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La voiture s’est imposée comme le cœur de notre société de consommation. Son succès massif a cependant entraîné de lourdes conséquences climatiques et environnementales, de sorte que Bruxelles a fini par imposer une réduction drastique des émissions carbone des voitures neuves aux constructeurs automobiles. Hélas, plusieurs manipulations du lobby automobile ont fait perdre un temps précieux, et il a fallu attendre 2020 pour que les émissions commencent réellement à diminuer grâce à une forte hausse des ventes de véhicules électriques portées par le marché chinois. Aujourd'hui, pour la première fois, ces ventes stagnent dans plusieurs grands pays européens, une situation inquiétante pour ce nouveau marché dont les enjeux concernent le pouvoir d'achat des ménages, la désindustrialisation française, l'hypermobilité ou encore notre souveraineté énergétique. On vous explique tout !

Graphe Environnement
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publié le 20/03/2025 Par Olivier Berruyer
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1- Des ambitions climatiques européennes titanesques
2- Les transports, seul secteur où les émissions ont augmenté
3- La fin de la voiture thermique en 2035 : place à l'électrique
4- Baisse fantôme des émissions et folie du SUV
5- L'avenir est à la voiture électrique « légère »
6- Une voiture électrique sur deux roule en Chine
Ce qu'il faut retenir


Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.

Jusqu’aux années 1950, les déplacements humains se faisaient essentiellement à pied et parfois à cheval, ce qui les limitait à des trajets très locaux. Depuis, les choses ont bien changé, mais comme le rappelle le chercheur Aurélien Bigo, trois grandes caractéristiques de nos déplacements sont restées relativement stables :

« Le nombre de déplacements par personne est toujours de l’ordre de 3 à 4 trajets par jour (un aller-retour comptant pour 2 trajets). Les temps de déplacement sont eux aussi restés relativement stables. Ils avoisinent en moyenne une heure par jour et par personne, comme c’est d’ailleurs le cas dans différents types de sociétés et de pays du monde. Les motifs de déplacement principaux n’ont pas beaucoup évolué non plus : travail, études, achats, démarches administratives, visites à la famille ou aux amis, loisirs. »

En revanche, deux autres caractéristiques majeures ont drastiquement évolué grâce à la voiture et, bien entendu, grâce au pétrole. La première est la vitesse, qui a été multipliée par 10. Ce gain a été utilisé par des populations avides de mobilité pour se déplacer toujours plus loin, ce qui a également multiplié la distance moyenne parcourue chaque jour par 10, passant de 5 à 50 kilomètres (ce chiffre est une moyenne qui comprend les trajets du quotidien, mais aussi ceux de longue distance, pour des loisirs par exemple).

Déplacements quotidiens par mode de transport en France, 1800-2022Déplacements quotidiens par mode de transport en France, 1800-2022

Ces évolutions ont eu différentes conséquences importantes, comme la capacité à exercer un travail en dehors de sa commune (avec les formidables possibilités induites), la massification des voyages à longue distance (permis par la création des congés payés) ou encore l’étalement urbain (via le développement des banlieues).

La voiture est ainsi devenue le symbole de l’émergence de la société de consommation dans l’Europe d’après-guerre, à tel point qu’on a alors pu parler de « civilisation de l’automobile » lorsque son usage s’est très largement répandu. 75 % des ménages possédaient au moins une voiture en 1980 contre 83 % aujourd’hui. Depuis lors, les ventes ont généralement correspondu à l’achat d’une deuxième voiture ou à des remplacements.

Part des ménages possédant au moins une voiture en France, 1920-2023Part des ménages possédant au moins une voiture en France, 1920-2023

Cette expression de « civilisation de l’automobile » n’est donc pas usurpée, tant la voiture a profondément modifié nos modes de vie. On comprend mieux pourquoi le philosophe Roland Barthes a eu ces mots en 1957, lors du lancement de la fameuse DS de Citroën :

« Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique. »

Cependant, la massification de ce marché a fini par causer des graves problèmes environnementaux. En effet, « une cathédrale, ça va, 40 millions, bonjour les dégâts ». Après plus d’un siècle sans changement radical, la voiture est en train de vivre une petite révolution avec le développement de la voiture électrique (VE) dans le cadre de la « transition énergétique ».

