Paupérisation sous l'ère Macron : la France des petits salaires délaissée

Les choix ont été clairs : il n’y a pas eu une année de présidence Macron dont les politiques ont bénéficié en priorité aux ménages les plus modestes, à la fonction publique, ou aux inactifs.

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publié le 15/03/2023 Par Myret Zaki
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« Macron, président des riches » ? Le bilan de ses six années au pouvoir ne laisse que peu de doutes. Sur la question la plus actuelle, d’abord : la réforme des retraites, objet d’une contestation nationale. Le gouvernement avait laissé flotter, fin 2022, l’idée d’une retraite minimum à 1 200 euros pour tous : « C’est complètement faux », a balayé Michaël Zemmour, maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, début février. Cet économiste relativement peu connu a démontré en une minute et demie, sur les ondes de France Inter, que le gouvernement n’allait offrir qu’une revalorisation de 100 euros, quel que soit le montant de la retraite. L’opposant à la réforme a ensuite souligné ses conséquences sociales néfastes pour les seniors :

« Ce sera 40 000 seniors de plus au RSA, 40 000 seniors de plus à l’ASS (allocation pour chômeurs de longue durée) et de l’ordre de 90 000 de plus au chômage… Tout cela est chiffré par l’administration, mais le gouvernement ne le dit pas. »

Prendre aux pauvres, donner aux riches

À la question de savoir aux dépens de qui se fera cette réforme, Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, répond qu’elle prélève 17 milliards d’euros essentiellement sur le dos des catégories populaires, des classes moyennes et des mères de famille. Les plus pénalisés sont en effet ceux qui ont commencé à travailler à 20 ans et qui doivent travailler deux années de plus pour avoir droit à la même retraite. De même, une mère de deux enfants qui devait cotiser 39 ans pour avoir une retraite à taux plein devra cotiser deux ans de plus pour y avoir droit.

Même quand le gouvernement met en œuvre une mesure qui doit bénéficier au plus grand nombre, c’est d’abord aux classes aisées qu’elle profite le plus. Exemple, la taxe d’habitation. Initialement promue par un Macron en campagne comme une mesure uniquement destinée aux 80 % des Français les moins riches, celle-ci a fini par profiter disproportionnellement aux 20 % les plus riches. À peine deux mois après son arrivée au pouvoir, le président a inclus la catégorie des plus aisés, doublant au passage le coût de la mesure pour les finances publiques.

Résultat, les 20 % les plus aisés captent la moitié des 17,6 milliards amputés du budget de l’État. Si les foyers les plus modestes économisent 555 euros en moyenne, les 20 % les plus riches gagnent 1 158 euros en moyenne. Comme l’explique une analyse du Monde, « la nature même de ce cadeau fiscal a été profondément modifiée au passage, profitant à l’arrivée plus fortement aux plus aisés, et sans contrepartie ».

Au-delà des fausses promesses, les années Macron sont celles d’une succession de politiques favorisant les classes aisées. Le ton est donné dès le premier quinquennat avec la Loi de finances 2018 et il ne variera pas. Les choix fiscaux adoptés portaient sur la réduction de la fiscalité du capital (réforme de l’ISF et mise en place du PFU) et sur la poursuite de la baisse de la fiscalité des entreprises.

Ensuite, entre 2018 et 2020, le revenu disponible des ménages a été soutenu à hauteur d’environ 17 milliards d’euros par des mesures socio-fiscales. Mais à nouveau, qui a d’abord profité de ces 17 milliards ? Principalement les 5 % les plus riches... Il y a 3 ans, un rapport le constatait : « sur les 17 milliards d’euros distribués aux ménages depuis le début du quinquennat, plus du quart sont allés soutenir le revenu disponible des 5 % de ménages les plus aisés », écrivent les économistes de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). L'effet cumulé des mesures socio-fiscales de 2018 à 2020, conclut le rapport, « reste très fortement marqué par le geste fiscal destiné aux plus riches en début d'année 2018 ».

