Macron a décidé de piétiner les pratiques démocratiques et républicaines élémentaires en nommant Michel Barnier Premier ministre, à contre-courant du choix des Français. Après deux semaines de consultations, ce dernier vient de présenter son équipe qui constitue probablement le gouvernement le plus à droite de la Ve République. Mais cette séquence ne met pas fin à la crise. Elle signe simplement l’entrée dans une nouvelle étape, celle d’un gouvernement sans majorité, dont le maintien incombe seulement au bon vouloir du RN. Petite présentation de la fine équipe qui a accepté d’entrer dans ce jeu délétère.
Abonnement Élucid
Habemus gouvernementam ! Il n’a donc fallu que 2, 5, 7, 10, 12, 14, 16 jours à Michel Barnier pour constituer son gouvernement d’union entre LR et Ensemble. Avec 10 ministres Ensemble et 7 LR/ex-LR sur 19 ministres de plein exercice, on est cependant bien plus proche d’un remaniement macroniste, l’extrême-centre s’ouvrant à la droite-extrême LR avec la bénédiction de l’extrême-droite RN.
Nous vous proposons une petite synthèse de cette équipe « de choc », avec quelques petites trouvailles cocasses fâcheusement oubliées sur leurs réseaux sociaux.
1/ Didier Migaud (ancien PS), garde des Sceaux, ministre de la Justice
Âgé de 72 ans, on imagine qu’il ne soutient pas la retraire à 62 ans. Cet ancien socialiste a été président de la Cour des comptes, et il dirigeait jusqu’à présent la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Seule personnalité prétendument « de gauche » de ce gouvernement, il semble que Macron l’aurait obligé à accepter ce poste pour qu’il le nomme par la suite au Conseil constitutionnel. Nous vous renvoyons d’ailleurs vers notre article de l’année dernière : Conseil constitutionnel : cour judiciaire ou EHPAD doré pour politiciens ?
Comme il n’a pas aucun réseau social, passons à la suite.
2/ Catherine Vautrin (ex-LR), ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation
Agée de 64 ans, l'ex-ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités du gouvernement Attal, a quitté la droite pour rallier les macronistes en 2022. Elle s’imagine apparemment être devenue de « centre droit » depuis lors.
3/ Bruno Retailleau (LR), ministre de l'Intérieur
On ne présente plus l’ultra-conservateur patron des Sénateurs LR au Sénat, âgé de 63 ans. Il aime s'afficher autour du slogan « La force des convictions »... en voici un florilège :
Selon Les Échos, cette nomination signe le retour de la droite au ministère de l’Intérieur... Le retour ? Nous sommes donc priés de croire que l'ancien ministre Gérald Darmanin était un « gauchiste LR ». Ou alors Les Échos ont-ils décidé d'imiter le Gorafi ?...
Bruno Retailleau fait partie de ceux qui dénoncent un « ensauvagement de la société française ». Lors des révoltes urbaines suite à la mort de Nahel Merzouk, il parle d'une « sorte de régression vers les origines ethniques ». Il fait également partie de ceux qui dénoncent la « repentance perpétuelle » de la France en ce qui concerne la colonisation. Car, selon lui, « la colonisation, c’est bien entendu des heures qui ont été noires, mais c’est aussi des heures qui ont été belles, avec des mains tendues ». Des mains coupées plutôt non ?
Soutien de La Manif pour tous, il s'oppose au mariage entre personnes de même sexe, vote contre le projet de loi visant à interdire les thérapies de conversion, et s'est opposé à l'inscription de l'IVG dans la Constitution.
4/ Anne Genetet (Renaissance), ministre de l'Éducation nationale
Cette diplômée en journalisme médical de 61 ans s’est installée en 2005 à Singapour et n’a donc aucune compétence particulière pour occuper ce poste. Elle ne se différencie donc pas de la plupart des autres ministres de ce gouvernement...
5/ Jean-Noël Barrot (MoDem), ministre de l'Europe et des Affaires étrangères
À 41 ans, le fils de l’ancien ministre Jacques Barrot est diplômé d’HEC. Cet économiste a obtenu un doctorat en économie financière. Ses travaux de recherche portent sur le financement des entreprises et de l'innovation, sur les réseaux de production et le crédit inter-entreprises. Il a donc très logiquement été nommé ministre... des Affaires étrangères. Quelques fervents utilisateurs de Wikipédia savent peut-être qu’il était ministre du numérique en 2022-2023 et ministre de l’Europe en 2024. Un vrai couteau-suisse ce Jean-Noël !
