L’endettement total des États-Unis atteint désormais 350 % de leur PIB, un record. Mais si l’explosion de la dette américaine a commencé il y a 40 ans, ce n’est que depuis peu qu’elle est composée pour près de 50 % de dette publique. Cela s’explique en partie par les crises économiques récentes, qui ont contraint l’État à s’endetter pour soutenir le secteur privé.

Les États-Unis pourraient se retrouver en défaut sur leur dette publique « dès le 1er juin » si aucun accord n'est trouvé entre Républicains et Démocrates afin de relever le plafond de leur dette, actuellement fixé à 31 000 milliards de dollars, a averti la secrétaire au Trésor Janet Yellen.
70 000 milliards de dette totale
La dette totale est le cumul de la dette des administrations publiques, des ménages et des entreprises. Depuis le début des années 2000, cette dette totale américaine a pratiquement triplé, et elle vient de dépasser l’incroyable chiffre de 70 000 milliards de dollars.


Afin de tenir compte de l’inflation et de la croissance économique, il vaut mieux la représenter en pourcentage du PIB pour une analyse plus pertinente. On constate alors que le poids de la dette totale des États-Unis, exprimée en pourcentage du PIB, a augmenté de plus de 40 % en 20 ans.


Sur la période récente, on est frappé par les très fortes hausses de l’endettement public à l’occasion des crises de 2008 et 2020. La dette publique approche donc 50 % de la dette totale. Mais on observe que la dette totale est restée presque constante, car les ménages ne cessent de se désendetter (relativement, en % du PIB) depuis la crise de 2008. Les entreprises ont également peu augmenté leur endettement. C’est pourquoi le poids actuel de la dette totale est à peine plus élevé qu’en 2007.


On observe également que les ratios ont eu tendance à baisser en 2022. C’est normal : c’est un simple effet de l’inflation. Celle-ci fait augmenter le PIB à un rythme supérieur à celui de la dette, et ainsi le ratio des deux diminue.
Ménages et entreprises restent très endettés
Comme la presse en parle trop peu, intéressons-nous plus en détail à l’endettement du secteur privé. On note ainsi que, fait très rare, la dette des ménages en dollars a bien baissé entre 2008 et 2013. Ce désendettement des ménages est sans surprise un désendettement immobilier.


Si on ramène les chiffres en pourcentage du PIB, la folie des années 2000 qui a conduit à la crise des subprimes saute aux yeux. Un nouveau cycle de déréglementation financière avait alors libéralisé l’offre de crédit aux États-Unis, avec l’essor de la titrisation. Cela avait entretenu une forte bulle immobilière. Mais quel régulateur a pu penser que cela pouvait bien finir ?


La dette des entreprises en dollars augmente sur une tendance pratiquement constante. Elle n’a brièvement diminué qu’en 2009-2010 et depuis 2021.


Le secteur privé continue de tirer l’endettement à la hausse
En regardant la variation trimestrielle de la dette américaine, on distingue clairement que l’État a massivement soutenu le secteur privé à partir de 2008, pour compenser ses pertes. On remarque aussi le caractère exceptionnel de l’aide décidée par l’État lors de la crise du Covid-19, avec une augmentation de la dette de 4 300 Md$ au deuxième trimestre 2020.




Actuellement, c’est le secteur privé (ménages et entreprises) qui continue à tirer l’endettement à la hausse. L’endettement public continue également, mais bien moins fortement qu’en 2020-2021.
Les années Reagan ou l’envol de l’endettement américain
Sur le temps long, on voit que l’endettement total américain a traversé plusieurs phases depuis un siècle. L’endettement lié à la crise de 1929 avait fait grimper la dette totale à 300 % du PIB en 1933. Il a été suivi d’un désendettement massif du secteur privé, car l’État avait alors ponctionné les ressources pour les besoins de la guerre. Les États-Unis ont ensuite connu une longue période de stagnation de leur endettement jusqu’aux années 1980, à environ 150 % de leur PIB.
C’est avec l’arrivée du néolibéralisme dans les années 1980 que l’endettement – aussi bien public que privé – a commencé à augmenter fortement. Il a été porté par la dérégulation financière décidée par l’administration Reagan, et par les bulles financières qui se développèrent en conséquence. En 2023, l’endettement total des États-Unis est de 350 % du PIB, soit le double du plateau d’endettement qui s’était maintenu de 1945 à 1985.




Sur longue période, l’explosion de l’endettement des ménages américains est frappante : depuis 1945, il est passé de 14 % à 80 % du PIB (x 6). Rappelons qu’à partir des années 1980, les États-Unis dérèglementent et autorisent les banques à distribuer des crédits, jusque-là réservés à des sociétés spécialisées. Au final, il apparait que le rêve américain est aussi un rêve à crédit, qui risque de virer au cauchemar avec la remontée actuelle des taux d’intérêt.


Les entreprises n’ont quant à elles pas connu de longue période de désendettement marquée depuis 1945. Leur dette est ainsi passée de 25 % du PIB en 1945 à près de 85 % en 2020, avant de diminuer quelque peu.


En conclusion, ni la dette publique ni la dette privée américaine n’ont connu de périodes de diminution lors de la dernière décennie. Au contraire, elles n’ont cessé de croître, pour atteindre désormais un total de pratiquement 100 000 Md$ de dollars à la suite de la crise du Covid-19. Cette croissance reste également vraie en termes relatifs (en pourcentage du PIB).
Comme les États-Unis n’ont pas véritablement réglé leur problème de surendettement durant les années de prospérité, ils abordent donc dans de très mauvaises conditions financières les prochaines années qui s’annoncent porteuses de lourds problèmes – inflation, démondialisation, dédollarisation, ruptures géopolitiques...