Des ambitions climatiques européennes titanesques

L’Union européenne a signé le protocole de Kyoto en 1997, où elle s’engageait à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de -20 % à l’horizon 2020. Cet objectif a été tenu, mais il a poussé de nombreuses entreprises industrielles polluantes à délocaliser leurs activités hors d’Europe, en particulier en Chine. Ces politiques n’ont donc souvent fait que déplacer une partie du problème de la pollution, tout en créant des problèmes d’emploi, de sécurité d’approvisionnement et de souveraineté. En contrepartie, les gains réalisés ont permis de conserver l’inflation à un bas niveau.

En 2016, l’UE a signé l’accord de Paris dans le but de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète « nettement en dessous » de +2 °C par rapport aux niveaux préindustriels.

Des dignitaires de l'Union européenne et des Nations unies assistent à la signature par Martin Schulz, président du Parlement européen, du document ratifiant l'accord de Paris sur le climat à Strasbourg, le 4 octobre 2016 - © Commission européenne

Ce nouvel objectif impliquait une réduction de -40 % des émissions de l’UE pour 2030, qui a été portée à -55 % suite à l’adoption de la Loi européenne sur le climat en 2021. Cette loi fixe également un objectif contraignant de « zéro émission nette » de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. Cela signifie que les émissions ne devront pas être supérieures aux capacités d’absorption des terres, ce qui correspond à environ 7 % des émissions actuelles : nos émissions doivent donc diminuer de -93 % en 26 ans ; il s'agit d'un défi titanesque.

Émissions de gaz à effet de serre par secteur en Europe, 1990-2022Émissions de gaz à effet de serre par secteur en Europe, 1990-2022

Les transports, seul secteur où les émissions de CO₂ ont augmenté

Les émissions de CO en Europe ont ainsi diminué de près de 30 % entre 1990 et 2022. Ce sont les secteurs de l’Énergie (-44 %) et de l’Industrie et des Déchets (-35 %) qui ont le plus diminué leurs émissions, suivi du Bâtiment (-27 %).

Bien évidemment, les premières mesures prises pour diminuer une pollution sont les plus simples et les plus efficaces, comme fermer des centrales à charbon ou délocaliser de l’activité. Mais plus le temps passe, plus les mesures complémentaires à prendre deviennent onéreuses et impliquent de changer bon nombre d’habitudes profondément ancrées (manger moins de viande, acheter moins de vêtements, partir en vacances moins loin, éviter l’avion…) ce qui suscite du mécontentement dans la population.

A contrario, un seul secteur a augmenté ses émissions : celui des Transports, avec une très forte hausse de +26 %, alors que ce secteur représente 25 % des émissions de l’Europe. Dans le détail, la plus forte augmentation, et de loin, a concerné le transport aérien, avec près de 90 % de hausse des émissions. Le seul avion, qui ne pèse que 10 % des émissions du secteur, a représenté 30 % de leur hausse depuis 1990, soit presque autant que les voitures (qui représentent la moitié des émissions) ! Vient ensuite le transport de marchandises par des camionnettes et des camions, avec +35 %, soit près de la moitié de la hausse totale du secteur. Plus anecdotiquement, le train a réduit de 75 % ses émissions, qui ne représentent plus que 0,5 % des émissions du secteur ; les émissions des trains pèsent désormais moins du tiers des émissions des seules motos.

Émissions de gaz à effet de serre par le secteur des transports en Europe, 1990-2022Émissions de gaz à effet de serre par le secteur des transports en Europe, 1990-2022

Un facteur majeur de la hausse des émissions du secteur a été la hausse de celles des voitures particulières, dont les émissions ont augmenté de +16 % depuis 1990. La raison principale est assez simple à comprendre. Alors que l’Europe s’est engagée à fortement réduire ses émissions, son parc de voitures en circulation a augmenté de 85 % depuis 1990 !

Nombre de voitures en circulation dans l'Union Européenne, 1990-2023Nombre de voitures en circulation dans l'Union Européenne, 1990-2023

Si les émissions n’ont pas augmenté d’autant, c’est pour deux principales raisons. La première est que la distance moyenne parcourue a diminué de 15 % depuis l’an 2000. Environ 11 000 km ont été parcourus en 2019 en Europe, et 12 000 km en France.

