La première bombe atomique a rasé Hiroshima il y a 80 ans, tuant près de 150 000 personnes. Depuis lors, l’arme nucléaire est largement présentée par les gouvernements et la propagande médiatique comme un « ange », une invention magique qui « dissuaderait » les grandes puissances de recourir à la guerre. En réalité, ce véritable « démon », a simplement reporté les guerres sur des pays secondaires où elle est réalisée depuis lors par procuration. Et durant tout ce temps, les dangers se sont accumulés subrepticement : accroissement délirant du nombre de têtes nucléaires par les États-Unis et l’URSS, accidents dramatiques qui auraient pu dégénérer, mauvaises informations qui auraient pu conduire à des lancements d'ogives... L’arme nucléaire reste une menace existentielle pour l’Humanité, mais elle a pourtant disparu des écrans radars des médias. Élucid se devait donc de faire une mise au point sur ce sujet crucial. Analyse.



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Sommaire :
1- La prolifération horizontale est tout sauf inéluctable
2- Le danger de la délirante prolifération verticale
3- La folie de la course aux armements nucléaires
4- Dévastation nucléaire : des dégâts apocalyptiques
5- Accidents en série et dirigeants irresponsables : un chance phénoménale
6- Propagande et tabous sur les armes nucléaires
7- Démocratie, désarmement et abolition
La guerre est aussi vieille que les sociétés humaines. Elle a connu deux révolutions historiques, qui ont démultiplié son pouvoir destructeur. La première a été l’invention des explosifs chimiques qui ont permis l’industrialisation de la mort, depuis la poudre noire découverte en Chine durant le premier millénaire jusqu’au fameux TNT (trinitrotoluène découvert en 1863) devenu l’explosif standard de la Première Guerre mondiale.
La deuxième grande révolution a été le passage à une échelle de destruction sans commune mesure, avec la découverte des explosifs nucléaires au début du XXe siècle, qui ont très rapidement été utilisés sous la forme de bombes atomiques sur les villes d'Hiroshima et Nagasaki, tuant plus de 200 000 personnes.
La course à l'atome : la prolifération horizontale est tout sauf inéluctable
Ignorant les appels de nombreux scientifiques, les États se sont lancés dans une véritable course aux armements. La fin de la Seconde Guerre mondiale n’a pas dissuadé les États-Unis de poursuivre leur armement nucléaire : mi-1946, ils détenaient déjà 9 bombes atomiques et ils n'ont cessé de faire croître leur arsenal durant les quatre années de leur monopole atomique. Le mouvement a ensuite été accéléré par l’explosion de la première bombe A soviétique dès 1949.
Les pays dotés de la bombe se sont alors multipliés durant la Guerre froide : Royaume-Uni (1952), France (1960), Chine (1964), Israël (vers 1967), Inde (1974), Afrique du Sud (vers 1979) et Pakistan (1990).

On qualifie désormais cette multiplication de « prolifération (horizontale) ». Il s’agit néanmoins d’un terme de propagande, choisi volontairement pour mettre l’accent sur le nouveau pays qui se dote de l’arme. Il a remplacé l’ancien terme de « dissémination » dans le but de gommer la responsabilité écrasante des États déjà équipés d’arsenaux nucléaires et qui ont aidé d’autres pays dans leurs recherches.
Ainsi, les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU ont TOUS aidé plusieurs autres États à se doter de la Bombe nucléaire, plus ou moins fortement et avec plus ou moins de succès.

Ces dernières décennies, le rythme de dissémination s’est considérablement ralenti. Pendant la Guerre froide, on dénombrait 1 pays nucléarisé de plus tous 5 ans. Mais depuis la fin de la Guerre froide, seule la Corée du Nord s’est dotée de la Bombe en 2006, soit 1 seul pays de plus en environ 35 ans. Et durant cette même période, en 1993, l’Afrique du Sud a été le premier et seul pays à ce jour à renoncer à l’arme nucléaire.

Il y a donc actuellement 9 pays dotés de l’arme nucléaire, soit le même nombre en 2025 qu’en 1991.

On dénombre également 6 pays qui hébergent des bombes américaines (Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas, Turquie) ou russes (Biélorussie), sans en avoir cependant le contrôle. Ce nombre est à un niveau historiquement bas.

Au cours de l’Histoire, de nombreux pays ont cherché à se doter de l’arme nucléaire. Désormais, seul un pays, l’Iran, est suspecté de chercher à obtenir cette arme. Un nombre aussi bas est une première dans l’histoire de la Bombe.

La prolifération horizontale reste donc un danger potentiel, mais largement atténué par rapport à la période de la Guerre froide.
Paradoxe : posséder l’arme nucléaire diminue souvent à long terme sa propre sécurité
En 2009, la secrétaire d’État Hillary Clinton déclarait : « Nous allons nous retrouver dans un monde avec un nombre croissant d’États dotés d’armes nucléaires ». C’est un exemple classique de la propagande tenace qui présente la prolifération comme inéluctable et imminente, une « fatalité » savamment entretenue par les dirigeants politiques, par certains militaires et leurs relais dans les think tanks qu’ils financent.
Cependant, l’immense majorité des pays ne souhaite pas se doter d’armes nucléaires : 80 % des pays n’ont jamais entamé de programme nucléaire.

Fait intéressant, une quarantaine de pays ont entamé des recherches nucléaires militaires, ce qui est beaucoup.
Certains d’entre eux sont même surprenants, comme la Suisse, dont les chefs militaires ont demandé dès le 15 août 1945, soit 10 jours après Hiroshima, « que l’on étudie sans tarder la possibilité d’utiliser l’arme atomique pour la défense de la Suisse ». En 1958, le gouvernement suisse a confirmé sa volonté d’obtenir l’arme atomique « pour préserver [son] indépendance et protéger [sa] neutralité ». Le programme fut cependant abandonné dans la décennie suivante.

En réalité, il s’avère que 75 % des pays qui ont entamé des recherches sur le nucléaire militaire les ont abandonnées avant d’avoir la Bombe.

Ainsi, au moins 40 États sont aujourd’hui parfaitement capables de se doter de l’arme nucléaire (Italie, Égypte, Brésil, Turquie…). Cependant, ils ont choisi de ne pas le faire. Pour le reste, une dizaine d’États n’ont même pas commencé de programme, tandis qu’une trentaine ont stoppé leurs recherches avant de disposer de la Bombe.
La méconnaissance de ces quelques faits s’inscrit dans un mode de pensée dépourvu de toute vision politique de l’Histoire nucléaire, alors que celle-ci est évidemment centrale.

