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L’euro est quelque peu remonté en 2023, mais les inquiétudes persistent autour de la monnaie européenne, et pour cause : les différentes crises actuelles impactent significativement le monde financier. Sur plus longue période, la plupart des monnaies sont orientées à la baisse. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’inflation qui nous frappe déjà durement depuis quelques mois, d’autant que le différentiel de taux entre les deux rives de l’Atlantique pourrait faire replonger la monnaie unique.

publié le 29/06/2023 Par Olivier Berruyer

Toute crise internationale a immédiatement des répercussions sur la valeur des monnaies, en raison de la forte spéculation financière sur ce marché. La crise de 2022 n’a pas échappé à la règle : elle a fait fortement baisser l’euro qui est même tombé sous la parité avec le dollar, niveau qu’il n’avait plus atteint depuis 2002. L’euro est remonté depuis l’automne 2022, principalement en raison de l’évolution des anticipations des taux d’intérêt aux États-Unis et en Europe.

En effet, plus les taux d’intérêt sont élevés aux États-Unis, plus les investisseurs y placent leur argent et souhaitent avoir des dollars, ce qui entraîne mécaniquement une baisse de l’euro. C’est ce qui s’est passé en 2022 : la BCE a augmenté à son tour ses taux (4,00 % actuellement), mais ils restent plus bas qu’aux États-Unis (5,25 %). Les marchés ont donc spéculé sur ces évolutions, ce qui a fait augmenter l’euro en 2023. Cependant, le différentiel de taux devrait persister, et en conséquence, la hausse de l'euro ne devrait pas se poursuivre notablement d’ici la fin de l’année.

Les évolutions profondes des monnaies doivent néanmoins s’analyser sur longue période. L’euro est en effet sur un cycle baissier depuis la crise de l’euro de 2011 : la monnaie unique européenne a ainsi perdu 25 % de sa valeur dans les 10 années qui ont suivi. Les marchés financiers ont constaté que l’Union européenne n’était absolument pas capable d’atteindre son objectif, fièrement proclamé en 2000 à Lisbonne :

« L’Union s’est aujourd’hui fixé un nouvel objectif stratégique pour la décennie à venir : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale. » [Conseil Européen de Lisbonne, 24 mars 2000]

Lorsqu’il a fallu vendre aux citoyens le projet de l’euro en 1992, un des arguments centraux de la propagande était que ce serait un futur concurrent du dollar (ce qui a lamentablement échoué comme on l’a vu dans cet article) et que ce serait une monnaie forte et bien gérée, « à l’allemande ». Cela fait donc 10 ans que les marchés semblent avoir définitivement cessé de croire à cette fable.

Si l'on calcule la valeur théorique de l’euro avant 1999 (en se servant des monnaies nationales préexistantes), la valeur actuelle de l’euro apparait donc comme étant proche de sa moyenne historique : les marchés ne montrent actuellement pas de défiance ni de confiance particulière envers lui.

Depuis dix ans, l’euro est sous-évalué

Quand on parle des fluctuations d’une monnaie, on parle de l’évolution de son taux de change, qui correspond au prix de cette monnaie par rapport à une autre. Ce n’est donc pas une indication de sa valeur réelle, absolue. Ces fluctuations sont issues à court terme de la colossale spéculation sur les marchés financiers. À moyen et long terme, elles dépendent de fondamentaux économiques, telles que l’inflation et les taux d’intérêts, et parfois d’interventions politiques.

Il est cependant possible d’estimer une valeur du taux de change « réaliste », en utilisant la Parité de Pouvoir d’Achat (PPA). Sur le marché des changes, la PPA nous dit si une monnaie est sous-évaluée ou surévaluée. Elle montre ainsi que l’euro est nettement sous-évalué depuis 2015, d’environ 15 %. Il devrait valoir autour de 1,3 $. Les marchés financiers manquent donc de confiance dans l’euro et continuent de survaloriser le dollar.