Parcours annuel moyen des voitures en France, 1960-2023Parcours annuel moyen des voitures en France, 1960-2023

La seconde raison est que les émissions par véhicule ont nettement diminué du fait des progrès techniques qui ont correspondu à des obligations imposées par le législateur. Les voitures ont représenté 35 % de la hausse du secteur des transports depuis 1990, ce qui a freiné l’atteinte des objectifs climatiques de l’UE. Comme il existe des moyens techniques réalistes de diminuer cette pollution automobile, on comprend mieux pourquoi les pouvoirs publics se sont fermement attaqués aux émissions automobiles depuis une quinzaine d’années.

C’est en 2009 que le premier règlement européen a imposé une limitation des émissions de COmoyennes de l’ensemble du parc des voitures neuves vendues chaque année, mesurées à l’échappement. Ce règlement est entré progressivement en vigueur en 2012 ; il a fixé une première limite à 130 g de CO/km, abaissée à 95 g en 2020. Ces objectifs ont été complétés par un règlement de 2019, qui a fixé un nouvel objectif par rapport au niveau de 2021 d’une baisse de 15 % dès 2025 et près de 40 % en 2030.

La fin de la voiture thermique en 2035 : place à l’électrique

Cette dernière limite pour 2030 a été rehaussée à -55 % par un règlement de 2023 qui a fixé une ambition d’émissions nulles du parc de voitures neuves dès 2035. Cela revient donc à dire que l’UE a acté la fin des ventes de voitures à moteur thermique en 2035, tournant ainsi une longue page de son histoire économique.

Certains experts regrettent cependant que l’indicateur-phare concernant les émissions du monitoring CO dans la réglementation européenne du secteur automobile soit fondé sur les émissions à l’échappement, et non pas sur l’ensemble du cycle de vie (incluant la production de l’énergie, carburant ou électricité, ainsi que la fabrication et la fin de vie des véhicules).

Le choix de l’UE favorise très fortement les véhicules électriques (VE). C’est un choix rationnel puisqu’une VE émet 3 à 4 fois moins de COque son équivalent thermique. Selon Carbone 4, « il faut rouler autour de 30 à 40 000 km (soit 2 à 3 ans d'utilisation pour un usage moyen) pour que la voiture électrique devienne meilleure pour le climat que son équivalent thermique » – à conditions identiques.

D'autre part, les émissions des VE sur le cycle de vie sont donc loin d’être nulles, la fabrication des batteries en particulier est très polluante alors qu’il va falloir en produire en masse pendant des années, ce qui va limiter la baisse des émissions dans les années à venir et augmenter les risques de tension sur certains métaux comme le lithium.

Émissions moyenne de CO2 d'une voiture vendue en 2020 selon son kilométrageÉmissions moyenne de CO2 d'une voiture vendue en 2020 selon son kilométrage

De plus, l’électricité est actuellement nettement moins chère à l’utilisation que les carburants actuels – environ 50 % moins chère aux 100 km que l’essence et -40 % par rapport au diesel.

Prix moyen aux 100 km de l'énergie d'une voiture neuve en France en 2024Prix moyen aux 100 km de l'énergie d'une voiture neuve en France en 2024

Ces prix de l’électricité correspondent à une recharge à la maison. Comme l’Avere l’a montré, le coût peut être multiplié par 2 sur des bornes de recharge publiques (et par 3 ou 4 pour une recharge ultra-rapide).

Le prix réel de l’électricité a doublé depuis 2009

L’écart de prix de l'énergie entre l'électricité et la combustion pétrolière s’est réduit de 10 points de pourcentage depuis 2021, en raison des hausses des tarifs de l’électricité, bien supérieures à l’inflation. Le prix de l’électricité, corrigé de l’inflation, a ainsi augmenté de 100 % depuis 2009. On en parle peu, mais la transition énergétique va imposer de repenser notre fiscalité, puisque les taxes à la pompe sur les carburants représentent plus de 40 Md€, dont l’assiette va se réduire de plus en plus. Il est donc à craindre que le mouvement de hausse de l’électricité continue, dans le but de financer l’État.

