« Championne des dépenses de protection sociale », la France serait un modèle en matière d’égalité grâce à un système particulièrement généreux. La réalité est un peu différente : d’une part, la redistribution peine à réduire des inégalités primaires relativement élevées. D’autre part, depuis 40 ans, les plus précaires ne voient plus leur situation s’améliorer contrairement aux années 70. Et le nombre de pauvres poursuit sa progression dans un contexte économique et avec des réformes qui laissent peu d’espoir à toute amélioration.

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publié le 24/08/2023 Par Alexandra Buste, Xavier Lalbin
Inégalités : la France, un pays de pauvres avec quelques ultra-riches ?
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Pendant l'été, Élucid vous propose de (re)découvrir certaines de nos analyses graphiques fondamentales sur différents sujets essentiels et toujours d'actualité (date de publication originale : 7 mars 2023).

Il est régulièrement affirmé dans le débat public que les inégalités en France sont moins élevées que dans les pays comparables. Cette petite musique se joue autant dans la presse que dans la communication du gouvernement via une rhétorique bien huilée : « la France est un pays relativement égalitaire… grâce à une redistribution plus élevée ».

Ces considérations souvent vagues masquent en réalité des inégalités de revenus et des hétérogénéités de répartition au sein de la population hexagonale.

Ainsi, en France, 50 % des salariés disposent de moins de 2 000 € net/mois, tandis que 80 % d’entre eux disposent de moins de 3 000 € net/mois. À l'autre bout de l’échelle, 1,4 % des salariés affichent un salaire supérieur à 8 000 € net mensuel.

Et s’il est indéniable que la France présente un modèle social encore efficace contre une réelle explosion de la pauvreté, ce dernier n'empêche pas pour autant le creusement des inégalités, comme le note un rapport de l’Observatoire des Inégalités de fin 2022.

Les écarts de revenus primaires hors prestations sociales, avant impôts et cotisations sociales, sont réduits via le système de redistribution qui répartit les prélèvements (impôts, taxes, contributions sociales, etc.) sous forme de prestations sociales (RSA, allocations, etc.) ou de services publics (éducation, santé, etc.).

L’indice de Gini des revenus permet de quantifier le niveau d’inégalité de répartition des revenus au sein de la population. Il varie entre 0 et 100 : plus l’indice est élevé et plus la répartition des revenus est inégale, c’est-à-dire plus une grande part des revenus est captée par une minorité.

Avant redistribution, les écarts de revenus par décile de population en France sont plus importants que la moyenne des pays européens. Ils sont similaires à ceux de pays comme l'Italie, l’Espagne ou l’Allemagne. En revanche, les pays nordiques, la Belgique, l’Autriche et les Pays-Bas font bien mieux avec une meilleure répartition des revenus primaires au sein de la population que celle de l’hexagone.

D’ailleurs, Belgique, Autriche et Pays-bas présentent même des niveaux d'inégalités avant redistribution proches de celles de l’Espagne, du Portugal ou de l’Italie après redistribution.

Après redistribution, les inégalités ne sont pas sensiblement moins élevées qu’ailleurs : la France est dans une situation intermédiaire. Elle fait mieux que d’autres pays européens (Allemagne, Italie, Espagne), mais nettement moins bien que les pays nordiques ou des pays comme la Belgique, l’Autriche et les Pays-Bas. Ces derniers, qui présentaient déjà des inégalités primaires parmi les plus basses, continuent de réduire les inégalités via leur système social.

Selon France Stratégie (l’organisme d’expertise et d’analyse prospective placé auprès de la Première ministre), ces résultats français plutôt moyens sont obtenus après un taux de prélèvement certes élevé (43,7 % de prélèvements sur le revenu primaire) mais plus faible qu’au Danemark (57 %) ou qu’aux Pays-Bas (48 %). Ce niveau n’est par ailleurs pas très au-delà de la médiane européenne (41 %), relativisant l’idée d’une France « championne du monde » des prélèvements.

Un taux de pauvreté qui stagne depuis les années 1990

Comme le souligne l’Observatoire des Inégalités, le modèle social tricolore contient l'explosion de la pauvreté sans être parmi les meilleurs élèves européens, ni parvenir à la faire reculer. D’ailleurs, la tendance depuis les années 2000 est à la hausse : « [le taux de pauvreté] est aujourd’hui plus élevé qu’au milieu des années 2000 ».

L’Insee définit la pauvreté par un niveau de vie inférieur à 60 % du niveau de vie médian. Elle touche ainsi près de 15 % de la population, notamment les chômeurs, les familles monoparentales, les jeunes et les populations urbaines ; 8 % de la population a même un niveau de vie moitié plus bas que la médiane.

Pire, selon l'Insee, 2 millions de personnes étaient déjà touchées par la « grande pauvreté » en 2018, c’est-à-dire qu’elles disposaient de revenus inférieurs à 760 € par mois et faisaient l’objet de privations matérielles et sociales sévères (difficultés à se nourrir, à chauffer son logement, à payer son loyer et ses factures, etc.). Dans cette catégorie de « grande pauvreté », un tiers des adultes est au chômage et un tiers est en emploi (ouvriers et personnes travaillant à temps partiel ou de manière discontinue).

Les années 1970 laissaient entrevoir des possibilités d’amélioration de sa condition grâce à un taux de pauvreté qui baissait. Ce n’est plus le cas : les inégalités ne diminuent plus en bas de la hiérarchie des revenus depuis maintenant 40 ans…

Conséquence de l’augmentation de la population, le nombre de pauvres a ainsi logiquement augmenté depuis 1980. Quant à la grande pauvreté, seules 10 % des personnes la subissant en sortent au bout de trois ans, le reste demeure en situation de pauvreté matérielle et/ou de privation matérielles et sociales.