6/ Rachida Dati (ex-LR), ministre de la Culture et du Patrimoine
On ne présente plus Rachida Dati, 58 ans, ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, qui conserve donc son poste. On aurait préféré ministre de la Justice. En effet, cette mise en examen pour « corruption passive par personne investie d’un mandat électif public au sein d’une organisation internationale », « trafic d'influence passif » et « recel d'abus de pouvoir » aurait pu mettre sa fine connaissance du système judiciaire français au service du pays. Tant pis !
7/ Sébastien Lecornu (Renaissance), ministre des Armées et des Anciens Combattants
Cette figure macroniste de 38 ans conserve son poste.
8/ Agnès Pannier-Runacher (Renaissance), ministre de la Transition écologique, de l'Énergie, du Climat et de la Prévention des risques
Cette autre figure macroniste HEC/ENA/Inspection des Finances a participé à tous les gouvernements depuis 2018. En 2022, le site d’investigation Disclose a révélé que les 3 enfants de la ministre de 13, 10 et 5 ans se sont retrouvés actionnaires d’une société créée par le père de la ministre, dirigeant historique de Perenco, deuxième plus gros producteur de pétrole après Total.
Son but était de faire une donation de plus d’un million d’euros à ses petits-enfants, en évitant qu’ils n’aient à payer des droits de succession à son décès. Ses montages dans les paradis fiscaux sont surréalistes. Gageons cependant que cela ne dissuadera en rien la ministre de mener à bien la sortie du pays des énergies fossiles...
9/ Antoine Armand (Renaissance), ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie
Le député de Haute-Savoie et président de la commission des Affaires économiques (normalien ENA/Inspection des Finances) entre au gouvernement à seulement 33 ans. C’est dommage, il s’en est fallu de peu pour que l’État puisse se faire rembourser son salaire au titre de l’apprentissage.
On lui souhaite bonne chance avec les quelques dossiers laissés en suspend par Bruno Le Maire : activité économique en berne, déficit commercial gigantesque, poursuites de la Commission contre la France pour déficit excessif, déficit public plus grand que prévu (que nous avions anticipé dans notre article sur le Budget 2024 de la France), taux d’intérêts en hausse, menaces de dégradation de la notation de la France par les agences de rating, pressions des marchés financiers… Le tout sans avoir de majorité à l’Assemblée nationale.
Ses premiers mots ont été pour féliciter Bruno Le Maire pour son bilan (de 1 000 milliards de dette), dans un discours qui fera date dans l’histoire de la consommation de stupéfiants...
Antoine Armand, nouveau ministre de l'Économie, félicite son prédécesseur Bruno Le Maire pour son bilan pic.twitter.com/w0SstZsrnQ
— BFM Business (@bfmbusiness) September 22, 2024
10/ Geneviève Darrieussecq (MoDem), ministre de la Santé et de l'Accès aux soins
Personne ne connait cette médecin allergologue de 68 ans, mais il faut cependant savoir qu’elle a été membre du gouvernement de 2017 à 2023. C’est la sixième ministre de la Santé depuis mai 2022 (par chance, la Ve République selon les macronistes, c’est la « stabilité gouvernementale »).
11/ Paul Christophe (Horizons), ministre des Solidarités, de l'Autonomie et de l'Égalité entre les femmes et les hommes
Ce proche d'Edouard Philippe de 53 ans, très connu dans son canton, pourra utilement mettre à profit son expérience de Maire de Zuydcoote (1 580 habitants)...
12/ Valérie Létard (UDI), ministre du Logement et de la Rénovation urbaine
Cette ancienne sénatrice de 61 ans a été membre du gouvernement sous Nicolas Sarkozy.
13/ Annie Genevard (LR), ministre de l'Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt
Cette ancienne enseignante de lettres classiques en lycée de 68 ans a tout naturellement été nommée ministre... de l’Agriculture. La paysannerie française, en grande souffrance, devrait apprécier le message...
14/ Astrid Panosyan-Bouvet (Renaissance), ministre du Travail et de l'Emploi
Cette diplômée de HEC de 53 ans a travaillé dans le secteur des assurances puis de l’immobilier chez Unibail (6,1 millions d’euros de revenu sur la période 2017-2021). Elle aura donc certainement à cœur de défendre le droit des salariés à de meilleurs salaires. Elle est également veuve de Laurent Bouvet, cofondateur... du Printemps Républicain.
15/ Gil Avérous (ex-LR), ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative
Maire de Châteauroux de 51 ans, Président de l’association des Villes de France, titulaire d’une maîtrise en management des collectivités territoriales, il devient naturellement ministre... des Sports.
