« Le soin ne se résume pas à la seule médecine » - Alice Desbiolles

La santé concerne l’ensemble des politiques publiques et ne se réduit pas à des innovations technologiques. Alice Desbiolles, médecin de santé publique, qui a fait paraître l’année dernière Réparer la santé – Démocratie, éthique, prévention (Rue de l’échiquier) tire les enseignements des dernières années, notamment des réponses apportées au Covid, et plaide pour une approche plus interdisciplinaire et plus humaine de la santé publique.

Opinion Société

publié le 21/04/2024 Par Laurent Ottavi

Laurent Ottavi (Élucid) : Qu’appelez-vous le « biomédicalisme » dans votre livre et par quoi est-il véhiculé ?

Alice Desbiolles : J’appelle biomédicalisme une tendance que j’observe dans la pratique médicale et son enseignement. Cette tendance consiste à réduire les individus à des paramètres essentiellement quantitatifs et biologiques. Le sujet n’est plus un individu avec un corps, une psyché, une âme et un habitus. Il devient un ensemble de variables, d’organes, d’anomalies biologiques ou radiologiques qu’il convient de mesurer et d’analyser pour mieux les normaliser. Plus qu’une personne dans sa globalité, c’est un paramètre qu’il faut désormais soigner, voire redresser.

Le biomédicalisme ne prend en compte que la seule « vie nue », à savoir un cœur qui bat, des paramètres biologiques normalisés, sans considération pour les aspects sociaux, émotionnels ou encore spirituels du sujet. Il conduit à fragmenter les êtres et à confondre l’homme biologique avec la Personne. Le biomédicalisme qui gouverne l’idéologie médicale actuelle s’enseigne dès les bancs de la faculté, se décline à travers la praxis des professionnels, puis se propage des cabinets médicaux aux cabinets ministériels.

Élucid : En quoi les éléments que vous avez cités ont-ils été particulièrement illustrés par la « syndémie » du Covid, un terme que vous préférez à celui de pandémie ?

Alice Desbiolles : En plus de vider la santé et la pratique médicale de leur substance, le biomédicalisme nous a conduits à penser que la seule cause de la pandémie était un agent infectieux. L’ensemble des interventions pour y faire face s’est donc invariablement concentré sur la réduction des transmissions virales. Mais le Covid, comme d’autres pathologies avant lui, n’est pas qu’une pandémie infectieuse. Il s’agit avant tout d’une « syndémie », où les interactions entre maladie infectieuse, maladies non transmissibles, âge et conditions de vie se potentialisent, aggravant les symptômes et le pronostic de l’infection.