Prix de l'électricité en France, 2007-2025Prix de l'électricité en France, 2007-2025

Il ne faut cependant pas oublier que le coût de l’énergie (et donc les émissions de CO) vont du simple au double (voire triple), du plus petit au plus gros véhicule d’une motorisation, qu’elle soit électrique, diesel ou essence.

Selon l’Ademe, en 2023, parcourir 100 km avec une Fiat 500 électrique revenait à 2,1 € d’électricité à comparer aux 9 € de son équivalent essence, et sans même parler des 36 € d’essence de la Lamborghini Countach, record absolu. On pourrait donc réduire notablement les émissions par plus de sobriété sur la taille des véhicules achetés – et cela vaut aussi pour l’électrique.

Coût de l'énergie pour parcourir 100 km avec un véhicule neuf en France en 2023

Il ne faudrait donc pas que la voiture électrique soit l’occasion d’acheter des véhicules plus gros ou que l’utilisation d’une énergie de locomotion (comme l’électricité) bien moins chère que les carburants actuels augmente à terme les distances parcourues. Cela augmenterait alors la consommation du pays, et donc la pollution, par un classique effet rebond. Cet effet, fréquent en économie de l’énergie, fait qu’une partie des économies d’énergie ou de ressources générées par une nouvelle technologie sont partiellement ou complètement compensées à la suite d'une adaptation du comportement des consommateurs. (lire notre entretien « La voiture électrique masque l'impasse de notre hypermobilité » avec Laurent Castaignède).

Les émissions au quotidien des voitures électriques dépendent aussi du mix de combustibles utilisé pour la production électrique, qui, malgré une nette amélioration, comprend encore un tiers de combustibles fossiles en Europe, et beaucoup plus dans certains pays tels que la Pologne, l’Italie et l’Allemagne. La bonne nouvelle est que la France produit très peu d'électricité fossile, la mauvaise est qu'elle produit aussi très peu d'électricité renouvelable.

Production d'électricité selon le type de combustible en Europe en 2024Production d'électricité selon le type de combustible en Europe en 2024

Le chemin suivi vers la sobriété en électricité fossile (produire moins d'électricité grâce au charbon) est cependant encourageant, mais il y a encore beaucoup de coûteux efforts à réaliser dans les deux décennies à venir pour s’en passer totalement.

Répartition de la production d'électricité de l'Union européenne, 1990-2024Répartition de la production d'électricité de l'Union européenne, 1990-2024

La France est d'ailleurs un des meilleurs élèves de l'Union européenne pour les rejets de CO liés à la production d'électricité.

Intensité carbone de l'électricité de l'Union européenne et de la France, 2000-2024Intensité carbone de l'électricité de l'Union européenne et de la France, 2000-2024

Le remplacement des sources d’énergie les plus polluantes par des renouvelables (l'une des grandes urgences), la baisse des émissions des renouvelables par substitution entre elles et les progrès techniques à venir devraient permettre de fortement limiter les émissions résiduelles de CO. Mais gardons à l'esprit que nous avons affaire à des enjeux systémiques (la résolution de l'enjeu « émissions » ne signifie pas la résolution de tous les problèmes).

Émissions de CO2 par source lors de la production d'électricité en France en 2024Émissions de CO2 par source lors de la production d'électricité en France en 2024

Le chemin vers la sobriété en électricité (consommer moins d'électricité en général) semble très incertain. En effet, la quantité totale d’électricité consommée en Europe n’a cessé de croître entre 1990 et 2008, avant de se stabiliser jusqu’en 2019. Au vu des problèmes d’approvisionnement et de prix, la quantité d’électricité a notablement baissé depuis 2022, d’environ -15 % par rapport à 2019.

Évolution de la production d'électricité de l'Union européenne, 1990-2024Évolution de la production d'électricité de l'Union européenne, 1990-2024

Certes, le choc de prix subi en 2022-2023 a entraîné une diminution des émissions de CO, mais en retour, le pouvoir d’achat a souffert et nos économies ont été confrontées à une panne d’activité, et donc une baisse des revenus. Rien n'est jamais tout blanc ou tout noir.

