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Les crises se multiplient ces temps-ci, et sans surprise, le marché de l'immobilier en est aussi très fortement impacté : nous sommes sans doute au début d'un véritable retournement des prix. Nous avons tous l'habitude de voir le coût des logements augmenter un peu plus chaque année, c'est devenu une norme que nous avons tous intégrée.
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Cependant, +150 % de hausse en 20 ans, ça n'a rien de normal et il suffit en réalité de pas grand-chose pour que le marché s'écroule. Or, ce pas-grand-chose se déroule actuellement sous nos yeux ! Explications.
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Un début de retournement des prix immobiliers ?
Les prix de l’immobilier ont spectaculairement augmenté en France en 25 ans. C’est un phénomène bien connu, puisqu’il a permis à de nombreux propriétaires de s’enrichir grâce à la prise de valeur de leur bien immobilier payé à bas coût avant l’entrée dans le XXIe siècle. Le plus fort de cette bulle a eu lieu entre 1997 et 2008 ; elle a ensuite dégonflé à l’occasion de la crise des subprimes, pour finalement repartir à la hausse dès 2016, moins fortement qu’avant, mais avec tout de même une augmentation de 5 % par an environ.
Cependant, cette tendance ne devrait pas durer. Notre économie a connu de nombreuses perturbations ces dernières années, a fortiori avec la crise sanitaire, la politique monétaire de la BCE, et récemment la guerre en Ukraine. Le marché de l’immobilier ne va pas être épargné : observons donc les changements importants à venir.
Les chiffres de ce trimestre montrent le début d’une nette décélération des prix immobiliers : ils continuent certes à augmenter, mais leur croissance diminue. Cela s’observe légèrement en Province, mais bien plus significativement en Île-de-France, là où les capacités d’emprunts sont saturées (voir le graphique ci-dessous indiquant la variation des prix en pourcentage).
Le cas de Paris fait figure d’exception, avec une tendance à rebours du reste de la France depuis 3 ans. En effet, la crise du Covid et la hausse du télétravail avaient entrainé une fuite vers de meilleures conditions de vie, et donc un très brutal retournement du marché parisien, ainsi qu’une augmentation des prix des maisons en Île-de-France.
On peut toutefois observer une légère remontée des prix dans la capitale, cela s’explique assez simplement : avec le retour d’une inflation élevée, les taux de rendement réels (compte tenu de l’inflation) des investissements financiers (assurance vie, obligations, etc.) ne sont plus rentables, les investisseurs aisés préfèrent donc se tourner vers l’immobilier, d’où la cessation de la baisse des prix dans ce cas précis.
Voici enfin, plus précisément et suivant la même logique, le détail des prix par département, depuis 3 mois :
Une chute importante des prix réels à Paris
Un achat immobilier étant par nature réalisé avec un objectif d’investissement sur le long terme, il faut toujours tenir compte de l’inflation pour réaliser des analyses sur une longue période.
Exemple : Si en 2021 une maison valait 100, et qu’elle vaut 102 en 2022, son prix a augmenté. Mais si l’inflation est à 7 %, on se rend bien compte qu’en réalité, la valeur réelle de la maison, correspondant à celle du pouvoir d’achat de cette valeur, a baissé d’environ 5 % en un an. Si sa valeur réelle n’avait pas diminué, la maison vaudrait 107, et non 102.
Avec cette correction, on observe que les prix nationaux réels sont en croissance nette nulle, et que la crise du Covid, ainsi que l’épisode inflationniste actuel, ont entrainé une baisse sensible des prix parisiens, de près de 10 % :
Si on analyse cette évolution des prix (corrigée de l’inflation) en euros, on comprend pourquoi des ouvriers pouvaient acheter facilement leur maison dans les années 1970 ou 1980, alors qu'aujourd'hui, la tâche est devenue très difficile.
Cette hausse drastique des prix aurait pu être moins douloureuse pour les ménages si elle avait été accompagnée par une augmentation similaire des revenus. Mais cela n’a pas été le cas, comme on le constate sur le graphique ci-dessous qui montre la relation entre le prix des logements et le revenu annuel des ménages. Entre 1964 et 2000, le prix des logements pour les ménages était stable, et suivait l’évolution de leurs revenus.
La bulle immobilière de 2000-2007 a eu pour conséquence une augmentation impressionnante de 70 % du prix des logements en fonction du revenu des ménages, soit un doublement par rapport au niveau des prix de 1985 ! Depuis, les prix immobiliers stagnent à ce niveau très élevé, d’où le sentiment très fort de perte de pouvoir d’achat des Français.
Enfin, on peut également noter que, contrairement aux prix du logement à l’achat, les prix des loyers n’ont pas suivi cette folle hausse, et qu’ils se maintiennent à un niveau à peu près constant depuis le début des années 1990 : ils sont même en légère baisse depuis 2015. C’est très bien pour les locataires, mais cela a, en retour, dégradé la rentabilité locative.
