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La propagande néolibérale nous rabâche souvent le même pseudo-argument sur nombre de plateaux télé : « C’est un scandale : la France a les prélèvements obligatoires les plus élevés d’Europe ! Cela asphyxie les forces vives du pays ! ». Pourtant, la réalité économique est tout autre. D'une part, le taux de prélèvements obligatoires n’a jamais baissé au cours des 50 dernières années, en dépit des dures politiques néolibérales menées. D’autre part, les pays avec un taux de prélèvements deux fois plus faible ne connaissent aucun nirvana économique – et s’en sortent même parfois moins bien que la France. Le problème est donc (volontairement) mal posé, ce qui empêche le grand public de bien le comprendre, mais aussi de prendre de bonnes décisions. Comment les néolibéraux travestissent-ils la réalité du fonctionnement du secteur public pour fabriquer le consentement à la destruction des services publics et à l’augmentation des inégalités au bénéfice des plus riches ? Explications.
1- Il n'y a pas de gabegie administrative
2- Les gros patrimoines paient peu d'impôts
3- Néolibéralisme VS Protection sociale
4- Les dépenses de l’État en chute libre
Ce qu'il faut retenir
On entend en général tout et (surtout) n’importe quoi concernant les recettes publiques, payées essentiellement sous forme d’impôts. Leur niveau est d’ailleurs souvent confondu avec le niveau des dépenses publiques qui, en 2022, ont représenté 58 % du PIB.
En théorie, la puissance publique dispose de la capacité de lever les impôts ; elle devrait donc fixer le montant de dépenses qu’elle juge adéquat, puis lever les impôts correspondants, sans générer de déficit. C’est ce qui s’est passé jusqu’au début des années 1970, période qui a correspondu aux prémices du développement du néolibéralisme. Une de ses multiples conséquences a été la gestion désastreuse des finances publiques.
Depuis lors, les déficits ont été permanents et jamais l’équilibre n’a été atteint depuis 1975. Les gouvernements ont systématiquement décidé de ne pas lever tous les impôts nécessaires. Cela a non seulement permis de ne pas toucher au patrimoine des plus riches, mais cela leur a même permis de le développer en prêtant à l’État (contre rémunération) l'argent que ce dernier refusait de leur prendre. S’enrichir grâce à l’État via la perception d’intérêts sur le montant des impôts non versés est une des recettes classiques de la fortune de la ploutocratie.
Ainsi, en 2022, face à des dépenses publiques représentant 58 % du PIB, le gouvernement a décidé de n’appeler que 53 % du PIB en recettes. Cette gestion lamentable a donc généré un gigantesque déficit de 5 % du PIB, soit 125 milliards d'euros. Les taux d’intérêt étant actuellement de plus de 3 %, cela va représenter, pour des décennies, une charge annuelle supplémentaire d’intérêts de 4 Md€ par an, soit un montant supérieur au budget total de la Culture par exemple. Juste pour le déficit de 2022 donc...
La moitié des recettes fiscales sont destinées à la Sécurité sociale, pas à la « gabegie administrative »
Assez logiquement, au vu de la répartition des dépenses, les 1 400 Md€ de recettes publiques en 2022 sont constitués pour la moitié par celles de la Sécurité sociale, le tiers par celles de l’État et le reste par celles des collectivités locales.
Au niveau de la structure des recettes, on retrouve sans surprise le même mouvement précédemment décrit pour les dépenses : forte hausse des recettes de la Sécurité sociale et stagnation des recettes d’administration, avec à l’intérieur une forte hausse des recettes des collectivités locales (communes, départements, régions…) et une nette baisse des recettes de l’État. Cela signifie donc que la majorité des recettes publiques est destinée à être immédiatement redistribuée sous forme de retraites par exemple, et non pas, comme veut le faire croire la propagande, à une « armée mexicaine » de fonctionnaires.
On distingue deux types de recettes publiques : d’une part les recettes fiscales (impôts et cotisations sociales) qui représentent 85 % du total, et d’autre part les recettes non fiscales. Ces dernières correspondent soit à des recettes perçues en contrepartie de services rendus (redevances, droits d’inscription à l’Université), soit à des revenus du capital (loyers perçus, dividendes…) ou soit à des recettes comptables non effectivement perçues (crédits d’impôt, cotisations sociales imputées…). Les recettes fiscales sont aussi appelées « prélèvements obligatoires », mais leur le périmètre varie assez fortement suivant les règles comptables de l’organisme statistique qui les calcule (Insee, Eurostat, OCDE…).