Plusieurs raisons expliquent ce manque d’intérêt des États pour l’arme nucléaire. En premier lieu, il y a la simple incapacité pratique à développer une arme, par manque de moyens financiers et/ou de compétences scientifiques. En second lieu, il y a l’absence de toute perception d’un danger qui pourrait justifier un programme nucléaire.
Dans d’autres cas, les militaires (qui, contrairement à une idée reçue, ne défendent pas tous l’arme nucléaire) ont pu estimer que le coût de développement de la Bombe allait détourner des moyens qui seraient beaucoup plus utiles pour des matériels conventionnels. Ce fut par exemple le cas en Suède ou en Afrique du Sud.
D’autre part, les « parapluies » nucléaires peuvent également constituer un danger, avec un risque pour les États alliés d’être pris dans un engrenage. Comme le rappelle le chercheur indépendant français Benoît Pelopidas, fondateur du Programme d'études des savoirs nucléaires, la Norvège a combattu tout déploiement américain sur son sol, ses responsables militaires ayant considéré que « la menace prioritaire pour la sécurité de la Norvège venait du risque d’être entraîné dans un conflit nucléaire entre les deux grands », car « l’offre d’aide militaire américaine consistait davantage à établir une tête de pont pour menacer l’Union soviétique qu’à protéger la Norvège, ce qui mettait cette dernière en danger ». Hélas, cette sagesse a été largement oubliée…
Enfin, ce sont aussi parfois des questions de sécurité nationale qui conduisent à l’abandon des recherches en matière nucléaire. Cela peut sembler paradoxal, mais il s’avère que contrairement à ce qu’affirme l’hypothèse au cœur de la propagande nucléaire, l’arme nucléaire n’est pas « la garantie ultime de sécurité des États ». Bien au contraire, celle-ci produit en réalité un dilemme de sécurité : plus un État accroît sa puissance militaire pour garantir sa sécurité, et plus sa sécurité diminue, car l’augmentation de sa puissance incite ses adversaires à augmenter la leur.
C’est l’un des nombreux paradoxes de l’arme nucléaire, largement étudiés. Prenons l’exemple de l’Inde. Craignant des conflits avec la Chine et le Pakistan, elle obtient la bombe en 1974. En conséquence, le Pakistan lance un programme et acquiert la sienne. Le fait que l’Inde ait la Bombe ne dissuade en rien le Pakistan d’attaquer l’Inde en 1999. Résultat pour l’Inde : non seulement les conflits limités sont toujours possibles, mais elle risque désormais, un jour, d’être détruite par des bombes nucléaires. Au final, sa sécurité a largement diminué.
Si un jour le pire advenait et que les États-Unis se retrouvaient vitrifiés par des centaines de bombes thermonucléaires, cela serait la preuve définitive que leurs armes nucléaires ne garantissaient pas du tout leur sécurité, et qu’ils auraient mieux fait d’abandonner les leurs et de réaliser d’énormes pressions pour que les autres pays en fassent autant. Hélas, le gouvernement américain et le Pentagone ont fait exactement le contraire.
Des bombes toujours plus puissantes : le danger de la délirante prolifération verticale
« Toujours plus gros » : c’est ainsi que les États-Unis ont répondu à la bombe A soviétique de 1949. L’explosion de Ivy Mike, la première bombe à hydrogène, en 1952, avait pourtant été combattue par Oppenheimer au motif qu'elle ne pouvait être qu'un « gigantesque désastre humain ».
Ces bombes nucléaires de deuxième génération, appelées bombes thermonucléaires ou bombes H, fonctionnent sur un principe inverse aux bombes A : si les premières libèrent leur terrifiante énergie en cassant de gros atomes par fission, les bombes H libèrent la leur en fusionnant de tout petits atomes, exactement comme dans le soleil. Ce phénomène nécessite cependant une énorme température de 300 millions de degrés pour s’enclencher, cette dernière étant atteinte par l’explosion préalable d’une bombe A, placée à l’intérieur de la bombe H.

L'explosion d'une bombe H se déroule dans un temps très court : 600 ns : 550 ns (1 nanoseconde = 1 milliardième de seconde) pour la réaction de fission et seulement 50 ns pour la fusion. Ces bombes disposent d’une puissance terrifiante, au moins 1 000 fois celle de la bombe à fission de 15 kt larguée sur Hiroshima. Par exemple, Ivy Mike, la première bombe à fusion américaine, a dégagé une énergie d'environ 10 000 kt (soit 10 Mt) et l'explosion la plus puissante de l'Histoire est celle de la Tsar bomba soviétique de 57 000 kt de puissance (pour un poids de 27 tonnes et 8 m de longueur, c'est la plus grosse bombe de l'histoire nucléaire), qui devait servir de test à des bombes de 100 000 kt.
Les autres pays ont emboîté le pas en développant à leur tour des bombes thermonucléaires, comme la France, dès 1968.
Signalons enfin que d'autres types de bombes découlent de ces grands types d'armes nucléaires. La première est la bombe à neutrons ou Bombe N : c'est une toute petite bombe H rendue 10 fois moins efficiente, de façon à maximiser, au lieu de minimiser, les émissions de neutrons (10 fois plus). Le résultat est une bombe de 1 à 10 kt, qui fait de gros dégâts explosifs sur quelques centaines de mètres, mais émet surtout un flux de rayonnements mortels sur un bon kilomètre. Le but principal était de disposer d'une arme nucléaire tactique destinée à tuer les équipages de chars (soviétiques), en limitant les contaminations locales des retombées radioactives. A contrario, une bombe salée est une bombe H dont l'enveloppe est choisie pour créer des isotopes radioactifs dans le but de maximiser la pollution radioactive du site et le rendre inhabitable pour au moins un siècle (contre quelques mois pour une bombe à fission type Hiroshima). La bombe au cobalt ou « Bombe de l'apocalypse » est un exemple de bombe salée. Il ne faut pas les confondre avec ce qu'on appelle une « bombe sale », qui est une bombe à explosifs classiques contenant des substances radioactives, qui n'entraine aucune réaction nucléaire ; l'explosion, classique, se contente de disperser ces substances sur la zone, la rendant inhabitable.
Ainsi, à défaut d’une prolifération horizontale (de plus en plus de pays nucléarisés), on a assisté à une véritable prolifération verticale : les États-Unis et l’URSS se sont mis à construire des armes de plus en plus puissantes, jusqu’à atteindre la démesure.
Une tendance hélas naturelle du « progrès technique » a poussé à améliorer la conception et l’efficacité de ces bombes, pour les rendre plus petites. Les bombes de la puissance d’Hiroshima sont ainsi passées de 4 000 kg à 90 kg. Les « améliorations » ont aussi concerné la partie nucléaire, et ces bombes plus petites ont pu devenir beaucoup plus puissantes.

Le poids des têtes nucléaires a tellement diminué qu’il est devenu possible de les insérer dans des missiles, plutôt que dans de gros avions, ce qui facilite grandement les frappes en territoire ennemi. Et à force de miniaturisation, il est désormais possible de mettre plusieurs bombes H dans la tête d’un seul missile balistique pour les délivrer à l’autre bout de la Planète, où elles suivront des trajectoires indépendantes lors de leur entrée dans l’atmosphère (ce qu’on appelle le « mirvage », de MIRV : Multiple Independently targeted Reentry Vehicle).

