Constamment réécrite en fonction des desiderata des pouvoirs en place, l’Histoire est tout sauf linéaire. Jadis, on pouvait entendre que la France « exportait son modèle de développement » avec la santé, l’éducation, les transports, etc. En un mot, la France « rayonnait » sur le monde, où elle exerçait sa « mission civilisatrice » jusqu’au fin fond de contrées se complaisant dans une « sauvagerie abjecte ». Aujourd’hui, cette vision étriquée paraît bien désuète, sinon barbare. Si l’Occident réexamine désormais son passé colonial avec un regard très critique, les ex-colonies elles aussi revisitent leur histoire. En Asie, l’angle d’approche est nimbé de théories raciales, nationalistes et religieuses quand il n’est pas recentré autour d’un « homme fort » providentiel.
Prise en 1511 par les Portugais, Malacca marque les prémices de la déferlante occidentale sur l’Extrême-Orient ; pour la première fois, un État européen prenait pied en Asie du Sud-Est. Conquise et reconquise, la cité passa successivement des Portugais aux Hollandais, puis aux Anglais avec un bref intermède japonais, avant de revenir aux Malaisiens... en 1957. Un pyramidion orné d’un M pour Merdeka « Indépendance » indique l’emplacement où fut prononcé le discours local annonçant la fin du joug britannique. Il jouxte les ruines d’un bastion portugais.
En 2005, une équipe d’archéologues mandatée par Kuala Lumpur y effectuait des fouilles. Amateur de vieilles pierres, j'ai pu alors m'entretenir avec l’un d’entre eux ravi de me montrer ses trouvailles (boulets, poteries, calot de pipe hollandais englué de terre, etc.). Affable, il esquissait des plans des différentes époques d’occupation. Nous avions discuté un moment, et mon interlocuteur s’étonnait de ma curiosité :
« – Mais cela vous intéresse vraiment ?
– Euh… Oui, je suis historien de formation.
– Vous savez quand les Malaisiens me voient travailler, ils s’arrêtent et me demandent ce que je fais. Je leur explique et la plupart me répondent : “Pour quoi faire ? Ce n’est pas notre histoire.” »
J’en restais bouche bée : « Mais c’est exactement votre histoire ! ». Des années plus tard, le site exposé à l’air libre s’est singulièrement dégradé. Le pyramidion, lui, est toujours en place, quoique désormais étouffé sous un centre commercial qui a poussé tel un champignon vénéneux à la limite de la zone classée par l’UNESCO en 2008. L’an passé, un musée fédéral dédié à la forteresse a ouvert ses portes.
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