Le tourisme, porté par la dissolution des liens communautaires et une illusion de choix, est la première industrie au monde. Henri Mora, auteur de Désastres touristiques (L’Échappée, 2022), détaille ses effets écologiques, politiques, économiques et sociaux. Il s’élève également contre les distinctions entre bons et mauvais tourisme qui, pour lui, constituent un leurre.

Laurent Ottavi (Élucid) : Vous contestez dans votre livre la pertinence des oppositions, fréquentes, entre touriste et voyageur d’une part, et entre tourisme de masse et tourisme tout court de l’autre. Pourquoi cela ?
Henri Mora : Je réfute en effet les a priori tenant à séparer le bon grain de l’ivraie touristique. Par cette distinction, certains espèrent échapper à la représentation stéréotypée du touriste moutonnier et agaçant que l’on moque et que l’on méprise en général. Ceux-là considèrent échapper à l'image du voyageur organisé, bruyant, mal fagoté, son smartphone à la main, irrespectueux des lieux qu’il visite et de ses habitants, etc. Il n’y a pas de fumée sans feu, et de telles caricatures existent sûrement. Je souligne simplement que l'industrie touristique de masse s'organise pour profiter de chaque type de voyageur, aussi vertueux et marginaux soient-ils.
L’augmentation du pouvoir d’achat a contribué à développer le tourisme. Et l’industrie touristique draine touristes et voyageurs, leurs économies en poche, vers des lieux et des territoires préalablement aménagés pour les attirer. De plus, les pratiques alternatives entraînent souvent le voyageur à utiliser les infrastructures routières, ferroviaires, aéroportuaires et maritimes mises en place pour développer un tourisme sans distinction. Combien de voyageurs n’ont jamais utilisé de guides touristiques numériques ou papiers, des applications et des sites Internet pour bénéficier de services administratifs cartographiques, météorologiques ou de réservation ?
J’évoque dans mon livre une étude réalisée auprès de couchsurfeurs à Paris, qui met en évidence le fait que ces voyageurs visitent également les sites emblématiques de la capitale (la tour Eiffel, Notre-Dame, Montmartre et le Louvre) comme n’importe quel autre touriste. Quant aux promoteurs des alternatives, ils argumentent aussi leur développement auprès des investisseurs sur leurs retombées lucratives… N'est-il pas vrai que les pratiques marginales sont pour l'industrie les marchés de demain ?
Et pour finir de répondre à la question, centrer le débat sur le bon et le mauvais tourisme ne m'intéresse pas, car même un tourisme se voulant le plus hors-système possible, n'empêcherait pas l'industrie touristique de poursuivre son développement.
« La massification se poursuit désormais par une politique de diffusion du tourisme, afin de développer le potentiel touristique de régions jusqu'ici épargnées. »
Élucid : À partir de quand le tourisme est-il devenu une industrie et quand a-t-il atteint son stade de massification ?
Henri Mora : Le XVIIIe siècle marque une étape importante. C’est la période où s’établissent les villes d’eau, les nouvelles stations balnéaires et les lieux de villégiature. Aristocrates et bourgeois recherchent alors la fraicheur à la campagne et à la montagne en été, et la douceur du littoral en hiver. La notion de Grand tour culmine également au XVIIIe siècle ; ce voyage initiatique de plusieurs mois sur le continent destiné à parfaire l’éducation des jeunes aristocrates.
Il s’organise de manière systémique à partir du XIXe siècle. La maîtrise de la vapeur, l’apparition des chemins de fer et de leurs infrastructures contribuent à l’impulsion décisive du tourisme industriel. Les associations et organisations touristiques se multiplient. Thomas Cook élabore un système d’achat de billets groupés à prix réduit en 1841 et crée la première agence de voyages en 1851. Le tourisme industriel est donc indissociable de l’avènement de la société industrielle.
Sa massification naît à partir des années 1950 et surtout 1960 avec la généralisation des congés payés, l’augmentation du pouvoir d’achat, et l'aménagement du territoire en vue d'organiser les temps de loisir. Concrètement, le tourisme de masse naît avec les congés payés dans l’Italie fasciste puis dans l’Allemagne nazi. L’Opera nazionale dopolavoro (Œuvre nationale de l’après-travail) de 1925 et le Kraft durch Freude (La force dans la joie) de 1933 encadrent les loisirs et disciplinent le peuple.
