Le 6 mai 2025, Donald Trump annonçait en fanfare la victoire des forces américaines sur les Houthis, après une campagne de bombardements au Yémen débutée en janvier 2024. Mais comme souvent, lorsqu’il est question de diplomatie trumpienne, les choses s’avèrent en réalité un peu plus compliquées que la seule annonce ne le laisserait entendre. Analyse.

publié le 05/06/2025 Par Paul Fernandez-Mateo
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Officiellement, l’affrontement entre les forces américaines et les rebelles Houthis, au Yémen, s’est soldé par une victoire américaine claire et nette. Donald Trump a présenté la fin des combats, actée le 6 mai dernier, comme une « capitulation » des Houthis, qui ne « veulent tout simplement plus se battre ». Et il y a sans doute une part de vrai là-dedans. Les bombardements américains et israéliens sur le Yémen étaient particulièrement lourds depuis la mi-mars, et si les Houthis ont depuis longtemps l’habitude de vivre sous le feu de l’aviation saoudienne, les États-Unis sont un ennemi d’une tout autre ampleur.

L’accord a été annoncé le lendemain même de la dévastation de tout l’aéroport de Sanaa, la capitale du Yémen, par des frappes de missiles israéliens qui ont pu aider à faire pencher la balance.

Mais quelque chose, dans la mise en scène, ne semblait guère convaincant. Ce retrait en toute hâte, faisant immédiatement suite à un satisfecit simpliste de Donald Trump aux airs de méthode Coué, n’a été qu’une pâle et très discrète copie des extravagantes célébrations dont les présidents américains sont coutumiers à la suite de ce qu’ils veulent présenter comme une victoire militaire – qui a oublié la bannière « Mission Accomplished » bien prématurément déployée par George W. Bush en mai 2003, au sujet de la guerre d’Irak ?

La volonté de ne pas s’appesantir sur les raisons du retrait, et encore moins sur le contenu exact de l’accord conclu avec les Houthis était palpable, comme si l’objectif était de passer au plus vite à autre chose et de cacher la poussière sous le tapis.

Retour sur la crise des frappes lancées par les Houthis contre des navires en mer Rouge

La crise a commencé après les événements du 7 octobre 2023. Par volonté de démontrer leur solidarité avec les Palestiniens, les Houthis ont alors commencé à faire usage de leur puissance militaire pour tenter de faire pression sur Israël afin de mettre fin à l’intervention israélienne dans la bande de Gaza. Depuis lors, de multiples attaques de drones et de missiles ont été lancées depuis le Yémen en direction d’Israël.

Par surcroît, les Houthis ont commencé à s’attaquer aux navires traversant la mer Rouge et le golfe d’Aden, des voies maritimes importantes sur la route entre la Méditerranée et l’Asie. Beaucoup plus redoutables que les traditionnels pirates somaliens qui sévissent dans la région, les Houthis sont parvenus à attaquer plusieurs dizaines de navires, et à en détourner et couler quelques-uns, choisissant généralement – mais pas systématiquement – ceux qui se rendaient en Israël ou qui en revenaient, ou qui avaient un quelconque lien avec l’État hébreu.

La menace pesant sur la navigation dans la région était tellement forte qu’un repli notable du trafic maritime par le canal de Suez a été enregistré, forçant des centaines de navires à prendre la route du cap de Bonne-Espérance pour contourner le continent africain. C’est dans ce contexte que l’US Navy, dont l’une des missions consiste à jouer la police des mers en assurant la libre circulation maritime, a lancé en collaboration avec plusieurs autres pays l’opération fort pompeusement dénommée Prosperity Guardian en décembre 2023, dans l’optique de mettre fin à la menace que les Houthis faisaient peser sur le trafic maritime en mer Rouge.

En mars 2025, après le retour au pouvoir de Donald Trump, s’y est ajoutée l’opération Rough Rider, qui a représenté une forte augmentation des bombardements sur le Yémen.