Ancien missile balistique américain PeaceKeeper. Chaque cône dans la tête est une bombe thermonucléaire indépendante W87.
Les « progrès » techniques ont ainsi permis aux missiles nucléaires d’aller toujours plus loin (4 000 km pour les missiles de croisière, 25 000 pour les balistiques), toujours plus vite et en emportant toujours plus de têtes. Le missile balistique « Satan 2 », (200 tonnes), peut ainsi délivrer 15 têtes MIRV, soit 50 Mt au total, à 18 000 km de distance et à 25 000 km/h (soit 7 km par seconde). On n’arrête pas le « progrès »…
Cette prolifération verticale est donc un immense danger pour l’Humanité. Malgré tout, les États-Unis prévoient de dépenser environ 1 700 Md$ entre 2020 et 2050 pour moderniser leur arsenal nucléaire, coût qui ne cesse pas d'excéder les prévisions ; et la situation est identique dans tous les pays nucléarisés.
Pourtant, cette autre prolifération est extrêmement peu traitée par la grande presse, surtout si on le compare au traitement de la prolifération horizontale concernant l’Iran. Ce dernier sujet est d’ailleurs traité en général par des experts à la fiabilité très douteuse vu que, comme le rappelait en 2020 un ancien analyste sur le Moyen-Orient du ministère de la Défense, « à partir de 2003, chaque année au ministère de la Défense, on nous a annoncé une bombe iranienne dans les deux ans ».

La folie de la course aux armements nucléaires
Les limites du « toujours plus gros » ayant été atteintes dans les années 1960, les deux « Grands » sont alors passés au simple « toujours plus », et ce jusqu’au pur délire, avec un stock mondial de près de 70 000 têtes nucléaires en 1986. Au total, les États dotés ont construit plus de 120 000 têtes nucléaires.

C’est bien entendu la course aux armements entre les États-Unis et l’URSS qui explique ce phénomène, cette dernière ayant obstinément voulu dépasser son adversaire américain.

Le constat est clair et ne peut être ignoré : la taille actuelle des grands arsenaux est bien trop importante pour répondre à une seule logique de dissuasion.

Que faut-il en déduire ? Que ces arsenaux démentiels incluent la possibilité de mener des frappes préventives. De même, la fabrication d’armes tactiques de faible puissance et les projets réguliers de « boucliers de défense anti-missiles » (qui n’adviendront probablement jamais pour des raisons techniques) sont autant de signes de préparation de la « bataille nucléaire », qui n’est nulle part strictement prohibée.
Les essais nucléaires
On entend régulièrement que la Bombe atomique a été utilisée deux fois. C’est vrai sur des cibles civiles, mais en réalité, depuis 1945, il y a eu plus 2 400 explosions nucléaires lors d’essais nucléaires, dont 543 dans l’atmosphère, tous les pays nucléarisés ayant procédé à des essais. Ils ont eu lieu partout : dans l’atmosphère, dans le sol, dans l’eau et même dans l’espace.

Près de la moitié des explosions, soit 1 050, ont eu lieu aux États-Unis, suivis par l'Union soviétique, qui a réalisé 715 explosions officielles.

Les tests non souterrains ont largement contaminé l’environnement. Il y a même eu des accidents dramatiques, comme le test atmosphérique Castle Bravo de la plus grosse bombe H américaine, qui a détonné au sol en 1954 dans l’atoll de Bikini. Avec 15 000 kt, soit 1 000 fois Hiroshima, la puissance de la bombe a été le double des prévisions ; de très larges retombées ont alors fortement irradié et tué des pêcheurs à 130 km du point zéro. Le mois suivant, les retombées ont contaminé, certes extrêmement faiblement, l’ensemble de la Planète.

Nuage de retombées de l'essai Castle Bravo de 1954 au bout de 35 jours (source : rapport parlementaire)
Ce désastre a entraîné de fortes protestations internationales (il est cité dans le manifeste pacifiste Russell-Einstein rédigé l’année suivante), en particulier avec le Japon, qui ont abouti aux Traités d’interdiction de tous les essais nucléaires non souterrains en 1963 et de tous les essais en 1996.
Il a également mis fin à la course à la puissance des armes américaines : cela reste donc la plus forte explosion américaine. La plus puissante arme américaine construite (et non testée) a été la Mark 41 de 23 000 kt, mais le président Eisenhower a ensuite limité à 15 000 kt (15 Mt) la puissance des bombes américaines, suivi en cela par ses successeurs. Et heureusement, car Edward Teller, le père de la bombe H américaine (qui a servi de modèle au Docteur Folamour dans le film de Stanley Kubrick), a continué de travailler plusieurs années sur deux nouveaux modèles d’armes, baptisés Gnomon et Sundial, qui visaient la gigatonne (soit le milliard de tonnes de TNT).
Gnomon aurait une puissance de 1 000 000 kt (1 000 Mt) et serait utilisé comme une « arme primaire » pour déclencher Sundial, qui aurait une puissance de 10 000 000 kt (10 000 Mt). Annoncé en 1954, après les essais Castle, lors d'une réunion de Commission de l'énergie atomique des États-Unis, ce projet a « choqué » de nombreux scientifiques présents, car « cela contaminerait la Terre », et pourrait mettre le feu à une surface de la taille de la France. Cependant, Teller avait bien prévu de tester un prototype de l'appareil lors de l'opération Redwing en 1956 (mais le test n'a jamais eu lieu). Le désastre Castle Bravo en a peut-être évité un bien pire, fruit de l'hubris des hommes...
Signalons enfin l'essai français Centaure, réalisé en Polynésie en juillet 1974, qui a contaminé plus de 90 000 Polynésiens au delà de ce qui leur donnerait droit à indemnités selon la loi Morin de 2010, comme le montre le livre Toxique (PUF, 2021) de Sébastien Philippe et Tomas Statius.
Dévastation nucléaire : des dégâts apocalyptiques
S’il reste quelques doutes sur l’irresponsabilité totale des gouvernements, le travail de chercheurs américains devrait les dissiper. Grâce à leur obstination, ainsi qu’à un esprit de transparence, limité mais réel, aux États-Unis, on dispose depuis quelques années d’un document exceptionnel déclassifié : un plan de guerre nucléaire américain datant de 1956.
Ce plan apocalyptique et démentiel prévoyait l’utilisation de multiples bombes et missiles nucléaires pour frapper un total de 1 100 sites regroupant 4 500 cibles à détruire dans le bloc de l’Est et en Chine. Le plan identifiait 179 sites à détruire à Moscou, 145 à Saint-Pétersbourg, 91 à Berlin-Est, 23 à Pékin, et 12 à Varsovie. Plus de 1 000 cibles devaient recevoir plusieurs frappes nucléaires. Le détail du nombre et de la puissance des bombes pour chacun reste encore secret, mais on parle probablement d’au moins 5 000 bombes nucléaires de 50 à 10 000 kt. À peine 8 ans auparavant, le premier plan de guerre nucléaire américain, adopté en 1948 et baptisé Halfmoon, prévoyait de « seulement » larguer 50 bombes atomiques sur l'Union soviétique soit 100 fois moins.

Ce plan de guerre nucléaire aurait probablement entraîné la mort de plusieurs centaines de millions de personnes à l'Est. Il ne prenait par ailleurs pas en compte les conséquences des super feux et des suies projetées dans l'atmosphère. Au final ce « plan de protection de l'Europe de l'Ouest » aurait certainement entraîné au moins 100 millions de morts sur les 150 millions d'habitants « protégés » à l'Ouest du continent. Pourtant, comme le rappellent les universitaires américains, « les attaques contre des populations civiles violaient les normes juridiques internationales ».