Le tourisme de masse se concentre à l’après-guerre et jusque dans les années 1970 le long du littoral en été, et dans les stations de ski en hiver. Les gouvernements français contribuent largement au développement de ce tourisme de masse avec la Mission Racine en 1963 (500 000 lits), le Plan neige en 1964 (150 000 lits) et la MIACA en 1967 (575 000 lits prévus en 1972)…
Progressivement, ce tourisme de masse atteint certaines limites, car il développe de nombreuses nuisances et du mécontentement dont les actualités locales et internationales témoignent quotidiennement (Barcelone, Paris, Dubrovnik pour évoquer l'actualité internationale). Pour perpétuer malgré tout la croissance touristique, les États et territoires ont recourt à davantage d'organisation et d'infrastructures. Mais la massification se poursuit désormais aussi par une politique de diffusion du tourisme, afin de développer le potentiel touristique de régions jusqu'ici relativement épargnées.
« Le contrat social contraint la société à répondre aux besoins de la production et de la consommation basées sur la croissance de l’économie marchande. »
Le tourisme est-il à la fois la conséquence inévitable et le reflet du capitalisme, et à ce titre le révélateur des inégalités qu’il crée, de ses effets écologiques ou encore des politiques publiques qu’il suscite ?
L’industrie touristique peut étendre le domaine de la marchandise pour ainsi dire à l’infini. En multipliant les lieux à visiter, en créant des événements attractifs (professionnels, culturels ou sportifs) ou encore en donnant une valeur marchande à ce qui n’en a pas. Il s’agit d’attirer une clientèle qui vient d’ailleurs et même de l’autre bout du monde. Le capitalisme et les politiques publiques ne peuvent que s’y adosser, d’autant plus que le tourisme reste la première industrie au monde (10 % du PIB mondial et 319 millions d’emplois) et qu'il générait avant la crise sanitaire une croissance moyenne du PIB plus importante que la croissance moyenne générale dans le monde.
Les employés du tourisme se trouvent au service de leur employeur, mais aussi des touristes qui peuvent être des employés d’autres secteurs d’activité ; le tourisme populaire côtoie parfois des équipements de luxe. Le capitalisme s’appuie sur le développement de l’économie marchande. Il crée des emplois, de la richesse et procède à des progrès d’intérêt général (technologiques, sociaux, etc.). L’organisation économique de ce capitalisme a nécessité l’approbation de la société ou tout au moins son acceptation.
Le contrat social contraint la société à répondre aux besoins de la production et de la consommation basées sur la croissance de l’économie marchande, en contrepartie de quoi les fortunés et les mieux adaptés s’enrichissent alors que les autres bénéficient d’avantages sociaux (retraite, congés, augmentations, etc.) continuellement remis en question par des politiques d’ajustement. Ce contrat social nous donne ainsi la possibilité de passer nos vacances à l’autre bout du monde.
Cependant, nous savons aujourd’hui que ce contrat social a des conséquences désastreuses en détruisant les conditions essentielles de la vie sur terre : extinction des espèces, empoisonnement de l’air, de l’eau et de la nourriture, dérèglement climatique, etc. De quoi remettre en cause les avantages du contrat social et de la société industrielle.
De la même façon que la ville a été repensée en fonction de la voiture, peut-on aller jusqu’à dire que l’aménagement du territoire a été subordonné à des fins touristiques ?
Toutes les collectivités territoriales, comme l’ensemble des communautés de communes et des gouvernements qui se succèdent, s’appliquent à promouvoir leur territoire et à développer des politiques d’attractivité. Le développement du tourisme tient une place importante et nécessaire dans ces politiques d’attractivité dépendantes d’un discours identitaire, mais aussi de l’organisation et de l’aménagement de l’espace.