Le dollar, dans les plus hauts depuis 20 ans

Comme le dollar est, pour le moment, la monnaie internationale, nous avons créé un « Dollar Index » afin de pouvoir jauger l’évolution réelle du dollar à partir d’un panier de différentes monnaies (euro, yen, yuan et real). On constate alors que le dollar est dans les plus hauts depuis 20 ans, poursuivant sa tendance globalement haussière entamée en 2011 lors du début de la crise de la zone euro. Cela signifie que nous payons nos importations hors zone euro très cher, ce qui pénalise le pouvoir d’achat des Européens.

Sur longue période, le dollar reste assez nettement au-dessus de sa tendance moyenne. Cette dernière est par ailleurs orientée à la baisse : c’est probablement une conséquence des importants déficits commerciaux récurrents des États-Unis et de la création à outrance de dollars par la banque centrale américaine depuis 2008.

Pour mémoire, la valeur du dollar avait explosé au début des années 1980, entraînant la forte baisse des autres monnaies, et causant de graves troubles économiques. Pour y faire face, les gouvernements des pays du G7 avaient signé les accords du Plaza (1985) et du Louvre (1987) pour en stabiliser la valeur. Le système des changes avait alors été déstabilisé par la fin des accords de Bretton Woods en 1971 – un système de change fixe dans lequel les devises internationales étaient définies par rapport au dollar, lui-même basé sur l’or. Durant des décennies, ces accords ont offert un fort avantage aux États-Unis, en surévaluant leur monnaie.

La livre sterling à la parité, le franc suisse surévalué

Au niveau des autres grandes monnaies occidentales, la livre sterling s’est très fortement dépréciée par rapport au dollar au cours des 15 dernières années, encore plus que l’euro,en raison de la dégradation de l’économie britannique. Le Franc suisse, après être longtemps resté stable, est orienté à la hausse, en raison de la faible inflation (moins de 3 % en 2022 et 2023) dans ce pays monétairement bien géré. Quant au Yen japonais, il s’était fortement apprécié jusqu’en 2013, avant de revenir à son niveau de départ ; il est désormais orienté à la baisse, car le gouvernement mène une politique de dépréciation monétaire.

Au niveau des Parités de Pouvoir d’Achat, bien que sa valeur réelle ait chuté sans discontinuer depuis 1960, la livre sterling est à sa juste parité depuis la fin des années 1980. Les marchés financiers ont donc correctement déprécié la valeur de la monnaie britannique.

En dehors de l’euro, l’autre monnaie européenne majeure, le franc suisse, est historiquement surévaluée depuis 1985. Elle est en effet un actif refuge que les investisseurs achètent massivement en période d’instabilité, ce qui engendre son appréciation par rapport aux autres monnaies.

Le rouble : touché, mais pas coulé

On se rappelle des déclarations martiales du 1er mars dernier de Bruno le Maire : « Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie […] Les sanctions […] sont d'une efficacité redoutable […] le rouble s'est effondré de 30 % […] Nous allons donc provoquer l'effondrement de l'économie russe ». En réalité, ces sanctions n’ont eu un effet négatif que pendant quelques jours : la Russie a pris des contre-mesures, et le rouble est rapidement remonté, dépassant même largement son niveau d’avant-guerre.

Depuis lors, le rouble est orienté à la baisse, et semble s’être stabilisé à un niveau légèrement inférieur à celui de 2020-2021, en raison du déséquilibre entre les exportations et les importations (qui ont fortement chuté).

La Parité de Pouvoir d’Achat montre que le rouble est très fortement sous-évalué depuis des décennies. Les marchés financiers occidentaux affichent ainsi leur défiance envers l’économie russe.

Des monnaies émergentes globalement à la baisse

Rongées par des inflations endémiques, les monnaies du Brésil, de l’Inde et de l’Afrique du Sud se sont fortement dépréciées depuis 15 ans. La monnaie chinoise est au contraire restée très stable : cela semble étonnant au vu de la croissance chinoise, mais il faut rappeler que la valeur du yuan est décidée politiquement par le gouvernement chinois.

