La hausse des prix des produits alimentaires survenue après la crise sanitaire a été aggravée avec la guerre en Ukraine. Désormais, les prix de l'alimentation ont cessé d'exploser, mais ils restent cependant à des niveaux très élevés qui amputent le budget des ménages, déjà mis en difficulté par le contexte économique global. C’est la raison pour laquelle les volumes de nourriture vendus connaissent une chute historique : beaucoup de ménages français doivent se priver d'aliments et même souvent sauter des repas pour des raisons financières.
1- 20 % de hausse des produits alimentaires en France
2- Des prix mondiaux toujours au niveau du pic de 2008
3- Les marques les moins chères ont le plus augmenté
4- Diminution de l'offre et des volumes vendus
5- Des grands écarts de prix entre les grandes enseignes
Ce qu'il faut retenir
Le prix de l'alimentation est au cœur des préoccupations quotidiennes d’une vaste partie des habitants de la planète, y compris de ceux des pays les plus développés, ce qui ne transparaît pas forcément lorsque l'on regarde la surface médiatique consacrée à ce sujet. Les répercussions, économiques comme politiques, en sont pourtant très importantes.
20 % de hausse des produits alimentaires en France
L’inflation en France, tous produits confondus, s’est réduite et approche les 3 %, comme nous l’avons analysé dans cet article. L’inflation sur un an des produits alimentaires est revenue elle aussi à moins de 4 %.
Si les prix alimentaires ont certes cessé leur explosion (près de 15 % de hausse en 2023), cela signifie qu’ils continuent malgré tout d’augmenter à un rythme bien plus élevé qu’auparavant. D'autre part, les prix alimentaires restent à des niveaux 20 % plus élevés qu’en 2021, comme les consommateurs ont pu douloureusement le constater.
Plus en détail, on voit que l’inflation alimentaire a été fortement soutenue par la croissance du prix des matières premières.
Mais le secteur est aussi fortement frappé par un phénomène de boucle prix-profits, une situation que nous avons analysé dans cet article. Cela signifie que beaucoup d’entreprises du secteur agroalimentaire profitent de la situation pour fortement majorer leur prix, bien plus que nécessaire, dans le but de réaliser des surprofits. Le taux de marge de ce secteur est en effet passé de 40 % avant la crise à environ 48 %. Ce sont ces profits que le gouvernement a refusé de taxer.
En mars 2023, l’inflation alimentaire était encore de +3 % dans le seul secteur de la grande distribution, les plats cuisinés (+34 %) et les viandes surgelées (près de +29 %) figurent parmi les produits les plus impactés.
Ainsi, l'année 2023 a été marquée par des hausses de prix mensuelles de 1 à 2 %, largement supérieures aux hausses annuelles de la décennie 2010. Avant de voir de très légères baisses apparaître depuis la fin 2023.
Rappelons que l’inflation se calcule sur un an glissant, donc par exemple entre août 2022 et août 2023. Si l'on regarde ce qu’il advient depuis janvier 2022 des prix des 150 produits les plus achetés par les Français, on arrive à un total de plus de +25 % de hausse, avec +15 % en 2022 et +10 % en 2023.
Des prix mondiaux toujours au niveau du pic de 2008
L’observation de l’indice FAO fait apparaître une grande volatilité des prix alimentaires (corrigés de l'inflation) depuis la crise des subprimes.
Après une hausse historique durant la crise sanitaire du Covid-19, les prix ont fini par baisser en 2022, mais la crise politique et économique qui se déroule depuis la guerre d’Ukraine a empêché un retour aux prix d’avant le Covid ; ils restent ainsi 20 % supérieurs au niveau de 2019 et 40 % au-dessus de leur niveau moyen historique.
Dans le détail, on constate que ce sont les huiles végétales qui ont connu la plus forte hausse : leur prix réel (c’est-à-dire corrigé de l’inflation) a triplé entre 2019 et 2022, avant de fortement baisser. Le prix des céréales a connu un pic historique, mais il a par chance également fortement décru. Le sucre a connu une baisse modérée après avoir atteint ses plus hauts historiques, en raison de problèmes de rendements en Chine et en Inde dus à des événements climatiques. Le prix du sucre est toujours 60 % supérieur à son niveau de 2019.