A contrario, l'effet cumulé de ces mesures a fait perdre 2,3 % de niveau de vie aux 5 % de ménages les plus modestes, et a généralement raboté le revenu disponible des 10 % les moins riches. Cette politique plus favorable aux riches a aussi privilégié les personnes actives : en résumé, les inactifs (chômeurs et retraités) ont été mis à contribution pour financer les augmentations de pouvoir d’achat des actifs. À cet égard, la réforme visant à réduire de 25 % les droits à l’assurance chômage est entrée en vigueur le 1er février 2023.

Quant au budget 2020, l’OFCE l’a estimé, lui aussi, « taillé pour les classes moyennes supérieures » :

« Les ménages appartenant au 5 % les plus pauvres devraient voir leur revenu disponible se réduire de 45 euros, soit 0,4 % de leur niveau de vie sous l’effet des mesures socio-fiscales mises en œuvre en 2020. »

Une estimation qui ne tenait pas compte des effets délétères qui allaient encore survenir avec la crise du Covid en 2020 et 2021, puis la guerre en Ukraine en 2022. Au total, il n’y aura pas eu une année de présidence Macron lors de laquelle les plus pauvres et les inactifs auront bénéficié en priorité des politiques du gouvernement.

L’effet de vases communicants décrit plus haut (gains pour une catégorie, pertes pour l’autre) s’explique principalement par l’effet sur le budget de l’État des cadeaux fiscaux aux plus aisés et aux entreprises, qui sont un des piliers de la politique macronienne. À ces mesures répondent les annonces comme celle de Matignon sur les « réductions significatives » à attendre pour le budget 2024, qui se feront sur le dos du social. « Nous passerons au peigne fin toutes les dépenses publiques : État, collectivités locales, champ social », a prévenu en janvier 2023 le ministre de l’Économie Bruno Le Maire.

L’inflation vient aggraver la précarité

Les catégories déjà fragilisées par ces politiques ont vu leur situation se détériorer entre 2021 et 2023, des suites de la crise du Covid-19 et de la guerre en Ukraine. L’inflation a en effet frappé la population, les petits budgets étant plus vulnérables que les gros aux effets du renchérissement. L’inflation des denrées alimentaires a atteint 13,5 % en janvier 2023 en France. Un coût qui contribue fortement à paupériser les ménages. En 2022, les prix de l’alimentation s’étaient déjà envolés de 12 %, mais il faut savoir que ce taux grimpe à 16,6 % pour les marques distributeurs (supermarchés) et culmine à 18,3 % pour les produits premiers prix (Eco+, Top budget…).

À cette hausse accentuée des produits premiers prix, s’ajoute le phénomène de shrinkflation (moins de produit, vendu au même prix, ou plus cher) : l’ONG Foodwatch a par exemple montré que la portion de fromage Kiri est passée de 20 grammes à 18 grammes tandis que son prix au kilo a augmenté de 11 %. Sur l'année 2023, l’inflation représentera un surcoût moyen de 790 € pour faire les mêmes courses qu'en 2021. Conséquence, pour continuer à nourrir leur famille, les Français recourent davantage aux prêts sur gage, qui consistent à déposer des objets de valeur en échange d’un prêt de quelques centaines d’euros.

L’inflation intervient dans un contexte où les salaires ont connu une stagnation historique ces cinq dernières années, qu’avait pointée du doigt l’OCDE en 2018. Autrement dit, les salaires n’ont pas suivi la croissance phénoménale des entreprises sur cette période. Un problème qui a touché principalement les travailleurs faiblement rémunérés, ceux-là qui sont aujourd’hui en première ligne face à l’inflation.

En France, la moitié des salariés gagnent moins de 1,25 fois le SMIC. Dans le secteur privé, la moitié des Français gagne moins de 2012 euros en équivalent plein temps. Un montant inférieur de 20,3 % au salaire moyen, ce qui montre une plus forte concentration des salaires dans le bas de la distribution, selon l’Insee. Sous l’effet de l’inflation, la chute des salaires réels a été historique l’an dernier, entre 2 % et 4 %, en tenant compte des ajustements consentis par les entreprises et le secteur public, qui n’ont que partiellement compensé la hausse des prix.

