Chômage : l’Europe du Sud toujours fragilisée par l’euro et le dumping social

Alors que tous les pays d’Europe connaissaient une relative baisse du chômage depuis le milieu des années 2010, la pandémie mondiale survenue en 2020 a mis fin à cette tendance. Les niveaux de chômage demeurent disparates selon les pays, effet de l’euro oblige, avec une Allemagne qui enregistre un taux de chômage historiquement bas, tandis qu’il reste élevé en Espagne et en Grèce. Cependant, il faut bien comprendre que cette amélioration – quand elle n’est pas en partie fictive – est le résultat de politiques non durables et très coûteuses, dont la facture commence à apparaître cruellement. Pour bien comprendre la diversité des situations, nous vous proposons aujourd’hui un tour d’horizon du chômage autour du monde.

Graphe Économie
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publié le 18/01/2024 Par Olivier Berruyer
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1- En Europe, des niveaux de chômage très contrastés
2- L'Allemagne épargnée, l'Espagne et la Grèce meurtries
3- Le chômage des jeunes : un drame européen
4- États-Unis : un plein-emploi en trompe-l’œil
5- Monde : le Sud plus touché que le Nord
Ce qu'il faut retenir


Rappelons que le Bureau International du Travail (BIT) définit un chômeur comme une personne sans emploi, n’ayant pas travaillé dans une semaine de référence, disponible sous quinze jours pour prendre un emploi, et en recherche active d’emploi dans le mois précédent.

Cette définition est utilisée par la plupart des pays pour calculer le taux de chômage, et elle permet ainsi des comparaisons internationales pertinentes. Elle reste cependant imparfaite, car le BIT ne considère pas comme chômeurs de nombreuses personnes connaissant des situations intermédiaires (par exemple les séniors proches de la retraite ne travaillant plus, ou certains cas de précarité d’emploi…), préférant les classer dans un « quasi-chômage » appelé « halo du chômage ».

En Europe, des niveaux de chômage très contrastés

Sur les deux dernières décennies, le chômage en Europe a connu 3 périodes marquantes :

  • une forte baisse entre 2005 et 2008 dans la surchauffe ayant fait le lit de la crise des subprimes ;
  • une très forte hausse en raison de cette crise en 2008 ;
  • et enfin une nouvelle baisse entre 2013 et 2020.

Le chômage dans l’UE s’est finalement stabilisé en 2022 à plus de 13 millions de personnes, dont 11 millions situées dans la zone euro.

Les choses se sont radicalement inversées après 2007 en ce qui concerne les pays situés dans et en dehors de la zone euro. Alors que le chômage frappait moins les premiers au lancement de l’eurozone (4 points de moins), au fil du temps, la zone euro a été plus fortement frappée par le chômage que les autres pays de l’UE (2 points de plus).

Le chômage hors zone euro a fortement baissé, le ramenant quasiment à un niveau de plein emploi. Cela est lié au développement d’importantes délocalisations d’activités dans les anciens pays de l’Est, venant surtout d’Allemagne, qui ont profité du dumping social de ces pays lors des élargissements de l’UE.

L’analyse de l’évolution mensuelle de nouveaux chômeurs montre que les crises de 2008 et 2011 ont été beaucoup plus dévastatrices pour l’emploi que celle du Covid : les très fortes interventions publiques ont permis de nettement amortir le choc.

L'année 2022 a cependant marqué la fin de l’embellie et le chômage vient de se remettre à grimper en Europe, certes de façon très inégale. Le cœur industriel de l’Union (Allemagne, Pologne, Tchéquie, Hongrie…) est un havre de plein emploi, tandis que les pays désindustrialisés de la périphérie restent fortement frappés par le chômage (Espagne, Grèce, Italie du Sud…).

En observant les pays européens séparément, on s’aperçoit que les trajectoires du taux de chômage ont été bien différentes depuis 2007. Le chômage a très fortement baissé dans les trois pays les plus frappés après la crise de 2008 (la Grèce, l’Espagne et le Portugal) où le taux, qui est monté jusqu’à 25 %, est désormais compris entre 7 et 12 %. Il a un peu baissé en France et plus fortement en Italie, au Royaume-Uni et en Allemagne, où il est situé à un niveau bas de 3 à 7 %.

Ramené en nombre de chômeurs, c’est l’économie espagnole qui a le plus contribué à la baisse du nombre total de chômeurs sur le continent. Celui-ci a été pratiquement divisé par 2 en l'espace de 10 ans.

L’Allemagne épargnée, l’Espagne et la Grèce meurtries mais en convalescence

L'Europe présente une particularité assez frappante : le chômage allemand a fortement diminué dans les années 2000, alors que celui des pays du sud du continent a augmenté. C’est un des effets induits par le dumping social en Europe et par l’euro, comme nous l’avons analysé dans cet article sur le commerce extérieur allemand.