Pour attirer le touriste-client – mais aussi futur habitant ou investisseur – et l'intéresser, on peut s’appuyer sur le patrimoine ou y organiser une manifestation. On peut aussi envisager l’installation d’équipements touristiques (de loisirs, de divertissements, d’exposition, etc.). Quoi qu’il en soit, le tourisme se développe autour de l’accueil et de l’accès qui nécessitent la construction d’hébergements et de restaurants, mais aussi de chemins, de routes, d’autoroutes – l’autoroute du soleil fait partie des premières construites –, de lignes ferroviaires et de gares, d’installations portuaires, d’aéroports, de nouvelles stations d’épuration permettant de traiter des volumes d’eaux usées plus importants et des réservoirs d’eau potable plus grands avec l’arrivée de touristes en nombre.
Avec les sécheresses consécutives durant les périodes touristiques, nous voyons apparaître des usines de dessalements d’eau de mer en Corse ou sur l'île de Groix dans le Morbihan. L’organisation des Jeux Olympiques de 2024 aurait été obtenue par la ville de Paris parce qu’elle bénéficiait de nombreuses infrastructures existantes. Néanmoins, la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) se charge actuellement de superviser pas moins de 64 chantiers. Mais c’est sans compter les travaux du Grand Paris, qui ont aussi participé à ce que la candidature française soit prise en considération. Un tel événement attirerait 15 millions de visiteurs que l’on doit accueillir et transporter.
« L’argent roi engendre le client roi favorisant une prédisposition sociale qui le distinguera de l’employé du tourisme à son service. »
Quels sont les effets sociaux du tourisme, dont vous écrivez qu’ils ne sont jamais remis en question par la société ?
La touristification d’un territoire est souvent présentée par les promoteurs comme une opportunité de pouvoir s’enrichir et créer des emplois. Mais le fait d’attirer des visiteurs ayant l’intention de dépenser leur « excédent budgétaire » a des répercussions sociales évidentes, mais jamais discutées. Le tourisme fait augmenter les prix. Comme nous l’avons déjà vu, le foncier et les loyers augmentent, mais pas seulement. Sans revenir sur le fait que les infrastructures dimensionnées pour pouvoir accueillir les visiteurs sont réalisées et entretenues à la charge de la population locale, le tourisme génère un commerce de nouveaux produits superflus, ou qui n’avaient auparavant aucune valeur marchande.
Il transforme tout objet et objectif – matériel ou pas – en marchandise. L’argent roi modifie les relations humaines et sociales. Il transforme l’hospitalité en prestation de service et chaque savoir-faire et savoir-être en une potentielle valeur marchande à exploiter. L’argent roi engendre le client roi favorisant une prédisposition sociale qui le distinguera de l’employé du tourisme à son service.
Le travailleur saisonnier reste précaire, mal payé et parfois mal considéré. Il a du mal à se loger ; la crise du logement en région touristique en est responsable. Le marché a fait disparaître pas mal de logements loués auparavant aux employés. Les propriétaires préfèrent les vendre comme résidence secondaire ou les louer à des touristes. C’est bien plus rémunérateur ! Le tourisme est également vulnérable, et avec lui toutes les personnes qui en dépendent. La pandémie de Covid-19 nous l’a rappelé. On parle de 62 millions d’emplois détruits dans le monde en 2020, dont les premiers touchés ont été les saisonniers.
Ainsi, le tourisme réunit sur un même territoire des habitants permanents, des travailleurs saisonniers, de nombreux visiteurs en période touristique et des propriétaires de résidences secondaires absents une bonne partie de l’année. La présence irrégulière de l’ensemble de ces différentes populations avec des engagements temporaires et passagers pose certainement un problème de cohésion et d’unité sociales, notamment dans un lieu que l’on espère transformer en supermarché.
Qu’est-ce que le numérique a ajouté à tout ce que vous venez d’expliquer ? Quelle importance, notamment, ont les influenceurs et les réseaux sociaux ?
Dans les années 2010, la société intègre le tourisme au quotidien avec le numérique. La création des réseaux sociaux développe de nouvelles destinations. Une simple photo sur Instagram peut faire le buzz et attirer des foules. Les professionnels et autres promoteurs du tourisme sont à l’écoute de ces réseaux et des influenceurs, et les plus avisés sont bien conscients de l’intérêt qu’ils peuvent en tirer. On dit même que l’entreprise touristique Thomas Cook a fait faillite en 2019 parce qu’elle n’a pas su s’adapter au monde numérique.
