L’invasion de l’Ukraine par la Russie a ouvert de nombreuses crises et des défis nouveaux pour l’Union européenne. L’opération militaire russe a déclenché une crise énergétique sans précédent entraînant une augmentation préoccupante des prix de l’énergie. À cette occasion, l’Union européenne réalisait avec retard que la fixation du prix de l’électricité dans son marché intégré était source de bien des difficultés. C’est aussi une crise agricole, tant l’Ukraine est un producteur important de céréales. Enfin, une crise militaire est venue noircir le tableau, tant l’Union européenne peine à apporter des moyens militaires suffisants pour soutenir l'effort de guerre ukrainien. Là encore, l’UE découvrait qu’elle avait fait un adieu trop rapide aux industries de défense. Et ce cocktail détonnant agit négativement sur la croissance économique du continent.
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Toutes ces crises obligent l’Union européenne à engager, dans la précipitation, de nombreux efforts de réforme dans un cadre budgétaire contraint. Elle doit repenser l’organisation de son marché de l’énergie et son mix en la matière pour restaurer sa souveraineté, envisager une Europe de la défense alors que, plus que jamais, l’OTAN semble être l’outil de référence en matière militaire, et revoir toute son organisation agricole. Tout cela dans un contexte qui est marqué par une montée de l’extrême droite sur le continent et des élections européennes à haut risque pour bon nombre de partis de gouvernements au pouvoir dans les différentes nations européennes.
Mais la liste des défis ne trouve pas de clôture, car l’Union européenne vit à l’heure des élargissements futurs : demain l’Union s’envisage à 30 et même davantage... Dans ce cadre, l’Ukraine souhaite rejoindre l’Union voire l’OTAN tant elle est en quête de débouchés économiques, politiques et stratégiques. L’Ukraine a mesuré l’ampleur de sa vulnérabilité et cherche plus que jamais à s’assurer des partenariats solides.
Mais la volonté ukrainienne de rejoindre l’Union européenne ne surgit pas de nulle part. L’économie ukrainienne était avant le début du conflit déjà pour partie intégrée aux chaînes de valeurs de l’Union, et était au centre d’un accord de coopération qui a largement fait débat.
L’Union européenne et l’Ukraine : une intégration économique déjà à l’œuvre
Avant le conflit avec la Russie, l’Ukraine était déjà largement inscrite dans les échanges avec l’UE. En 2017, les deux parties ont signé un accord de libre-échange approfondi dont la ratification devait intervenir plus tôt, mais qui a connu de nombreuses vicissitudes politiques en raison des opinions contraires des gouvernements qui se sont succédé à Kiev. Cet accord a fait l’objet de débats dans l’Union européenne, puisque les Pays-Bas en 2016, à la suite d’une consultation référendaire, ont rejeté ce traité.
En 2022, le commerce total de biens entre l’Union européenne et l’Ukraine s’élevait à 57 milliards d’euros. Les principales exportations de l’Ukraine vers l’UE en valeur sont les céréales (16,5 % des exportations totales), les graines oléagineuses (11,7 %), les graisses et huiles animales ou végétales (10,7 %), le fer et l’acier (9,3 %) et enfin les minerais (8,4 %).
La guerre que subit l’Ukraine a de facto encore plus arrimé l’économie de ce pays à l’UE. Ainsi, 53,6 % de ses exportations ont pris la direction de l’Union en 2022, contre seulement 39,1 % en 2021. Cette intensification des échanges a été rendue possible par des choix conduits par Bruxelles. En effet, la Commission a suspendu en juin 2022, pendant plus d’un an, les droits d’importation venant de l’Ukraine et les mesures anti-dumping dans le secteur de l’acier. Les importations d’œufs, de volailles, d’oléagineux, de céréales ont crû considérablement, provoquant l’inquiétude de pays comme la Hongrie ou encore la Pologne quant à l’avenir de certaines de leurs filières agricoles.
D’autres secteurs jouent un rôle clef en lien avec les économies européennes, comme l’informatique et l’automobile. Le secteur informatique ukrainien est en pleine croissance et continue de fonctionner malgré le conflit. Il se fonde sur l’exportation de services. Si ce secteur était durablement touché par le conflit, les conséquences sur le numérique européen se feraient sentir.