Un taux de prélèvements obligatoires de 45 % en 2022
Les seuls prélèvements obligatoires se sont élevés à 45 % du PIB en 2022. C’est un record historique en France, malgré des décennies de politiques néolibérales. Ceci est en réalité causé par la poursuite des inévitables effets du vieillissement de la population.
La répartition et l’évolution de ces prélèvements ont été très proches de celles des recettes totales : une grosse moitié pour la Sécurité sociale, un petit tiers pour l’État et le reste pour les collectivités locales.
Ces dépenses sont causées par l’augmentation continuelle des plus de 65 ans dans la population, qui nécessitent que les actifs cotisent plus. Mais en contrepartie, ils bénéficieront eux aussi, plus tard, des prestations élevées de ce système. Sauf s’ils laissent les néolibéraux l’affaiblir considérablement...
Un gros problème pour les inégalités : les impôts frappent très peu les gros patrimoines
Plus en détail, ces prélèvements obligatoires sont constitués pour près de la moitié des cotisations sociales et de la CSG, pour le quart d’impôts sur la consommation (dont la TVA), pour près de 15 % d’impôts sur le revenu des ménages et des entreprises (impôt sur les bénéfices des sociétés) et environ 5 % d’impôts liés à la propriété immobilière (taxe foncière, droits de mutation, une partie des droits de succession).
Suite aux réformes d’Emmanuel Macron, l’impôt sur la fortune a quasiment disparu du champ fiscal français. Les impôts sur le patrimoine ont donc un poids négligeable dans notre système fiscal, alors que c’est le domaine où les inégalités sont les plus grandes : 50 % du patrimoine est détenu par les 10 % les plus riches, et les 50 % les plus pauvres n’en possèdent que 8 %.
Il y a donc un vrai chantier fiscal à ouvrir concernant les patrimoines, afin que les plus élevés contribuent à leur juste part.
« La France championne des prélèvements » : quand les néolibéraux cherchent à détruire notre modèle de protection sociale
La vulgate néolibérale classique se contente de déclamer sans cesse que la « la France est la championne des prélèvements en Europe », sans rien dire d’autre. Leur but est de pousser à la destruction de notre modèle social, qui fournit beaucoup en contrepartie de ces prélèvements élevés. C’est même le cœur de notre gestion collective de la protection sociale.
Il est vrai que les prélèvements obligatoires en France sont les plus élevés d’Europe. En 2022, ils ont représenté 48 % du PIB national selon Eurostat (qui rajoute par exemple les crédits d’impôt ou les cotisations obligatoires aux mutuelles santé).
Cependant, toute médaille a son revers, et la propagande néolibérale est partielle et donc partiale. Il vaut mieux payer 500 € d’impôts que 1 000 €, mais est-ce toujours vrai si les 500 € vous donnent une aide de 100 € en retour et les 1 000 € une aide de 800 € ? À l’évidence, la seconde option est largement préférable. On ne peut comparer le paiement des impôts sans comparer les bénéfices obtenus en retour.
Sans cela, on ne peut pas comprendre pourquoi il y a de tels écarts en Europe. Et, encore plus important : on ne peut pas comprendre comment ces fortes différences de taux d’imposition ne créent pas en retour de colossales différences de niveaux de vie entre les citoyens.
L’exception française s’explique par le fait que ce pays a choisi une large gestion collective de sa protection sociale. Certes, d’autres pays payent 5 ou 10 points de moins d’impôts, mais en retour, ils doivent affecter des sommes équivalentes au secteur privé pour leur santé par exemple. Et d'une façon générale, leurs systèmes de retraite, publics ou privés, y sont souvent moins généreux. Mais ça, les néolibéraux se gardent bien de vous le dire. Vous n’aurez jamais dans les grands médias des débats sur le thème « Faut-il diminuer le montant des plus grosses retraites ? » ou « L’État est-il trop généreux dans ses subventions aux entreprises ? ».
