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Dans la crise ukrainienne, l’inertie et le conformisme présidentiels font de la France un non-acteur.
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De l’intention à l’action, il y a parfois un gouffre. De cette maxime, la politique étrangère du président Macron constitue une consternante illustration, tout particulièrement dans le contexte actuel. Qu’on en juge : en août 2019, dans son discours à la Conférence des ambassadeurs, il incitait ces derniers à mettre en œuvre une « stratégie de l’audace et de la prise de risque », refusant de céder « à la facilité et à l’ordre ambiant », dénonçant « les schémas de pensée » et les « automatismes » qui conduisaient insensiblement à l’affadissement du rôle de la France dans le concert des nations.
Notre pays, rappelait-il en effet, est et doit rester « une puissance d’équilibre » et non « une puissance alignée », ce qui laissait penser qu’il devait pouvoir adopter régulièrement des positions singulières, au risque de brouilles passagères avec ses plus proches partenaires, pour prévenir les tensions et réduire les risques d’escalade. Ces affirmations concernaient tout particulièrement le lien à la Russie, auquel le Président consacra quelques phrases très censées ce jour-là : « Pousser [ce pays] loin de l’Europe est une profonde erreur » affirma-t-il lucidement, ajoutant qu’on l’acculait ainsi « soit à l’isolement qui accroît les tensions, soit à s’allier avec d’autres puissances comme la Chine, ce qui ne serait pas du tout notre intérêt ».
Avec ce discours, Emmanuel Macron défendait une conception gaullienne de la diplomatie française, soucieuse d’affirmer la singularité de notre pays et de mettre cette singularité au service de la paix dans le monde. Or, à de trop rares occasions près, cette diplomatie a été écartée ou bafouée par les successeurs du Général, faute de foi dans la France ou par adhésion-soumission au messianisme américain qui déferla sur le monde au lendemain du 11 septembre 2001. Emmanuel Macron allait-il être celui qui en rallumerait le flambeau, contre les tendances de « l’État profond » qu’il évoqua dans ce même discours ?
Dès 2019, il n’y avait guère de raison d’y croire véritablement. Les rencontres et entretiens avec le président russe ne débouchaient sur rien de concret, et l’inertie de la France dans les discussions au format Normandie sur la crise en Ukraine achevait de convaincre Moscou qu’il n’y avait rien à en attendre au titre de la prise en compte des intérêts russes sur cette question brûlante. La relance de la relation franco-russe, officiellement souhaitée par le Chef de l’État français, se solda par un échec complet, à l’image de toutes ses autres ambitions diplomatiques.
Un non-acteur comme les autres
Depuis le 24 février dernier et le début de l’invasion russe en Ukraine, la France a confirmé qu’elle est devenue, en matière de haute diplomatie, dans le cadre d’un conflit ouvert en Europe, un non-acteur, à l’égal de la plupart des autres États européens. La seule différence qui nous en distingue réside dans le grand nombre d’entretiens téléphoniques entre les présidents français et russe, avant comme après le déclenchement des hostilités.
Il faut y voir une marque caractéristique de la pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron. Tout le monde s’accorde à dire que ces entretiens sont d’une parfaite stérilité, mais le président français y voit, à l’inverse, un succès : en bon individu post-moderne, il fait de la communication une fin en soi, le dialogue vide avec Moscou ayant pour principal objectif de permettre à la France de se persuader qu’elle joue son rôle et tient son rang.
Comme sur la scène intérieure, à défaut de fond, le président français mise donc tout sur la forme. Or, ce qui ne marche pas en politique intérieure fonctionne encore moins en matière diplomatique, surtout lorsqu’il s’agit de négocier avec un chef de l’État persuadé que les intérêts vitaux et la sécurité stratégique de son pays sont engagés dans la crise en cours. Dans les mois qui ont précédé l’éclatement du conflit, alors que les tensions s’accroissaient semaine après semaine, une diplomatie audacieuse aurait consisté pour Paris à prendre officiellement position contre l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN.
Pour une fois, notre appartenance à cette alliance militaire aurait servi à autre chose qu’à nous affadir ; une telle annonce n’aurait peut-être pas suffi à enrayer la mécanique fatale qui a conduit au conflit, mais elle aurait sans aucun doute rassuré les Russes en leur démontrant que l’Occident n’était pas unanime dans la volonté de leur nuire, qu’il était encore possible de s’appuyer sur des puissances rejetant l’antagonisme de blocs pour s’engager sur le « chemin de désescalade » qu’évoquait alors le président français. Plutôt que d’utiliser cette carte, ce dernier a toutefois préféré faire le choix du conformisme atlantiste, confirmant que le discours de 2019 n’avait pas vocation à se traduire dans les faits.