Enfin, les produits laitiers et la viande ont quasiment retrouvé leurs niveaux réels d’avant crise après avoir augmenté de +30 % et la viande de +20 %. Attention, ce sont bien des niveaux réels : « retrouver son niveau de 2019 » signifie « avoir augmenté du montant de l’inflation, soit plus de 10 % ».
Soulignons enfin qu’une grande partie des hausses observées ont été causées par des problèmes climatiques, tels que sécheresses en Europe et inondations en Asie. Le changement climatique a donc aussi des répercussions directes sur le pouvoir d’achat alimentaire des Français.
En France, les marques les moins chères ont le plus augmenté
Si on analyse plus en détail l’évolution des prix des différents types de produits dans les grandes surfaces françaises, on observe que la forte inflation des prix a cessé, en particulier pour les produits Premiers prix. Au final, ce sont les marques de distributeurs (c’est-à-dire les produits de marque Carrefour ou Casino par exemple) qui ont le plus augmenté par rapport aux marques nationales.
Ce phénomène a particulièrement touché les marques Premiers prix, qui ont augmenté de +30 % depuis 2021, car elles utilisent des produits fortement frappés par l’inflation (pâtes, farine, etc.).
Face à la hausse des prix, une des réactions des consommateurs a été de baisser leur gamme d’achats : on passe du premium au normal, de la marque nationale à la marque de distributeur, ou de la marque de distributeur aux marques Premiers prix. Le volume de vente de ces produits Premiers prix a ainsi augmenté de +15 % en un an, malgré leur forte hausse de prix, car ils restent malgré tout moins chers que les marques nationales.
Diminution de l’offre et des volumes vendus
L’autre réaction des consommateurs a évidemment été d’acheter moins : le volume total des ventes alimentaires en grandes surfaces a ainsi encore baissé d'environ -1 % en moyenne sur un an, ce qui est une tendance très rare.
Le mouvement a cependant commencé en 2022, où on avait assisté à une baisse bien plus importante, de près de -3 %.
L’inflation a donc impacté durement l’alimentation des moins aisés.
La situation est vraiment dramatique : les prix de la nourriture sont tellement élevés qu’on a assisté à une baisse inconnue des volumes alimentaires vendus au niveau national : -13 % au plus fort de la crise, et toujours -11 % actuellement ! Un sondage de 2023 indiquait ainsi que 60 % des ménages français avaient réduit leurs dépenses alimentaires à cause de la hausse des prix.
Les grandes surfaces, quant à elles, ont décidé de diminuer le nombre de produits différents en rayon (ce qu’on appelle l’assortiment), afin de réduire leurs coûts – ce qu’elles continuent à faire malgré le retour à une inflation plus faible. Ces assortiments venaient pourtant à peine de retrouver leur niveau normal après les pénuries de la crise Covid.
Si vous ne trouvez plus votre produit préféré en rayon, surtout dans les petites surfaces et drives, ce n’est donc pas un hasard : il y a eu jusqu’à -6 % de références d’articles en un an dans les Proxis et -10 % en drive.
Le Bio a particulièrement été touché, avec -10 % d’articles mis à disposition en un an, après -9 % l’année précédente. Par ailleurs, en raison de leur prix élevé, ces produits ont été délaissés au profit du non-Bio (descente en gamme). Le volume de ventes de Bio a ainsi diminué de -7 % depuis un an (après -11 % l’année précédente). C’est une catastrophe pour les agriculteurs concernés qui ont fait le pari de la qualité sanitaire et environnementale.
Des grands écarts de prix entre les grandes enseignes
Le levier principal utilisé par les grandes surfaces pour faire face à l’inflation des prix de leurs achats a été tout simplement d’augmenter les prix des produits. Cela pose certains problèmes, car la grande distribution a mangé son pain blanc et est en perte de vitesse, comme nous l’avons vu dans notre analyse du secteur de la grande distribution. Si son chiffre d’affaires de 2022 est 4 % supérieur à celui de 2011, le volume de ses ventes est 4 % inférieur. Cette désaffection touche d’ailleurs plus les hypermarchés (-3,5 % en volume) que les supermarchés (+0,1 %). Ceci oblige donc certaines enseignes et magasins à encore plus monter leurs prix.