Pourtant, on ne peut évidemment pas vouloir baisser les dépenses publiques sans baisser les transferts publics, et donc le niveau de vie des bénéficiaires. Les dépenses publiques sont parmi les plus élevées en France, mais en contrepartie, le niveau de vie des séniors est équivalent à celui des actifs et donc le taux de pauvreté des retraités français est pratiquement le plus bas d’Europe.
Aucun miracle, l’argent ne s’évapore pas : si on paye moins pour sa retraite en tant qu’actif, on percevra moins de retraite plus tard, c’est simple. Quand on regarde les pays à faible taux de prélèvements, on y trouve soit les pays les moins riches d’Europe, soit des paradis fiscaux (on taxe moins sa population quand on détourne les impôts des autres…), soit des pays très individualistes.
Nous analyserons tout ceci en détail dans un futur article, pour montrer que les différences s’expliquent parfaitement, et que si on paye plus (ou moins), on a en retour plus (ou moins). Nous verrons que ces comparatifs internationaux sont trompeurs et manipulatoires, et ne visent encore une fois qu’à affaiblir le soutien politique à notre modèle solidaire de protection sociale. C’est pourquoi il faut être bien informé pour comprendre les avantages qu’il procure à tous.
Analyser correctement
La comptabilité publique permet de distinguer deux grands types de dépenses publiques :
- les transferts financiers, qui correspondent à une simple redistribution immédiate des impôts récoltés. Ce sont des espèces de « chèques » immédiatement signés par les administrations et distribués sans contrepartie directe. Ils correspondent par exemple aux dépenses de retraite, de remboursement de santé, de chômage, de subventions aux entreprises, d’aides au logement ou à l’énergie, etc. ;
- les dépenses d’administration, qui correspondent aux dépenses de fonctionnement (paiement de fonctionnaires, achat de matériel…) et d’investissement (constructions de routes, d’hôpitaux…). Ce sont en fait plutôt à elles qu’on se réfère quand on pense à la notion de « dépenses publiques », « d’administration » voire de « bureaucratie ».
Ainsi, si on veut s’interroger sur le poids des administrations en France, s’intéresser seulement au montant des impôts payés n’a pas grand sens, vu qu’une grande partie correspond à de simples transferts financiers : l’argent payé est reversé aux contribuables, qui en bénéficient soit immédiatement (remboursements médicaux, subvention aux entreprises, aides au logement, bouclier énergie…), soit de manière différée (retraite, chômage, invalidité…).
Nous avons réalisé une analyse approfondie permettant de scinder les dépenses publiques entre les transferts financiers et les dépenses d’administration. Il apparait qu’au niveau de l’ensemble des administrations publiques, les dépenses d’administration sont restées parfaitement stables depuis un demi-siècle : avec 22 % du PIB, la valeur de 2022 est strictement égale à celle de 1975.
Dans cet environnement propagandiste, les politiciens néolibéraux ne souhaitent pas la mise en avant de données qui contredisent leur discours visant au démantèlement des services publics. Il est par exemple suspect que l’Insee ait cessé de publier dans les années 1990 son « taux de prélèvements obligatoires nets (des transferts) consolidés », qui laissait alors bien voir quelle était la réalité des prélèvements réels, les autres servant à financer des transferts financiers immédiatement rendus aux contribuables (ce qui ne constitue donc pas des prélèvements nets). Nous les avons reconstitués dans le graphique précédent en utilisant une notion proche, mais il est problématique que l’Insee ne les diffuse plus. Cela éclairerait mieux le discours public.
Les dépenses de fonctionnement de l’État en chute libre
Depuis les années 1970, les transferts financiers ont donc très fortement augmenté de plus de 60 %. Cette simple redistribution d’argent immédiatement réinjecté dans l’économie a été causée par la crise du modèle économique (chômage) et par le vieillissement de la population.
Comme on l’a vu, cette hausse des transferts a majoritairement concerné la Sécurité sociale, en raison du vieillissement. Mais elle a également touché l’État, transformé par le néolibéralisme en une vaste pompe aspirante et refoulante, accordant de plus en plus de soutien aux entreprises (lire notre article dédié à ce scandale de la hausse des subventions aux entreprises) et aux particuliers (souvent les plus aisés, par exemple avec la large diminution de l’impôt sur la fortune, le fameux ISF largement supprimé après 2017).