Les ventes immobilières en baisse : un indice important de déclin
Une donnée très importante à observer pour comprendre et anticiper l’évolution des prix de l’immobilier est le nombre de ventes, qui traduit l’état de l’offre et de la demande sur ce marché.
Le nombre annuel de ventes immobilières de logements anciens (dans le sens « pas neufs ») n’a pratiquement pas cessé d’augmenter entre 1970 et la crise de 2008. Après un « trou d’air » de quelques années, elles sont reparties en très forte hausse entre 2015 et 2021. Cependant, depuis mi-2021, les ventes reculent, sur un rythme annuel de baisse de 6 %, qui tend à s’accélérer. Autrement dit, la demande est en baisse, présageant donc d’un retournement du marché…
Sont particulièrement touchés par ce recul des ventes les départements de la moitié nord de la France.
Voyons à présent les raisons expliquant cette évolution de la demande, et la raison pour laquelle le marché risque d’être durablement affecté.
La fin des prêts immobiliers pas chers : l’élément crucial
Assez logiquement, le retour de l’inflation (qui a atteint 7 % ce mois-ci) a mis un terme à la baisse historique des taux des emprunts immobiliers. On le voit par exemple sur le graphique ci-dessous, avec le taux à 20 ans, qui est en remontée très rapide.
Notons que pour tous les profils, les taux ont déjà augmenté en moyenne de 1,4 point en 2022, passant de près de 1 % début 2022 à 2,4 % début novembre 2022 ! Un constat déjà très inquiétant.
En effet, le problème est que le marché immobilier dépend grandement des crédits immobiliers, peu de ventes étant réalisées au comptant. Et le montant d’un crédit immobilier se définit à partir de 3 éléments :
1/ le montant de la mensualité. Mais les banquiers rechignent à prêter au-delà d’une mensualité égale à 30 % des revenus. Comme les emprunteurs ont intérêt à maximiser leur mensualité afin de limiter le coût du crédit, les mensualités sont en moyenne proches de ce seuil de 30 %. Cet élément est donc peu variable en pratique pour un ménage donné ;
2/ la durée du crédit, compris entre 7 ans et 25 ans (limite légale). La hausse des prix depuis 2015 a poussé les emprunteurs à maximiser la durée de crédits : plus de la moitié atteignent 25 ans, et 80 % 20 ans et plus. Cet élément est donc lui aussi peu variable en pratique ;
3/ le taux d’intérêt, qui est un taux de marché dépendant des taux directeurs fixés par la Banque centrale européenne. Cet élément est quant à lui très variable.
En pratique, le montant qu’un ménage peut emprunter dépend quasi exclusivement du taux d’intérêt. De plus, ce taux a une très forte influence sur le capital. Prenons l'exemple d'un ménage remboursant 1 000 € par mois pendant 25 ans. Quand les taux d'intérêt étaient à 7 % (c'était encore le cas en 2007 !), la capacité d'emprunt dans de telles conditions était de 141 000 €. Mais quand les taux ont fondu à 1 % (début 2022), la capacité d'emprunt dans les mêmes conditions était de 265 000 €.
La baisse des taux a ainsi permis d’augmenter la capacité d’emprunt de près de 90 % pour un prêt sur 25 ans (70 % pour un prêt sur 20 ans), et donc de payer, si besoin, un bien 90 % plus cher avec le même effort tous les mois. On comprend à quel point tout cela a considérablement porté le marché immobilier à la hausse…
On peut représenter graphiquement la baisse de la capacité d’emprunt induite par cette hausse rapide des taux (partant d’un taux d’intérêt de 1 %) :
En quelques mois, avec seulement 1,3 point de hausse des taux, c’est déjà 12 à 14 % de la capacité totale d’emprunt des taux de 20 et 25 ans qui a disparu par rapport au début de l’année.
Exemple : si (en se serrant la ceinture) on pouvait emprunter en début d’année 300 000 €, ce sera désormais seulement 260 000 €. Et ce n’est évidemment qu’un début.
Soulignons également que l’inflation est actuellement de 7 %. Dans un système financier sain, les taux d’intérêt devraient donc actuellement être plutôt autour de 10 % (pour être supérieurs à l’inflation). Mais bien sûr, une telle hausse ne serait pas sans conséquence : des taux de 10 % entraineraient une baisse de la capacité d’emprunt de 50 à 60 % (voir graphique ci-dessus).
