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Les lecteurs d’Élucid ont voté pour rendre cet article gratuit. Date de publication originale : 31/08/2023

En observant l’évolution des prix de l’immobilier à travers le monde, on remarque des mouvements souvent parallèles. La décennie 1997-2007 a vu une forte hausse des prix, suivie d’un net dégonflement les années suivantes, avant que les prix ne repartent à la hausse jusqu’en 2021. La hausse des taux initiée en 2022 –et qui va probablement se poursuivre – entraîne d'ores et déjà un dégonflement des bulles immobilières occidentales, qui se traduit par une nouvelle phase de baisse des prix réels du logement.

Graphe Économie
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publié le 15/09/2023 Par Olivier Berruyer
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À l’exception de l’Allemagne et de l’Italie, tous les grands pays occidentaux ont connu au cours des 25 dernières années une hausse sensible des prix réels (càd une fois l’inflation déduite) de l’immobilier . Les plus fortes augmentations ont été observées au Royaume-Uni et au Canada, avec une multiplication des prix par 3. De son côté, le Japon reste le seul grand pays dont les prix de l’immobilier ont diminué depuis 1995.

La France a pour sa part connu un doublement des prix immobiliers sur cette même période. Cependant, depuis maintenant un an, ces prix diminuent légèrement et laissent craindre une crise immobilière dans l'hexagone (lire notre analyse sur ce sujet).

Pour qui roulent les banques centrales ?

Ces baisses des prix du logement sont une conséquence de la forte hausse des taux d’intérêt, qui renchérissent très fortement le coût des crédits bancaires, comme nous l’avons expliqué dans cet article. Dit autrement, ce que l’acheteur donne en plus au banquier est donné en moins au vendeur.

Cette forte hausse des taux est quant à elle causée par la hausse de l’inflation, une situation somme toute logique, puisque dans une économie saine, le taux d’intérêt doit normalement être environ 1 % supérieur à l’inflation. Par exemple, si le taux réel est négatif (comme c’est toujours le cas), les emprunteurs s’enrichissent sans cause, et les inégalités augmentent par rapport à la moitié de la population trop pauvre pour s’endetter (sans même parler de l’enrichissement sans cause due à la hausse des prix alimentée par la baisse des taux).

Si le choc actuel de hausse des taux est brutal, il ferme simplement une très longue parenthèse anormale qui dure en Europe depuis la crise de 2008, lorsque la BCE a baissé les taux à des niveaux inconnus dans l’Histoire. Le prétexte alors avancé était de « soutenir la croissance » des économies, un argument fallacieux pourtant relayé en masse par la propagande médiatique. En effet, les chiffres parlent d’eux-mêmes : la croissance annuelle moyenne du PIB par habitant de la zone euro entre 2010 et 2022 n’a été que de +1,0 %, et +1,1 % si on se limite à la période 2010-2019, le record ayant été de seulement +2,4 % en 2017. Autant dire que la croissance est restée rachitique, très éloignée de sa valeur d’avant 2008.

En revanche, la propagande ne met jamais en avant le fait que ces taux faibles ont fortement encouragé l’endettement public, et que suite à la remontée des taux, les intérêts de la dette vont exploser dans les années à venir, ce qui affectera de facto le budget des services publics.

D’autre part, ces taux anormalement bas ont encouragé la forte hausse des prix de l’immobilier. Ce qui a d’ailleurs grevé les finances des jeunes ménages, réduisant d’autant leur consommation (et la fameuse croissance…). Le tout au bénéfice des ménages aisés et âgés, faibles consommateurs et forts épargnants. La politique de la BCE n’a donc clairement pas bénéficié au plus grand nombre.

La culture locative allemande

Si l'on analyse les évolutions de l’immobilier dans plusieurs pays, on constate que le marché allemand se distingue par une baisse des prix continue entre 1995 et 2011, pour atteindre -24 %. Ceci est principalement dû à une faible croissance démographique, en raison d’une natalité peu dynamique outre-Rhin.

Ce faible niveau des prix s’explique aussi par une faible tension du marché, due à la culture locative dominante en Allemagne dans les grandes villes : le taux de propriétaires en Allemagne était de 43 % en 2021, contre 65 % en France et au Royaume-Uni (Eurostat).