Depuis le début de la guerre, la France continue à faire docilement tout ce qui est attendu d’elle à Washington, à Bruxelles et dans les capitales européennes. Tout au plus veille-t-elle à ne pas être en pointe dans la livraison de matériel militaire ou dans la mise en œuvre frénétique des sanctions économiques visant la Russie, malgré les déclarations initiales irresponsables de son ministre de l’Économie. Résister plus solidement à l’hystérie que ne le font les États-uniens et les Britanniques, les responsables bruxellois et les Polonais : voilà à quoi se réduit présentement la singularité française.
Une contribution signalée à la montée aux extrêmes
Réduite à l’insignifiance par sa passivité et par son conformisme, la France ne peut plus lutter significativement contre la montée aux extrêmes qu’elle entend pourtant prévenir. La séquence actuelle, centrée sur l’intégration de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, le démontre une fois encore.
Avant même que ces deux pays n’aient officiellement annoncé leur intention de rejoindre l’Alliance atlantique, le président Macron a indiqué qu’il accepterait sans réserve leur adhésion. La France « soutient pleinement le choix souverain de la Finlande » a ainsi fait savoir l’Élysée dès le 12 mai, 6 jours avant que la demande d’adhésion officielle des deux pays nordiques ne soit adressée aux instances de l’OTAN. Un soutien si empressé laisse penser que le chef de l’État français n’a même pas songé un instant à manifester une quelconque réticence à l’idée de cette adhésion.
Il faut donc comprendre qu’au moment où beaucoup s’inquiètent de la possible extension d’un conflit jusque-là limité au sol ukrainien, la France, à la suite de ses partenaires, trouve judicieux d’allonger de 1300 km la frontière qui sépare la Russie d’une alliance militaire qu’elle juge hostile à ses intérêts, sinon à son existence ; que la France estime légitime d’intégrer dans l’OTAN des États avec lesquels Moscou n’a aucun contentieux territorial, politique ou mémoriel, quand toute la géostratégie classique affirme que l’existence de zones tampons entre grandes puissances ou bloc de puissances est une condition nécessaire à la stabilité des relations internationales et à la paix. N’est-on pas en droit de demander à ceux qui nous dirigent un esprit supérieur de responsabilité et de lucidité ?
En entérinant ces deux adhésions comme si elles allaient de soi, la France prête son concours à l’aggravation des tensions, étendant et durcissant un antagonisme de bloc qui fut pourtant fatal au continent il y a un peu plus de cent ans, au cours de l’été 1914, lorsqu’un conflit limité à deux États (Serbie et Autriche-Hongrie) s’étendit rapidement, par le seul jeu des alliances, à l’Europe entière.
À l’inverse, le maintien, même malgré elles, de la neutralité de la Suède et de la Finlande aurait démontré à Moscou que certains de ses adversaires de l’Ouest étaient encore capables de porter un regard distancié et rationnel sur la crise en cours, qu’ils pouvaient surmonter une indignation légitime et faire le choix de la retenue dans l’espoir de garder le contrôle de la situation.
Pour s’opposer officiellement aux candidatures suédoise et finlandaise, il aurait cependant fallu au président français l’audace, l’intelligence stratégique et la hauteur de vue historique qui caractérisent le véritable homme d’État. Il lui aurait aussi fallu s’affranchir du discours ambiant, qui dénie au dirigeant russe toute rationalité pour mieux justifier l’étiolement de la nôtre sous l’effet de la peur et de la haine. Il lui aurait fallu, enfin, affronter les torrents d’insultes, les cascades de mépris, les procès médiatiques et politiques de tout l’Occident, jusque sur le sol français. À ce prix, et à ce prix seulement, il aurait pu faire jouer à notre pays le rôle stabilisateur qui devrait être historiquement le sien.
Mais n’est pas de Gaulle qui veut, et notre président, censément jupitérien, n’est en fait que le strict héritier des deux tristes sires qui l’ont précédé, dont la soumission à l’ordre des choses voulu par Bruxelles et Washington était une seconde nature. Aussi a-t-il laissé passer ce qui était peut-être la dernière occasion pour la France de peser sur le cours des événements autrement que de manière symbolique.
Tant pis pour la France, tant pis pour l’Europe.
Photo d'ouverture : Emmanuel Macron, Palais de l’Élysée, 19 mai 2022 - Ludovic Marin - @AFP
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