Cependant, le niveau des augmentations de prix a été très différencié suivant les enseignes, car celles-ci pratiquent des prix beaucoup plus éloignés que ce que pensent les consommateurs. Des analyses sur des panels de dizaines de milliers de produits aboutissent à des écarts allant jusqu’à 30 % entre enseignes – et donc encore beaucoup plus entre les magasins plus et moins chers des enseignes, car les prix ne sont pas les mêmes dans tous les magasins d’une même enseigne.
On parle donc ici d’écarts de prix de 1 à 2 euros sur la plupart des produits courants – pour les mêmes produits vendus dans 2 enseignes différentes. Le graphe suivant illustre les écarts relevés entre enseignes.
Au final, selon ces études, le groupe Casino pratique de très loin les prix les plus chers dans ses Supermarchés Casino, Monoprix et Géant Casino (et également dans les supermarchés Match, non représentés ici). Les magasins les moins chers en 2022 étaient comme toujours les magasins E. Leclerc, suivis de près par Système U et Intermarché. Suivent à quelques pour cent d’écart les hypermarchés Carrefour et Auchan.
Comme l’a relevé sur son site un des experts du sujet, Olivier Dauvers, Casino a brutalement baissé le prix en ligne de ses supermarchés début 2021 (c’est-à-dire pour les seuls drives et livraisons), afin de rattraper son énorme retard en drive. Ce groupe utilise clairement ses hautes marges en magasin pour réaliser en drive des marges parmi les plus faibles du marché.
Mais les gros problèmes financiers du groupe Casino en 2023 ont interrompu cette stratégie, et ses prix sont repartis fortement à la hausse, ce qui n’a pas empêché la faillite des magasins Casino, écrasés par une dette trop importante. Ce mouvement de prix est tout à fait visible sur l’outil de suivi des prix en drive Distriprix réalisé par M. Dauvers.
L’IRi, société spécialisée dans la mesure des prix, a réalisé une statistique très intéressante en mesurant l’écart de prix entre les deux enseignes les plus chères et les deux les moins chères. Il est flagrant que, après s’être rapprochés durant la crise du Covid, les écarts de prix entre les enseignes n’ont cessé d’augmenter durant la crise inflationniste qui a commencé à l’automne 2021, comme en témoigne le graphique ci-dessous.
Mais depuis que l’inflation augmente moins vite, les écarts se sont fortement resserrés, retrouvant quasiment leur niveau de 2019. Tous les distributeurs, y compris les moins chers, ont fini par augmenter leurs prix avec retard, annulant au final la hausse de l’écart (créée en 2022) avec leurs concurrents les plus chers.
Rappelons pour terminer que, hélas, l’alimentaire est souvent la variable d’ajustement du budget des ménages, une fois le loyer et les charges payés. Pour beaucoup de Français, chaque euro compte.
Le Secours populaire a réalisé un sondage qui indique que près d’1 Français sur 2 manque tellement d’argent qu’il doit diminuer la qualité de sa nourriture, et que 1 Français sur 3 est contraint de sauter des repas et ne mange pas à sa faim.
Ces pourcentages sont majorés d’au moins 10 points si on s’intéresse uniquement au cas des femmes de ces catégories, qui souffrent bien plus que les hommes. Les prix de l’alimentation sont donc un sujet majeur, et il est à craindre que leur hausse se poursuive encore…
Ce qu’il faut retenir
L’inflation des produits alimentaires, qui avait fortement marqué la crise inflationniste, est en train de retrouver des niveaux bien plus modérés, de 3 % à 4 %. Cependant, comme les prix n’ont guère baissé, ils se situent désormais à des niveaux 20 % supérieurs à ceux de 2021.
Les entreprises de ce secteur ont profité de l’inflation pour augmenter leurs prix plus que nécessaire, afin d’augmenter leurs profits. Le taux de marge (qui ne correspond pas au profit final) des entreprises agroalimentaires est ainsi passé de 40 % à 48 % en 3 ans.
Ce sont les produits les moins chers en grande surface qui ont le plus augmenté (de plus de 30 %). Dès lors, la crise inflationniste a d'abord et avant tout frappé les Français les plus défavorisés. En conséquence, ces derniers ont dû réduire le volume de leurs achats alimentaires. Au niveau national, on constate toujours une baisse de -11 % des volumes alimentaires vendus.
La crise inflationniste a donc eu pour conséquence une forte hausse de la précarité alimentaire : désormais, 1 Français sur 3 est contraint de sauter des repas et ne mange pas à sa faim.