Baisse fantôme des émissions et folie du SUV

La réglementation européenne sur les émissions à l’échappement semble donc avoir porté ses fruits : les émissions du parc neuf ont baissé de 55 % en trente ans, en Europe comme en France. C’est cette forte diminution, conjuguée avec celle des distances parcourues, qui a pu limiter la hausse des émissions d’un parc qui a lui-même augmenté de 80 % comme on l’a vu.

Émissions moyennes de CO2 des voitures neuves en France, 1990-2023Émissions moyennes de CO2 des voitures neuves en France, 1990-2023

« C’est un bien bel exemple de l’efficacité de l’Union européenne qui a pu imposer un fort progrès technique aux constructeurs pour le bien-être de la population et de la Planète ». Voilà la petite chanson souvent répétée par la propagande. Si elle n’est pas totalement fausse, la réalité est cependant nettement moins glorieuse. C’est ce qu’a démontré un rapport de la Cour des Comptes Européenne de 2024, en révélant que les mesures en laboratoire divergeaient fortement et de manière croissante des mesures effectuées en condition réelle sur route :

« Avant 2020, malgré l’existence du règlement sur les émissions de CO des voitures particulières et le fait qu’après les trois premières années, tous les objectifs à l’échelle du parc de l’Union aient été atteints, les émissions de CO en conditions d’utilisation réelles des voitures nouvellement immatriculées n’ont connu qu’une baisse marginale (moins de 7 %). Parallèlement, les émissions de CO mesurées en laboratoire ont chuté de 16 % […].

Par conséquent, l’écart croissant entre les émissions mesurées en laboratoire et celles constatées en conditions d’utilisation réelles neutralise dans une large mesure les avantages escomptés du règlement. Selon l’ICCT, l’écart moyen est passé de [6 % en 2001 à] 17 % en 2009 et à environ 39 % en 2018. […] Avant 2020, les émissions n’ont diminué que lors des mesures en laboratoire, et non sur route. »

Ainsi, contrairement aux objectifs de l’UE, en moyenne, les émissions des nouvelles voitures à moteur diesel sont restées stables entre 2010 et 2022, et celles des moteurs essence ont diminué d’à peine 5 %.

Émissions moyennes de CO2 des voitures neuves en Europe, 1995-2023Émissions moyennes de CO2 des voitures neuves en Europe, 1995-2023

Il y a pourtant bien eu une amélioration des technologies de motorisation et l’introduction de moteurs hybrides, ce qui a rendu les moteurs plus efficients, avec une baisse de la consommation de carburants à la clé.

Consommation unitaire des voitures en France, 1980-2023Consommation unitaire des voitures en France, 1980-2023

Mais, via un effet rebond, ces gains ont été neutralisés par l’augmentation de la masse des véhicules associée à des moteurs plus puissants. La Cour des comptes indique en effet que « la masse moyenne des voitures a augmenté d’environ 10 %. Depuis cette même période [2010], la puissance des moteurs a augmenté de 25 % ». En France, le poids et la puissance des voitures thermiques ont augmenté de 30 % et 60 % depuis 1990, dont 10 % et 25 % depuis les mesures contraignantes de 2010.

Masse et puissance des voitures neuves thermiques vendues en France, 1990-2022Masse et puissance des voitures neuves thermiques vendues en France, 1990-2022

Ceci est lié au fait que les deux dernières décennies ont vu l’essor des fameux SUV (Sport Utility Vehicles alias Véhicule Utilitaire Sport ou Tout-Terrain de Loisir) : ce sont des véhicules surélevés disposant d’un gabarit important (de type Jeep), aussi appelés « crossovers » quand ils n’ont pas 4 roues motrices.

Dans un paradoxe qui illustre bien la faillite de nos sociétés néolibérales, pour lutter contre le réchauffement climatique, les pouvoirs publics ont imposé des réductions drastiques des émissions à chaque modèle de voitures (ce qui en a donc augmenté le coût), mais il a laissé se multiplier à la fois le nombre de voitures et la puissance de celle-ci, en contradiction totale avec son objectif.

Bilan : une voiture neuve sur deux en Europe et dans le monde est un SUV, et ces modèles, qui constituent désormais 25 % du parc, représentent plus de 30 % des émissions de CO. Ceci explique pourquoi, selon l’AIE, l’empreinte écologique mondiale moyenne des voitures a augmenté de +7 % entre 2010 et 2019, ce qui a annulé 40 % des gains techniques des constructeurs.

