le cas. Un historien spécialiste de l'Antiquité décrivait les relations entre les deux grands empires de Rome et des Parthes en disant : « Chaque empire devait être respectueux des sensibilités de l'autre. Le fait de chercher à trop en faire risquait de conduire à une guerre bien plus grave, ce qu'aucune des deux parties ne souhaitait » (3). Les dirigeants américains d'aujourd'hui, qui ne ménagent pas leurs efforts, considèrent cette attitude comme le souvenir désuet d'une époque révolue...

Les projets de Washington à l'égard de la Russie et de la Chine avaient en commun 1) d'être fondés sur une grave méconnaissance des deux pays, et 2) de surestimer grossièrement la puissance de l'Occident par rapport à ses rivaux supposés. La démonstration brutale, au travers de la débâcle de l'Ukraine et de la résistance économique de la Chine, que toutes les hypothèses de Washington étaient erronées n'a pas encore été intégrée par la communauté américaine des Affaires étrangères.

Il est évident que la force croissante du bloc sino-russe rend impossible toute tentative d'hégémonie. En effet, la trajectoire actuelle fait apparaître un changement inexorable des lieux de pouvoir et d'interaction internationaux vers un système mondial fragmenté (bien que toujours interdépendant). Multi-nodal – pour utiliser le terme pertinent de Chas Freeman.

La haute idée que se fait l'Amérique d'elle-même est le principal obstacle qui l'empêche d'accepter cette réalité dérangeante. Elle nous a poussés à nous prouver à nous-mêmes (et au reste du monde) que nous restions le paladin mondial en lançant une série d'initiatives destinées à repousser nos adversaires et nos rivaux, tout en renforçant nos liens avec nos vassaux et nos fidèles. Son ambition téméraire et vouée à l'échec de dominer le monde n'est pas le fruit d'un jugement stratégique lucide. Il s'agit plutôt de la cristallisation de fantasmes nés au plus profond de la psyché collective américaine. C'est une stratégie de fuite en avant propre à un pays souffrant d'une profonde dissonance cognitive aggravée par une crise d'identité collective.

Les États-Unis se sont enfermés dans une logique qui ne permet aucun écart, aucune adaptation, aucune décélération. Tout ou rien : l'hégémonie ou l'Armageddon. Cette détermination sans faille les rend aveugles aux évolutions qui modifient les chances d'arriver à ce résultat. Ces dernières ne se produisent pas seulement dans la partie du monde où se trouvent les BRICS. La prestation honteuse de l'Amérique en tant que complice des crimes odieux commis contre les Palestiniens a anéanti le statut des États-Unis dans le monde en tant que force morale, en tant que pays intègre et animé de bonnes intentions. C'est la fin du soft power tel que nous l'avons connu.

Bien sûr, la volonté de Washington est toujours interprétée comme un mandat autoritaire par sa coterie de vassaux dénaturés, dont le degré collectif de contrôle sur leurs propres affaires ainsi que sur les mots, se réduit encore plus vite que celui de leur suzerain. Il existe une autre alternative, radicalement différente, qui repose sur la conviction qu'il est possible – malgré des désaccords politiques – d'élaborer une stratégie à long terme consistant à entretenir des liens de coopération avec la Russie et la Chine.

Notes

1. Le credo Wolfowitz inspire pratiquement tout le monde : les néo-cons classiques, les néo-cons machistes et les néo-impérialistes purs et durs. Les quelques non-adeptes ne comptent pas dans le discours de politique étrangère des États-Unis. Si on préconise la coopération avec Téhéran et le dialogue avec Poutine, on est rejeté comme hérétique. En effet, ce narratif historique met en évidence deux caractéristiques tout à fait remarquables de l'actuel consensus des élites, qui porte l'empreinte du modèle néo-conservateur/Wolfowitz.

Premièrement, il a réussi à conquérir presque totalement l'esprit des Américains en dépit d'un record inégalé d'échecs, tant dans l'analyse que dans l'action. Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Iran, Yémen, Somalie, Mali, Biélorussie, Venezuela, Bolivie – le tout culminant avec la catastrophe en Ukraine que nous avons chorégraphiée (avec notamment cette funeste méconnaissance de la Russie).

Deuxièmement, l'administration Biden a annoncé de façon quasi officielle que nous étions désormais engagés dans une guerre hybride contre un bloc sino-russe – un rival puissant qui a vu le jour parce que nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour en favoriser l'émergence. Les élites de la politique étrangère, la classe politique et le public ont pourtant accueilli la nouvelle de ce combat titanesque sans sourciller. Le pays s'est engagé sur une voie funeste dans un état d'inconscience induit par une coterie obstinée de fidèles inspirés par un dogme nimbé d'ignorance et caractérisé par une incompétence stupéfiante.

2. Sur le plan psychologique, cette approche peut se comprendre car elle tire parti de la force des États-Unis : une confiance en soi démesurée associée à une puissance matérielle – entretenant ainsi le mythe national qui veut que les États Unis soient destinés à rester éternellement le numéro un mondial, et qu'ils soient en position de façonner le système mondial selon les principes et les intérêts américains.

Le fait qu'une nation ainsi constituée soit confrontée à la réalité objective entraîne une crispation mais ne la contraint pas à une prise de conscience plus aiguë ou à un quelconque changement de comportement, puisque cette réalité est essentiellement constituée des attitudes et des opinions exprimées par d'autres qui adhèrent aux idées délirantes qui la sous-tendent.

Elle s'accompagne en outre dans le pays d'une inquiétude croissante face à la disparition progressive de la suprématie des États-Unis dans le monde, d'une sensation de perte de la performance nationale, d'une domination en péril. Tous ces éléments génèrent une propension à rechercher des résultats tranchés dans un laps de temps relativement court, ce qui permet de rassurer en confortant la foi optimiste en l'exceptionnalisme américain.

3. Adrian Goldsworthy, Rome and Persia: The Seven Hundred Year Rivalry (Basic Books 2023)

*

Michael Brenner est Professeur émérite d'affaires internationales à l'Université de Pittsburgh et membre du Center for Transatlantic Relations à SAIS/Johns Hopkins. Il a été directeur du programme de relations internationales et d'études mondiales à l'université du Texas. Il a également travaillé au Foreign Service Institute, au ministère américain de la Défense et à Westinghouse. Il est l'auteur de nombreux livres et articles portant sur la politique étrangère américaine, la théorie des relations internationales, l'économie politique internationale et la sécurité nationale.

Texte traduit et reproduit avec l'autorisation de Scheerpost.
Source : Scheerpost — 11/07/2024

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