Ces hausses de subventions n’ont généralement eu aucune efficacité économique, elles ont seulement augmenté le patrimoine des actionnaires et des ménages aisés. Le problème, c'est qu'elles ont par nature induit une hausse de certaines dépenses de l’État, alors que les gouvernements ont fait de leur baisse le cœur de leurs discours politiques. En conséquence, pour ne pas augmenter le total des dépenses de l’État, les gouvernements ont largement réduit leurs dépenses de fonctionnement et d’investissement.
Dans le même temps, les dépenses des collectivités locales ont fortement augmenté jusqu’en 2013, puis ont légèrement baissé depuis, pour les raisons que nous avons décrites dans notre analyse sur les dépenses publiques ; celles de la Sécurité sociale sont restées remarquablement stables malgré la forte hausse du nombre de séniors.
Au final, les dépenses d’administration de l’État en proportion du PIB ont fondu de -35 % au cours des quarante dernières années, ce qui explique la déliquescence de nos services publics.
Si les dépenses de la Sécurité sociale sont restées stables, dans le même temps, la population des séniors (qui a de grands besoins médicaux) a fortement augmenté depuis 40 ans, et la hausse va encore se poursuivre durant des décennies.
Ceci explique pourquoi le service public de la santé est en train de s’écrouler, alors que ses moyens ont peu diminué. C’est parce que les besoins ont explosé. La dépense de santé par malade a donc, elle, fortement baissé.
Ainsi, dans les deux cas, État comme Sécurité sociale, les gouvernements néolibéraux ont fait le choix de la destruction des services publics essentiels par pur poujadisme électoral, dont le discours a été centré sur le niveau des prélèvements obligatoires.
Ce qu’il faut retenir
La propagande néolibérale ne cesse de se répandre sur le fait que la France est championne des prélèvements obligatoires. C’est factuellement exact, mais ils n’expliquent jamais que, en retour, la France est championne du niveau de vie de ses retraités, des subventions aux entreprises ou qu’elle est très bien placée au niveau de son espérance de vie grâce à la qualité de notre système de santé (hélas désormais menacé).
Pourtant, quand on y regarde de plus près, et malgré le fait que l’Insee diffuse peu d‘informations détaillées sur ce sujet, les prélèvements obligatoires destinés au fonctionnement de l’administration sont restés remarquablement stables au cours des dernières décennies.
Cette propagande a eu de graves effets. Les services publics vitaux pour le pays ont vu leurs dépenses de fonctionnement sabrées par les gouvernements néolibéraux. Ils ont été victimes de leur poujadisme, qui a fait de l’obsession du niveau de prélèvements libératoires un des cœurs de leur propagande politique pour se faire élire. Ils ont même réalisé d’importantes baisses d’impôts une fois élus, en particulier ceux sur le capital, qui sont pourtant très faibles et indispensables pour une vraie lutte contre les inégalités. Ils ont fait croire au public que les hausses régulières d’impôts qu’ils constataient servaient à financer une gabegie de dépenses d’administration. Et ils se sont faits fort de la faire cesser au plus vite – sans jamais arriver, au final, à faire baisser les prélèvements obligatoires.
C’est parce que la vérité est tout autre. Si on exclut les collectivités locales, les dépenses d’administration (et donc les impôts correspondants) n’ont eu de cesse de diminuer depuis 40 ans. Mais cela ne s’est pas vu, car les dépenses de transfert n’ont eu de cesse d’augmenter, de plus de 50 %. Et ce essentiellement à cause des effets du vieillissement de la population et, accessoirement, à cause des politiques néolibérales de pillage de l’État au bénéfice des plus aisés.
Les gouvernements sont désormais piégés. La destruction partielle des services publics n’est même pas suffisante pour tenir leur promesse de forte baisse des prélèvements obligatoires. Le seul moyen d’y arriver serait de baisser fortement le niveau de vie des retraités. Or, ils représentent 40 % des votants et sont le cœur de l’électorat de ces gouvernements. Ces derniers doivent donc résoudre la quadrature du cercle, et il est probable qu’ils amplifient leurs attaques contre les services publics, qui figurent d’ores et déjà à l’agenda de la Commission européenne.
Annexe graphique