Émissions de CO2 et parts de marché des SUVs dans le monde, 2005-2022Émissions de CO2 et parts de marché des SUVs dans le monde, 2005-2022

Et l’échec de cette politique devient évident quand on apprend que si l’UE tient ses objectifs de réduction des émissions théoriques, calculées suite à des mesures en laboratoire, cette baisse est fictive : les émissions des voitures neuves européennes n’ont en réalité presque pas baissé avant 2020

Émissions moyennes de CO2 des voitures neuves en Europe, 1996-2023Émissions moyennes de CO2 des voitures neuves en Europe, 1996-2023

La pression exercée sur les constructeurs a en outre eu des effets secondaires particulièrement problématiques ; on pense ainsi au triste « dieselgate » de Wolkswagen, où le constructeur a manipulé les émissions de ses voitures lors des tests, pour en améliorer fictivement les résultats.

L'avenir est à la voiture électrique « légère » et à la fin de l'hypermobilité

Le scandale Volkswagen a permis différentes avancées, telles que la mise en place d’un nouveau test en laboratoire WLTP, qui a réduit l’écart avec la réalité à 8 % (mais cet écart a de nouveau augmenté et approche déjà les 15 %…). On peut également mentionner le renforcement des contrôles par la Commission, une réglementation renforcée, ainsi que l’installation obligatoire sur les voitures neuves vendues depuis 2021 d’un compteur de consommation de carburant, dont les données sont transmises aux constructeurs permettant d’en déduire les émissions réelles.

Depuis, les données de consommation réelle sur route ont démontré que les émissions des hybrides rechargeables en conditions réelles sont 4 à 5 fois supérieures à celles mesurées en laboratoire (le mode électrique est peu utilisé en réalité, et ces véhicules à deux moteurs sont très lourds). C’est un véritable scandale que d’avoir autant subventionné ces véhicules, pour des réductions d’émissions aussi faibles (voire nulles ou pire, en tenant compte des émissions lors de la construction) : on a ainsi subventionné à coup de dette publique l’achat de véhicules simplement plus chers par des personnes généralement aisées. Ces subventions sont cependant en nette diminution, obérant, fort heureusement, l’avenir de ces véhicules hybrides.

Émission de CO2 par km des véhicules neufs de 2022 en EuropeÉmission de CO2 par km des véhicules neufs de 2022 en Europe

Malgré les réserves évoquées précédemment, il y a un motif de satisfaction comme l’indique la Cour des comptes :

« Bien que l’objectif à l’échelle du parc de l’Union pour 2020 n’ait pas été atteint, les émissions moyennes de CO en conditions d’utilisation réelles des voitures nouvellement immatriculées ont bel et bien commencé à diminuer régulièrement à partir de ce moment-là. Cela s’explique par un essor significatif des véhicules électriques qui, selon le règlement sur les émissions de CO des voitures particulières, sont considérés comme des véhicules à émission nulle. »

Cependant, si les ventes en Europe en 2023 ont atteint près de 15 % du marché (17 % en France), le stock total de voitures électriques ne représente toujours que 1 % du parc (2 % en France et en Allemagne).

Mode de propulsion du parc automobile dans différents pays européens en 2023Mode de propulsion du parc automobile dans différents pays européens en 2023

Ce développement de la VE a été permis par les incitations européennes accordées aux constructeurs (réduction temporaire des objectifs en contrepartie de la production de véhicules électriques) et par les aides de l’État à la mobilité bas carbone, qui ont surtout profité aux ménages les plus aisés avec la capacité financière de s’équiper de très gros véhicules électriques. Or, comme le rappelle très justement Jean-Marc Jancovici :

« La Tesla modèle S possède une batterie de 100 kWh. Avec une telle batterie, on peut faire 3 petites voitures électriques pour des Gilets jaunes. Les grosses voitures électriques sont poussées parce que c’est là-dessus que les constructeurs font leurs marges ; c’est juste une raison économique. »

Tout ceci montre que le législateur européen s’est fourvoyé : au lieu d’imposer des progrès techniques limités, voire illusoires, aux constructeurs de voitures thermiques, il aurait fallu lancer une ferme transition directement vers la voiture électrique « légère » et accessible. Mais ce n’est pas ce qui a été fait, et aucune règlementation pour orienter une transition en ce sens n’a été adoptée à ce jour.