Évaluation top-secrète pour Kennedy du nombre de morts en URSS et Chine suite au plan d'attaque nucléaire américain (1961). Révélée par Daniel Ellsberg dans The Doomday Machine
Pour bien mesurer l’incroyable folie de tels bombardements, on peut représenter les dégâts d’une seule tête nucléaire lancée sur Paris, en fonction de sa puissance. Les résultants sont bien évidemment épouvantables. Un seule bombe H standard actuelle tuerait entre 1 et 3 millions de Franciliens, et brulerait tout sur un rayon de 3 à 8 kilomètres.
Lire : Guerre nucléaire : une menace du passé ? Entretien avec Theodore Postol

De plus, les auteurs de l'étude de 1956 ont affirmé à tort que « la contamination mondiale est minimisée lorsque l'explosion de surface est utilisée », alors que l’essai Castle Bravo avait montré exactement l’inverse deux ans à peine auparavant. Leur plan aurait ensemencé la Planète de retombées radioactives.
Hiver nucléaire : l'irresponsabilité de nos dirigeants
Le manifeste Russell-Einstein indiquait aussi dès 1955 que « les personnalités les plus autorisées sont unanimes à dire qu'une guerre au cours de laquelle seraient utilisées des bombes H pourrait fort bien marquer la fin de la race humaine ». Et ce n’est hélas pas une exagération...
En effet, une utilisation massive de bombes H tuerait directement d’immenses quantités de personnes dans les territoires visés, immédiatement ou suite aux radiations. Mais par ailleurs, comme le montre l’essai Castle Bravo, les retombées radioactives se mettraient à circuler sur tout le globe, entraînant cette fois une contamination dont l’intensité dépendrait du nombre de bombes.
Mais il y a pire. Toutes ces bombes vont déclencher de gigantesques incendies, dont la puissance va propulser d’énormes quantité de suies dans l’atmosphère, qui pourraient, passé un certain seuil, former un écran bloquant une grande partie des rayons solaires, et ce possiblement pendant plusieurs trimestres ou années.

Illustration d'un rapport scientifique de 1985 simulant la fumée et la suie soulevées par les détonations nucléaires le premier jour et le passage de la fumée 5, 10 et 20 jours plus tard.
Ce nuage de suies refroidirait fortement la Planète. Une étude de 2022 modélise ainsi, selon la quantité de poussières, une baisse des températures de -1°C à -16 °C et des récoltes de -10 % à -90 %. Cependant, l’intensité et la durée d’un tel hiver nucléaire font l’objet de vifs débats scientifiques.