Les offices du tourisme et les métropoles créent les réseaux d’ambassadeurs en ligne, en demandant aux habitants de faire la promotion des événements et des lieux à visiter dans leur ville. La page Facebook de la marque Paris je t’aime de l’office de tourisme de Paris réunit 275 000 abonnés ; le compte Twitter, plus de 355 000 ; et Instagram, 664 000. Le visiteur voyage, son smartphone en poche ou à la main, et partage instantanément ce qu’il découvre sur Instagram. La plupart des jeunes touristes définissent d'ailleurs leur destination touristique en consultant Instagram.
Mais le tourisme assisté par le numérique, ce sont aussi les plateformes de location, les réservations, la météo et les services de cartographie en ligne, etc. Tout un monde numérique qui a pour effet de dynamiser le marché du tourisme en facilitant le voyage, mais qui génère du même coup nuisances, sur-tourisme, gentrification, dégradations sociales, environnementales et climatiques…
« Le dark tourism et le tourisme de l’authentique transforment le réel en représentation et l’authentique en produit de consommation. »
Qu’est-ce que le dark tourism et le tourisme de l’authentique, et pourquoi avez-vous choisi de vous intéresser particulièrement à ces types de tourisme dans votre livre ?
Le concept de dark tourism est venu bousculer la représentation idyllique que l’on pouvait se faire des lieux touristiques à visiter. Il réunit l’ensemble des lieux associés aux souffrances, aux catastrophes naturelles ou industrielles, et à la misère dans le monde : Auschwitz, Tchernobyl, Bhopal, la disparition des glaciers, la Normandie, le mur de Berlin… Il apparaît dans les années 1990 et 2000 durant la période où on cherchait à étendre le tourisme dans l'espace et dans le temps.
Le dark tourism élargit le domaine de la mise en tourisme à des lieux comme les bidonvilles de Rio, des camps de réfugiés en Grèce ou encore le quartier Exârcheia à Athènes, qui avait connu les émeutes après la mort d’un adolescent tué par un policier en 2008. La création même de ce concept développe de nouvelles destinations et permet d’envisager la touristification de lieux ou d’« expériences » associés au réel, au social, au quotidien, à l’authentique : sites industriels, fermes, ateliers, lieux et quartiers alternatifs, etc.
La mise en tourisme devient généralisable à l’infini. Le dark tourism et le tourisme de l’authentique ont ouvert la possibilité de rendre touristique tout ce qui ne l'était pas. Mais ils construisent en même temps une « réalité » façonnée pour le plus grand nombre afin d'attirer les nouveaux clients. Ils transforment le réel en représentation et l’authentique en produit de consommation.
Des penseurs comme Philippe Muray et Christopher Lasch ont été jusqu’à comparer le mode de vie de la population (chez Muray) ou d’une partie de la population (les élites chez Lasch) à celui d’un touriste. Les rejoignez-vous sur cette analyse ?
Je me référerais plutôt à l’article « Abramboé », publié dans le 15e et dernier fascicule de la revue Encyclopédie des nuisances – Dictionnaire de la déraison dans les arts, les sciences & les métiers d’avril 1992, qui soulignait : « Depuis qu’il ne subsiste plus de liens communautaires, les hommes tendent à se comporter, chez eux, exactement comme des touristes, dès qu’ils ont un moment de répit, ou plutôt dès qu’ils auraient pu en avoir un […] ».
Cette citation décrit assez bien la situation. La population dans sa totalité reste dépossédée de son libre arbitre. L’Homme comme le touriste d’aujourd’hui pense peut-être encore choisir son mode de vie, ses vacances, sa destination et ses activités, mais il n’est, en réalité, qu’un simple réceptacle des décisions du marché conditionnant son mode de vie et son hyperactivité-mobilité. Et ce ne sont pas quelques ajustements ici et là et de bonnes intentions qui changeront le fait que la vie soit en miettes et les liens communautaires brisés.
On peut toujours avoir individuellement ou même collectivement une activité honorable et se soucier de sortir de la logique marchande, ces liens et vies communautaires sont rompus dans l’ensemble de la société. Et c’est dans la société – contre le travail producteur de valeur et la marchandise – qu’il faudra agir si l'on veut espérer changer le mode de vie de ce monde totalisant.