Des combattants aguerris, résilients et virtuoses dans l’emploi des missiles et drones

Les Houthis sont loin d’être de nouveaux arrivants dans la région. Ils sont solidement établis au Yémen depuis 1994, année de la fondation de l’organisation, à l’origine d’un regroupement de chiites yéménites opposés au président Saleh et à ses soutiens américains et saoudiens. L’insurrection des Houthis contre le gouvernement commence en 2004. En septembre 2014, les Houthis s’emparent de la capitale, Sanaa, et prennent le contrôle du gouvernement, ce qui fait exploser un Yémen déjà instable et déclenche une guerre civile sanglante actuellement toujours en cours.

Les Houthis bénéficient du soutien de l’Iran, de façon au moins tacite. Il est notamment presque certain que le matériel dont bénéficient les Houthis provient au moins en partie de l’Iran. L’Iran n’est toutefois jamais intervenu militairement pour assister les Houthis, pas même lorsque ceux-ci ont fait face, à partir de mars 2015, à une coalition d’États arabes menés par l’Arabie Saoudite. Cette intervention militaire est toujours en cours, mais s’est largement soldée par un cuisant échec pour les Saoudiens, qui ne sont pas parvenus à venir à bout des Houthis – ni même à les affaiblir – et ont même essuyé plusieurs contre-attaques. Le Qatar, le Maroc et les Émirats arabes unis ont depuis quitté la coalition, et le conflit semble désormais gelé.

Outre leur impressionnante résilience face aux attaques de la coalition arabe, les Houthis ont également démontré, d’abord au cours de ce conflit contre l’Arabie saoudite et ses alliés, puis suite aux attaques du Hamas du 7 octobre 2023, une remarquable expertise d’un type d’armement désormais situé au cœur de la plupart des conflits contemporains : les missiles et les drones. À plusieurs reprises durant le conflit, les Houthis visent des aéroports et installations pétrolières saoudiennes, réussissant à déjouer les défenses antiaériennes et à frapper leurs cibles.

Plus récemment, le 4 mai 2025, un missile Houthi est parvenu à frapper l’aéroport de Tel-Aviv, en dépit de plusieurs tentatives d’interception par le « dôme de fer » israélien.

Les Américains constamment sur le qui-vive face à un danger réel et constant

Et il s’avère que pour la force d’intervention américaine dépêchée dans la région pour régler le problème posé par les attaques sur les navires, l’expertise des Houthis constituait une menace sérieuse, plus sérieuse sans doute que ce que Donald Trump imaginait lorsqu’il a ordonné le lancement de l’intervention américaine. Peu à peu, certaines informations ont filtré concernant les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’opération Prosperity Guardian.

Si aucune perte de navire de guerre américain n’est à déplorer, il semblerait toutefois que le groupe aéronaval constitué autour du porte-avions USS Harry S. Truman ait été fréquemment la cible d’attaques de drones et de missiles. Plus significatif encore, certaines de ces attaques semblent avoir posé un réel danger pour la flotte américaine.

Selon les rapports des sources impliquées dans l’opération, trois avions de combat F/A-18 Hornet de l’US Navy ont été perdus au cours de celle-ci. Le premier a été abattu par erreur par un tir ami en provenance d’un des navires du groupe aéronaval. Le second a manqué son atterrissage sur le porte-avions et s’est abîmé en mer – ce qui peut arriver même aux meilleurs pilotes. Mais le troisième, semblerait-il, est tout simplement tombé du pont d’envol du navire, en compagnie du véhicule qui le tractait alors, à un moment où le porte-avions effectuait une manœuvre à grande vitesse.

Or, cet incident suggère un certain nombre de détails intéressants. L’avion est tombé dans la mer en compagnie d’un véhicule qui était en train de le déplacer ; il n’était donc pas assujetti au pont d’envol, mais en mouvement sur ce pont. Le pont d’envol d’un porte-avions est certes assez vaste, mais le trajet d’un bout à l’autre de ce pont, même à faible allure, ne prend que quelques minutes au plus. Cela signifie que dans le court intervalle de temps qui s’est écoulé entre la désolidarisation de l’avion du pont d’envol et sa chute dans la mer, le porte-avions a fait l’objet d’une attaque, de drone ou de missile, suffisamment menaçante pour que le seul emploi des contremesures communes – l’envoi de missiles d’interception ou l’usage du Phalanx close-in weapon system – soit considéré comme insuffisant et que le porte-avions doive activement manœuvrer à grande vitesse pour éviter d’être touché.