L’Allemagne a été exceptionnellement épargnée par la montée du taux de chômage à la suite de la crise de 2008. Début 2007, le pays enregistre un taux de chômage de 10 %, et il a baissé quasiment continument jusqu’à 3 %. Ceci s’explique par le fait que l’Allemagne n’a eu de cesse de mener des politiques non coopératives, notamment le dumping social des réformes « Hartz » du marché du travail, engagées entre 2003 et 2005.

Elle a également bénéficié pleinement des avantages de la zone euro, lui permettant de disposer d’une monnaie sous-évaluée, et de la capacité de disposer d’une main-d’œuvre facilement accessible dans les pays d’Europe centrale. Le tout sans faire preuve de la moindre solidarité envers les pays victimes de l’euro. Elle n’a pas seulement exporté vers ses voisins ses voitures et ses machines, mais aussi son chômage.

Le Royaume-Uni connaît également un taux de chômage moins important que la plupart des pays européens. Rappelons d’ailleurs que la forte diminution du chômage dans ce pays dans les années 1990 était largement due, selon un rapport de l’OCDE en 2007, à une bascule comptable du chômage vers le régime d’invalidité.

Plus récemment, la politique de dumping social du « Workfare » mise en place en 2010 a durci les conditions d’accès aux allocations sociales. La précarisation de l’emploi via la facilitation du droit du licenciement et le développement du « contrat zéro heure » pourrait également avoir joué un rôle.

L’Italie a connu une dynamique de chômage similaire à la France, même si le taux de chômage italien est toujours resté supérieur au taux français depuis début 2012. Le chômage y oscille désormais entre 7 et 8 %, et est désormais quasiment au niveau de la France, qui venait de connaître un record à la baisse du chômage depuis des décennies, mais pour d’assez mauvaises raisons que nous l'avons analysé dans cet article.

La Belgique a suivi une tendance proche de celle de la France, mais avec un nveau de 2 points inférieurs, ce pays ayant su garder une industrie assez puissante. La Suisse a connu peu d’évolution : même si le chômage a un peu augmenté en 20 ans, il est stable depuis 10 ans à des niveaux de quasi-plein emploi.

Le Portugal a été très touché par la crise des subprimes et son taux de chômage est monté jusqu’à 18 % en 2013. À partir de cette date, la croissance portugaise est repartie à la hausse et le chômage a diminué : c’est le « miracle économique portugais », dû en réalité à une politique non coopérative de baisse de la fiscalité pour les entreprises et les retraités étrangers, puis par l’arrêt progressif des politiques d’austérité budgétaires à partir de 2015. Le chômage portugais s’établit désormais aux environs de 6 %.

L’Espagne et la Grèce sont les deux pays d’Europe ayant connu l’augmentation la plus importante du chômage après la crise des subprimes, avec pour conséquence une crise de la dette publique. Les taux de chômage espagnol et grec ont ainsi dépassé 26 % et 28 % en 2013, notamment tirés par l’explosion du chômage des jeunes.

La situation s’est grandement améliorée depuis 10 ans, et ces deux pays affichent désormais un taux de chômage toujours élevé mais divisé par deux, situé entre 10 % et 12 %. Cependant, contrairement à leurs partenaires européens, ces pays sont encore loin d’avoir retrouvé leur niveau de chômage de 2007 (qui était d’environ 8 %).

La dynamique grecque sur la décennie est particulièrement impressionnante, mais elle a été acquise au prix de sacrifices sociaux et politiques exorbitants (baisse des salaires, des protections sociales et légales, etc.).

Le graphique de synthèse ci-dessous permet de distinguer clairement quels pays ont été les plus impactés par la crise de 2008 sur le plan du chômage et comment ils se sont rétablis. L’Espagne, la Grèce et l’Italie sont les principaux pays à ne pas avoir retrouvé leur taux de chômage d’avant la crise de 2008.

En France, en Irlande, au Royaume-Uni et en Belgique, le niveau de l’emploi en 2022 est sensiblement le même que celui d’avant 2008. Enfin, l’emploi en Allemagne et au Portugal est dans une meilleure situation que celle qui prévalait avant 2008. En observant les données sur les quarante dernières années, on observe que la situation des grandes puissances européennes s’est globalement améliorée depuis les années 1990 sur le plan de l’emploi.