« Une société libre d’agir en fonction de ses besoins aurait réduit sa surproduction, sa surconsommation et son hyperactivité-mobilité pour limiter ses méfaits. »
Qu’appelez-vous la marchandisation de la transition ? Le « tourisme durable » est-il l’équivalent du « développement durable » proposé comme alternative à la croissance ?
Une société consciente et libre d’agir en fonction de ses besoins aurait certainement réduit sa surproduction, sa surconsommation et son hyperactivité-mobilité pour limiter ses méfaits. La société industrielle et capitaliste est consciente de ses méfaits environnementaux, mais elle ne sait agir que dans une dynamique productiviste et marchande. Lors du lancement de l’Office français de la biodiversité, en février 2020, Emmanuel Macron avait déclaré : « La clé, c’est de montrer qu’on peut trouver de l’activité, de l’avenir économique dans des territoires sans pousser des projets qui sont, de manière évidente, négatifs sur le plan environnemental et de la biodiversité ».
L’essentiel de la transition est bien de trouver de l’activité économique, mais contrairement à ce qu'on cherche à nous faire croire, cela dégrade indubitablement environnement et biodiversité. Le tourisme durable, comme le développement durable, ne sont pas proposés comme des alternatives à la croissance. Lorsqu’on développe un nouveau projet de tourisme durable, il s’ajoute à ce qui existe déjà. L’exemple du cyclotourisme est assez parlant. De 2020 à 2030, on espère ouvrir 7 894 km de véloroutes en France. Mais la réalisation de ces nouvelles voies de circulations et leurs aménagements ne vont pas remplacer les routes, elles s’ajouteront.
On aurait pu penser que ce transfert de la route vers les véloroutes allait réduire les émissions de gaz à effets de serre. Il n’en est rien, la tendance est au développement. Bien que le niveau soit toujours inférieur au niveau de 2019 (avant confinement), le transport routier a connu une hausse de 2 Mt CO2e entre 2021 et 2022 en France, selon les estimations provisoires de l’année 2022 réalisées par le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA). Et ce malgré l’augmentation du parc automobile électrique.
Vous écrivez dans votre livre que la contestation croît. Quelles sont luttes actuelles qui peuvent servir de sources d’inspiration ? Le cœur du combat consiste-t-il à rompre avec l’organisation économique capitaliste ?
Les luttes sont nombreuses et les projets sont encore plus nombreux. Mais en dehors des oppositions à ces projets particuliers de construction et d’aménagement du territoire, un mouvement plus large se développe contre la gentrification, l’airbnbisation, la hausse du prix de l’immobilier et celle des loyers, et le développement des résidences secondaires. Nous avons vu apparaître des banderoles, des affiches, des tags et même des dégradations contre les meublés touristiques. Le Pays basque a connu l’occupation d’un logement touristique en location frauduleuse et des manifestations importantes contre la spéculation immobilière causée par la touristification. Un mouvement contre les croisières s’organise et manifeste à l’arrivée des navires nécessitant parfois l’intervention des gendarmes.
Le plus grand projet touristique actuel étant l’organisation des JO de Paris, je saluerai particulièrement toutes les oppositions aux différents projets de construction en lien avec ces JO. Toute opposition au développement du tourisme devrait servir de source d’inspiration. Mais ces contestations n’admettent pas toujours les méfaits du tourisme en général. Lorsque je dénonce le tourisme, je ne cherche pas à blâmer le touriste ou celui ou celle qui en vit. Au même titre que certains révolutionnaires du XIXe et XXe siècle dénonçaient le salariat sans blâmer les salariés, ma critique du tourisme ne reproche pas à l’employé de l’industrie d’y participer, ni au consommateur de consommer et au touriste de voyager.
Il s’agit avant tout d’une critique sociale visant à remettre en cause cette mise en tourisme généralisée des territoires que notre société industrielle et capitaliste – soutenue par l’ensemble des institutions et des intéressés – développe. Alors bien évidemment, au bout du compte, il s’agit effectivement de s’en prendre à notre dépendance au travail rémunérateur et à la marchandise, et par conséquent à l’organisation économique capitaliste actuelle.
Propos recueillis par Laurent Ottavi.
Photo d'ouverture : Thiago B Trevisan - @Shutterstock