Et comme la plupart des ménages n’ont pas les moyens de s’offrir un véhicule électrique, dont l’accès demeure réservé aux plus riches, les ventes commencent à patiner en Europe. L’Allemagne a été fortement concernée, avec une forte baisse des nouvelles immatriculations en 2024 (-30 %) en raison de la suppression brutale fin 2023 de la prime écologique aux voitures électriques (qui allait jusqu’à 4 500 €). La part de marché des VE a aussi diminué en Italie où les ventes ne décollent pas.

Ventes de voitures électriques dans le monde, 2020-2024Ventes de voitures électriques dans le monde, 2020-2024

Il y a une certaine logique dans cette stagnation des ventes. En effet, puisque le prix des voitures électriques n'a pas connu de forte baisse, leur part de marché actuelle en Europe commence à s’approcher de la part des acheteurs à hauts revenus capables de se payer des véhicules neufs aussi chers.

Si les voitures électriques continuent leur forte croissance au niveau mondial, c’est beaucoup en raison du marché chinois, qui représentait à lui seul en 2024 environ les deux tiers des ventes de VE (y compris hybrides).

Ventes mondiales de voitures électriques et hybrides, 2021-2024Ventes mondiales de voitures électriques et hybrides, 2021-2024

1 voiture électrique sur 2 dans le monde roule en Chine

Cette révolution aurait pu être l’occasion d’une réindustrialisation de l’Europe, mais encore fallait-il qu'elle s'impose face au lobby des constructeurs automobiles accrochés à des technologies centenaires. « Les premiers de cordée » de l’automobile aux salaires pharaoniques ont ainsi négligé le tournant de l’électrique – pourtant incontournable au vu des engagements climatiques de l’UE. En 2013, un sondage KPMG mené auprès des dirigeants des constructeurs indiquait que seuls 6 % d’entre eux comptaient réaliser leurs plus gros investissements dans la voiture électrique.

Résultat, les 3 premiers constructeurs mondiaux de ces véhicules, qui se partagent plus de 40 % du marché, sont l’américain Tesla (créé en 2003, 1,8 M de VE en 2023 soit 17 % des ventes mondiales), le Chinois BYD (créé en 2003, 1,8 M de VE soit 17 % des ventes) et l’allemand Volkswagen (créé en 1937, 0,7 M de VE soit 7 % des ventes). Plus largement, le palmarès des 12 plus grands constructeurs de voitures électriques compte 5 constructeurs chinois dans les 12 premiers.

Ventes mondiales des 12 plus grands constructeurs de voitures électriques en 2023 et 2024Ventes mondiales des 12 plus grands constructeurs de voitures électriques en 2023 et 2024

Soulignons que ce classement risque rapidement d’être modifié en raison des difficultés actuelles de Tesla, causées par les engagements politiques de son président Elon Musk et par le vieillissement de la gamme, désormais sévèrement concurrencée. Les ventes s’écroulent en Europe et en Chine, et l’action Tesla a perdu la moitié de sa valeur au cours du premier trimestre 2025 (elle se situe cependant au niveau de son cours du 1er semestre 2024).

En prenant plus de recul, on ne s’étonnera donc pas que plus d'une voiture électrique sur deux dans le monde roule en Chine. Outre l'aspect écologique, ce pays a en effet fait un choix résolu de développement de la VE afin de diminuer sa dépendance stratégique au pétrole ; on en parle peu, mais la VE porte aussi de gros enjeux en matière de souveraineté énergétique.

Parc mondial de voitures électriques, 2010-2023Parc mondial de voitures électriques, 2010-2023

Hélas, 40 % des VE dans le monde et en Europe sont des SUV, alors que la priorité devrait être de réduire la quantité de ces véhicules à la taille généralement inutile. Il n’est pas très logique de dépenser beaucoup d'énergie pour déplacer un véhicule de 1 500 kilos dans le seul but de déplacer un individu de 70 kg. La logique est la même avec les plus grosses voitures électriques approchant des 2 500 kilos.

