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Cela aurait dû être un feu d’artifice, le bouquet final d’un premier mandat, susceptible d’en assurer un deuxième. Las ! Des grandes ambitions exprimées lors du discours à la Sorbonne en 2017 aux réalisations concrètes, au terme de cinq années d’efforts politiques soutenus, l’écart est si grand que l’heure ne saurait être aux réjouissances.
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En effet, qu’a obtenu le président français de ses homologues européens au titre de la « refondation » de l’UE ? À peu près rien : une énième coquille vide en matière d’« Europe-de-la-défense » avec l’Initiative Européenne d’Intervention (IEI), la participation de micro-contingents des forces spéciales de quelques pays à l’opération sahélienne « Takuba », et un plan de relance financé par l’endettement collectif des 27 à des conditions scandaleusement défavorables pour la France.
Le grand bond fédéral n’a pas eu lieu, la zone euro n’est pas davantage intégrée, l’armée européenne n’a pas vu le jour…
Bien sûr, un bilan aussi mince ne saurait entamer vraiment l’ardeur de tous ceux qui croient en « l’Europe » de manière quasi religieuse. Que l’UE stagne, qu’elle régresse ou se délite, cela importe assez peu finalement, tant qu’elle ne disparaît pas, car elle n’est que le support présent d’une religion politique qui place toutes ses espérances dans un avenir nécessairement meilleur.
Si les tenants de l’européisme ne sont pas épris d'une incroyable passion pour les bâtiments sans âme des institutions bruxelloises, les directives de la Commission ou les arrêts de la CJUE, ils ont en revanche acquis la certitude inébranlable que la perspective européenne est la seule à pouvoir offrir aux peuples du continent une chance de Salut au XXIe siècle. Le bilan d’Emmanuel Macron, le franc échec de sa politique européenne, n’a donc en fait aucune importance face au poids du dogme : l’essentiel est que ses électeurs voient en lui le plus fervent des croyants, celui qui pourra faire vivre le mythe cinq années de plus, en empêchant sa confrontation au réel.
Dans ce contexte, les ambitions de la France pour l’Union Européenne apparaissent singulièrement modestes. L’humilité s’impose désormais, non pas en raison de l’échec, mais parce que le temps des grands discours est révolu : nécessaires pour placer en 2017 le président dans la stratosphère des croyances européistes, ils pourraient désormais l’exposer, à force d’excès, à un ridicule certain. Dans cette perspective, quelques annonces à portée limitée, quelques objectifs sectoriels, réalistes ou non, se révèlent suffisants.
La présidence française de l’UE n’a donc pas d’autre objectif que de faire avancer un peu les grands dossiers en gestation depuis des années. Quelques petits pas dans chacune de ses directions suffiront à donner au président le sentiment du devoir accompli et, à ses ouailles, la certitude rassurante que « l’Europe » avance.
Ainsi, les discussions doivent se poursuivre à propos de l’espace Schengen ; elles porteront notamment sur l’introuvable réforme du droit d’asile et sur le renforcement de l’agence Frontex. La défense européenne progressera par l’élaboration d’une « boussole stratégique », c’est-à-dire d’un document présentant ce qui serait le socle d’une unité de vue géopolitique des 27, en une énième tentative d’accouchement au forceps de « l’Europe-puissance ».
À défaut d’un salaire minimum européen, il s’agira de tenter de faire converger les salaires minimums nationaux, pour réduire le gouffre qui les sépare. Un sommet entre l’UE et l’Afrique sera l’occasion de proposer aux États de ce continent un « new deal économique et financier » (concrètement, le recours à des Droits de Tirage spéciaux du FMI pour financer des projets de développement). Il conviendra également de faire avancer l’idée d’une taxe carbone aux frontières de l’Union, de réguler davantage les GAFAM, de lutter contre la déforestation et de dynamiser la croissance économique…
Avec tous ces fers au feu, le président français peut espérer quelques avancées à partir desquelles la communication gouvernementale pourra broder des communiqués triomphants et louangeurs.