La structure géographique de l’économie allemande est également déterminante dans le niveau des prix du logement : il n’y a pas, comme en France, un seul bassin d’emploi densément peuplé, mais plusieurs grandes métropoles. La diminution des prix des logements allemands est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les « réformes Hartz » de modération salariale dans les années 2000 n’ont pas affecté plus gravement les ménages allemands.

Cependant, à partir de 2012, la tendance s'est inversée et les prix de l’immobilier sont partis à la hausse, jusqu'à dépasser en 2019 leur niveau de 1995. Cette hausse des prix s'est poursuivie jusqu’en 2022, poussée par la politique de taux bas de la BCE. Mais le retour de l’inflation et la hausse des taux induite ont récemment cassé ce mouvement : les prix réels ont depuis fortement baissé en Allemagne, d’environ 15 %.

L’immobilier anglais toujours au plus haut

Le Royaume-Uni est le pays d’Europe où le prix de l’immobilier est le plus élevé : il s’établissait en 2020 à un niveau presque trois fois supérieur à celui de 1995. Après une baisse entre 2008 et 2013, les prix sont fortement repartis à la hausse avec la baisse des taux, jusqu’en 2022, où ils ont recommencé à baisser légèrement.

L'Italie, l’anomalie européenne

Comme dans la plupart des pays, la crise de 2008 avait mis fin à une augmentation continue des prix de l’immobilier italiens, entamée à partir du début des années 2000. Mais alors que la chute généralisée des prix de l’immobilier au lendemain de la crise des subprimes s’est arrêtée entre 2011 et 2013 dans la plupart des pays d’Europe, elle s’est prolongée en Italie jusqu’en 2019, de sorte que les prix ont chuté de près de 30 %.

L’une des principales raisons de cette baisse est la diminution du pouvoir d’achat des ménages, qui a fait chuter la demande de logements – ce pays étant probablement le plus pénalisé par son appartenance à l’euro. En 2022, les prix sont repartis à la baisse, d’environ -10 %.

En Espagne, les conséquences d'un surplus de constructions

Souvenons-nous, en 2008, l'explosion de la grande bulle immobilière espagnole avait généré de nombreux problèmes, après un doublement des prix du logement en l'espace de 8 ans. Cette hausse espagnole fut la plus importante d’Europe, après celle observée au Royaume-Uni.

En cause, la libéralisation de la loi du sol en 1996, qui a rendu beaucoup plus de terrains constructibles. La construction de logements avait alors explosé jusqu’en 2008, jusqu'à devenir bien supérieure à la demande de logements. Résultat : fin 2008, 30 % des logements construits entre 2001 et 2007 étaient vacants. Lorsque la bulle immobilière a explosé, les prix ont alors chuté de près de 50 %.

Entre 2013 et 2021, les prix de l’immobilier espagnol ont augmenté de 30 %, mais ils sont restés bien loin de leur niveau d’avant la crise des subprimes. Ils semblent repartir à la baisse depuis fin 2022.

En Belgique, une relative stabilité depuis 2007

L’évolution des prix de l’immobilier belge a connu trois phases sur ces 25 dernières années : une période de forte hausse entre 1995 et 2007, puis une grande stabilité jusqu’en 2021, et enfin une baisse modérée depuis 2022. Sur la totalité de la période, les prix ont ainsi doublé, tout comme en France.

Une hausse linéaire en Suisse

Les prix de l’immobilier suisse ont augmenté de façon linéaire depuis 2006, et se situent aujourd’hui 80 % au-dessus des prix en vigueur en 1995. Comme en Belgique, la crise des subprimes n’a pas engendré de chute du prix de l’immobilier.

Il n’y a cependant pas eu la même explosion des prix, car le taux de propriétaires dans le pays est faible, ce qui ne crée pas de tension sur le marché. En 2021, seulement 43 % des Suisses étaient propriétaires : c’est le taux le plus bas d’Europe. Les prix se sont ensuite stabilisés en 2022.

Explosion des logements vacants au Japon

Le Japon est le premier pays à avoir connu une bulle immobilière. L’explosion de cette bulle au milieu des années 1990 a fait chuter les prix de l’immobilier de 1995 à 2009. Les prix du marché japonais ont ainsi baissé de 40 %, avant de réaugmenter de 15 % au cours de la décennie suivante.