Selon la toute dernière analyse du pouvoir d'achat de l'OFCE, publiée le 22 février dernier, le pouvoir d’achat des ménages se réduira probablement entre - 1,2 % et - 2,0 % entre la fin 2021 et la fin 2023. Au même moment, en Espagne, le salaire minimum a bondi de 47 % en l’espace de 5 ans, depuis l’arrivée au pouvoir des socialistes en 2018.

Dans des secteurs clés de la fonction publique comme celui de l’enseignement, les salaires bruts ont connu une baisse marquée en France ces dernières années, réduisant toujours plus leur écart par rapport au SMIC :

Malgré un nombre d'heures de classe supérieur et des effectifs plus importants, les enseignantes et enseignants français touchent en moyenne 37 % de salaire en moins que la moyenne des onze pays comparables au bout de 15 ans d'exercice et 23 % de moins que la moyenne des pays de l'OCDE.

Par ailleurs, une autre politique phare de l’ère Macron a été le soutien aux grandes entreprises. Tout comme les politiques socio-fiscales ont profité aux 5 % plus aisés et réduit le revenu disponible des 10 % les moins aisés, les politiques des prélèvements obligatoires et des subventions d’avant et d’après-Covid ont profité aux entreprises tout en pesant sur les ménages.

L’OFCE a recomposé, à partir des données fournies par l’Insee, les effets macroéconomiques des prélèvements obligatoires depuis 1995 en distinguant ceux supportés par les entreprises de ceux supportés par les ménages. Constat : les contributions des entreprises n’ont fait que s’alléger depuis 2010, tandis que celles des ménages n’ont fait que s’alourdir. Le creusement de l’écart est frappant depuis les années Macron, avec la décision de baisser les charges patronales dès 2019, bien que celles-ci aient été très stables depuis 2010 (en % du PIB).

Ainsi, le taux de prélèvement obligatoire sur les ménages en 2020 se situe 2,3 points de PIB au-dessus de sa moyenne de 1995-2010. À l’inverse, celui sur les entreprises se situe 0,9 point en dessous de sa moyenne.

Enfin, les subventions versées par l’État français aux entreprises du CAC 40 n’ont cessé d’augmenter, avec une accélération sous l’ère Macron à la faveur de la pandémie. Leur montant a plus que doublé en 15 ans, passant de 65 à 150 milliards depuis 2008, sans condition ni contreparties. Une progression qui dépasse celle du PIB, des aides sociales et des salaires. Cette progression de 230 % sur 15 ans se destine à des groupes qui sont, pour la plupart, très profitables. Avec la pandémie, ce soutien est devenu encore plus massif.

Durant le Covid, la part du lion des aides publiques est revenue aux grandes entreprises. C’est ce que démontrent l’économiste Maxime Combes et le journaliste Olivier Petitjean, dans un rapport publié le 12 octobre 2020, intitulé « Allô Bercy ? Aides publiques : les corona-profiteurs du CAC40 ». Ils notent que les quartiers populaires ont dû se contenter de 0,8 % du financement du plan de relance et que les services publics ont été aidés « avec parcimonie ». En revanche, les grandes entreprises comme Carrefour, Bouygues, Capgemini, Michelin, Publicis, Schneider, ou encore Vinci et Vivendi ont touché des aides, souvent plusieurs fois, y compris les 26 d’entre elles qui ont versé des dividendes élevés à leurs actionnaires en 2020. Les actionnaires ont donc été rémunérés par des groupes... subventionnés par des fonds publics.

En conclusion, sous l’ère Macron, les ressources de l’État ont été largement utilisées pour soutenir les grands acteurs de l’économie : grandes fortunes, investisseurs, entreprises, cadres. En revanche, les petits salariés, les retraités, les chômeurs, qui n’avaient pas été soutenus avant le choc du Covid et de la guerre en Ukraine, et ont pris de plein fouet les effets de l’inflation, sortiront de ces deux quinquennats considérablement paupérisés. Les chiffres pour les années 2021-2023 ne seront pas disponibles avant 2024-2025. Ils devraient révéler le degré de dégradation des conditions de vie des plus modestes, revers retentissant des politiques fortement segmentantes du fondateur d’En Marche (Renaissance).

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