Chine : la sous-évaluation comme arme commerciale ?

Un des phénomènes monétaires les plus marquants est la grande stabilité de la monnaie chinoise depuis 30 ans, malgré une très forte croissance. Mais il n’y a là aucun miracle. Le pays ayant décidé de maintenir un strict contrôle des changes, ce n’est pas la spéculation des marchés financiers qui fixe la valeur du yuan, mais le gouvernement chinois. Et à l’évidence, cette valeur est trop basse.

Ceci explique pourquoi le yuan est la seule grande monnaie dont la valeur en dollars est toujours supérieure à celle de 2007, alors que le dollar a augmenté de 40 % depuis lors.

Le taux de change en PPA confirme bien que le gouvernement chinois sous-évalue sa monnaie depuis 1981, avec des pointes à 70 % de sous-évaluation. Ceci a évidemment permis de booster les exportations du pays, qui se seraient évidemment moins bien portées si les produits chinois avaient été trois ou quatre fois plus chers, comme ils auraient dû l’être.

Cette sous-évaluation a heureusement été divisée par 2 en 20 ans, mais la monnaie chinoise reste sous-évaluée de 35 %. D’un côté, depuis 2015, la Chine cherche à faire partie du panier des monnaies de références mondiales, ce qui implique de jouer le jeu du marché et de cesser l’interventionnisme. Mais d’un autre, certains analystes estiment que Pékin continuera de maintenir un yuan déprécié face à l’escalade des tensions commerciales et politiques avec les États-Unis.

Au final, il est assez stupéfiant de constater que l’Occident a accepté d’ouvrir ses portes aux produits chinois dans le cadre du libre-échange, alors que le pays menait une politique de distorsion de concurrence de type protectionniste.

Cette passivité semble étonnante quand on constate à quel point la politique chinoise a ravagé notre commerce international (comme nous l’avons montré dans cet article) et notre tissu de petites et moyennes entreprises. Mais on comprend mieux si l'on change de perspective sur cette politique commerciale. Les dirigeants occidentaux n’ont nullement été aveuglés : ils ont constaté qu’elle permettait aux multinationales, donc à l’oligarchie, de réaliser d’énormes profits avec ces produits chinois – fictivement – peu chers.

Et cette politique était également bonne politiquement, car ces produits permettaient de procurer – fictivement – plus de pouvoir d’achat et moins d’inflation. Bien sûr, la contrepartie de la phase de démondialisation actuelle va être l’inverse : une inflation plus élevée, et moins de pouvoir d’achat.

L'arbitre final : l'or

Les analyses précédentes ont une limite, car elles comparent toujours une monnaie par rapport à une autre monnaie, ou à plusieurs monnaies. Ces analyses doivent être complétées par une comparaison des monnaies par rapport à un actif réel. Et aucun ne serait plus approprié que l’or, qui est resté la référence ultime jusqu’en 1971 (étalon de change-or).

En effet, à de rares exceptions près, le prix de l’or ne cesse de grimper : au cours des 30 dernières années, il a augmenté d’environ 9 % chaque année, dont 7 % par an au cours des 10 dernières années.

Ce n’est qu’ainsi que l’on peut se rendre compte de la perte continuelle de valeur de toutes les monnaies en raison, en particulier, de l’inflation. Toutes les monnaies mondiales se sont dépréciées par rapport à l’or de 60 % à 80 % depuis 2006.

En conclusion, les politiques menées depuis le début de l’année ont conduit à une légère appréciation de l’euro et à une forte appréciation du dollar. Il est possible que ce rebond de la monnaie européenne ait atteint son maximum en raison de la persistance de forts écarts de taux avec les États-Unis, mais ceci reste incertain car les marchés financiers continuent de sous-évaluer l’euro du point de vue de sa parité de pouvoir d’achat. Le tout s’inscrit cependant dans une dépréciation continue des monnaies par rapport à l’or, qui ne semble pas près de s’arrêter.

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