Autrement dit, les attaques des Houthis ont directement menacé un porte-avions américain, dont la perte éventuelle serait une véritable catastrophe pour l’image internationale des États-Unis – et ce, en dépit de tout un cortège de navires d’escorte, qui disposent tous de systèmes d’armes capables d’abattre des drones et des missiles.

Le constat est très inquiétant ; sans compter que les Houthis ont également causé un certain nombre de frayeurs aux appareils américains envoyés au-dessus de leur territoire. Non seulement ils sont parvenus à abattre un certain nombre de drones Reapers de l’US Air Force, mais ils ont également détecté et tenté d’abattre plusieurs chasseurs F-16, et pire encore, au moins un F-35, en dépit de la réputation de furtivité de cet appareil.

Un cessez-le-feu qui préserve les forces américaines et sacrifie Israël

Cette situation explique sans doute que l’accord hâtivement conclu entre les États-Unis et les Houthis, en termes de contenu, ressemble bien davantage à un retour au statu quo ante bellum plutôt qu’à une quelconque victoire américaine. Les États-Unis ne pouvaient tout simplement pas prendre le risque de voir certains de leurs atouts majeurs déployés dans la région, comme le porte-avions USS Harry S. Truman ou encore les bombardiers furtifs B-2, être détruits par les Houthis, dont la remarquable expertise en matière d’usage des drones et des missiles, qui était pourtant déjà connue, les a visiblement surpris.

Ceci explique peut-être la récente fascination de Donald Trump pour le projet fantasque d'un Golden Dome, à savoir des contremesures antimissiles à l’échelle de tout un pays, semblable au « dôme de fer » israélien, dont il souhaite doter les États-Unis.

L’accord de cessez-le-feu, présenté par Donald Trump comme une capitulation des Houthis, ressemble en réalité au contraire. Les Américains avaient lancé les opérations Prosperity Guardian puis Rough Rider pour faire cesser la menace que les Houthis faisaient peser sur le trafic maritime à travers la mer Rouge et le golfe d’Aden. Mais l’accord semble s’être limité à une promesse réciproque des Houthis et des Américains de ne plus s’attaquer l’un l’autre.

En particulier, la question de la relation entre les Houthis et Israël est explicitement exclue de l’accord. Il n’est également pas question de la cessation des attaques contre les navires autres qu’américains qui navigueraient à proximité du Yémen. Il y a donc fort à parier que les attaques des Houthis reprendront, à la fois à l’encontre d’Israël et à l’encontre des navires liés à Israël qui passeraient à leur portée.

Au vu de l’écart entre les buts de guerre américains et le résultat obtenu, la version des Houthis, selon laquelle ce sont les États-Unis qui ont fait machine arrière, semble plus crédible. Les Houthis sortent grandis de cette confrontation directe avec l’Occident, dans une crise où ils sont les seuls vrais gagnants. Déjà populaires dans le monde arabe, du fait de leur soutien indéfectible – et surtout constamment traduit en actes – à la cause palestinienne, ils voient leur aura d’invincibilité s’accroître.

Israël ne s’y est d’ailleurs pas trompé. L’État hébreu a accueilli le cessez-le-feu avec un vif désappointement. Dans un contexte plus large où la poursuite des massacres à Gaza suscite une désapprobation de plus en plus universelle et où même Donald Trump, jusque là soutien inconditionnel d’Israël, commence à être sérieusement lassé de l’inflexibilité de Benjamin Netanyahou sur ce sujet, l’inquiétude d’Israël croît. Les décisions récentes du gouvernement américain de renoncer au combat contre les Houthis ou de normaliser les relations avec le nouveau pouvoir syrien, qu’Israël bombardait encore récemment, vont directement à l’encontre des intérêts de Tel-Aviv.

Photo d'ouverture : Des Yéménites armés scandent des slogans lors d'un rassemblement de solidarité avec les Palestiniens et la bande de Gaza et de condamnation d'Israël et des États-Unis, à Sanaa, la capitale dirigée par les Huthis, le 23 mai 2025 (Photo Mohammed HUWAIS / AFP).