Précisions enfin que ce phénomène n’a rien de spécifiquement nucléaire, il se passe la même chose lors de chaque grosse éruption volcanique par exemple. Le nucléaire facilite simplement la survenue d’un tel risque, les dégâts d’Hiroshima nécessitant aujourd’hui un simple petit missile avec une tête nucléaire pesant seulement 90 kg (15 kt), contre un raid de 220 B-29 avec 1 200 tonnes de bombes incendiaires en 1944.
Accidents en série et dirigeants irresponsables : une chance phénoménale
La guerre nucléaire est évidemment le risque majeur auquel on pense en premier avec ces armes. Un autre est étrangement absent de toute réflexion : celui des explosions non désirées, à commencer par une explosion accidentelle.
On se doute bien qu’un tel sujet fait partie des plus tabous, car il révulserait la population et mettrait à mal les fondements de la dissuasion nucléaire. Un lourd secret les entoure donc, d’autant que, comme l’indique le spécialiste Éric Schlosser :
« Le secret justifié par la nécessité d'empêcher l'espionnage étranger a été systématiquement utilisé pour dissimuler des problèmes de sécurité, dissimuler des accidents liés aux armes nucléaires et protéger les bureaucraties de la Défense de tout reproche. »
Et les reproches ne manquent pas. En 1981, le ministère de la Défense américain a publié une liste de 32 cas d’accidents graves liés aux armes nucléaires entre 1950 et 1980, dont certains auraient pu déclencher une explosion, et ce n’est qu’une liste très incomplète. En voici quelques exemples importants à connaître.
Le 27 juillet 1956, sur la base anglaise de Lakenheath, un bombardier américain B-47 vide s'entraîne à des atterrissages. Il dévie cependant de la piste et s’écrase dans un igloo de stockage contenant des bombes atomiques Mark-6, construit à proximité de la piste « pour permettre une disponibilité rapide ». L’igloo est détruit, les bombes sont arrosées de kérosène en feu, et l’une d’elles voit son détonateur sectionné par l’avion. PAR CHANCE, les bombes n’explosent pas ; un rapport officiel parle même de « miracle ». Un responsable a déclaré qu'« il aurait été possible qu’une partie de l’est de l’Angleterre soit devenu un désert ».
Le 16 janvier 1961, sur la base anglaise de Lakenheath (oui, la même qu’en 1956), un F-100 Super Sabre de l'armée de l'air américaine chargé d'une bombe à hydrogène Mark-28 de 70 kt, largue accidentellement ses réservoirs de carburant au sol en allumant ses moteurs. Ils s’écrasent et s’enflamment, ce qui carbonise l’avion et laisse la bombe « brûlée et boursouflée ». PAR CHANCE, elle n’explose pas. Plus tard, on a découvert qu'un défaut dans le câblage de ces bombes pouvait permettre à une chaleur excessive de contourner les mécanismes de sécurité de l'arme et de provoquer une détonation nucléaire.
Le 24 janvier 1961 également, à Goldsboro (Caroline du N.) aux États-Unis, un bombardier B-52 se désintègre en vol suite à un accident de ravitaillement en vol. Les deux bombes thermonucléaires Mark-39 de 4 000 kt qu’il transporte s’échappent et s'écrasent au sol. De multiples systèmes de sécurité font défaut, mais PAR CHANCE, l’explosion n’est empêchée que par un simple interrupteur basique. C’est certes son but, mais sur d’autres bombes, cet interrupteur avait déjà été désactivé par inadvertance une trentaine de fois.
Le 8 décembre 1964, à Kokomo (Indiana) aux États-Unis, un B-58 prend feu alors qu’il roule au sol, en transportant 5 bombes thermonucléaires. L’une d’entre elles se retrouve soumise à la fois au feu, au froid d’un banc de neige et à un impact écrasant. PAR CHANCE cette situation critique ne déclenche pas d’explosion.
Le 15 septembre 1980, à Grand Forks (Dakota du N.) aux États-Unis, le moteur d’un B-52 au sol prend feu alors qu’il transporte 4 bombes thermonucléaires B28. PAR CHANCE, la position de l’avion et le sens du vent font que ce dernier éloigne les flammes de l’avion, ce qui protège les bombes et évite une catastrophe « pire que Tchernobyl ».
Le 19 septembre 1980, à Damascus (Arkansas) aux États-Unis, un aviateur effectuant la maintenance d'un missile Titan-II laisse tomber une douille de 4 kg d'une clé à douille, qui chute d'environ 24 mètres avant de heurter et de percer l’enveloppe du réservoir de carburant du premier étage de la fusée, provoquant une fuite puis une explosion du missile. PAR CHANCE, les dispositifs de sécurité de l’ogive W53 ont fonctionné correctement et ont empêché l’explosion.
Des règles de sécurité constamment violées
Une telle multiplication des problèmes graves n’est pas étonnante, au vu du nombre de têtes nucléaires produites. Ainsi, une étude réalisée en 1970 par l’un des laboratoires américains d’armes nucléaires montrait qu’au moins 1 200 armes nucléaires avaient été impliquées dans des accidents entre 1950 et 1968, dans l’immense majorité des cas, heureusement, sans gravité. On ne connaît pas les accidents équivalents dans la plupart des autres pays, à commencer par l’URSS où le secret est resté absolu.
S’ajoute aux problèmes de pur hasard une raison simple, mais à peine croyable : les règles de sécurité sont fréquemment et volontairement transgressées. Le chercheur Benoît Pelopidas a ainsi obtenu les confidences de Bruce Blair, ancien responsable de 50 missiles Minuteman dans les années 1970 :
« Nous violions les règles opérationnelles tout le temps. Je ne connais personne qui n’ait pas intentionnellement violé ou dévié des règles de sûreté des armes nucléaires. [...] Nous avions des règles très strictes sur la manière de manipuler des armes nucléaires et les violions tous délibérément parce qu’elles nous paraissaient déraisonnables. »
Comme en plus ces violations restent secrètes, les dirigeants ne prennent pas la mesure de leur fréquence. L’amiral Philippon, chef d’État-Major particulier du général de Gaulle, a ainsi écrit dans ses Mémoires :
« En définitive, il n’y a eu qu’un seul incident dont je ne rendis pas compte [à de Gaulle] et c’était probablement celui qu’il eût jugé le plus grave. »
Dernier point. Dans un certain nombre de pays, on peut craindre qu’un tel accident dégénère très rapidement. En effet, un gouvernement apprendrait alors subitement qu’une de ses propres bombes a explosé en tuant de nombreux citoyens. Responsables, témoins, preuves : tout a été vaporisé. Il n’y aurait que 2 raisons possibles : un accident et un sabotage/attentat « de l’ennemi », et aucune preuve ne serait jamais apportée. Il n’est pas évident que tous les gouvernements défendraient alors l’hypothèse de l’accident dont on les tiendrait pour responsables, sachant l’autre option ne pourrait que causer une très grave crise internationale…
Les somnambules du nucléaire
Il y a d’autres cas où la chance a pu jouer un rôle. Ce sont les interventions d’opérateurs qui n’ont pas suivi des règles, ce qui a pu, avec plus ou moins de certitude, éviter une catastrophe. Citons deux cas célèbres.
Le premier exemple est celui de Vassili Arkhipov, le 27 octobre 1962, au pic de la crise de Cuba. Il est chef d’état-major de la brigade sous-marine soviétique, et se trouve à bord du sous-marin B-59. Kennedy vient de mettre en place le blocus de Cuba. L’escadre composée du porte-avions Randolph et de 11 destroyers le repère. L'USS Beale et d'autres destroyers commencent à larguer des grenades inoffensives de signalisation pour l’effrayer, mais leurs messages indiquant ce but ne parviennent pas au B-59, trop profond. La situation à l’intérieur est extrêmement difficile, l’eau, l’air, l’électricité, la ventilation manquent. Le sous-marin subit ce qui semble être une attaque pendant environ quatre heures : 14 navires l'ont encerclé et ils continuent à envoyer des échos sonar quasiment sans discontinuer et à lancer des grenades qui explosent près de la coque.
Lorsque le B-59 est finalement touché par quelque chose de plus fort que des grenades sous-marines, le capitaine, Valentin Savitsky, « totalement épuisé », devient fou furieux et ordonne de préparer la torpille nucléaire qu’il possède, ce qu’ignorent les Américains. Il lance : « Peut-être que la guerre a déjà commencé... Nous allons les faire exploser maintenant. Nous mourrons, mais nous les coulerons tous. Nous ne déshonorerons pas notre marine ». L'officier politique à bord le soutient. PAR CHANCE Arkhipov a gardé son sang-froid et a compris que les Américains étaient en train de faire des signaux et non d’attaquer. Il s’oppose alors aux deux officiers et empêche le lancement. Il persuade alors Savitsky de faire surface et d'attendre les ordres de Moscou. Pour ce faire, il a sans doute été aidé par le fait que PAR CHANCE il était à bord, où il était extrêmement respecté en tant que héros militaire, ayant été irradié l’année précédente dans l’incident du K-19.
Le deuxième exemple est celui de Stanislav Petrov le 26 septembre 1983. Cet officier radar reçoit une alerte informatique d’attaque d’un missile ennemi, puis de quatre autres, détectés par un satellite d'alerte précoce (qui ne détectait en réalité que les reflets du soleil sur des nuages). Les stations radars, elles, ne détectent rien. Ses subordonnés le pressent : « L'écran de contrôle de sécurité confirme l'attaque. Les appareils infrarouges mesurent la chaleur des cinq missiles reçus. Qu'est-ce qu'on fait ? » Intrigué par le faible nombre de missiles détectés pour une attaque américaine, Petrov conclut à la fausse alerte et désobéit à la procédure de remontée d’alerte. Il répond : « Rien du tout. Je n'ai pas confiance en ces ordinateurs ». Il a pris le temps de la réflexion et, ce faisant, l’a confisqué à ses supérieurs (dont on ignore donc ce qu’ils auraient fait) qui le tanceront pour cela. Ainsi, PAR CHANCE, un officier responsable a gardé son sang-froid et a transgressé une règle soviétique pour éviter un drame.
C’est cette réalité mise en lumière par ces différents exemples qui a fait dire à de très hauts responsables que la chance avait un rôle capital dans l’évitement d’une guerre nucléaire (Dean Acheson, ancien secrétaire d’État « un pur coup de chance - it was plain dumb luck », McNamara, le général Lee Butler « divine providence »…)
Ces cas de chance sont cependant de moins en moins probables. En effet, un certain nombre de tests ont montré la fréquente résistance des opérateurs à procéder à (ce qu’ils croient être) un vrai ordre de riposte nucléaire. En conséquence, beaucoup de systèmes de lancement ont été automatisés, pour limiter les interventions humaines en cas d'ordre présidentiel de lancement. Cela développe, en plus, le risque de piratage d'un de ces systèmes.
Un sacré cas de malchance : le responsable politique irresponsable
On a cité des exemples d’acteurs « subalternes » ayant eu une action positive décisive qui a évité le pire. Mais il existe le cas inverse : des dirigeants politiques qui ont eu une action négative décisive qui a fait frôler le pire.
Revenons sur la crise de Cuba en 1962. On salue souvent, à raison, la relative bonne gestion de la crise de Cuba par Kennedy (mais sans Arkhipov, cela se serait très mal fini), qui a résisté avec courage à son entourage qui le poussait fortement à l’escalade, donc à la guerre. Mais c’est pour mieux cacher qu’il a d’abord décidé d’escalader ce conflit au tout début, en mettant le monde au bord du précipice. Benoît Pelopidas explique pourquoi dans cet épisode qu’il faut absolument connaître :
« Le Président a délibérément menti à sa population sur son évaluation de la menace lors de son allocution télévisée du 22 octobre, dans laquelle il affirme que les missiles soviétiques constituaient "une menace explicite pour la paix et la sécurité de toutes les Amériques" […] Kennedy aurait pu choisir de ne pas faire de cet événement une crise. […] Il ne l’a pas fait. Comme le conclut Martin Sherwin dans son étude magistrale : "le Président a choisi de risquer la guerre avec l’Union soviétique même si ni lui ni son secrétaire à la Défense ne croyaient que les missiles de Khrouchtchev allaient altérer l’équilibre nucléaire des puissances ou mettre sérieusement en danger les États-Unis d’Amérique".
En effet, alors que la présence de missiles soviétiques à Cuba est détectée par un avion U2 le 14 octobre, le Secrétaire à la Défense McNamara affirme, dès la réunion des conseillers du président du 16 octobre au soir, que ces missiles soviétiques ne modifiaient pas significativement l’équilibre international. Le Président approuve, contrairement à ce qu’il dira au peuple américain et au monde six jours plus tard.
Il ajoute même : "Cela ne change rien si vous vous faîtes exploser par un missile balistique en provenance d’Union soviétique ou par un autre à 150 km d’ici." Le secrétaire adjoint à la Défense affirme également le lendemain que les missiles soviétiques ne constituent pas une grave menace et le Président en est informé dès le soir même. Et pourtant, JFK a couru le risque, sciemment. […] Le problème n’était pas sécuritaire, mais politique, relatif à la gestion des alliances et aux élections du Congrès américain à venir en novembre 1962. »
À l’époque, ce n’est pas mieux dans d’autres pays. Comme cela arrive souvent, bien loin de réagir à la peur du conflit par la prudence, ce sont la sur-réaction et l’escalade qui l’ont emporté. On pense à la lettre de Castro à Khrouchtchev dans laquelle le dirigeant cubain demande à l’URSS, en cas d’invasion américaine, à ce que les Soviétiques ripostent par une frappe nucléaire qui anéantirait Cuba et les Américains. Et en Allemagne, le chancelier allemand Adenauer, pourtant moins révolutionnaire que Castro, encourage également les Américains à l’escalade.
Certes, tout ceci se passait il y a plus de 60 ans. Mais les choses ont peu changé. Peu de gens savent qu’on a frôlé la guerre nucléaire en 2017 entre les États-Unis et la Corée du Nord. Le plan américain OPLAN 5027 prévoyait de déverser 80 armes nucléaires américaines de 100 kilotonnes chacune sur la Corée du Nord si Pyongyang lançait un missile supplémentaire en direction des États-Unis. Au plus fort de la crise, le Secrétaire américain à la Défense James Mattis dormit, à plusieurs reprises, en tenue de sport pour être prêt en cas d’alerte pendant la nuit ou au petit matin.
De tels comportements sont probablement liés à une importante vulnérabilité psychologique : la guerre nucléaire est tellement cauchemardesque que notre cerveau finit par se convaincre qu’elle ne pourra jamais arriver. Il préfère oublier ce risque. Le philosophe Gunther Anders a ainsi écrit :
« Au lieu d’être mortellement terrifiés en constatant que ce qu’ils savent excède leur capacité de représentation, [les gens] consacrent leur énergie et leur inventivité à en savoir moins que ce qu’ils savent. »
Et ceci est très concret : Jimmy Carter est ainsi le dernier président américain à avoir participé à une simulation de crise nucléaire et le psychologue Paul Slovic a écrit, à propos des crises nucléaires, que « à notre connaissance, aucun Président n’a été suffisamment informé ou formé pour faire des compromis éclairés et des choix judicieux dans cette décision la plus difficile de toutes ».
Benoît Pelopidas rappelle ce besoin de formation à la lumière des simulations sous forme de jeux de guerre, où non seulement les mauvais choix abondent, mais ils augmentent au fur et à mesure de la montée dans la hiérarchie :
« Dans les jeux BETA I, BETA II, Olympiad I-79 et Proud Prophet 83, les élites dirigeantes ont eu recours aux armes nucléaires avant la fin de la simulation. La simulation Proud Prophet a notamment abouti à la mort d’un demi-milliard d’êtres humains. Dans l’après-guerre froide, sous l’administration Obama, le même jeu de guerre nucléaire a été soumis aux assistants du Conseil de sécurité nationale puis à leurs supérieurs. Le contexte est différent des autres simulations puisqu’une frappe nucléaire limitée a eu lieu. Les résultats sont sans appel : les assistants ordonnent une riposte conventionnelle, quand leurs supérieurs ne penchent pas pour la prudence, mais décident une frappe nucléaire. »
Au final, tous ces exemples mettent à mal la très fragile théorie de la dissuasion nucléaire, qui repose sur l’idée que le pire sera empêché par des dirigeants responsables craignant de la Destruction Mutuelle Assurée. On a vu que c’était bien loin d’être toujours le cas.
Propagande et tabous sur les armes nucléaires
Ce sujet du nucléaire militaire, eu égard aux risques démesurés qu’il fait courir, génère évidemment des tabous très puissants. Il y a par exemple celui du questionnement de la moralité de posséder des armes aussi destructrices, puisque certains experts prétendent qu'« en France, poser le débat moral, ce serait déjà perdre la foi dans la crédibilité et l’efficacité de la dissuasion ».
On essaye également de nous convaincre qu'il serait également tout aussi malvenu de poser la question de la crédibilité et de l’efficacité de la dissuasion nucléaire, puisque « manifester notre scepticisme sur la crédibilité de la dissuasion, c’est faire le jeu de l’adversaire ». Le secret et le silence sont les deux mamelles du nucléaire militaire en France, encore plus qu'ailleurs.
Dans ce cadre, on observe une intense propagande pour bien circonscrire le débat. On a donné précédemment l’exemple du remplacement du terme de « dissémination » par celui de « prolifération ». Mais d’autres points sont plus importants encore. Le bon « expert » ne parlera jamais « d’arsenal nucléaire » français, mais seulement de « notre force de dissuasion », ou du « nucléaire de défense ». De manière éloquente, cette déformation apparaît même (en 2025) sur Wikipédia, qui a titré depuis 20 ans la page pour la France « Force de dissuasion nucléaire », mais qui, pour les autres pays, emploie le bon terme de « Arsenal nucléaire ».
Par ailleurs, il est bien entendu que, comme pour la propagande de guerre, ce genre de questionnements vaudra à son auteur le qualificatif de « militant », anti-nucléaire, les experts de plateaux n’étant étrangement jamais qualifiés de « militants pro-nucléaires ».
Mais la propagande ne concerne évidemment pas que des problèmes terminologiques. Elle vise bien également à convaincre la population de l’intérêt des armes nucléaires, et donc de leur efficacité. Et quoi de mieux que d’inventer une « efficacité démontrée »… jamais démontrée ? On pense par exemple à la fréquente affirmation officielle selon laquelle « les armes nucléaires ont empêché une guerre majeure pendant la guerre froide ». Mais là encore, les exemples abondent quant au fait que la peur du nucléaire n’a pas incité à la prudence et à l’abandon de plans d’attaques. L’URSS déclenche le blocus de Berlin en 1950 face aux États-Unis, la Chine intervient en Corée face aux États-Unis, l’Égypte attaque Israël en 1973, le Vietnam attaque la Chine en 1979, l’Argentine envahit les îles Malouines britanniques en 1982, etc.
Enfin, il convient de souligner que cette propagande ne tombe pas du ciel. Au-delà de préoccupations sécuritaires parfois sincères, le nucléaire c’est aussi un business juteux : les 9 pays dotés ont ainsi dépensé, entre 2010 et 2020, 1 000 Md$ pour leurs armes nucléaires. La France a prévu 37 Md€ entre 2019 et 2025. Évidemment, comme dans toutes les situations identiques, un lobby s’est organisé, rassemblant certains militaires des industriels de la défense.
Des think tanks ont été créés, financés par le ministère des armées ou par des industriels. Ils œuvrent, via leurs experts, à la diffusion de la bonne parole de la « dissuasion-sans-risque-indispensable-à-notre-sécurité ». Cela rend donc nécessaire le soutien à la recherche indépendante, puisque du coup la plupart des « experts » de plateaux ont des discours fortement biaisés.
De plus, ces experts ne réalisent aucune évaluation critique de la (non) performance des systèmes d’armes. L’équipe du courageux Benoît Pelopidas a par exemple découvert dans ses recherches que le système d’armes nucléaires français déployé n’était pas crédible au moins jusqu’en 1974, puisque les Mirage IV français n’avaient physiquement pas la capacité d’atteindre avec certitude ses cibles en URSS pour la frapper, et les autres systèmes d’armes ne pouvaient y causer que de faibles dégâts. Bref, nous n’avions en réalité aucune dissuasion nucléaire jusqu’en 1974, et les Soviétiques le savaient bien. Cet élément fondamental n’a pas été communiqué aux Français ni à leurs représentants au cours des 30 dernières années, ce qui pose un grave problème démocratique.
Démocratie, désarmement et abolition
Sur ce sujet démocratique, les problèmes abondent. Pour arriver à ses fins, la propagande invente ainsi un « consensus » imaginaire de la population sur le nucléaire, ce qui finit par poser un grave problème démocratique. Des sondages, en particuliers ceux réalisés par Benoît Pelopidas, nous éclairent pourtant sur ce que pensent les Français.
Par exemple, seuls 19 % des sondés en France se disent d’accord avec la proposition suivante : « Il est acceptable que les résidents soient les cibles d’une attaque nucléaire de la part d’autres pays parce que cela s’inscrit dans une politique nationale de dissuasion nucléaire. »
Le soutien général à la politique du gouvernement, actif comme passif, plafonne à 24 %. Le « consensus » est bien limité !