Répartition des ventes mondiales de voitures électriques par segment en 2023Répartition des ventes mondiales de voitures électriques par segment en 2023

D’autres freins au développement de la VE existent encore, comme le fait que les bornes de recharge restent rares, surtout dans les pays européens les moins riches, ou bien entendu le prix, qui est souvent un repoussoir pour l’électrique, mais aussi pour les modèles thermiques « moins chers ». Les Français n’ont pas rêvé : le prix de la voiture neuve moyenne, corrigé de l’inflation, a doublé depuis 1970.

Évolution du prix moyen d'une voiture neuve en France, 1900-1950-2024Évolution du prix moyen d'une voiture neuve en France, 1900-1950-2024

Cependant, le pouvoir d’achat a fortement augmenté sur la même période, et le prix moyen d’une voiture en proportion des revenus a en réalité peu augmenté depuis les années 1960. Il représente environ un an de salaire médian depuis lors, soit environ 30 000 € de 2024. Et ce prix est en hausse depuis l’an 2000, en raison des ventes de SUV. En 1900, une voiture coûtait environ 10 ans de salaire médian ; c’est la division progressive de ce prix par 10 qui a permis la massification de l’utilisation de la voiture à partir des années 1950.

Selon l’AIE, le succès des VE en Chine vient du fait que les petits modèles sont en dessous de 9 000 $ (6 000 € pour la Wuling Mini EV), contre plus de 25 000 € en Europe ou aux États-Unis. En conséquence de ces prix croissants, les Français ont changé moins fréquemment leur voiture, et l’âge moyen du parc n’a donc fait qu’augmenter depuis 30 ans.

Une baisse de prix des voitures électriques d’entrée de gamme est annoncée pour 2024-2025, en particulier avec l’arrivée des voitures chinoises sur le marché européen. Ces nouvelles exportations chinoises feront certes du bien au portefeuille, mais elles ne solutionneront pas les problèmes climatiques et aggraveront la désindustrialisation du continent.

Ce qu’il faut retenir

La voiture a révolutionné nos modes de vie, en permettant de multiplier par 10 la longueur de nos déplacements quotidiens moyens, les faisant passer de 5 à 50 kilomètres, avec toutes les opportunités permises par cette nouvelle « civilisation de l’automobile ».

Cependant, la voiture comme les autres véhicules a puissamment contribué à l'explosion de nos émissions de CO. Pour en limiter les dégâts, les pays occidentaux en général et l’UE en particulier ont pris depuis 1997 des engagements de baisse importante de leurs émissions. Celles-ci ont bien baissé depuis, à l’exception du secteur des transports qui a augmenté les siennes. C’est en particulier lié à la forte hausse du nombre des voitures (+80 % en 30 ans), qui a heureusement été partiellement compensée par une baisse des kilométrages annuels et surtout par une baisse des émissions au kilomètre en raison de progrès techniques.

Ces progrès, imposés par la réglementation, ont été limités par le développement des SUV, plus lourds et donc plus émetteurs. Pire, une partie de ces baisses d’émissions était fictive en raison de modèles archaïques et « d’optimisation » plus ou moins frauduleuse des constructeurs.

Depuis 2020, les voitures neuves émettent en moyenne vraiment moins de CO2, mais c’est essentiellement lié au décollage des ventes de voitures électriques, qui s’annoncent comme la solution probable au problème des émissions des transports. Ce marché se développe cependant essentiellement en Chine ; les États-Unis sont à la traîne et le marché s’essouffle déjà en Europe, alors qu’il n’a même pas démarré au Japon.

Cependant, cette avancée technologique n’est pas simple à gérer et de nombreux défis sont à relever pour arriver à des émissions de voitures neuves nulles en 2035 : permettre à tous les ménages d’accéder à une petite voiture électrique sans se ruiner, pouvoir la recharger facilement, conserver un tissu industriel automobile et une souveraineté dans nos moyens de mobilité, disposer de plus de capacité de production d’une électricité encore moins carbonée, gérer les conséquences de la forte diminution de consommation des carburants (stations-service, employés des pétroliers…), etc. Autant de paramètres que l’Union européenne n’a pas pris en compte, ce qui explique qu’à ce stade, sa politique réussit l’exploit d’être tout à la fois un échec industriel ET un échec écologique !

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