Ce catalogue de bonnes intentions a été porté à la connaissance des citoyens à l’occasion d’une conférence de presse, le 9 décembre dernier. Le président français s’exprimait sur une estrade, devant un fond aux couleurs de l’Union Européenne barré d’une formule étonnante - « Une Europe plus souveraine » -, où le « plus » exprimait en fait un abaissement explicite des ambitions présidentielles laissant penser qu'à l’épreuve du pouvoir, le chef de l’État avait gagné en discernement et en humilité.
Quelques semaines plus tard, face aux parlementaires européens réunis à Strasbourg pour l’écouter, il a cependant renoué avec l’emphase et avec la verve pour défendre sa vision de « l’Europe », développant une approche sentimentale, un rapport affectif à l’UE qu’il aimerait voir embraser les cœurs à travers le continent.
« Notre Europe », « notre construction européenne », « nos grands textes fondamentaux », « nos frontières », et même : « Je souhaite que l’on consolide nos valeurs d’Européens qui font notre unité, notre fierté et notre force » ! Tous ces « nos » et ces « notre », employés fiévreusement par le président, ont quelque chose d’artificiel. Ils témoignent de la fragilité de ses certitudes identitaires et révèlent en creux la faiblesse du sentiment d’appartenance à l’« Europe » que le chef de l’État croit pouvoir affermir avec ce lourd procédé rhétorique, faute d’éléments historiques et culturels tangibles sur lesquels s’appuyer.
L’invocation rituelle des « valeurs européennes », à laquelle il s’est évidemment livré, présente tout autant un intérêt limité, dans la mesure où ces valeurs se sont affirmées au sein des États et des peuples avant d’être brandies par l’UE, et que les citoyens y sont attachés par le tour particulier que leur ont conféré dans le temps les cultures politiques nationales.
Mais la grande cause de « l’Europe » suppose de se détourner de ses réalités déprimantes ; elle autorise même à proposer une lecture fantasmatique de l’histoire du continent. Le président français présente ainsi, au détour d’une phrase, les deux guerres mondiales comme des « guerres civiles », qui auraient déchiré un « peuple européen », à l’existence duquel il semble croire réellement.
Libéré de toute forme de pesanteur historique, il peut en déduire que la construction européenne est « un combat pour la souveraineté des peuples » et que la France soutiendra l’idée d’un droit d’initiative législative pour le parlement européen, si la « Conférence pour l’avenir de l’Europe » en fait la proposition. Un chef-d’œuvre d’inversions orwelliennes en cascade, pour spolier davantage les peuples de leur souveraineté, en confiant une part de leur pouvoir législatif à un parlement factice…
S’il fallait ne retenir qu’une chose de ce discours présidentiel, c’est cette ambition-là qu’il faudrait mettre en avant, car elle relève de la forfaiture. Peut-être est-ce la raison pour laquelle elle n’a eu aucun écho médiatique...
Haro sur la Pologne
Le conflit qui oppose depuis des mois la Pologne et Bruxelles a récemment gagné en intensité. La Commission a en effet décidé de mettre ses menaces à exécution, exigeant du gouvernement polonais le paiement effectif de l’astreinte quotidienne d’un million d’euros qu’elle lui a imposée en réponse à son refus de dissoudre la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise, alors qu’il y est formellement obligé par une décision de la CJUE de juillet dernier.
À ce stade, Bruxelles exige le paiement de 69 millions d’euros et menace de les retenir sur les fonds communautaires alloués à la Pologne si Varsovie ne s’exécute pas. Cet affrontement s’inscrit dans un conflit plus large, au cœur duquel se trouve le principe de la primauté du droit européen sur le droit polonais, principe remis en cause à l’automne par la Cour constitutionnelle polonaise.
Quoi que l’on pense de la réforme judiciaire incriminée, le gouvernement polonais dispose de la légitimité que confère l’onction démocratique ; face à lui, la Commission ne peut faire valoir que l’argument formel de la légalité. Cela n’est pas rien, mais cela pourrait ne pas suffire, compte tenu de l’attachement des Polonais à leur indépendance. Pourquoi la Commission serait-elle mieux placée que les Polonais pour faire respecter l’État de droit – puisque c’est de cela qu’il s’agit – en Pologne ? Ne forment-ils pas un peuple démocratiquement mature, capable de changer de gouvernement à chaque élection, une nouvelle majorité pouvant défaire, si tel est son programme, ce que la précédente a fait ?