Les responsables politiques le savent bien ; on peut citer Christian Cambon, le rapporteur au Sénat de la loi de programmation militaire le 23 mai 2018 :
« Il ne me paraît pas forcément judicieux de le relancer [le débat], au risque de mettre ainsi à nouveau en lumière toutes les oppositions sur le sujet et de donner la parole à tous ceux qui souhaitent se manifester contre le nucléaire d’une manière générale. »
Bien plus grave : la moitié des gens pensent que leur avis n’a pas d’importance. Et comment penseraient-ils autrement, puisque déjà en 1958, seuls 44 % des Français soutenaient la construction d’une bombe nucléaire ; ce chiffre est même tombé à 39 % en 1964, 40 % étant contre.
Enfin, près de 60 % des Français s’estiment mal informés. C’est bien normal, car ils le sont. La chape de plomb qui recouvre le sujet prive les citoyens d’informations importantes – et nous espérons en avoir fourni plusieurs dans cet article. Ce refus délibéré d’informer correctement la population ne date pas d’hier. La chercheuse Isabelle Miclot rappelle ainsi que :
« En 1950, une circulaire fut émise par le ministère de l’Éducation nationale portant "interdiction d’inspirer aux élèves l’horreur de la guerre atomique à l’aide de lecture, de dictées, d’énoncés de problèmes, de modèles de dessins, de démonstrations scientifiques, de cours d’instruction civique et de manifestations diverses". [Pris à partie, le ministre de l’Éducation nationale répondit : ] "Si l’on permettait aux maîtres de parler de la guerre atomique, certains ne manqueraient pas de faire la propagande communiste que l’on sait". »
Cela illustre bien un des graves travers français, car, pendant ce temps, les États-Unis se souciaient plutôt de protéger leur population en sensibilisant les écoliers aux attaques nucléaires.
Ce manque d’information se poursuit aujourd’hui. Même sur des faits basiques ; ainsi pour 44 % de Français, « une fois qu’un pays a des armes nucléaires, il n’y renonce jamais » et à la question « un pays a-t-il déjà renoncé à un programme d’armement nucléaire ? » 22 % des Français répondent « non » et 57 % « je ne sais », alors que l’Afrique du Sud l’a fait en 1993.
On peut aussi illustrer cet « enseignement de l’ignorance » par un fait pas si anecdotique. On a vu que l’être humain a beaucoup de mal à concevoir réellement la réalité d’une guerre nucléaire comme la possibilité de sa survenue. Durant la guerre froide, et même après, la culture populaire audiovisuelle jouait un rôle de sensibilisation de la population, d’autant que la fin des essais atmosphériques avait rendu les armes nucléaires invisibles. Mais ce phénomène s’est complètement renversé depuis une vingtaine d’années. Avant, dans les films, les armes nucléaires étaient un grave danger, qui faisait très peur.
Et cela ne concernait pas que le grand public. Ainsi, en 1983, la chaîne ABC a diffusé le téléfilm Le Jour d’après (The Day After, à ne pas confondre avec le film de 2004) qui décrit une guerre nucléaire à grande échelle et ses conséquences sur les habitants de Lawrence au Kansas. Il a été vu par plus de 100 millions d'Américains, soit les deux tiers de l'audience ; il reste l'un des programmes télévisés les plus regardés de tous les temps.
Le réalisateur du film a déclaré que le biographe officiel du Président Ronald Reagan lui avait dit : « la seule fois où j'ai vu Ronald Reagan s’énerver, c’était après la projection du Jour d’après, et il s’est mis à paniquer. » Reagan a écrit dans son journal : « C’est un film puissant [...] très efficace et il m’a profondément déprimé… » et qu'il avait contribué à « me faire prendre conscience de la nécessité pour le monde de s’éloigner du précipice nucléaire ». Un témoin rapporte également que la projection du film devant l'État-Major américain avait porté un gros coup au moral des militaires qui sont « restés assis là comme s'ils étaient transformés en pierre. »
Mais tout ceci est du passé. Aujourd'hui, les armes nucléaires sont fréquemment présentées comme quelque chose de positif, comme LA solution à nos problèmes les plus graves (par exemple pour contrer un astéroïde nous menaçant, ou les 300 explosions de bombes nucléaires dans l'espace pour sauver l'Humanité dans le problème à 3 corps). Ainsi, on continue à invisibiliser deux choses qui finissent par sembler totalement impensables, à savoir les explosions non désirées, mais aussi tout simplement la possibilité d’un désarmement nucléaire.
Désarmement et abolition
En conclusion, un peu d’optimisme.
Il faut garder à l’esprit que les États-Unis et l’URSS sont quand même revenus, certes pas complètement, de leur folie des grandeurs. La crise de Cuba en 1962 a provoqué une prise de conscience de la possibilité concrète et proche d'une guerre nucléaire. Elle entraîne par exemple le Discours sur la Paix de Kennedy du 10 juin 1963, dans lequel il affirme que « les deux pays partagent une humanité commune et un intérêt commun à éviter une catastrophe nucléaire et à construire une paix sincère ». Il se met alors en place, pour 15 ans, une détente dans la Guerre froide, qui se matérialise par la signature de plusieurs traités de désarmement.
Le plus fondamental est le Traité de Non-Prolifération (TNP) de 1968, qui prévoit un objectif de désarmement des États dotés : « chacune des Parties au Traité s'engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace » (article 6).
De ce TNP découlent les Traités SALT, qui ne prévoient aucune réduction des armements, mais limitent au niveau déjà atteint les missiles les plus dangereux. La Seconde Guerre froide entre 1979 et 1985 met un terme temporaire à ce mouvement, qui reprend avec Gorbatchev. Les traités START, SORT puis New START conduisent à une très forte réduction des armements, en fixant un plafond au nombre de têtes nucléaires déployées (beaucoup d'autres restant cependant stockées). Ce plafond pour chaque pays est abaissé de 6 000 à environ 1 500 au fil des accords.
Grâce à tous ces traités, le nombre total de têtes nucléaires sur la Planète a ainsi diminué de 85 % depuis 1986.