Retraités : une situation qui s’était améliorée mais jusqu’à quand ?

En revanche, la situation des retraités s’est améliorée. Eux qui étaient très exposés à la pauvreté durant les Trente Glorieuses sont aujourd'hui relativement épargnés avec, selon l’Insee, une pension moyenne en 2019 d’environ 1 450 € par mois, supérieure d’environ 30 % au seuil de pauvreté. En 2017, la Drees estimait le niveau de vie médian des retraités à 1 850 €/mois, soit 7 % de plus que la médiane de l’ensemble de la population.

Cette embellie de la situation des retraités ne tient évidemment pas compte de l’injuste projet de réforme des retraites. Alors que, selon le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, elle « pourrait rapporter 17,7 milliards d'euros aux caisses des retraites d'ici à 2030 », elle présente surtout l’inconvénient majeur de dégrader les conditions de vie des seniors.

En effet, le recul de l'âge de départ en retraite de 62 à 64 ans se combine à la récente réforme du chômage, qui réduit les prestations et en durcit les conditions d’accès. Or, aujourd’hui, la moitié des 55-64 ans n’est déjà plus en emploi ni encore à la retraite (d’ailleurs la France, avec un taux d’emploi des seniors de 57 %, est une mauvaise élève par rapport à la moyenne européenne de 63 %)… Il est à craindre qu'une part significative des seniors vienne grossir les rangs des allocataires du RSA et bascule ainsi dans la pauvreté

Des écarts qui se creusent avec une politique favorisant les plus riches

Si la condition des plus précaires stagne, le rapport entre revenus des plus riches et des plus pauvres tend lui à croître, signe d’une amélioration des conditions de vie… de la catégorie la plus aisée de la population.

Cette situation a été détaillée dans un rapport de l’Institut des Politiques Publiques (IPP) sur les effets redistributifs des mesures socio-fiscales du premier quinquennat d’Emmanuel Macron à destination des ménages.

L’IPP a calculé les gains ou les pertes de revenus disponibles par catégories de population. Le gain annuel pour les 1 % les plus aisés, qui affichent des revenus supérieurs à 11 000 €/mois, est de plus de 350 € alors qu’il est d’à peine 6 € pour les plus modestes qui disposent de moins de 620 € de revenus mensuels. La disparité de traitement est la même pour les chômeurs : le tiers le plus favorisé a vu une progression de ses revenus tandis que les autres subissaient une baisse d’autant plus marquée qu’ils étaient au bas de l’échelle des revenus.

Et le contexte économique et politique ne laisse pas entrevoir d’améliorations potentielles.

Droit dans ses bottes…

La période actuelle est marquée par un retour de l’inflation où la hausse des prix alimentaires et de l’énergie ont eu (et ont toujours) un impact négatif plus fort sur les plus pauvres. Ce sont en effet souvent ceux qui dépendent le plus de leur voiture pour se déplacer, vivent dans les logements les plus mal isolés et pour qui l’alimentation représente une part importante du budget. Le bilan du quinquennat passé et les deux réformes phares du gouvernement, retraites et chômage, laissent peu d’espoir de voir la situation s’améliorer pour les plus démunis.

D’une part, la réforme des retraites risque fort d'entraîner une nouvelle précarisation des seniors, qui avait été fortement réduite grâce à la mise en place du système de retraite par répartition après la Seconde Guerre mondiale.

D’autre part, les effets attendus de la réforme du chômage sont peu réjouissants. L’Unedic anticipe notamment une baisse de près de 20 % des allocations pour plus d’un million de chômeurs, un retard d’ouverture des droits de plusieurs mois pour presque 300 000 personnes et une perte de droits pour 200 000 autres du fait du durcissement des conditions d’affiliation.

Malgré ces constats sur l’augmentation des inégalités, le gouvernement ne semble pas décidé à adoucir les mesures brutales à venir pour les plus précaires. Il mise aujourd’hui sur une politique prolongeant celle du quinquennat précédent en faveur des plus aisés.

L'économiste Gabriel Zucman enfonce le clou sur le traitement privilégié des milliardaires en France  :

« Le problème fondamental [en France], c'est que les milliardaires payent vraiment très peu d'impôts. […] La France est un paradis fiscal pour les ultra-riches. […] Les milliardaires ne payent quasiment aucun impôt sur le revenu parce qu'ils peuvent se payer des dividendes qu'ils gardent dans leurs sociétés holding […].

L'impôt sur la fortune immobilière ne vient pas taxer les très grandes fortunes qui sont surtout investies en titres financiers. Même quand l'ISF existait, il exonérait les très grandes fortunes des milliardaires. Et donc on est dans une situation où si vous regardez les taux effectifs d'imposition pour les 380 ménages aux revenus les plus élevés – donc le 0,001 % – on est à… 2 %. »

On note d’ailleurs que les milliardaires français font la course en tête en matière d’augmentation de leur patrimoine depuis 2009 :

Totalement sourd à la rue, Emmanuel Macron entendra-t-il les « revendications » de 200 millionnaires et milliardaires (dont 2 français) de 13 pays réclamant, dans une lettre adressée aux leaders politiques mondiaux présents au forum de Davos de cette année, de les taxer davantage pour aider les plus fragiles ?

« Taxez les ultra-riches et faites-le maintenant. C'est du simple bon sens économique. C'est un investissement pour le bien commun et un avenir meilleur que nous méritons tous, et, en tant que millionnaires, nous voulons faire cet investissement. Qu'est-ce qui (ou qui) vous en empêche ? »

Photo d'ouverture : Journée nationale de grèves et de rassemblements contre le projet de réforme des retraites, Mulhouse, 31 janvier 2023 - Sébastien Bozon - @AFP

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