Une autre explication de cette chute du prix du marché japonais est la décroissance démographique, qui entraîne l’abandon de nombreux logements de mauvaise qualité édifiés dans l’après-guerre. En 2018, le nombre record de 8,5 millions de logements vacants est atteint – soit 14 % du nombre total de logements. Cette augmentation des logements vides maintient un faible niveau général des prix de l’immobilier, tandis que les prix sont très élevés à Tokyo en raison de sa très forte densité de population.

Aux États-Unis, bientôt la fin de la deuxième bulle immobilière ?

La caractéristique majeure de l’évolution récente des prix de l’immobilier aux États-Unis est le dégonflement rapide de la bulle immobilière après la crise des subprimes, puis sa réémergence au cours des années suivantes. En effet, avec la crise, les prix de l’immobilier américains avaient pratiquement retrouvé leur niveau de 1995, après une forte chute entre 2006 et 2011. Depuis lors, les prix américains se sont redressés pour atteindre en 2021 un niveau supérieur au pic de 2006.

Cette nouvelle hausse des prix américains s'explique par le faible taux des crédits immobiliers (autour de 3 %). Cependant, comme les taux sont revenus à près de 7 % en 2023, il est probable que les prix refluent nettement cette année.

La situation reste cependant très contrastée outre-Atlantique suivant les États : les prix du logement de certaines grandes villes, en mauvaise situation économique, n’ont ainsi guère augmenté depuis vingt ans. Mais, fait notable, ils ont baissé partout en 2022.

En observant les données sur le long terme et en prenant en compte la démographie, on remarque que le nombre actuel de ventes de maisons neuves reste très inférieur à son niveau moyen de la période 1963-2003, et qu’il est presque à la moitié de son niveau d’il y a 20 ans.

Au niveau des mises en chantier de logements neufs, on constate une baisse d’environ 20 % en 2022, mais le niveau reste dans les plus hauts depuis 15 ans : il n’y a donc pas de signe de grave crise immobilière à ce stade.

Cependant, depuis un demi-siècle, en proportion du revenu des ménages, les prix du logement apparaissent élevés, en dehors de leur tunnel historique récent. Avec +25 % par rapport au niveau moyen, la situation américaine est cependant bien meilleure qu’en France, où les prix sont supérieurs de près de 100 % au niveau moyen historique, c'est-à-dire deux fois plus chers !

Sur un siècle et demi, l’aberration des prix actuels de l'immobilier se révèle encore plus manifeste. Le néolibéralisme est aussi un système qui saigne les ménages jeunes et les oblige à vivre dans des logements plus petits et plus éloignés des zones d’activité.

Paris détient le record des grandes villes occidentales inabordables

Les prix de l’immobilier mondiaux ont ainsi fortement augmenté depuis 1995, notamment en Occident. Après la chute des prix engendrée par la crise des subprimes, les prix sont repartis à la hausse, et atteignent généralement aujourd’hui des niveaux supérieurs à ceux qui prévalaient en 2008 avant la crise. Cette dynamique a cependant été différente dans chaque pays, en raison de la démographie ou pour des raisons historiques et culturelles.

Sur le graphique ci-dessous, on a représenté l’évolution du nombre d'années de travail nécessaires pour acheter un appartement dans certaines grandes villes (2012-2022). Les chiffres sont sans appel : Paris détient la médaille d'argent de la ville la plus chère au monde, juste après Hong-Kong.

Que faut-il retenir ?

En 2022, le retour de l’inflation a cassé un mouvement de baisse des taux d’intérêt d’ampleur et de durée historique, en cours depuis 25 ans. C’est cette baisse des taux qui a causé l’explosion des prix immobiliers dans la plupart des pays occidentaux. Avec la hausse des taux, les prix ont baissé en 2022, et il est probable que ce mouvement se poursuive et que l'on entre dans une période, plus ou moins longue et plus ou moins importante, de dégonflement des bulles immobilières occidentales.

Cette baisse pourrait être particulièrement marquée dans les grandes villes, car le développement massif du télétravail permet aux travailleurs d’acheter un logement éloigné du cœur des métropoles. Cela serait cependant une bouffée d’oxygène pour les jeunes ménages français, en raison des niveaux stratosphériques du prix des logements.

Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.

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