Hélas, la nouvelle guerre froide, qui a démarré crescendo dans les années 2000, a entraîné de graves reculs du désarmement. En 1972, en même temps que le premier traité SALT, avait été signé le Traité ABM qui interdisait le déploiement d'un système de défense antimissile, puisqu'il induit par nature la fin de tout mécanisme de dissuasion mutuelle (un État pouvant attaquer en premier l'autre sans risque de riposte effective), ou oblige au moins à posséder beaucoup plus de têtes nucléaires pour le saturer. Les États-Unis s'en sont retirés fin 2001, après le 11 Septembre, et ont développé de tels missiles, prétendument pour se protéger d'attaques d'États-voyous.
En 1987 a également été signé le Traité sur les Forces Nucléaires à portée Intermédiaire (FNI) qui a entrainé l'élimination de tous les missiles, à charge conventionnelle ou nucléaire, américains et soviétiques, lancés depuis le sol et ayant une portée se situant entre 500 et 5 500 km. Il est le premier traité à avoir éliminé totalement une catégorie d'armement. Hélas, les États-Unis s'en sont retirés en 2019, en accusant la Russie de le violer. Comme l'indique le spécialiste Theodore Postol, c'est bien possible, mais les États-Unis le violaient certainement en développant leur propre système de missiles anti-missile.
En réaction à la fin de ces traités, la Russie a relancé une course technologique aux armements, pour disposer de missiles hypersoniques difficilement interceptables. Et en février 2023, la Russie a annoncé qu'elle suspendait, sans s'en retirer, sa participation au traité New START, le dernier traité en vigueur de limitation des armes nucléaires avec les États-Unis. Elle a supprimé les autorisations d'inspection de ses installations nucléaires, tout en indiquant qu'elle continuerait à respecter les limites convenues. Le prétexte était le contexte de la guerre d'Ukraine et la non-participation de la France et du Royaume-Uni qui perfectionnent leurs arsenaux.
Le dernier rebondissement concerne les États-Unis. Le 13 février 2025, le Président Trump a déclaré vouloir relancer les négociations sur le contrôle des armes nucléaires avec la Russie et la Chine :
« Il n'y a aucune raison pour que nous construisions de nouvelles armes nucléaires. Nous en avons déjà tellement que nous pourrions détruire le monde 50 fois, 100 fois. Et voilà que nous construisons de nouvelles armes nucléaires et que [la Russie et la Chine] construisent de nouvelles armes nucléaires, et dans 5 ou 6 ans la Chine nous aura rattrapés. Nous dépensons tous beaucoup d’argent que nous pourrions consacrer à d’autres choses qui sont en réalité, espérons-le, beaucoup plus productives. »
L'avenir nous dira si c'était une promesse en l'air ou si elle aura été suivie d'effets. Ce n'est pas impossible car on oublie souvent de rappeler que les armes conventionnelles progressent beaucoup en précision et en vitesse, ce qui pourrait produire un effet dissuasif sans faire courir le risque des arsenaux nucléaires.
Par ailleurs, la France et le Royaume-Uni ont également diminué leur arsenal, et, au final, il apparaît que le renoncement à la Bombe nucléaire constitue la stratégie de sécurité nationale volontairement choisie par la plupart des États.