Le chômage des jeunes : un drame européen non résolu

L’Europe se caractérise également par un fort chômage des jeunes. Certains pays tels que, là encore, l’Espagne, la Grèce et l’Italie ont été très fortement frappées, avec des taux de chômage de 40 % à 60 % il y a 10 ans de cela. Ces taux ont été divisés par deux durant la dernière décennie, mais ils restent donc encore situés à 20 et 30 %, ce qui pose toujours de gros problèmes sociaux et politiques dans ces pays.

Avec 17 % de chômage des jeunes, la France fait mieux, mais elle ne peut se prévaloir d’être un bon élève à ce niveau – le taux de chômage des jeunes n’est que de 6 % en Allemagne. Comme l’Angleterre a un taux de 11 %, elle est avec la France une fournisseuse majeure de jeunes chômeurs en Europe.

États-Unis : un plein emploi en trompe-l’œil

Le taux de chômage des États-Unis sur les 40 dernières années est nettement moins élevé que celui des principales puissances européennes. Le taux de chômage officiel avait baissé sans discontinuer, passant de 10 % en 2009 – au pic de la crise des subprimes – à 3,6 % fin 2019, son plus bas niveau depuis 1969. La crise du Covid a brièvement fait augmenter le taux à 8 %, mais il est revenu à 3,7 % fin 2023.

Ces bons résultats doivent cependant être nuancés, car une part importante du chômage américain n’est pas comptabilisé. Ces chiffres – représentés par la courbe bleue – indiquent le taux de chômage américain officiel, l’équivalent de la catégorie A en France. Mais il faut également considérer d’autres approches, plus proches de la réalité, afin de comptabiliser le chômage réel.

Le graphique ci-dessous indique ainsi le taux de chômage U6 (courbe rouge) qui inclut les travailleurs ayant renoncé à chercher activement un emploi à court terme. Si l’on considère cet indicateur, le taux de chômage américain réel est plutôt de 7 % fin 2023, soit le double du chiffre officiel, mais ceci reste bas.

La propagande médiatique propage régulièrement un eldorado américain de l’emploi. Il est vrai que le chômage y est très bas, dans une situation de quasi plein emploi. Mais encore faut-il voir ce que sont ces emplois, et quels revenus ils génèrent.

Le terme « plein emploi » rappelle la prospérité des 30 Glorieuses. Mais en pratique, les fruits de la très forte économie américaine sont mal répartis. Il y a très peu de chômeurs, mais énormément de travailleurs pauvres. 43 millions d’Américains bénéficient de bons d’aide alimentaires pour se nourrir, c’est 13 % de la population américaine.

Ceci explique pourquoi 5 % des Américains sont en insécurité alimentaire, et 8 % de plus en faible sécurité alimentaire. Et « en même temps », 42 % des Américains sont obèses et 32 % en surpoids.

Soulignons enfin que la situation du chômage depuis l’après-guerre est exceptionnelle par sa relative stabilité comparée à la situation des deux siècles précédents. Aucune très grande crise n’est venue frapper l’emploi d’une vaste partie des travailleurs américains.

Chômage dans le monde : le Sud plus touché que le Nord

Pour conclure, un panorama mondial montre que le nord est peu touché par le chômage, des États-Unis à la Chine, en passant par l’Europe du Nord et la Russie, contrairement à un sud qui souffre plus, particulièrement du Brésil au Nord et au Sud du continent africain, en passant par l’Europe du Sud.

Soulignons enfin que le record de faible chômage dans les grands pays développés est détenu par le Japon, qui affiche un taux de chômage très bas depuis 40 ans. Il est intéressant de noter qu’une telle situation n’est finalement pas toujours très désirable, car elle résulte en l’espèce de sa très faible démographie qui entraîne une pénurie de main-d’œuvre, ainsi que de lourds problèmes au niveau de l’activité économique et du financement des besoins des séniors.

Tout ceci a plongé le Japon dans un grave marasme financier depuis des décennies, et ce faible chômage en est le résultat. Un emploi est évidemment désirable, mais dans une économie prospère, il doit aussi être de bonne qualité.

Ce qu’il faut retenir

Bien que le chômage soit très disparate sur la Planète, il frappe généralement plus au sud qu’au nord, où est concentrée la richesse productive et financière. En Europe, les chiffres du chômage sont toutefois à relativiser. Si la situation de l’emploi s’est indéniablement améliorée, son ampleur et ses causes posent souvent question.

Quand l’amélioration ne résulte pas en partie de tripatouillages statistiques (surtout dus au recul de l’âge de la retraite et au vieillissement de la population active) et de créations d’emploi précaires, ils sont le reflet de politiques budgétaires qui ont soutenu l’économie à coup de taux bas, d’explosion de la dette publique et d’utilisation des planches à billets des banques centrales. L'effet de ces politiques est forcément positif à court terme, mais elles ne sont évidemment pas durables, et leur facture reste, hélas, à payer.

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