16/ Patrick Hetzel (LR), ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
Avec cet universitaire (en gestion), ex-directeur général de l’enseignement supérieur de 60 ans, on pourrait croire (pour une fois) que cette personne a été nommée dans son domaine de compétence. Mais ses prises de position non scientifiques ces dernières années ne peuvent que laisser inquiet... Pour le reste, cet ancien conseiller éducation de François Fillon à Matignon s’inscrit bien dans la lignée de la droite-extrême, avec à son compte une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête relative à « l'entrisme idéologique et aux dérives islamo-gauchistes dans l'enseignement supérieur »... Pascal Praud doit être ravi...
17/ Guillaume Kasbarian (Renaissance), ministre de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l'action publique.
Ce diplômé de l’ESSEC, libéral revendiqué et ministre du Logement âgé de 37 ans reste au gouvernement, mais cette fois-ci à la tête de la Fonction publique. Seront à prévoir : rémunération au mérite, remise en cause du système de catégories (A, B, C) des fonctionnaires et facilitation des licenciements...
18/ François-Noël Buffet (LR), ministre auprès du Premier ministre, chargé de l'Outre-mer
Ce sénateur du Rhône de 61 ans, ancien avocat, était jusqu'alors président de la commission des Lois du Sénat.
19/ Laurent Saint-Martin (Renaissance), ministre auprès du Premier ministre, chargé du Budget et des Comptes publics
Ce diplômé de l’EDHEC de 39 ans, membre du PS puis de LREM, était directeur général de Business France. Bon courage à lui pour gérer « l’excellent bilan » de Bruno Le Maire.
Voilà qui clôt la liste des 19 ministres de plein exercice du gouvernement Barnier. S’y ajoutent 15 ministres délégués et 5 secrétaires d’État, pour un gouvernement de 39 membres. Nous ne détaillerons pas ces postes, les profils sont du même acabit que les précédents, comme on le voit encore avec la nouvelle ministre déléguée chargée de l’Énergie Olga Givernet :
Citons simplement le nouveau ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad. Ce diplômé d’HEC de 38 ans était jusqu’à son élection en 2022 le Directeur Europe du think tank américain Atlantic Council. Un petit coup d’œil sur la rémunération :
Il fait partie du groupe d’amitié « France-Israël » à l’Assemblée nationale, où il apporte un « soutien inconditionnel à Israël », s’opposant à tout cessez-le-feu à Gaza. Il vient aussi de défendre récemment « la nécessité pour l’Ukraine de se doter de missiles de longue portée capables de frapper le sol russe ». Un des pires « faucons » macronistes obtient donc le poste stratégique majeur de ministre de l’Europe...
Comme vient de le dire Barnier, avec son petit drapeau européen, « Maintenant, au travail ! ». Nous vous renvoyons vers notre article sur l'impuissance programmée du gouvernement français face aux projets austéritaires de la Commission européenne (d'autant plus avec un ancien vice-président de la Commission européenne à sa tête).
Cela risque toutefois d’être un des gouvernements les plus brefs de l’Histoire, vu qu’il ne dispose au mieux que d’environ 220 députés sur 577, donc bien loin de la majorité, ce qui est inédit. Nous vous renvoyons vers notre article sur le résultat des élections législatives 2024 pour bien comprendre la situation politique du pays.
Soyons clairs : un vote simultané du NFP et du RN d’une motion de censure suffit à faire tomber ce gouvernement. Mais il semble que le RN ne souhaite pas censurer ce gouvernement dès le discours de politique générale. Peut-être le fera-t-il au moment du vote (ou du 49.3) du Budget 2025, qui s’annonce donc à très haut risque. Nous suivrons la situation de près sur Élucid...
Photo d'ouverture : Le président français Emmanuel Macron pose avec le négociateur en chef de la Commission européenne Michel Barnier avant leur rencontre au palais de l'Élysée à Paris, le 31 janvier 2020, quelques heures avant que la Grande-Bretagne ne quitte officiellement l'Union européenne. (Photo Ludovic MARIN / AFP)
Cet article est gratuit grâce aux contributions des abonnés !
Pour nous soutenir et avoir accès à tous les contenus, c'est par ici :
S’abonner
Accès illimité au site à partir de 1€
Déjà abonné ? Connectez-vous
9 commentaires
Devenez abonné !
Vous souhaitez pouvoir commenter nos articles et échanger avec notre communauté de lecteurs ? Abonnez-vous pour accéder à cette fonctionnalité.
S'abonner