Quand les Américains tentaient d’introduire la ségrégation en France

Le décolonialisme qui aujourd’hui agite certains milieux a ceci de fâcheux qu’il ne s’encombre guère du passé. Cela pourrait sembler paradoxal, puisqu’il véhicule l’idée que les mentalités propres à l’époque coloniale persistent dans les institutions et les représentations contemporaines, de manière latente et parfois même ouverte, et dictent au quotidien des attitudes injustes, discriminatoires, fondées sur l’origine culturelle.

Avec une telle certitude, ce courant idéologique s’engage dans une double impasse : d’abord, car le rejet de l’Autre, observable parfois aujourd’hui, s’enracine dans des causes multiples qui permettent d’en rendre compte sans qu’il soit besoin de faire appel à un colonialisme ; ensuite, et surtout, car la croyance en un mal hérité dont il faudrait traquer toutes les survivances quotidiennes repose – et là est le paradoxe – sur une ignorance stupéfiante du passé incriminé, considéré sans souci de nuance et de vérité.

Le décolonialisme assume en effet un rapport au passé ouvertement militant, débarrassé de toutes les précautions épistémologiques inhérentes par ailleurs au savoir académique. La certitude d’agir au nom d’une grande cause rend superflue la connaissance historique, réduite à certains faits saillants perpétuellement brandis comme autant de repères, sans grand souci de cohérence et de démonstration, puisque seule vaut la dénonciation d’un Mal uniforme et intemporel qui serait encore en nous.

Poussé dans sa logique ultime, le décolonialisme peut même déboucher sur l’ignorance du passé. Pourquoi faudrait-il chercher à appréhender dans son détail une nuit des temps dont il est urgent de sortir enfin ? D’où un étrange retournement, de l’espoir d’une émancipation à une forme nouvelle d’aliénation, celle que constitue l’ignorance, d’autant plus dangereuse qu’elle est assumée.