La BCE se retrouve complètement coincée
Alors pourquoi les taux sont-ils maintenus plus bas que la norme, bien qu’ils augmentent tout de même ? C’est en raison de la politique de la BCE, qui refuse de les augmenter trop fortement afin de ne pas déclencher une lourde crise financière. Hélas, ce qui est corrigé d’un côté produit des effets de l’autre, et cette politique entraine plusieurs conséquences tout aussi alarmantes pour notre l’économie :
1- En faisant cela, la BCE lutte moins contre l’inflation ;
2- Elle fait également baisser la valeur de l’euro, ce qui… alimente l’inflation de plus belle en raison des produits que nous importons ;
3- Elle fait de la zone euro une zone de répression financière (c’est-à-dire une zone où les taux d’intérêt réel sont négatifs, diminuant le pouvoir d’achat de l’épargne, et poussant celle-ci à fuir la zone… ce qui fait baisser l’euro).
En ce qui concerne l'augmentation des taux, si les emprunteurs les plus aisés risquent moins d'être fortement limités, ce sera vraisemblablement une complication bien plus lourde pour la grande majorité des gens. D’autant que les banquiers sont désormais extrêmement frileux, et qu'ils limitent leurs nouveaux crédits aux emprunteurs les plus solides. Dans la mesure où les banques ont poussé à des niveaux historiques l’endettement de leurs clients, on comprend que dans le contexte économique actuel, elles rechignent à endetter de nouvelles personnes.
La crise immobilière a déjà commencé : le risque d'un effet cascade à moyen terme
En réalité, la crise immobilière a déjà commencé, mais elle est peu perçue pour l’instant, en raison des délais de reporting. Début novembre 2022, la Banque de France communique sur les crédits produits en juin, alors qu’ils découlent d’accords de crédits réalisés en mars-avril. Par chance, l’assureur Crédit Logement dispose d’une analyse avancée, qui porte sur les accords de crédits réalisés en octobre. Et les chiffres sont dramatiques : Entre août et octobre 2022, les banques ont accordé 34 % de crédits en moins par rapport à la même période de 2021.
La question n’est pas « Va-t-il y avoir une crise immobilière ou non ? », mais « Quelles vont en être la profondeur et la durée ? Or, on peut être pessimiste pour les raisons précédemment exposées.
D’abord, les emprunteurs ne vont plus pouvoir augmenter fortement le montant de leur endettement. Cela va donc réduire la demande immobilière, mais cela aura aussi un effet sur la consommation, et donc sur la croissance du PIB. En effet, le schéma habituel était le suivant : l’acheteur emprunte de l’argent à la banque pour acheter le bien du vendeur, et le vendeur se retrouve avec un gain d’argent (total ou partiel s’il rachète un autre logement plus petit par exemple), qu’il peut donc en partie dépenser, soutenant ainsi la consommation.
Ensuite, les emprunteurs vont voir le coût des crédits augmenter à cause de la hausse des taux, et bien peu pourront compenser ceci par une augmentation de la durée, des mensualités ou de l’apport personnel. Cela va donc réduire nettement la capacité d’emprunt, et donc la demande.
Tout ceci ne peut qu’entraîner les prix à la baisse. Avec les difficultés économiques et la baisse des prix, les banques vont devenir bien plus frileuses : l’activité devient dangereuse pour elles, et peu rémunératrice. Cela va encore plus réduire la demande.
Or, si les prix baissent fortement, cela risque de faire fuir temporairement les emprunteurs qui vont attendre de voir jusqu’où la baisse peut continuer. Qui va se presser pour acheter une maison 400 000 € si on pense qu’elle risque d’en valoir bientôt 350 000 ou 300 000 ?
L’inflation va également avoir un effet sur le marché, car les niveaux actuels de prix ne peuvent pas suivre cette dernière : en effet, une maison valant 400 000 € fin 2021 ne vaudra pas 430 000 € fin 2022, alors que c’est censé être sa valeur compte tenu de l’inflation de 7 %. Cela va donc diminuer la valeur réelle des biens immobiliers, inflation déduite.
Une baisse des prix va se révéler très problématique pour les emprunteurs récents ayant eu un faible apport personnel et voulant revendre leur bien pour différentes raisons (divorce, mutation, naissance…). La valeur de revente risque d’être inférieure au capital restant dû à la banque, ce qui pourrait empêcher la vente…
En conclusion : comme on le voit, beaucoup de choses vont dépendre de l’inflation. À supposer qu’il n’y ait pas de nouveaux problèmes d’ici là, elle devrait refluer en mars 2023, un an après le début de la crise énergétique. Mais l’inflation réelle est actuellement de 10 %, 3 % ayant été financés par de la dette publique, ce qui n’est pas tenable. Ainsi, si l’inflation est divisée par 2 en 2023, elle pourrait être de 4 à 6 %, ce qui devrait conduire les taux d’intérêt à des niveaux de 5 à 7 %, avec un lourd impact sur le marché immobilier.
Il convient donc d’être désormais extrêmement prudents dans ses choix d’investissement immobilier, en gardant à l’esprit qu’une baisse des prix, forte et durable, pourrait bien avoir lieu.
Photo d'ouverture : Lerbank-bbk22 - @Shutterstock
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