Les entreprises ukrainiennes s’inscrivent dans les chaînes de valeur européenne dans le domaine, en assurant de la sous-traitance par exemple. D’ailleurs, la Commission européenne a associé l’Ukraine dans différents programmes pour continuer le développement du numérique dans ce pays malgré la guerre en cours. En outre, des composantes significatives pour la fabrication des automobiles européennes proviennent aussi de l’Ukraine.
Ce sont également les Ukrainiens qui, pour des raisons de sécurité, ont pris le chemin de l’Union : environ 8 millions d’entre eux y résident désormais. En somme, l’économie ukrainienne est largement intégrée à l’économie européenne et la guerre a provoqué une accélération de ce processus, quoi qu'on en pense.
L’Union européenne confrontée au défi de la probable adhésion de l’Ukraine
Le 28 février 2022, dès le début de la guerre, le président ukrainien a demandé officiellement l’adhésion de son pays à l’Union européenne. Le processus pourrait prendre une quinzaine d’années.
Sans évoquer l'Ukraine, les élargissements qui sont à l’agenda de l’Union européenne suscitent d’ores et déjà des inquiétudes sur le fonctionnement des institutions et sur le caractère de plus en plus hétérogène de l’Union. Les risques de paralysie et de dislocation de l’Union sont à l’esprit. Des pays qui disposent de législations sociales différentes, de normes salariales moins généreuses laissent entrevoir une concurrence déloyale et des logiques de dumping. La candidature de l’Ukraine nourrit les mêmes interrogations.
Face à un risque de défaite militaire de plus en plus évident – tant la situation sur le terrain lui apparait désormais défavorable – le fait de lui refuser l’accès à l’UE pourrait sembler difficile à entendre de prime abord. Mais d’autres considérations tout à fait légitimes sont aussi mises en avant, tant cet élargissement n’est pas sans poser de nombreuses difficultés et risques socio-économiques.
Parmi les craintes déjà mises en avant par certains pays comme la Pologne, ce sont celles liées à l’agriculture qui retiennent les attentions. La France rencontre déjà une crise agricole d’ampleur et craint qu’elle ne puisse pas faire face à ce géant agricole qu’est l’Ukraine. Dans ce dernier, les dix plus grandes entreprises agricoles contrôlent 70 % du marché national. Cela obligerait à une refonte de la PAC pour qu’elle puisse garantir le revenu des plus petites exploitations européennes de manière générale.
La question se pose également en termes de réglementations environnementales, qui ne sont pas les mêmes en Ukraine. Cette situation se perçoit sur le coût de production. En France, par exemple, le prix du poulet au kilo est de 7 euros alors qu’en Ukraine il est de... 3 euros. Et que dire du salaire moyen des Ukrainiens qui s'élève à 373 euros mensuels... Comment pouvons-nous espérer protéger notre économie face à un tel écart et au sein d'une Union acquise au dogme du libre-échange et de la concurrence libre et non-faussée ?
L’entrée de ce pays interroge aussi les moyens de l’Union européenne pour répondre aux écarts croissants qui existent entre les différents États membres et particulièrement les derniers d’entre eux. Le marché unique, tel qu’il fonctionne, fabrique de l’hétérogénéité depuis le début de son existence. Il a largement renforcé la domination des pays les plus industrialisés du continent.
Mais aujourd’hui, les écarts en termes de productivité, de recherche et développement, de taux d’activité ou encore d’emploi en Europe n’ont cessé de croître. Dans ces domaines, les nouveaux entrants accusent un certain retard et doivent engager des dépenses supplémentaires pour améliorer leurs indicateurs dans ces domaines.
L’adhésion de ce pays fait l’objet d’inquiétudes aussi politiques quant à la corruption à l’œuvre en Ukraine et à sa volonté de répondre aux critères en matière de démocratie et de respect des droits de l’Homme. L’Ukraine a été et est régulièrement secouée par des affaires de corruption. Ce pays doit davantage en faire dans ce domaine s’il espère adhérer à l’Union.
Aujourd’hui, l’Union européenne doit plus que jamais s’interroger sur son devenir qui a toujours hésité entre fédéralisme, retour aux nations ou encore dislocation dans une vaste zone de libre-échange. Les nouveaux élargissements obligent en amont à une réforme des institutions et à la naissance d’une Union européenne en cercles concentriques composés d’États désireux d’aller plus loin dans une intégration non seulement économique, mais aussi sociale. Les fuites en avant vers des élargissements mal pensés nuisent à l’avenir de cet ensemble institutionnel et nourrissent les dynamiques favorables à l’extrême droite.
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