Alors, pourquoi ne pas aller plus loin ? 94 États ont déjà signé le Traité d’interdiction des armes nucléaires de 2017. Et on le sait peu, mais de très grands noms, tels qu’Obama, Kissinger, MacNamara, Colin Powell ont tous parlé d’un objectif d’abolition des armes nucléaires.
Le général Lee Butler, ancien commandant en chef du Strategic Air Command, a écrit dans ses mémoires en 2000 :
« J’en suis venu à une série de jugements profondément dérangeants. Depuis les tout premiers jours de l’ère nucléaire, les risques et conséquences de la guerre nucléaire n’ont jamais été adéquatement pesés par ceux qui les brandissaient. Les enjeux de la guerre nucléaire n’engagent pas seulement la survie des antagonistes, mais le sort de l’Humanité. [...] Les conséquences probables de la guerre nucléaire n’ont pas de justification acceptable sur le plan politique, militaire, ou moral. [...] Et dès lors, la menace d’emploi d’armes nucléaires est indéfendable. [...] En tant que nation, nous n’avons pas de responsabilité plus grande que de mettre un terme à l’ère nucléaire. »
En 1996, 61 généraux à la retraite issus de 17 pays, dont 6 États dotés de systèmes d’armes nucléaires, ont exprimé le message suivant :
« Nous, militaires professionnels, qui avons voué nos vies à la sécurité nationale de nos pays et de nos peuples, sommes convaincus que l’existence continue d’armes nucléaires dans les arsenaux des puissances nucléaires [...] constitue un péril pour la paix et la sécurité globale et pour la sûreté et la survie des peuples que nous nous sommes consacrés à protéger. [...] La fin de la guerre froide rend [la création d’un monde exempt d’armes nucléaires] possible. Les dangers de la prolifération, du terrorisme, et d’une nouvelle course aux armements la rendent nécessaire. »
Enfin, en 2012, les rapporteurs de la Commission de la défense et de celle des Affaires étrangères ont écrit que : « S’il nous fallait dessiner aujourd’hui un format d’armées partant de zéro, il est fort probable que la nécessité d’acquérir une force de frappe nucléaire, avec de surcroît deux composantes, ne ferait pas partie de nos ambitions de défense ».
Nos armes nucléaires semblent donc être seulement la conséquence d’un gigantesque biais d’engagement. Puisque, si on n’avait pas la Bombe, on ne chercherait probablement pas à l’acquérir aujourd’hui.
Le chemin vers une très forte diminution des armes nucléaires est donc largement ouvert. L’emprunterons-nous ? Irons-nous jusqu’au bout de ce chemin : le « désarmement nucléaire général et complet », auquel les États dotés se sont engagés en signant le Traité de Non-Prolifération en 1968 (article VI) ? Tel est l’enjeu du XXIe siècle, pour qu’il y en ait un XXIIe.
N.B. La dernière partie de cet article doit beaucoup au remarquable livre de Benoît Pelopidas « Repenser les choix nucléaires » dont nous recommandons la lecture. Nous remercions aussi son auteur d'avoir accepté notre invitation sur notre chaîne YouTube.
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