L’ampleur des aides financières allouées par Bruxelles à la Pologne constitue cependant pour ce pays une faiblesse, et même un piège, en raison de la dépendance qu’elle induit. Le chantage cynique auquel se livrent aujourd’hui les autorités bruxelloises – avec l’argent des États contributeurs nets au budget de l’UE qu’elle est chargée de distribuer - permettra bientôt de savoir quel prix les Polonais sont prêts à payer pour préserver leur indépendance.
En aggravant le conflit, la Commission joue de son côté un jeu dangereux et prend le risque d’alimenter un euroscepticisme déjà virulent en Pologne ; peut-être fera-t-il réfléchir par ailleurs à ce qu’il pourrait arriver à tous les États de l’UE si un jour celle-ci devait disposer de ressources propres.
Une crise géopolitique européenne sans l’UE
C’est une crise que l’Union Européenne, pour une fois, aurait souhaité gérer. Les tensions actuelles à propos de l’Ukraine – puisque c’est de cela qu’il s’agit – sont pour Bruxelles l’occasion d’une cruelle désillusion. Ni la Commission – dont ce n’est de toute façon pas le domaine, quoi qu’en pense sa présidente – ni même le Service européen pour l’action extérieure, ne sont appelés à jouer le moindre rôle dans la résolution de la crise ukrainienne. Si certains doutaient encore de la vacuité de « l’Europe-puissance », la démonstration en est faite.
Dans cette séquence de haute géopolitique, la parole est aux États, et ceux-ci sont d’autant plus entendus qu’ils sont puissants et déterminés. L’essentiel se joue donc entre Russes et Américains, dans le cadre d’une confrontation où la France et l’Allemagne, elles-mêmes dépassées par l’aggravation soudaine des tensions, tentent d’agir à leur niveau sur le cours des événements.
Les institutions bruxelloises, de leur côté, sont ouvertement tenues à l’écart ; il ne leur est même pas accordé d’être présentes dans les rencontres internationales, contrairement à l’usage habituel destiné à les gonfler d’une importance artificielle. La vérité apparaît au grand jour, dans sa nudité crue : en matière de géopolitique, l’Union Européenne est inexistante, en dépit des efforts déployés par la propagande européiste depuis trente ans, et malgré les structures institutionnelles.
Pourquoi cela ? La raison en est simple : les relations internationales, surtout lorsqu’elles mettent en jeu la paix et la guerre, reposent sur les États, seuls garants de la sécurité et de l’intérêt de leurs peuples respectifs, seuls à même d’assurer au monde, par leurs dialogues et leurs engagements réciproques, la plus grande stabilité possible. Ce n’est pas seulement que l’UE ne dispose pas en propre des moyens militaires indispensables à une politique étrangère crédible, c’est, plus gravement encore, qu’il lui est impossible d’exprimer un jugement de quelque portée sur la crise en cours – comme sur toutes les autres – faute d’une solide unité de vue entre les 27.
Comment ces 27 États, animés chacun par un rapport au monde spécifique, fruit d’une histoire particulière, pourraient-ils faire corps et exprimer collectivement une position forte susceptible de peser réellement sur le cours des événements ? C’est là une chose impossible, quoi qu’en pensent les dirigeants français dont « l’Europe-puissance » est la marotte.
Tout au plus l’UE peut-elle atteindre le stade de l’unité de façade, de la déclaration molle et de la synthèse paralysante ; tout au plus peut-elle s’impliquer a minima dans les crises, en adoptant ponctuellement des sanctions économiques, ou quelques subsides à tel ou tel acteur. Dans ces conditions, son pouvoir est proche du néant et il ne faut pas s’étonner qu’elle ne soit pas entendue lorsque les choses redeviennent sérieuses. En période de crise, plus encore qu’en temps ordinaire, les 4000 fonctionnaires du Service extérieur de l’UE ne représentent guère plus qu’eux-mêmes, et les récriminations du « Haut représentant de l’union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité », Josep Borrell, n’y changeront rien, pas plus que les affirmations péremptoires de la présidente de la Commission européenne.
Photo d'ouverture : Emmanuel Macron présente le programme de la présidence française, Strasbourg, 19 janvier 2022 - Bertrand Guay - @AFP
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